Chaque mois une proposition pour se nourrir de st Vincent de Paul

Notre mission principale est de faire connaitre st Vincent de Paul et sa spiritualité ainsi que nourrir une réflexion auprès de toute personne passant au Berceau pour mener au mieux leur vie, les nourrir de l’évangile et mieux prendre conscience de ce que vivent les laissés pour compte de notre société.

Chaque mois une proposition pour se nourrir de st Vincent de Paul

Vincent GOGUEY
Vincent GOGUEY

Depuis un an, l’équipe d’animation spirituelle du Berceau s’est renouvelée. Notre mission principale est de faire connaitre st Vincent de Paul et sa spiritualité ainsi que nourrir une réflexion auprès de toute personne passant au Berceau pour mener au mieux leur vie, les nourrir de l’évangile et mieux prendre conscience de ce que vivent les laissés pour compte de notre société.

Au chapitre D, dédié à l’animation vincentienne, le projet provincial de la Congrégation de la Mission exprime la volonté de l’Assemblée :

D. Animation vincentienne

21. Nous sommes héritiers d’une spiritualité vécue et transmise par notre fondateur Saint Vincent de Paul. Elle est le ferment de notre vie, que d’autres peuvent partager, soit en étant membres de la Famille Vincentienne, soit à titre individuel. Dans la fidélité à la Mission du Christ poursuivie par saint Vincent, il nous revient de participer activement au rayonnement de cette spiritualité.

22. Nous l’organisons dans une triple dynamique en nous appuyant particulièrement sur les propositions du Pôle Animation Vincentienne :

  • Former, par l’initiation et l’approfondissement, en proposant des temps de prière et d’enseignement (sous forme de récollections, retraites, sessions, pèlerinages, etc.) ;

23. Nous nous appuyons en particulier sur deux réalités, la Maison-Mère et le Berceau, où nous disposons déjà de moyens8 servant à cette animation.

C’est dans cette dynamique que l’équipe de pilotage du Berceau lance cette année 22/23 une proposition de retraites et récollections mensuelles. Nous avons fait le choix de mettre un thème à ces temps de rencontres pour rejoindre des réalités de vies diverses et ainsi adapter le message de st Vincent au plus près de leurs réalités.

Deux fois par jour il y aura un petit enseignement et en fin d’après-midi un temps de partage pour nous enrichir de la compréhension de chacun. Les laudes et vêpres, menées par les deux communautés sur place, seront un soutien à la prière. Le reste de la journée est en silence. Un accompagnement personnel est possible ainsi que la rencontre d’un prêtre. Sauf exception, ces retraites sont animées par un ou deux membres de l’équipe de pilotage du Berceau.

Toutes ces thématiques sont là pour rejoindre le plus grand nombre possible, alors, chers confrères, chers vincentiens n’hésitez pas à être des relais de ces propositions. Plus nous serons nombreux à nous nourrir de st Vincent et sa compréhension de l’évangile plus notre monde s’avancera vers le projet de Dieu.

Vincent Goguey cm.

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Complémentarité hommes-femmes dans la Mission selon saint Vincent de Paul

Beaucoup se posent aujourd’hui la question de la « place des femmes dans l’Église ». En 2013, dans l’avion de retour des JMJ de Rio de Janeiro, le pape François déplorait l’absence d’une « théologie profonde de la femme dans l’Église », sans vraiment préciser ce que dirait une telle théologie.

Complémentarité hommes-femmes dans la Mission selon saint Vincent de Paul

Beaucoup se posent aujourd’hui la question de la « place des femmes dans l’Église ». En 2013, dans l’avion de retour des JMJ de Rio de Janeiro, le pape François déplorait l’absence d’une « théologie profonde de la femme dans l’Église », sans vraiment préciser ce que dirait une telle théologie. Cette confidence du pape sonne comme un aveu que l’Église ne parvient pas à rendre raison du positionnement marginal des femmes en son sein, notamment dans les domaines de la liturgie, de l’enseignement et de la gouvernance. Au XVIIe siècle, émus d’une part par la misère qui sévissait dans de grandes parties de la France du fait de guerres récurrentes, et d’autre part interpellés par le manque d’instruction religieuse des populations de la campagne et la formation fortement déficiente des prêtres qui entravait leur accès aux sacrements, saint Vincent de Paul et sainte Louise de Marillac ont créé une double compagnie constituée respectivement d’hommes (la Congrégation de la Mission) et de femmes (les Filles de la Charité), constituant un véritable ministère de service corporel et spirituel des pauvres avec des modalités différentes selon différentes qualités perçues comme masculines ou féminines. Ces deux compagnies avaient été précédées en 1617 par la création des Dames de la Charité que saint Vincent place dans la lignée des « diaconesses », office public dévolu aux femmes dans les premiers temps de l’Église mais qui avait disparu selon lui à l’époque de Charlemagne, laissant le sexe féminin « privé de tout emploi » jusqu’à ce que la « Providence » en rétablisse un. Bien que Vincent ne compare pas explicitement les deux offices, l’ancien et le nouveau, il semble évident qu’il considère le deuxième comme bien supérieur au premier : alors que le rôle des diaconesses selon lui était de « faire ranger les femmes dans les églises et de les instruire des cérémonies qui étaient pour lors en usage », les deuxièmes, « Dieu les établit les mères des enfants abandonnés, les directrices de leur hôpital et les dispensatrices des aumônes de Paris pour les provinces, et principalement pour les désolées » (Coste XIII, p. 809-910). C’est d’une véritable diaconie de la charité qu’il s’agit, source de vie pour les marginalisés. Mais dans ce petit travail, nous nous concentrerons sur les Filles de la Charité. À travers la lecture des deux conférences sur la vocation des Filles de la Charité (conférences 2 et 3, Coste IX, pp. 14-18 et 18-26) et celle sur les vertus de Marguerite Naseau, archétype et modèle des Filles de la Charité (conférence 12, ibid. pp. 77-79), nous étudierons ce que signifie pour saint Vincent être Fille de la Charité, à savoir être fille de Dieu comme Jésus est fils de Dieu, puis en mettant en regard le premier article des règles communes respectives des Filles de la Charité et de la Congrégation de la Mission, ainsi que la lettre 3077 à Jacques de la Fosse (Coste VIII, pp. 237-240), nous esquisserons une articulation entre les ministères respectifs de la Congrégation de la Mission et des Filles de la Charité et tâcherons de montrer pourquoi on peut parler d’un ministère unique avec en son sein des rôles complémentaires pour les deux congrégations. Enfin nous rassemblerons ces réflexions pour essayer d’en tirer un enseignement sur la façon dont on pourrait, aujourd’hui, à l’exemple de Vincent de Paul et de Louise de Marillac, organiser un ministère associant hommes et femmes et qui réponde aux besoins de notre temps.

Dans le corpus des lettres, conférences et documents de saint Vincent de Paul rassemblés et organisés par René Coste dans les années 1920-1930, les tomes IX et X contiennent les conférences aux Filles de la Charité. Les deux conférences des 5 et 19 juillet 1640 sont consacrées à la vocation des Filles de la Charité, présentée comme le « bonheur des Filles de la Charité : ce que c’est et ce qu’il faut pour être vraies et bonnes Filles de la Charité ». On peut bien sûr être une fausse et mauvaise Fille de la Charité si on n’est pas fidèle à ce qu’on peut appeler l’essence des Filles de la Charité. Pour définir ce « bonheur » de femmes ayant choisi une vocation particulière, Vincent part de celui de tout chrétien : « demeurer toujours en l’état qui les rend plus agréables à Dieu, en sorte qu’il n’y ait rien qui lui puisse déplaire. » Le bonheur des chrétiens, c’est de faire ce qui plaît à Dieu. On pourrait dire en exagérant à peine que le bonheur des chrétiens est de faire le bonheur de Dieu, il ne peut être défini que dans une relation et par une relation à son créateur. De façon classique Vincent distingue deux types d’état, les gens en ménage qui se consacrent à leur famille et à « l’observance des commandements » et les religieux, « ceux que Dieu appelle dans l’état de perfection, comme les religieux de tous Ordres et même ceux qu’il met en des communautés, comme les Filles de la Charité, lesquelles, bien qu’elles n’aient pas pour maintenant des vœux, ne laissent d’être dans cet état de perfection, si elles sont vraies Filles de la Charité. » En 1640 les Filles de la Charité n’ont pas encore vraiment de règles, elles n’émettent pas de vœux, d’ailleurs quand elles en émettront ce ne seront pas des vœux perpétuels mais renouvelables tous les ans. Pourtant Vincent insiste sur cet état de perfection qu’elles doivent conserver. Nous verrons que cette « perfection » n’est pas un état à atteindre pour soi comme dans le cas des religieux mais que c’est un moyen pour un but plus grand qui est la mission et le service des pauvres et des malades.

Vincent de Paul explicite ensuite cette perfection : il faut quitter « père, mère, biens, prétentions au ménage ; c’est ce que le Fils de Dieu enseigne en l’Évangile », il faut aussi obéir, « s’être quitté soi-même ». Pourquoi tout cela ? On le voit déjà, c’est parce que Jésus l’a enseigné ; une Fille de la Charité se met donc à la suite de Jésus, et en se mettant à sa suite elle se fait fille de Dieu : « Être Filles de la Charité, c’est être filles de Dieu, filles appartenant entièrement à Dieu ; car ce qui est en charité est en Dieu, et Dieu en lui. […] Il faut faire entièrement la volonté de Dieu ». Il faut donc être disciple de Jésus, et c’est en suivant Jésus, en faisant ce qu’il a fait en agissant dans la charité et en accomplissant la volonté de son Père qu’on est une vraie Fille de la Charité. Autrement dit une Fille de la Charité est fille de Dieu comme Jésus est Fils de Dieu, en étant missionnaire comme Jésus est missionnaire du Père, comme Vincent le développe dans la suite de la conférence : « Pour être vraies Filles de la Charité, il faut faire ce que le Fils de Dieu a fait sur terre […] il a continuellement travaillé pour le prochain, visitant et guérissant les malades, instruisant les ignorants pour leur salut. » On note que les Filles de la Charité ne sont pas cantonnées comme la plupart des religieuses hospitalières de ce temps au service corporel des malades, mais doivent bien s’adonner à leur instruction. On peut reconnaître ici la double diaconie de la charité et de la parole. Ce qui est frappant c’est la grandeur de cette vocation de Fille de la Charité, soulignée par un habile jeu de contraste : « Vous avez le bonheur d’être des premières appelées à ce saint exercice, vous, pauvres villageoises et filles d’artisans. » Voilà le couple paulinien de « force/faiblesse », c’est dans la faiblesse humaine que Dieu révèle sa force. Ainsi de la condition la plus misérable de l’échelle sociale du XVIIe siècle, « pauvres villageoises et filles d’artisans », Dieu suscite la plus grande des vocations, celle de suivre le Christ inconditionnellement dans sa mission auprès des pauvres et des malades. Pour instruire les ignorants, Dieu n’appelle pas les savants, mais des filles elles-mêmes ignorantes qui ne seront ainsi pas porteuses de leur propre message mais vectrices de la Parole qu’il aura mise en elle. Ce ministère est presque inouï dans l’histoire de l’Église : « Depuis le temps des femmes qui servaient le Fils de Dieu et les apôtres, il ne s’est fait en l’Église de Dieu aucun établissement pour ce sujet. »

Dans la deuxième conférence sur la vocation de Fille de la Charité (Coste IX, pp. 18-26), Vincent veut leur faire découvrir le « dessein de Dieu » pour leur compagnie. Il développe les aspects déjà évoqués dans la première en s’appuyant sur le début des Règles : « La Compagnie des Filles de la Charité est établie pour aimer Dieu, le servir et honorer Notre-Seigneur, leur patron, et la sainte Vierge. » puis « pour servir les pauvres malades corporellement, leur administrant tout ce qui leur est nécessaire, et spirituellement, procurant qu’ils vivent et meurent en bon état. » La deuxième citation donne les moyens d’accomplir la vocation d’aimer Dieu. En particulier Vincent développe longuement le thème de l’amour de Dieu et les moyens d’« aimer Dieu souverainement » en se faisant tout à lui et en accomplissant sa volonté en imitant Jésus Christ  « qui ne faisait rien que par le motif de l’amour qu’il avait pour Dieu le Père. » Arrêtons-nous aux soins spirituels des malades, tâche essentielle des Filles de la Charité : le soin des malades en vue de leur guérison doit se faire pour l’amour de Dieu. Vincent appuie son discours sur l’hymne à la Charité de saint Paul (1 Co 13). Le soin corporel ne peut pas suffire, même s’il est fait pour l’amour de Dieu : la charité exige de soigner la relation des malades avec Dieu quand elle est blessée. Si on soigne un « ennemi de Dieu », comment celui-ci peut-il être satisfait ? Est-on vraiment guidé par la charité en soignant les ennemis de Dieu ? Ou alors ne faudrait-il soigner que ses amis ? La réponse de Vincent est toute différente : « parmi ceux que vous pourrez servir, il s’en trouvera beaucoup qui seront ennemis de Dieu par les péchés qu’ils ont contractés depuis longtemps et par ceux qu’ils auront peut-être envie de commettre après leur maladie, si d’ennemis de Dieu vous n’essayez de les changer en amis de Dieu par une vraie pénitence. » La mission des Filles de la Charité est de faire « d’ennemis de Dieu » des « amis de Dieu », de collaborer avec Dieu à sa réconciliation avec l’humanité blessée. La charité crée une profonde unité entre les soins corporels des malades et leur service spirituel. Il n’y a pas de vraie charité si on se contente de soigner les maladies ou blessures physiques des malades, l’amour de Dieu impose le soin holistique de toute la personne du malade. Ainsi c’est la vocation de Fille de la Charité de s’occuper des malades corporellement mais surtout spirituellement. Nous avions déjà vu que saint Vincent hissait le ministère des Filles de la Charité à la dimension de l’histoire de l’Église, ici il dépasse même cette dimension et évoque l’éternité de Dieu : « le dessein de Dieu pour votre établissement a été, de toute éternité, que vous l’honoriez en contribuant de tout votre pouvoir au service des âmes, pour les rendre amies de Dieu […] avant même que vous vous occupiez du corps. » On voit ici la très grande importance de la mission des Filles de la Charité, voulue de toute éternité par Dieu pour continuer son œuvre dans le monde. Ce n’est pas exagérer de dire que comme les missionnaires lazaristes et avec eux (comme nous le verrons plus tard), les sœurs vincentiennes collaborent à l’acte de création de Dieu en aidant à recréer la relation blessée entre les hommes et lui.

Cette compagnie conçue de toute éternité par Dieu n’est cependant pas tombée du ciel, elle a eu un commencement dans la personne d’une jeune fille de Suresnes qui aurait pu rester un phénomène sans suite si elle n’avait pas frappé l’attention de sainte Louise de Marillac. Nous n’examinerons pas en détail la conférence consacrée aux vertus de Marguerite Naseau (juillet 1642, Coste IX, pp. 77-79) mais nous pointerons les éléments qui montrent que cette « pauvre vachère sans instruction » constitue l’archétype des Filles de la Charité. De nombreux éléments de cette conférence montrent la conviction qu’a Vincent d’une forme d’incarnation en elle de la volonté de Dieu. Elle n’avait « quasi d’autre maître ou maîtresse que Dieu », était « mue par une forte inspiration venue du ciel », « sans autre provision que la Providence divine », etc. On reconnaît dans ces expressions une figure prophétique. Dans toutes les tâches qu’elle entreprit elle n’était guidée par personne d’autre que par la volonté de Dieu, et la Providence prenait soin d’elle : « Elle a elle-même raconté à Mademoiselle Le Gras [Louise de Marillac] qu’une fois, après avoir été privée de pain pendant plusieurs jours et sans avoir mis personne au courant de sa détresse, il lui arriva, au retour de la messe, de trouver de quoi se nourrir pour bien longtemps. » On voit clairement ici une illustration de l’appel de Jésus dans l’évangile à ne pas se soucier de ce qu’on mangera le lendemain ni de la façon dont on accomplira la mission, mais à se fier à l’amour de Dieu. Comme la pauvre veuve de l’évangile elle donnait « tout ce qu’elle avait, prenant même sur ses nécessités » et son travail portait du fruit puisque les jeunes gens qu’elle a fait étudier « sont maintenant de bons prêtres ». C’est une illustration de la perfection que doivent avoir les Filles de la Charité, perfection qui n’a rien avoir avec un désir personnel d’être vertueux mais de se conformer à la volonté de Dieu afin que la mission soit fructueuse. Cette vie en relation avec Dieu fait d’elle l’archétype de la Fille de la Charité, disciple de Jésus Christ et fille de Dieu. C’est l’Incarnation qui se poursuit dans le monde quand Dieu inspire à des hommes et des femmes de suivre l’exemple de son Fils et en fait ses frères et sœurs qui continuent sa mission. Vincent de Paul décrit dans sa conférence comment elle a appris à lire avec un abécédaire tout en gardant ses vaches, demandant à des hommes de lui indiquer la prononciation des lettres, puis comment l’appel de la Providence l’a poussée à instruire les jeunes gens, s’en allant « de village en village […] avec deux ou trois jeunes filles, qu’elle avait formées », et comment, « dès qu’elle sut qu’il y avait à Paris une confrérie de la Charité pour les pauvres malades, elle y alla, poussée du désir d’y être employée ». L’instruction de la jeunesse et le service des malades sont les deux tâches principales des Filles de la Charité et c’est une simple vachère sans instruction, poussée par la volonté de Dieu, qui a ainsi inventé ce ministère. L’œil perspicace et inspiré de Louise de Marillac a permis de déceler la main de Dieu dans cette entreprise et de la continuer par le moyen de la compagnie des Filles de la Charité.

Les règles communes de la Congrégation de la Mission commencent par exposer le mystère de l’Incarnation, et tout le programme de la compagnie est présentée dans la première phrase : « La sainte Écriture nous apprend que Notre-Seigneur Jésus-Christ ayant été envoyé au monde pour sauver le genre humain, commença premièrement à faire, et puis à enseigner. » Jésus a « fait » en « pratiquant parfaitement toute sorte de vertus » et « enseigné » par la prédication et l’instruction de ses apôtres et disciples. La Congrégation de la Mission « désire imiter le même Jésus-Christ » en pratiquant les vertus, en prêchant « l’évangile aux pauvres, particulièrement à ceux de la campagne », et en aidant « les ecclésiastiques à acquérir les sciences et les vertus nécessaires à leur état ». Peut-être notera-t-on qu’il manque quelque chose, et c’est là qu’il faut lire les règles des Filles de la Charité. Il est intéressant de noter qu’à la différence des prêtres de la Mission, mus par le « désir » d’imiter le Christ, Dieu a « appelé et assemblé les filles de la Charité », exactement comme Jésus avait « appelé et assemblé » le collège des apôtres. Il semble beaucoup plus évident à la lecture du premier article des règles des Filles de la Charité qu’en lisant celles des prêtres de la Mission que leur compagnie existe à cause de la volonté de Dieu. Leur fin est « d’honorer Notre Seigneur Jésus-Christ comme la source et le modèle de toute charité », et c’est ce qui manquait à la mission de la congrégation masculine. Les Filles de la Charité font ce que les missionnaires ne peuvent pas faire, guérir les malades corporellement et spirituellement, ainsi que saint Vincent l’écrit à son confrère Jacques de la Fosse dans sa lettre du 7 février 1660.

Dans une lettre perdue à laquelle celle de Vincent de Paul est la réponse, Jacques de la Fosse demandait pourquoi les lazaristes devaient s’occuper de la direction spirituelle des Filles de la Charité, contrairement à celles des autres religieuses, et après avoir répondu malicieusement qu’elles n’étaient justement pas des religieuses, Vincent lui rappelle l’importance pour la Congrégation de la Mission des œuvres de charité et du service corporel et spirituel des malades que la compagnie avait établi les Charités pour ce faire, que Jacques de la Fosse lui-même avait « pensé mourir » en accomplissant cette tâche. Après avoir évoqué le bien que font les Charités, notamment celle de Paris, pour le service des pauvres, il expose l’importance des Filles de la Charité, « entrées dans l’ordre de la Providence comme un moyen que Dieu nous donne de faire par leurs mains ce que nous ne pouvons pas faire par les nôtres, en l’assistance corporelle des pauvres malades, et de leur dire par leurs bouches quelque mot d’instruction et d’encouragement pour le salut ». En d’autres termes, elles sont voulues par Dieu, données à la Congrégation de la Mission pour accomplir les tâches que celle-ci est incapable de faire, comme il ressort de la lecture du premier point des règles respectives. Cela montre bien que les emplois des lazaristes et des Filles de la Charité sont les complémentaires nécessaires à la vocation de ces deux compagnies qui n’en forment en réalité qu’une (d’ailleurs elles ont le même supérieur général), qui est la continuation de la mission de Jésus-Christ dans l’histoire de l’humanité, en particulier dans le service de toute la personne des pauvres et des malades.

Il faut revenir sur le mot « moyen » qui semble subordonner les Filles de la Charité à la Congrégation de la Mission. En réalité c’est plutôt un artifice rhétorique, une « captatio benevolentiae » pour persuader Jacques de la Fosse du devoir des lazaristes d’accompagner spirituellement leurs compagnes de ministère. Cet accompagnement vise à les aider « à leur propre avancement en la vertu pour se bien acquitter de leurs exercices charitables. » Comme les religieuses, elles visent à leur perfection, mais contrairement à elles, cette perfection a elle-même une fin qui est la mission : « Il y a donc cette différence entre elles et les religieuses, que les religieuses n’ont pour fin que leur propre perfection, au lieu que ces filles sont appliquées comme nous au salut et soulagement du prochain ». « Comme nous » n’est pas un détail, c’est le correctif du « moyen » évoqué plus haut : « et si je dis avec nous, je ne dirai rien de contraire à l’Évangile, mais fort conforme à l’usage de la primitive Église, car Notre-Seigneur prenait soin de quelques femmes qui le suivaient ». On voit à nouveau que Vincent inscrit les Filles de la Charité à une place fondamentale de l’histoire de l’Église, en les présentant comme les héritières des femmes qui suivaient Jésus. Les Filles de la Charité ne sont donc pas un simple « moyen » pour les prêtres de la Congrégation de la Mission, elles sont leurs compagnes dans la mission à égalité, selon la volonté de Dieu.

On peut conclure de ce très bref parcours de quelques conférences, lettres et documents de saint Vincent de Paul que les Filles de la Charité ont été instaurées pour suivre et imiter Jésus-Christ dans sa mission d’évangélisation des pauvres malades, pour les soigner non seulement corporellement mais aussi spirituellement, conformément à leur condition de filles de la charité. Elles doivent travailler à guérir les malades, non seulement dans leur corps mais surtout en aidant à réparer leur relation blessée à Dieu, notamment en leur procurant l’instruction qui leur manque et en les incitant à mener une vie conforme à la charité. Étant Filles de la Charité, elles sont filles de Dieu, sœurs de Jésus-Christ. Elles sont les compagnes indispensables de la Congrégation de la Mission, pouvant accomplir par leur proximité avec les malades un travail nécessaire et complémentaire à celui des lazaristes. Cette complémentarité à égalité des missions d’hommes et de femmes dans le ministère unique du service des pauvres, Vincent de Paul ne l’aurait sans doute pas perçue si Louise de Marillac ne l’avait sans cesse inspiré et aiguillonné. La fondation des Dames de la Charité, de la Congrégation de la Mission et des Filles de la Charité, employant respectivement des femmes laïques vivant dans le monde en tant que femmes et mères, des prêtres et des frères vivant en communauté, et des sœurs consacrées (bien que non religieuses), est l’œuvre commune d’un homme et d’une femme, s’enrichissant mutuellement de leurs sensibilités respectives, dans une relation de deux sujets égaux.

Que peut-on en déduire pour notre époque ? D’abord il faut noter que Vincent de Paul et Louise de Marillac n’ont jamais pensé, quand ils fondaient les Charités et la compagnie des Filles de la Charité, à faire « une place aux femmes » dans l’Église. C’est plutôt une nécessité et une évidence qui les ont poussés à employer dans l’œuvre de la charité les moyens qui s’imposaient. C’est l’observation de Marguerite Naseau qui a inspiré Louise de Marillac, à proprement parler c’est cette « simple vachère » qui a inventé les Filles de la Charité, Vincent et Louise n’ont fait que reproduire le ministère que Dieu, son seul maître, comme le dit Vincent de Paul dans sa conférence, lui avait inspiré. De même aujourd’hui il faut observer et étudier, dans notre temps et pas seulement dans un passé plus ou moins mythique, par quels moyens l’amour de Dieu s’incarne dans notre monde, quels prophètes et quelles prophétesses continuent, bien souvent sans le savoir, la mission de Jésus-Christ de guérir l’humanité blessée. Peut-être n’est-il pas nécessaire d’inventer de nouveau ministères mais suffit-il de se donner la peine de reconnaître ceux que Dieu nous montre.

“Mon Christ brisé”. Lettre du Supérieur Général de la Congrégation de la Mission pour le temps de carême 2021

Après les événements dramatiques de l’année dernière alors que les souffrances causées par les guerres, les catastrophes naturelles et la famine ont été aggravées par la pandémie de COVID-19, notre foi nous pousse à vivre cette nouvelle année 2021 dans l’espérance, même dans les situations qui sont, humainement parlant, désespérées.

“Mon Christ brisé”. Lettre du Supérieur Général de la Congrégation de la Mission pour le temps de carême 2021

Chers confrères, La grâce et la paix de Jésus soient toujours avec nous !

Après les événements dramatiques de l’année dernière alors que les souffrances causées par les guerres, les catastrophes naturelles et la famine ont été aggravées par la pandémie de COVID-19, notre foi nous pousse à vivre cette nouvelle année 2021 dans l’espérance, même dans les situations qui sont, humainement parlant, désespérées.

En ce début du Carême, nous poursuivons notre réflexion sur les fondements qui ont fait de Saint Vincent de Paul un « mystique de la Charité » et plus précisément sur sa relation, et la nôtre, avec le Christ défiguré, que nous avons commencé à considérer avec l’icône du « Sauveur de Zvenigorod ».

Comme je l’écrivais dans la lettre de l’Avent de l’année dernière, la personne de Jésus est au cœur de l’identité de Vincent de Paul en tant que mystique de la Charité, au cœur de la spiritualité et du charisme vincentiens. Jésus est notre raison d’être et la personne dont la façon de penser, de ressentir, de parler et d’agir devient notre but dans la vie. Vincent connaissait l’importance de la familiarité avec Jésus pour la conversion personnelle et un fécond ministère : « Ni la philosophie, ni la théologie, ni les discours n’opèrent pas dans les âmes ; il faut que Jésus-Christ s’en mêle avec nous, ou nous avec lui ; que nous opérions en lui, et lui en nous ; que nous parlions comme lui et en son esprit, ainsi que lui-même était en son Père, et prêchait la doctrine qu’il lui avait enseignée ».[1]

Si l’icône du « Sauveur de Zvenigorod » nous invite à contempler le visage de Jésus, cette réflexion de Carême nous invite à un dialogue avec Jésus défiguré. Il y a environ 30 ans, je suis tombé sur un livre écrit par un jésuite espagnol, Ramón Cué, intitulé Mon Christ brisé. La couverture du livre représentait un crucifix brisé. Il manquait une jambe au Christ, ainsi que son bras droit et les doigts de sa main gauche ; il n’avait pas de visage et, même pas de croix. Cette image a attiré mon attention et son histoire a suscité en moi le désir d’avoir une représentation semblable.

Mon Christ brisé raconte l’histoire d’un prêtre qui aimait les œuvres d’art. Un jour, alors qu’il visitait un magasin d’antiquités, il a vu une sculpture, parmi de nombreux beaux tableaux, sculptures et autres œuvres d’art, qui a tout de suite attiré son attention. C’était ce crucifix brisé. Il s’agissait de l’œuvre d’un artiste bien connu, elle avait toujours sa valeur marchande bien qu’elle soit endommagée.

Elle a tellement intrigué le prêtre qu’il a décidé de l’acheter et de la restaurer pour retrouver sa beauté d’origine. Le restaurateur auquel il s’est adressé s’est rendu compte qu’il fallait beaucoup de travail pour réparer la sculpture et a donc demandé une grosse somme d’argent. Le prêtre ne pouvait pas payer un prix aussi élevé alors, il a décidé de ramener chez lui, en l’état, le Christ brisé.

De retour chez lui dans sa chambre, regardant le Christ brisé, le prêtre a commencé à se sentir mal à l’aise, au point de se mettre en colère. D’une voix forte, il a demandé : « Qui a pu te faire une telle chose ? Qui a pu t’ôter si brutalement de la croix ? Qui a pu défigurer ton visage si cruellement ? »

Tout à coup, une voix vive et désincarnée a dit : « Tais-toi ! Tu poses trop de questions ».

Cette voix pénétrante associée au corps mutilé n’apaisait guère le prêtre. Toujours sous le choc après avoir entendu parler le Christ, le prêtre a voulu réconforter le Christ et a dit d’une voix tremblante : « Seigneur, j’ai une idée qui te plaira. Je trouverai un moyen de te restaurer. Je ne veux pas te voir aussi mutilé. Tu verras, tu seras beau. Tu sais que tu es précieux. Tu auras une nouvelle jambe, un nouveau bras, de nouveaux doigts, une nouvelle croix et, surtout, tu auras un nouveau visage ».

Encore une fois, une voix s’est fait entendre et le Christ a dit avec force : « Tu me déçois. Tu parles trop. Je t’interdis de me restaurer ! »

Surpris par l’énergie et la fermeté du Christ brisé, le prêtre a répliqué : « Seigneur, tu ne comprends pas. Ce sera un tourment constant pour moi de te voir brisé et mutilé. Ne comprends-tu pas combien tu me fais de la peine ? »

Le Seigneur a répondu : « C’est exactement ce que je veux faire. Ne me restaure pas. Quand tu me vois ainsi, voyons si tu te souviendras de mes frères et sœurs souffrants et si tu te laisseras toucher. Voyons si le fait de me voir si brisé et mutilé peut être le symbole de la douleur des autres, le symbole qui criera la douleur de ma seconde Passion chez mes frères et sœurs. Laisse-moi ainsi, brisé ! Embrasse-moi brisé ! »

Le prêtre a dit : « J’ai un Christ sans croix. Certaines personnes peuvent avoir une croix sans Christ. Il ne peut pas se reposer sans croix, et une croix personnelle ne peut être portée qu’avec le Christ. Nous avons commencé à chercher une croix en bois pour le Christ brisé, où il puisse se reposer. Mais nous avons trouvé notre croix. Mettez-les ensemble, et le Christ brisé sera complet. Le Christ brisé repose sur notre croix, et nous porterons la croix ensemble ».

Toujours mal à l’aise, le prêtre a poursuivi son dialogue intense avec le Christ : « Je voudrais restaurer ta main manquante ». Le Seigneur lui a répondu : « Je ne veux pas d’un bras en bois. Je veux une vraie main de chair et d’os. Je veux que tu deviennes la main qui me manque. Toi ! »

« Seigneur, s’écria le prêtre, tu n’as qu’une jambe. Tu ne peux même pas marcher seul. Tu as besoin d’aide ». Le Christ a répondu : « J’ai besoin de travailler comme je le faisais à Nazareth ». Le prêtre a dit : « Si tu veux, je suis prêt à t’accompagner dans ta recherche de travail. Cependant, je te préviens que, dans ton état actuel, à moins que tu ne te présentes comme le Christ lui-même, tu ne trouveras jamais de travail ».

Le Christ a interdit au prêtre de le présenter comme le Christ. Ensemble, ils se sont rendus à de nombreux magasins et entreprises, mais personne n’a offert de travail au Christ. Le Christ s’est exclamé avec un gros soupir : « Comment peut-on dire que l’on aime le Christ et avec le même cœur mépriser ceux qui recherchent un travail honnête ? Je suis eux et ils sont moi ».

Le prêtre s’est plaint : « Comme il m’est difficile d’aimer le Christ sans visage ». Il a passé de nombreuses heures à chercher un beau visage adapté pour son Christ brisé, pour soulager son agitation intérieure, mais le Christ a dit une fois de plus d’une voix forte : « Je veux rester comme ça, brisé, sans visage. Pourquoi voudrais-tu me restaurer, pour toi ou pour les autres ? Me voir dans cet état détérioré te met-il mal à l’aise ? » Le Christ a dit plus doucement : « S’il te plaît, accepte-moi tel que je suis. Accepte-moi brisé, accepte-moi sans visage ».

Le Christ a poursuivi : « As-tu une image de quelqu’un que tu n’aimes pas, ton ennemi ? Mets le visage de cette personne sur mon visage, mets les visages de toutes les personnes les plus abandonnées, rejetées, pauvres sur mon visage. Comprends-tu ? J’ai donné ma vie pour eux tous. Sur mon visage se trouvent tous leurs visages. Comprends-tu ? »

Après de longs échanges avec le Christ, à la fin, le prêtre a compris le message du Christ et, d’une voix douce et pleine de désir, a dit : « Christ, je voudrais accepter ton invitation, mais s’il te plaît, aide-moi ! Aide-moi ! »

Après plusieurs années voulant trouver ma représentation d’un Christ brisé, le jour est enfin arrivé. Près d’un bâtiment, j’ai regardé à ma droite, et le voilà : un Christ brisé. Je ne sais pas comment la sculpture y est arrivée. Je passais souvent devant ce bâtiment, mais je n’avais jamais vu d’autre objet ancien ou cassé déposé là pour que quelqu’un puisse le prendre.

Je me souviens de mon émotion et de mon impatience, me demandant si je serais autorisé à avoir cette sculpture. Après avoir demandé et reçu la permission, je suis rapidement parti et j’ai ramené le Christ brisé à la maison. Une fois dans ma chambre avec « mon Christ brisé », j’ai commencé à pleurer. Depuis ce jour, il ne m’a plus quitté.

Pourquoi ai-je voulu avoir un Christ brisé ? Naturellement, tout comme le prêtre de l’histoire, j’aurais préféré un beau Christ intact sur une belle croix qui serait suspendu pour être vénéré. D’où vient alors ce souhait de trouver un Christ brisé ? Certainement pas de moi. La seule réponse que je peux trouver est : cela vient du Christ.

Le Christ brisé devient sous nos yeux, un signe clair qui ne cesse de perturber notre quiétude et de nous appeler à la conversion. Il nous invite à un dialogue continu avec lui dans l’ici et maintenant du monde et de nos relations quotidiennes. Ce Christ brisé nous aide à nous présenter devant lui avec notre réalité humaine, ainsi qu’avec la réalité de chaque être humain.

Le Christ est toujours prêt à écouter et à suggérer. Il continue de nous mettre au défi, mais avec une douceur et une miséricorde infinie, de répondre à des questions telles que : Pourquoi pensez-vous que les gens m’ont tellement défiguré ? Un Christ brisé vous met-il mal à l’aise ? Les personnes brisées vous mettent-elles mal à l’aise ? Qu’est-ce qui pourrait conduire à un changement d’attitude envers ceux qui sont considérés comme défigurés ? Où vous situez- vous par rapport à cette réalité ?

C’est le dialogue permanent de saint Vincent avec Jésus qui lui inspirait ses réponses et ses conseils :

« O Dieu ! qu’il fait beau voir les pauvres, si nous les considérons en Dieu et dans l’estime que Jésus-Christ en a faite ! Mais, si nous les regardons selon les sentiments de la chair et de l’esprit mondain, ils paraîtront méprisables »[2].

« … Jésus-Christ est mort pour nous, n’est-ce pas assez pour estimer une personne ? Jésus nous a tant témoigné d’estime qu’il a voulu mourir pour nous tellement qu’il paraît par là qu’il nous a plus estimés que son sang précieux, lequel il a répandu pour nous racheter, comme s’il disait qu’il n’estimait pas tant son sang que tous les prédestinés… »[3]

Mon propre Christ brisé, que ce soit devant mes yeux ou dans mes pensées, m’invite à un vrai dialogue. Puisse ce temps de Carême nous aider à approfondir ou simplement commencer une conversation avec le Christ brisé, ce qui ne nous laissera certainement pas indifférents.

Votre frère en saint Vincent,

 

Tomaž Mavrič, CM Supérieur général

Rome, le 10 février 2021

 

[1] Coste XI, 343 ; conférence 153, « Avis à Antoine Durand ».

[2] Coste XI, 32 ; conférence 19, « Sur l’esprit de foi ».

[3] Coste X, 491 ; conférence 96, « Cordialité, respect, amitiés particulières ».

Dimanche de la Parole de Dieu. 24 janvier 2021. Homélie. Chapelle saint Vincent de Paul – Paris

La crèche n’est plus sous nos yeux mais les Ecritures sont là, ouvertes à notre méditation ; elles sont cette présence du Christ qui nous parle aujourd’hui. Maintenir les Ecritures fermées, c’est se refuser d’écouter le Christ qui nous adresse une Parole, c’est renoncer à un dialogue. C’est se fermer soi-même à l’autre ! La Parole est le lieu où nous devons apprendre à demeurer.

Dimanche de la Parole de Dieu. 24 janvier 2021. Homélie. Chapelle saint Vincent de Paul – Paris

Il y a juste un mois, nous fêtions la naissance de Jésus, incarnation de la Parole éternelle de Dieu. Nous nous réjouissions devant ce nouveau-né, silencieux certes mais dont la simple présence déjà nous interrogeait et nous invitait à des déplacements. Nous l’avons accueilli joyeusement ! quelle place garde-t-il dans nos cœurs, dans nos vies ?

La crèche n’est plus sous nos yeux mais les Écritures sont là, ouvertes à notre méditation ; elles sont cette présence du Christ qui nous parle aujourd’hui. Maintenir les Écritures fermées, c’est se refuser d’écouter le Christ qui nous adresse une Parole, c’est renoncer à un dialogue. C’est se fermer soi-même à l’autre ! La Parole est le lieu où nous devons apprendre à demeurer.

Les Écritures font retentir la Parole au cœur de nos familles, de nos communautés, de l’Église. Cette Parole est cette présence réelle du Ressuscité qui nous indique un chemin, qui nous invite à la conversion, qui nous dit où se trouve l’Essentiel. Cela, me semble-t-il, nous le redécouvrons davantage dans ces temps qui sont les nôtres et qui nous bousculent !

Que ce soit Jonas, Pierre, André, Jean, Jacques, Paul, ces hommes ont entendu une Parole qui les a mis en route, en hâte, comme Marie : ‘laissant tout, ils le suivirent’. Ils ont été appelés pour proclamer une Parole invitant à vivre une conversion ; il s’agit pour quiconque, de choisir de se mettre résolument à l’écoute de la Parole d’un Autre, à remettre cette Parole au centre de sa vie, de ses préoccupations tout simplement parce qu’elle est une Parole qui ouvre à la Vie, à la Paix. Le psalmiste ne fait rien d’autre, lui qui ouvre la Bible pour l’étudier et la méditer et qui demande à Dieu de l’aider à trouver un chemin de conversion. N’est-il pas de notre responsabilité de réveiller les gens, de les appeler à se ressaisir, à revenir à l’écoute d’un Autre ?

Nous faisons tous cette expérience du vide, du  dessèchement, de l’aridité de nos vies, quand on n’est plus à l’écoute de la Parole de Dieu, ressemblant à un jardin non irrigué où ce qui est semé est peu à peu détruit à l’image de Ninive.

Si le Christ, Parole du Père, nous invite, c’est pour nous tourner vers les autres, pour aller à leur rencontre ce qui nécessite de nous tourner vers lui, de nous retourner à son écoute. Il faut que notre cœur passe par la conversion pour inviter d’autres à faire cette démarche. Jonas a mis du temps pour comprendre le chemin de Dieu vers les hommes, pour se familiariser avec son cœur de miséricorde. L’attitude des autres peut nous aider nous-mêmes à comprendre le chemin de Dieu vers nous, l’amour qu’il nous porte. Je crois fermement que nous nous aidons les uns les autres à découvrir l’essentiel, à accueillir le message d’amour et de pardon.

C’est une parole qui met en route, qui fait faire des déplacements, qui oblige à des ruptures fortes mais elle donne envie d’oser l’inconnu et cela peut donner sens et joie à la vie. Quand il appelle, Jésus ne fait pas miroiter quelque chose aux appelés pour eux-mêmes mais il les invite à sortir de leur avoir le souci des autres ; il les associe à sa propre mission qui est de repêcher les hommes : « Je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. » Les 1ers appelés de Jésus entendent l’appel à se lever et se décident sur le champ ; c’est maintenant qu’ils ont à proclamer une Bonne nouvelle. Pourquoi attendre demain pour aller repêcher ces hommes qui se noient dans les eaux de la non-vie ?

La parole qui circule à travers la ville de Ninive ou à travers les villes et villages de Palestine, porte des fruits. Quand elle est entendue, accueillie, elle est féconde ; elle a une force ; mieux, elle est une force qui nous invite à nous fatiguer à marcher, à proclamer, à rencontrer. Le Seigneur s’en remet à nous pour ce travail de réveil, d’encouragement au cœur de nos quartiers, de nos rues, de nos lieux de vie. Il y a de la fécondité, plus que nous croyons !

Cette Parole est adressée à tout le monde, y compris aux personnes qui sont loin, qui s’en moquent, qui en sont même ennemis ; ne disons pas trop vite, comme Jonas, que ça ne  vaut pas la peine de se donner tout ce mal pour des gens qui n’en valent pas la peine. Ce qui est sûr, c’est que cette Parole a la force de l’amour de Dieu pour tous les hommes, d’où qu’ils soient, quelque soient leurs façons de vivre, leurs parcours humains. Ninive nous montre que toutes les personnes embourbées dans le mal sont capables d’entendre au cœur même de leur débauche, une Parole nouvelle, une Parole qui les considère comme aimables ! c’est une belle leçon à entendre dans notre mission. Jonas ne voulait pas y croire ; il a été converti, retourné par l’attitude des gens. Le serons-nous, nous aussi ?

Pour vivre cette expérience d’être appelés, de sillonner les rues, les quartiers, notre propre vie, annonçant une Bonne Nouvelle, il est nécessaire que l’Écriture demeure au centre de nos habitations, de nos Églises et qu’elle soit ouverte. Aujourd’hui, célébrer la Parole de Dieu c’est lui donner toute sa place, au centre pour qu’elle nous envoie aux périphéries.

Laissons le temps à cette Parole du mûrissement, de la maturation, du discernement nécessaire pour orienter notre vie, lui donner un sens, lui donner du sens. C’est un temps de dépouillement nécessaire pour nous revêtir de l’Esprit, celui du Fils, Parole faite chair qui nous rassemble pour devenir un peuple uni autour d’elle, heureux de glorifier le Père.

Le pape François  a souhaité que le 3e dimanche du temps ordinaire soit consacré ‘à la célébration, à la réflexion et à la proclamation de la parole de Dieu’ par tous, nous rappelant ainsi que le rapport à l’Écriture sainte est toujours vivant. (voir : “Aperuit Illis” par laquelle est institué le “dimanche de la Parole de Dieu”)

En nous rassemblant à l’église en ce dimanche, nous venons puiser à la source de l’Amour qui est en Dieu. Nous nous nourrissons de sa Parole et de son Eucharistie. Demandons-lui que sa Parole agisse en nous, qu’il nous donne la force et le courage pour la mission qu’il nous confie : “Toi qui es la Lumière du monde, toi qui es l’amour, mets en nos ténèbres ton Esprit d’amour.”

Reconnaissons-nous pécheurs confiants dans la Miséricorde, ouverts pour accueillir le Pardon. C’est avec lui que nous pourrons marcher dans la droiture et la justice.

(Pour en savoir plus faire click sur le lien : Note sur le dimanche de la Parole de Dieu)

 

Message de Noël. Visiteur Province de France – Congrégation de la Mission

« …. Noël, c’est la fête de l’Incarnation, d’un Dieu qui vient à nous sous la forme surprenante, inhabituelle d’un enfant, là où nous sommes, Covid ou pas… un Dieu ‘qui entre dans la pandémie, et se fait homme tout en sachant que l’homme est fragile, vulnérable’. Plutôt que de désespérément pleurer sur ce qui ne sera pas ‘comme d’habitude’, c’est peut-être là l’occasion de nous interroger sur la signification profonde de cet ‘avènement’, et la manière dont nous savons le préparer, l’accueillir. Après tout, dans la mangeoire de Bethléem il y avait de l’inattendu, oui. » Isabelle de Gaulmyn, La Croix

Message de Noël. Visiteur Province de France – Congrégation de la Mission

Chers confrères,  Le temps de Noël est là !

Nous avons cheminé durant ces semaines de l’Avent et ce temps nous a permis de nous préparer intérieurement à accueillir Celui que nous attendons tous. Celui qui prend notre chair pour nous rejoindre, faire de nous son Corps et nous emmener vers son Père.

Nous avons cheminé au rythme de la vie avec ses imprévus, ses questionnements, ses peurs, ses inquiétudes et nous avons porté cela dans notre prière, dans ce lien particulier avec Celui qui fait toutes choses nouvelles ! Rien n’est plus pareil ! Tout est bousculé, déplacé, interrogé y compris nos ministères, nos engagements.

Nous vivons, comme le souligne François, un temps de crise qui est une occasion de nous convertir et de retrouver une authenticité. Il est bon de nous souvenir que « c’est l’Evangile qui nous met en crise », comme le rappelle François lors de ses vœux à la Curie cette année :

« Si nous trouvons de nouveau le courage et l’humilité de dire à haute voix que le temps de la crise est un temps de l’Esprit, alors, même devant l’expérience de l’obscurité, de la faiblesse, de la fragilité, des contradictions, de l’égarement, nous ne nous sentirons plus écrasés. Nous garderons toujours l’intime confiance que les choses vont prendre une nouvelle tournure jaillie exclusivement de l’expérience d’une grâce cachée dans l’obscurité. »

Se convertir à l’inattendu, accueillir l’imprévu, n’est-ce pas un chemin pour chacun, aujourd’hui et demain ? Continuer à prendre ce chemin qui nous montre la nécessité de mourir à une certaine manière d’être, de penser, d’agir qui ne reflète pas l’Évangile. C’est ainsi que nous ferons place, peu à peu, à la nouveauté que l’Esprit suscite toujours dans le cœur de l’Église, dans le cœur de chacun de ses membres.

Joyeuse fête de Noël à chacun, à chaque communauté. Prenons le temps de vivre cette fête ensemble, de se poser ensemble, de déposer fatigue, stress, inquiétudes à la Crèche auprès de Celui qui nous invite à déposer nos fardeaux sur lui. Prions aussi pour toutes les personnes décédées seules, sans présence familiale, amicale, sans identité, à l’hôpital, en EHPAD ou dans la rue.

Ce temps fraternel nous aidera à tenir bon, à garder vivante l’espérance et à donner un rayon de joie dans le cœur de chacun.