L’« audace missionnaire », tant désirée par le synode, récemment célébré dans notre diocèse d’Évreux, reste toujours à faire valoir dans le vaste champ de la pastorale de l’Église.

« Baptisés et Envoyés, l’Eglise du Christ en Mission dans le monde »

à partir de l’expérience de la communauté insérée dans le diocèse d’Evreux.

Le Père Christian Mauvais, notre Visiteur, sollicitait l’ensemble des confrères de la Province afin d’exprimer « le sens de la Mission reçue que nous vivons aujourd’hui » à l’occasion du centenaire de l’encyclique Maximum Illud de Benoît XV qui concernait alors la mission ad gentes. N’est-ce pas toujours cette unique Mission du Christ que nous vivons en Eglise, en Normandie, insérés dans une terre et ouverts sur le monde de différentes manières ? En communauté, nous avions lancé ce projet de rendre compte de ce que nous vivons il y a plusieurs mois. L’occasion s’offre donc à nous de vous proposer ce texte qui est le fruit de la réflexion des cinq confrères qui composent la communauté de Saint-André de l’Eure.

Présence des Lazaristes dans le diocèse d’Evreux – Raymond HERISSET CM

« Y a-t-il rien de plus chrétien que de s’en aller de village en village pour aider le pauvre peuple à se sauver, comme vous voyez que l’on fait avec beaucoup de fatigues et d’incommodités ! Voilà tels et tels de nos confrères qui travaillent présentement en un village du diocèse d’Evreux, où même il faut qu’ils couchent sur la paille. Pourquoi ? Pour faire aller les âmes en paradis par l’instruction et par la souffrance. Cela n’approche-t-il pas de ce que Notre-Seigneur est venu faire ? Il n’avait pas seulement une pierre où il pût reposer sa tête, et il allait et venait d’un lieu à un autre pour gagner les âmes à Dieu, et enfin il est mort pour elles [1]. »

La présence de confrères Lazaristes se poursuivra quelques siècles plus tard, spécialement comme professeur au séminaire d’Evreux. Quelques prêtres diocésains se souviennent encore du Père Hubert Lignée qui ferma le séminaire.

C’est Mgr Jacques Gaillot qui s’adressa au Père Lautissier, visiteur de la Province de Paris, pour qu’il y ait une communauté dans la vallée de la Risle. C’est en septembre 1986 que nous arrivons à Montfort sur Risle, le Père Lucien Delmotte, Frère Gérard Bouchendhomme, et moi-même, Raymond Hérisset. Depuis cette date, nous sommes resté à Monfort 7ans, (la paroisse regroupait alors 12 villages pour une population de 7 000 habitants environ). Puis une nouvelle équipe s’installe à Beuzeville pour 9 ans, ( la nouvelle paroisse regroupaient 25 villages pour une population de 18 000 habitants.) Ensuite, pour 9 ans encore nous arrivons dans la vallée de l’Andelle nous sommes installés à Pîtres et Pont Saint Pierre, regroupant 12 villages pour une population de 12 000 habitants. Au bout de trois ans, nous avons eu en plus la  charge de la paroisse de Fleury sur Andelle et  Lyons la forêt, regroupant 20 villages et une population de 13 000 habitants. Enfin en 2011 nous sommes envoyé à Saint André de l’Eure, (appelé la Sibérie du diocèse!). Cette paroisse de saint André-Mesnilliers regroupe 34 villages pour une population de 32 000 habitants.  Envoyés pour appliquer le projet provincial dans la perspective des secteurs missionnaires tout en étant fidèle à la pastorale diocésaine.

La demande diocésaine était très claire, trois points importants à retenir :

  • Rendre présente l’Eglise en créant des liens et en renforçant ou renouvelant ceux déjà existants ;
  • Redonner du dynamisme à ce secteur essoufflé, par de nouvelles manières d’annoncer la Bonne Nouvelle, de proposer la Foi au plus grand nombre. Rendre les chrétiens plus missionnaires par la formation et la responsabilité des Laïcs
  • Témoigner de la joie de croire, par la présence d’une communauté religieuse masculine dans le secteur.

Dans chacune des paroisses, Montfort sur Risle, Beuzeville, la vallée de l’Andelle et Lyons la forêt, et aussi dernièrement à Saint André de l’Eure, nous avons organisé des temps de mission avec les confrères de Bondues. La collaboration fut précieuse et de nombreux laïcs s’en souviennent encore. Ces temps forts d’une ou trois semaines avaient été préparés par l’équipe de Bondues et avec une équipe de Laïcs sur place. Aujourd’hui encore nous voyons particulièrement dans les trois derniers secteurs, que le travail des Lazaristes n’a pas été vain. De nombreux Laïcs continuent leur engagement et sont des forces encore vives pour le diocèse.

Je dois dire aussi que notre communauté a à chaque fois collaboré avec la province pour la formation des confrères, en recevant des séminaristes. Notre projet pastoral et communautaire a été relu chaque année pour l’adapter à notre projet provincial et à la pastorale diocésaine. Partout, il a fallu mettre en chantier l’Eglise que l’on appelait l’Eglise de demain. Notre priorité était donc de répondre à la demande du diocèse, mais surtout de mettre en place ces Laïcs qui prenaient peu à peu des responsabilités, et de redynamiser la pastorale. Notre effort porte surtout sur les enfants de la catéchèse et les jeunes.

Que de réunions de formation, que de rencontres en équipes, que de célébrations dynamiques, que de regroupements pour faire Eglise… Tout cela pourrait nous éloigner du terrain. Mais l’objectif étant que tout homme doit pouvoir entendre la parole de l’évangile et que de par notre charisme, notre attention étant vers les plus petits, les plus pauvres, nous remarquons que ce sont souvent eux qui sont les plus ouverts à l’accueil et à la fraternité, ce sont eux qui sont les premiers à s’engager au service de l’Evangile et au service de leurs frères.

C’est une grande joie aussi de pouvoir travailler avec des prêtres diocésains qui reconnaissent notre mission. Dans chaque paroisse, nous avons eu la responsabilité du secteur, ce qui nous a permis de travailler ensemble à tous les niveaux et surtout de permettre une entente fraternelle entre les acteurs de la pastorale, et de vivre une vraie fraternité sacerdotale.

Pour moi aujourd’hui, n’ayant plus de responsabilité, c’est avec joie que je sers le Seigneur dans l’aide apporté aux confrères dans le doyenné.

Missionnaire et curé ? – Cristinel-Lucian ANDREİ

Autrefois ces deux noms n’allaient pas facilement de pair, certainement à cause des images figées que nous retenons peut-être spontanément, encore aujourd’hui, de l’un et de l’autre. Le missionnaire libre de tout et disponible pour tous et le curé timoré dans son presbytère avec la multitude des tâches matérielles et spirituelles à accomplir.

La paroisse « Saint André-Mesnilliers », dont j’ai reçu la charge curiale, a la mission de soutenir la vie des 31 790 personnes demeurant dans 34 communes qui la composent.  Certes, le champ de la mission est vaste et demande beaucoup de disponibilité tant pour la mobilité que pour l’attention à porter à chacun. Aussi, ma mission fondamentale est celle de toute l’Église, à savoir annoncer l’Évangile, redire aux baptisés la joie qu’il nous procure en le vivant dans la fidélité – ce qui implique le don de nous-mêmes – et témoigner à tous de cette nouvelle d’une bonté inouï. Je suis conscient que la mission que j’ai reçu d’« aller » annoncer cette Bonne Nouvelle et d’engendrer des disciples du Christ pour le bien d’un plus grand nombre de personnes, est à vivre au sein de l’Église avec mes confrères et les chrétiens de bonne volonté.

Répondre aux nombreux appels, se rendre proche aux diverses réalités de la vie du monde qui nous environne, demande une disposition cordiale de nous tous.

L’« audace missionnaire », tant désirée par le synode, récemment célébré dans notre diocèse d’Évreux, reste toujours à faire valoir dans le vaste champ de la pastorale de l’Église. L’effort considérable déjà accompli par mes confrères dans cette paroisse avant mon arrivé demeure, mais avec les forces diminuantes tant de notre part que de la part des chrétiens donnés à la mission, je suis persuadé que notre manière de vivre ensemble en communauté pour la mission est un témoignage indéniable pour que d’autres chrétiens découvrent, répondent et s’attachent à la réalité vaste des attentes spirituelles des personnes proches ou lointaines de la vie d’Église. Tout ceci témoigne de notre disposition et de la disponibilité de tous les acteurs de la pastorale ainsi que de leurs aptitudes à se laisser évangéliser pour assumer ensemble la mission de l’Église, être signe d’espérance et de joie dans la vie du monde aujourd’hui.

Nous sommes tous envoyés en tant que membres du corps du Christ. Sans cesse soutenus et renouvelés par les dons de l’Esprit Saint, le corps que nous formons en Église n’est pas seulement une entité spirituelle, mais aussi une réalité concrète des chrétiens qui y demeure, tous appelés à faire grandir la communion entre nous et avec Dieu.

Ma vie est constamment enrichie, tant spirituellement que physiquement, dans les rencontres soutenues avec les conférenciers de la Société Saint Vincent de Paul ici dans la paroisse et dans le diocèse. De même les visites rendues chez les personnes âgées et affaiblies, dont la solitude est souvent plus pesante que leur santé vacillante, demeurent pour moi des moments de joie partagée. Avec les chrétiens, investis dans l’accompagnement des enfants, je me retrouve régulièrement pour chercher et trouver dans les parcours d’initiation à la foi les meilleures manières pour arriver ensemble avec les plus petits à vivre « la joie de l’Évangile ». Une fois par mois je rencontre des chrétiens de la paroisse chez eux, où, au cours d’un repas partagé, nous abordons des situations sociales et spirituelles qui nous animent et nous interrogent. Le vaste tissu de la vie associative demeure aussi un lieu propice aux diverses et multiples rencontres où les semailles de l’Évangile, avec patience et persévérance, donnent des fruits bons et agréables. Le travail de la terre nourricière dans « les jardins andresiens », l’effort physique pour la retourner, la semer et la planter ; l’attente que les semences germent et que les plantes fleurissent ; l’attention permanente à les arroser et désherber pour qu’elles puissent donner des fruits, ainsi que l’appréciation et l’encouragement mutuelle entre les jardiniers m’aident à maintenir ma disposition pour la mission et me dépenser quotidiennement pour la vie du monde.

Aujourd’hui, les communautés paroissiales, tout comme notre communauté lazariste, vivent dans le monde et avec le monde des virages culturels, sociologiques et démographiques. Ces changements font voir qu’il y a dans la société de profondes attentes au cœur des situations délicates et mitigées, marquées par une érosion des valeurs communes tant humaines que spirituelles. D’un certain point de vue, ces changements peuvent sembler parfois tragiques, mais je crois profondément qu’ils demeurent pour nous et pour tous les chrétiens l’occasion de recentrer notre attention sur la mission authentique initiée et accomplie par Jésus lui-même. Il y a aussi la mission poursuivie par des innombrables disciples de son Évangile qui nous ont laissé le témoignage de la joie à se donner pour un plus grand bien de notre vie et de la vie du monde.

L’attention sur une vie authentique en Église de notre communauté lazariste et des communautés paroissiales doit être stimulée par une pastorale d’engendrement, à appeler constamment et à former avant tout des disciples missionnaires. Il y a déjà des fruits bons à partager de cet investissement dans le grand champ de la pastorale, mais le don généreux de nous-mêmes doit être réitéré quotidiennement. Soutenus mutuellement par la prière et le partage généreux et fraternel, les fruits de la mission qui nous a été confiée ne seront que meilleurs.

La « Fraternité missionnaire » – Elie DELPLACE

On entend fréquemment que nous assistons aujourd’hui à la fin de la  « civilisation paroissiale ». Cette dernière avait manifesté le souci d’une évangélisation en profondeur : dans le cadre des paroisses, toute la vie chrétienne était prise en compte de la naissance jusqu’au décès en passant par l’éducation, la santé et les loisirs. Les Missions Populaires dont la congrégation était devenue experte visaient à approfondir et à redynamiser la vie de foi de la paroisse qui sollicitait ce type d’intervention ou à proposer une première annonce à des personnes qui « s’étaient éloignées » de l’Eglise. Alors que les campagnes sont restées durant de longues décennies un bastion pour la vie de l’Eglise, on se rend compte qu’il est plus facile de faire des propositions de la foi dans les centres urbains. Aujourd’hui, il ne reste plus que quelques traces de ce patrimoine et les plus anciens évoquent avec nostalgie la présence de leur curé qui avait passé (presque) toute sa vie dans la paroisse. Toute l’Eglise est devenue missionnaire et les paroisses, dans un rural en pleine mutation, sont en première ligne afin de mettre en œuvre cette pastorale où il s’agit de rejoindre les personnes pour prendre la mesure du don de la vie que nous fait le Christ, Mort et Ressuscité.

Lors de la réflexion sur ce que finalement le diocèse a appelé les fraternités missionnaires, en 2016, le Vicaire Général d’Evreux relevait : « Si des changements sont à opérer dans nos structures, nos pratiques, nos schémas de pensée, ils n’ont à obéir qu’à un seul objectif : mieux répondre aux exigences de la mission. Dans La joie de l’Evangile, le Pape François nous dit : « Chaque Eglise particulière…est elle aussi appelée à la conversion missionnaire… à entrer dans un processus résolu de discernement, de purification et de réforme » (EG n° 30). Un pôle missionnaire se veut être au service de la nouveauté, de la créativité, de la nouvelle évangélisation plus que de la reproduction du schéma paroissial. »

Il est évident que la Mission n’est plus l’affaire des seuls clercs, mais que tout baptisé est invité à y trouver sa place ! Dans ce contexte difficile et exigeant, comment prendre des initiatives nouvelles pour faire de la foi la charpente intérieure dont nous avons tant besoin aujourd’hui ? Le Pape François en insistant sur le fait que tout est lié, tient ensemble les écologies environnementale, sociale et intérieure. La mission que nous essayons de vivre est faite d’attention à la vie des personnes, d’annonce et de temps festifs, de proximité et d’invitation à cheminer pour reconnaitre la présence du Ressuscité sur nos chemins d’humanité où Il ne cesse de nous inviter à risquer de nouveaux pas sur le chemin de l’autre et du Tout-Autre ! Au cœur de cette démarche, on trouve cette conviction : « une priorité absolue doit être accordée à la lecture, la méditation, la scrutation des Ecritures : « La Parole a en soi un potentiel que nous ne pouvons pas prévoir » (EG n° 22). »

Nous essayons de vivre la Fraternité Missionnaire sur ce qui était autrefois un secteur et que le diocèse a désigné comme un doyenné, faute de mieux ! Il regroupe trois paroisses : les Paroisses de Saint André-Mesnilliers et Avre et Iton dont nous assurons directement la charge curiale, comptent respectivement 31 790 habitants avec 4 communautés locales et 34 villages, 19 385 habitants pour 3 communautés locales et 30 villages. La troisième Sainte-Marie du Pays de Verneuil dont le curé est un prêtre diocésain, 17 307 habitants pour 3 communautés locales et 18 villages[2]. Actuellement il y a tout un travail de regroupement de villages au niveau administratif ; ce qui n’est pas simple pour les élus locaux qui manifestent un véritable désir du développement local et de l’animation des différentes réalités. On trouve le village traditionnel avec son Maire souvent très présent à la vie de ses administrés, la commune nouvelle qui regroupe plusieurs villages (Mesnils-sur-Iton rassemble plusieurs villages dont Damville et enfin, depuis 2015, une loi oblige les communes à se regrouper afin que celles-ci n’aient pas un nombre d’habitants inférieur à 15000. Le doyenné comprend presque la totalité de l’Interco Normandie Sud Eure – 41 commune et 40 274 habitants – et tout le sud de la Communauté d’agglomération Évreux Portes de Normandie soit 62 communes et plus de 100 000 habitants). Une population de « rurbains » est plus ou moins importante dans les villages selon les choix de constructions des municipalités. Dans certains secteurs géographiques, on assiste aussi à une forte présence de résidences secondaires où reviennent des familles originaires de la région ou des parisiens qui en ont les moyens! Ce paysage contrasté ne doit pas nous faire oublier les grandes pauvretés le plus souvent cachées : la banque alimentaire distribue des colis dans nos deux paroisses et on doit souligner le dynamisme de la Conférence Saint Vincent de Paul à Saint André et des vincentiens qui s’y dévouent (C’est le Père Cristinel qui accompagne les Conférences du diocèse). A la fin de l’année 2018, le Secours Catholique a lancé une initiative nouvelle avec le Fraternibus : un minibus s’installe pour l’instant sur les marchés de Damville et de Breteuil (Paroisse Avre et Iton) afin de rencontrer, d’écouter et de dialoguer avec les personnes qui le désirent et de voir comment les accompagner. Les bénévoles partagent leur joie et insistent sur le « besoin » de dialogue pour des personnes isolées qui vivent avec d petits moyens !

Dans l’annuaire 2018, donc au 31 décembre 2017, le diocèse comptait 68 prêtres (46 incardinés, 15 séculiers non-incardinés et 7 religieux ou membres de société apostoliques) dont 24 ont plus de 75 ans. On compte un bon nombre de prêtres « venant d’ailleurs », comme on aime aujourd’hui les désigner et il y a régulièrement une, voire exceptionnellement deux ordinations par an. Le diocèse est caractérisé par un grand nombre de diacres permanents : ils sont 25 (dont 15 de moins de 75 ans). Notre communauté, elle-même interculturelle, trouve tout à fait sa place dans ce presbyterium !

La Paroisse reste la référence territoriale, institutionnelle essentielle (avec l’EAP qui, avec le curé, reçoit mission de l’évêque), mais il s’agit de vivre une proximité au niveau des communautés locales. Pour veiller à la vie chrétienne, il existe donc une Equipe d’Animation Locale au plus près de la réalité locale. Toutefois, la situation est très différente d’une communauté à une autre. Le choix du diocèse est de vivre cette proximité et de favoriser la mise en place de repères « afin que la paroisse soit réellement une communion de communautés[3] ». Cela est net au niveau des messes dominicales : l’eucharistie est célébrée chaque dimanche dans un même centre paroissial repérable dans l’espace et le temps. Comment prendre en compte les efforts des municipalités pour entretenir leurs églises et ne pas les réduire seulement à des éléments du patrimoine, pour demeurer des lieux vivants de rencontre et d’expérience de foi ? La mission se vit très concrètement dans cette tension et dans les propositions que la communauté dans son ensemble peut faire. Concrètement au niveau de la catéchèse, par exemple, nous proposons, dans les deux paroisses, des temps de célébrations festives mensuelles où nous rassemblons les enfants et les familles. Les enfants se réunissent en équipe dans les communautés locales et nous devons certainement encore approfondir cette proximité… C’est une belle dynamique qui se vit, grâce à l’investissement de chacun et nous en percevons quelques modestes fruits lorsque des parents acceptent de s’investir un peu plus ; des jeunes rejoignent la communauté et d’autres poursuivent leur cheminement après la profession de foi ! Comment pouvons-nous créer du lien à notre niveau dans les villages et sur le territoire où nous sommes insérés et dans l’Eglise elle-même, en invitant à nous ouvrir plus largement à la vie de l’ensemble ?

Depuis septembre 2017, nous vivons donc la mise en place d’une fraternité missionnaire… Concrètement cela signifie que nous nous retrouvons régulièrement – prêtres et diacres du doyenné –  pour partager La Parole de Dieu et pour prier ensemble. Nous prenons ensemble des initiatives nouvelles et nous partageons la réflexion des trois EAP. La Fraternité missionnaire n’est pas une nouvelle structure qui viendrait chapeauter les autres, mais elle nous rend attentif aux initiatives missionnaires qui existent dans chaque paroisse ou celles qui demanderaient à être soutenues pour l’ensemble du doyenné : l’arrivée en octobre 2018 de notre confrère camerounais Silas est ainsi déterminante pour la pastorale des jeunes et l’aumônerie qui s’organise avec les laïcs engagés dans chaque paroisse. En tant que Lazaristes nous demeurons attentifs à former des personnes qui prennent tout leur place de baptisés et nous vivons la solidarité du presbyterium au service de la mission. Notre propre interculturalité nous rend attentif à cette dimension déterminante de notre monde contemporain et de la vie de l’Eglise.

Je ne doute pas que ces quelques lignes aiguisent votre désir de dialogue et d’échange. Ce que, en communauté, avec nos richesses et nos limites, nous vivons au service de l’Eglise d’Evreux est une belle aventure qui nous inscrit dans la continuité d’un sillon missionnaire et nous permet de prendre en compte la nouveauté de notre temps. Cela nous ouvre toujours davantage et c’est certainement avec joie que nous pouvons rendre grâce pour le chemin parcouru et les défis que nous avons encore à vivre !

LE « GRAND ÉCART »

Appartenir à deux communautés de vie : Séminaire Interdiocésain d’Orléans et Saint André de l’Eure en Normandie – Benoît Kitchey

Membre de la communauté Lazariste de saint André de l’Eure, je suis en mission au séminaire Interdiocésain d’Orléans pour la formation et l’accompagnement spirituel des séminaristes. En effet, la formation des prêtres ou de futurs prêtres est une des caractéristiques missionnaires essentielles du Charisme [4] de la Congrégation de la Mission, une préoccupation de saint Vincent : 

« S’employer pour faire de bons prêtres et y concourir comme cause seconde efficiente instrumentale, c’est faire l’office de Jésus-Christ, qui, pendant sa vie mortelle, semble avoir pris à tâche de faire douze bons prêtres, qui sont ses Apôtres, ayant voulu, pour cet effet, demeurer plusieurs années avec eux pour les instruire et pour les former à ce divin ministère [5]. »

Cette mission au séminaire est une décision de la Province Lazariste de France. Elle est aussi l’expression tangible de la collaboration effective avec les Eudistes (Congrégation de Jésus et Marie), afin de signifier l’appartenance commune à la Grande Famille de l’École Française de Spiritualité.

Objectivement parlant, je mesure le défi que cette double appartenance représente pour la communauté Lazariste de saint André de l’Eure-Damville et pour moi-même. Elle introduit de fait dans la vie communautaire et pastorale, une diversité réelle accentuée qui n’est pas toujours aisée à comprendre et accepter. En effet, je passe plus de temps au séminaire d’Orléans qu’en Normandie. Cela pourrait être source d’incompréhension légitime et amener à me considérer comme ne vivant pas pleinement la mission confiée à la communauté dans le diocèse d’Évreux.

Toutefois, la communauté lazariste de saint André de l’Eure est marquée par la vie avec les confrères, la joie de retrouver les membres de la famille spirituelle à laquelle on appartient comme membre de la Congrégation de la Mission, des temps conviviaux autour des repas partagés, les nouvelles échangées, des réunions communautaires pour parler de la vie pastorale dans le doyenné, des sorties communautaires. Tout cela constitue un bien inestimable.

Pour moi, la présence en communauté est un temps de respiration en compagnie des confrères et dans une région rurale où il est encore possible de respirer « l’air non pollué ». En outre, ce temps en communauté lazariste est aussi marqué par un service pastoral intense : préparation du baptême des petits-enfants avec les animatrices de communautés locales et les célébrations de messes.

Mais, peut-on appartenir à deux différentes communautés de vie ayant chacune sa spécificité et son identité propre sans ressentir une certaine tension existentielle ou des tiraillements ? De fait, il y a « une tension permanente » que je vis positivement.

Peut-on être considéré comme membre d’une communauté dans laquelle on est présent par intermittence ? N’est-ce pas du tourisme saisonnier qui s’accommode de l’étiquette « Je suis membre de la communauté de saint André de l’Eure » ? Ces différentes questions doivent nous amener à reconsidérer deux réalités : le fait d’appartenir à une communauté spécifique située dans un diocèse et le fait d’être en mission ailleurs ?

Certes, une communauté est implantée dans un territoire, mais certains membres de la communauté peuvent avoir des missions qui débordent de ce territoire. Il y a dans cette situation une itinérance missionnaire réelle vécue au sein de la communauté Lazariste de Normandie. D’où la nécessité pour les membres de la communauté de prendre en compte cette spécificité, cette itinérance, afin de ne pas succomber à la tentation consistant à considérer un membre de la communauté ayant une mission ailleurs comme n’appartenant pas de fait à la communauté. Une communauté qui intègre cette réalité manifeste à la fois son ouverture aux différentes missions de la Province Lazariste de France et son ouverture à la mission de l’Eglise universelle. Cette diversité dans la mission n’est-elle pas aussi une chance qui exige de nous une ouverture à l’Esprit et d’accueillir la manière dont Il met les différents dons au service de la construction du même corps ecclésial ?

« Les services sont variés, mais c’est le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c’est le même Dieu qui agit en tout et en tous. À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien… Mais celui qui agit en tout cela, c’est l’unique et même Esprit : il distribue ses dons, comme il le veut, à chacun en particulier » (1 Cor 12, 5-12).

En somme, je vis ce « grand écart » avec la richesse des deux communautés de vie dans une permanente recherche de l’unité de ma vie d’homme, de prêtre et de membre de la Congrégation de la Mission.

« La communauté des formateurs est constituée de prêtres choisis et, compétents [6] chargés de collaborer à la délicate mission de la formation sacerdotale.
Il est nécessaire que des formateurs soient exclusivement consacrés à cette tâche, afin qu’ils puissent s’y adonner complètement ; il faut donc qu’ils habitent au séminaire. […] Le groupe des formateurs ne correspond pas seulement à une nécessité institutionnelle, il constitue avant tout une authentique communauté éducative qui offre un témoignage cohérent et éloquent des valeurs propres au ministère sacerdotal [7]. »

Suivre le Christ n’est-il pas un travail de recherche permanent de l’unité de vie à travers différentes missions vécues à la lumière de l’Evangile et de l’engagement à servir l’Eglise ?

Nous aimerions encore vous partager tellement d’autres choses de ce champ de la Mission. Cet exercice a été une belle opportunité pour notre communauté qui chemine à la suite du Christ Evangélisateur… Nous sommes conscients de nos limites mais, chaque jour, nous sommes conviés à prendre la mesure de la Grâce dont nous sommes les témoins.

Un regard venant d’Afrique sur la mission en Normandie – Silas BADA SILAS, cm

Je suis BADA SILAS Silas, prêtre de la Congrégation de la Mission, de la Vice province du Cameroun. Je suis en France dans le cadre de collaboration inter-provinces pour une durée de 4 ans. Il s’agit pour moi de vivre l’expérience de la dimension interculturelle de notre Congrégation, tout en essayant également de tenir à la fois la Mission et les études. Ainsi, en Normandie depuis bientôt un an seulement, que dire du déploiement de la foi et de la Mission en terre française? Juste deux constats.

Le premier est celui du principe de la continuité, l’évidence de la catholicité de Eglise ; c’est-à-dire sa dimension universelle. Je suis au contact d’une Eglise bien sûr entièrement fondée sur le patrimoine identique, essentiel, constitutionnel de la même foi en Jésus-Christ, proclamée par les Ecritures. Les points de continuité se trouvent aussi tant au niveau du canon liturgique, qu’au niveau des repères généraux de la pastorale de l’Eglise. Une pastorale a fortiori centrée sur le mystère du verbe incarné ; boostée par le principe ecclésiologique de communion, cherchant à répondre aux besoins spirituels du terrain.

Le deuxième constat s’articule indubitablement autour des éléments de ruptures, mieux, de différence. L’expression, c’est-à-dire, la façon de manifester l’unique foi est presque toujours variable d’un milieu à un autre et par conséquent originale, conforme au génie, à la culture de ceux qui professent cette unique foi. Car contrairement à la manière vivace, dansante et vibratoire des africains de célébrer la foi, la totalité liturgique semble ici bien discrète, méditative et calme. Ce fut d’ailleurs la toute première remarque et différence la plus brutale, mais rassurante. 

Ensuite, il faut souligner que je suis à la rencontre d’une Eglise qui a ses préoccupations avec des centres d’intérêts sans doute plus ou moins différents qu’avec ce qui se vit du côté d’Afrique. Entre autres réalités pastorales de ma terre missionnaire d’accueil, je peux citer : la faible participation des fidèles aux célébrations et événements d’Eglise, comparativement à la réalité ecclésiale africaine. La faible participation des jeunes à la vie de l’Eglise. La diminution du nombre de prêtres qui entraine illico-presto, une reconfiguration des structures communautaires locales. Par contre en Afrique, on est plutôt dans la logique du morcellement des unités ecclésiales etc. L’amertume de l’actualité autour de la question de la pédophilie et du cléricalisme reste un souci majeur qui révolutionne l’agir pastoral. Cette mal-essence ecclésiale qui attriste et secoue la barque du Christ Jésus, concerne la Communauté Universelle des baptisés en général, même si, les accents de cette crise demeurent différents. Les tendances spirituelles et religieuses sont variées : on trouve parmi les fidèles chrétiens une partie assez résistante à des nouvelles manières de faire ; d’autres par contre très allergiques aux façons stéréotypées de fonctionner et d’autres encore très modérés, ouverts, dynamiques, cherchant à aller toujours plus loin.

Face à ces défis pastoraux, un ensemble d’éléments me permettent de vivre avec joie, vivacité et lumineuse espérance la mission. La première des points d’appui, c’est la vie communautaire vécue dans la richesse de la différence de ses membres. A cette expérience de chacun, s’ajoute le respect des exigences des piliers vincentiens de la vie communautaire que sont : les moments de prière quotidienne avec les confrères, les repas, les réunions, et les espaces de détente. De ce fait, la communauté demeure pour moi une référence sûre, un véritable lieu d’inspiration et de consolidation des convictions missionnaires et pastorales.

Puis, il y a ce qu’on appelle dans le Diocèse d’Evreux la fraternité missionnaire qui est un réel espace d’écoute, d’échange, de prière, de réflexion, d’apprentissage et de marche ensemble vers un idéal commun, vers l’unité et la communion ecclésiale. Dans le doyenné Sud du Diocèse, composé de trois paroisses (St André-de-l’Eure, Avre-et-Iton et Verneuil), cette fraternité s’exprime à travers plusieurs initiatives, notamment, les rencontres hebdomadaires des prêtres autour de la parole de Dieu méditée, priée et partagée ; l’élaboration des programmes de certaines activités sur l’ensemble des trois paroisses pendant les temps forts de l’Eglise. Ce qui permet une large manœuvre pour les fidèles de la fraternité missionnaire de choisir librement, quand et où participer à tel ou tel autre événement d’Eglise. Un autre exemple est celui de l’organisation sectorielle commune des retraites et célébrations de certains sacrements ; l’animation des débats autour d’un thème. Ce fut le cas de la retraite des Confirmands jeunes du doyenné Sud, tenue du 11 au 13 février et l’organisation d’une journée débat sur la laïcité le 16 mars dernier.

Enfin, je termine par l’évocation de la pastorale des jeunes en milieu rural où j’y suis impliqué particulièrement. La particularité de cette pastorale réside surtout dans le fait qu’elle s’imprègne de la catéchèse biblique symbolique où on sort de la méthode ancienne et ordinaire qui consiste à transmettre de vérités figées, de significations stéréotypées du message évangile. La nouveauté consiste donc à donner la parole aux jeunes pour que la réflexion se construise ensemble, avec la participation de chacun d’eux. Cette même méthode est aussi adoptée lors les messes des dites des familles où les jeunes se retrouvent avec leurs parents qui les accompagnent, leurs catéchistes et animateurs. La logique de la célébration de l’Eucharistie par exemple, est toujours adaptée en fonction du parcours de foi des jeunes, du thème et de l’événement célébré. Tout ceci, nécessite bien évidemment une préparation anticipée avec les catéchistes et autres animateurs qui encadrent de près les jeunes. Une des belles choses que j’ai découvert dans cette pastorale des jeunes, c’est la mise sur pied d’une étape de foi des jeunes qu’on appelle : la profession de foi. C’est un véritable cheminement de vie chrétienne qui permet aux jeunes de passer d’une foi reçue de leurs parents à une foi plus personnelle. C’est donc une occasion pour eux de renouveler et de réaffirmer publiquement les promesses faites en leur nom par leurs parents, parrains et marraines le jour de leur baptême.

Et je trouve finalement que cette pastorale des jeunes et notre résolution communautaire de davantage assurer une présence régulière dans les villages les plus reculés de notre champ pastoral habituel, demeurent des véritables lieux d’évangélisation et de mission. Les temps forts de rencontre, de célébration dans ces cadres constituent ainsi les périphéries de notre pastorale. Ceci nous oblige à oser l’expérience d’une « Eglise en sortie » (E.G 24), que nous propose le Pape François dans Evangelii Gaudium, afin de dire ‘’non au pessimisme stérile’’ (EG 83), non à une vision qui enveloppe « dans une acédie paralysante » (EG 84). Bref, faire l’effort de « ne pas nous laisser voler la joie de l’évangélisation » (EG 84).                    

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[1] Coste, Tome XI, Extrait d’entretien sur la vocation missionnaire, p.1

[2] Annuaire du diocèse d’Evreux, 2018. Une population en légère croissance.

[3] Un document du 24 décembre 2004 – https://evreux.catholique.fr/je-me-documente/le-diocese/lofficiel/le-ministere-presbyteral/orientations-sur-quelques-aspects-du-ministere-presbyteral

[4]. Constitutions 1,3.

[5] Extrait d’entretien sur la formation du clergé, Coste XI, p.5

[6]. Cf. Directives sur la préparation des éducateurs dans les séminaires, n° 1 : Enchiridion Vaticanum 13
(1996), 3151-3152.

[7]. CONGRÉGATION POUR LE CLERGÉ, Ratio Fundamentalis Institutionis Sacerdotalis, le Don de la Vocation Presbytérale, Rome, 2016, n. 132.

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