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Retour sur la 5ème journée Mondiale des Pauvres le dimanche 14 novembre à Saint-Denis
Tout d'abord, je veux dire un grand MERCI et mon admiration pour la formidable organisation qui a facilité chaque moment de la journée et pour vivre UNIS à TOUS, par la prière, la joie, les témoignages.
Sr Marie Pierrette
Retour sur la 5ème journée Mondiale des Pauvres le dimanche 14 novembre à Saint-Denis

Il n’est jamais tard pour raconter les merveilles de Dieu !
Le 14 novembre 2021 nous avons vécu la 5ème journée mondiale des pauvres. La basilique de Saint Denis en France faisait partie des cinq points des rassemblements au niveau national. Comme la plupart des paroisses de l’Ile-de-France, les paroisses de Villepinte y étaient représentées. C’était le 27 septembre dernier, à la Saint Vincent, que le Père Marcio PENA, cm, en sa qualité de délégué épiscopal à la solidarité, a invité les paroissiens de Villepinte à y participer.
Après la belle célébration qui a rassemblé plus de 1500 personnes, les paroissiens de Villepinte ont exprimé leurs impressions. Mme Sylvette LOUBET s’est chargée de recueillir les témoignages. Le mot qui accompagne sa collecte des témoignages est aussi un bon témoignage. Je trouve dans son expression le sens de la synodalité qui est, en ce moment même, promue par l’Eglise universelle. Elle évoque la nécessité laisser à chacun s’exprimer avec ses propres paroles, chacun dans sa singularité. C’est ainsi que dans l’Eglise nous pouvons marcher ensemble vers le même but : le Royaume du Christ.
Voici ce que Sylvette nous écrit :
J’ai recueilli quelques témoignages sur la journée mondiale des pauvres. Je vous communique les deux qui me sont parvenus. Ce ne sont pas des personnes expertes en écriture, mais j’ai gardé leurs manières de présenter les choses. J’y vois un enjeu de donner la parole à ceux qui sont moins à l’aise pour l’exprimer ! Sr Pierrette était ravie de m’écrire son « petit papier » et je l’ai reçu avec une grande joie ! Le dernier témoignage, je l’ai laissé anonyme, parce que la personne m’a demandé de ne pas citer son nom. J’avoue que j’ai presque pleuré à lire ce qu’elle me partageait en quelque mots mais qui sont d’une grande profondeur. C’est ainsi que l’Esprit saint œuvre ! Voilà je vous laisse avec ces joyaux ! Ça n’a peut-être pas la hauteur d’une méditation sur la Parole, mais c’est la Vie des personnes. »
Ensuite, elle nous partage les deux témoignages qu’elle a recueillis :
Sœur Pierrette nous partage ce qu’elle a vécu.
Grâce au co-voiturage, à nos 4 chauffeurs et au père Gaspard, nous étions 17 personnes, de nos paroisses dont 3 sœurs de Marie Auxiliatrice, à avoir pu participer à ce grand et beau rassemblement. Tout d’abord, je veux dire un grand MERCI et mon admiration pour la formidable organisation qui a facilité chaque moment de la journée et pour vivre UNIS à TOUS, par la prière, la joie, les témoignages.
A 10h, nous nous retrouvons pour la messe présidée par Monseigneur Pascal Delannoy. Ce qui m’a frappé c’est à l’offertoire, parmi les personnes qui apportaient les offrandes, 4 ou 5 portaient des énormes pains. Ces pains bénis nous ont été partagés au repas. Nous nous retrouvons ensuite pour le repas convivial et fraternel. Quelle surprise en arrivant ! 15 tables avaient été préparées avec nappes, couverts, avec une assiette garnie au centre. Sur chaque chaise, un sac « Fratello » avec une écharpe et un gobelet pour la soupe qui avait été préparée avec grand soin par les jeunes de la Maraude d’Aubervilliers. Après le repas une animation était assurée par les jeunes du mouvement international « Miséricorde », avec un quizz et de beaux témoignages sur les expériences de service des plus démunis. L’après-midi, nous étions, dans la Basilique, en lien vidéo avec des communautés du monde entier, rassemblées pour cette occasion. Belle expérience de communion dans l’Eglise universelle ! Cette journée a été riche de prières, de rencontres et de partages. Beaucoup de jeunes étaient là, heureux de nous servir ! Que ce temps de partage nous permette de garder les yeux ouverts sur le monde. « Des pauvres, vous en aurez toujours » nous dit Jésus Mc 14, 7
Autre témoignage : « Avoir de la compassion et accueillir avec humilité. Celui qui aime Dieu doit aimer son frère ! » Magnifique témoignage !
Mme Sylvette LOUBET,
paroissienne de Villepinte
La mission dans le rural à l’heure du Covid
Plutôt que multiplier l’offre ne vaut-il pas mieux développer et renforcer les liens de proximité ? Dans la suite de cette crise, il s’agit alors de privilégier la proximité et rejoindre les initiatives engagées localement où la relation est première.
Père Elie DELPLACE
La mission dans le rural à l’heure du Covid

Elie DELPLACE
C'MISSION.FR
Quelles sont les conséquences de la crise de la Covid dans la Mission que nous vivons dans le monde rural ? Telle est la question qui m’a été adressée et à laquelle je vais essayer de répondre en prenant un peu de recul. Depuis plus d’une année, nous vivons dans un contexte de confinement et toutes les propositions comme les activités habituelles en ont été profondément bouleversées. Chacun a essayé, à son niveau, de faire face en déployant des efforts de créativité, mais au bout du compte que pouvons-nous dire des conséquences profondes de cette pandémie sur notre manière de vivre concrètement l’annonce de la Bonne Nouvelle ? Pouvons-nous d’ores et déjà en percevoir des inflexions ?
Un recul nécessaire…
Pour commencer, je reprendrai volontiers l’image que propose Christoph Théobald :
Pour nous tous, la pandémie a fonctionné et fonctionne encore comme un test de résistance et une loupe qui accuse les traits de ce qui existait auparavant. La tradition chrétienne ne fait pas exception. Si, comme d’autres traditions spirituelles de l’Europe, elle traverse une crise, appelée parfois « systémique », la pandémie et le confinement l’ont mise, davantage encore, au grand jour. Quel sera l’avenir de la tradition chrétienne sur notre continent ? C’est la question que beaucoup d’entre nous se posent et que je voudrais aborder en partant de notre situation actuelle, peut-être propice à ce qu’autrefois on aurait appelé un « examen de conscience ». » (Et le peuple eut soif ; Lettre à celles et ceux qui ne sont pas indifférents à l’avenir de la tradition chrétienne, Paris, Bayard, 2021, p.8-9).
La Congrégation de la Mission et bien sûr l’ensemble de l’Eglise avec de nombreuses initiatives au XVIIè siècle ont largement pris en compte la réalité des campagnes pour proposer un modèle de foi vivante et active. Les missions avec le souci des « vérités nécessaires à salut », la confession générale et l’enracinement d’une dévotion avec les charités manifestent cet effort. Parallèlement la mise en place de structures sanitaires et de formations en lien avec le maillage de plus en plus fin des paroisses a profondément marqué le paysage français des XVIIIe et XIXe siècle de part et d’autre de la Révolution Française. Soulignons ici, même si cela demanderait à être développé, le rôle des « filles séculières » qui, après la Révolution Française, caractérise majoritairement la vie consacrée féminine. Dans le contexte bien plus exigeant du XIXe siècle, le « catholicisme au féminin » est à la pointe de l’innovation charitable pour répondre aux attentes nouvelles d’un monde en pleine mutation. Un profond mouvement d’évangélisation se développe dans les campagnes avec la multiplication des paroisses et l’augmentation conséquente du nombre de clercs formés dans les séminaires qui, si l’on peut dire, fonctionnent à plein régime ! Avec les séminaires, l’autre volet du charisme fondateur de la Congrégation de la Mission – les missions paroissiales – participe à l’expansion et à l’approfondissement du réseau paroissial : la mission populaire ou itinérante n’est-elle pas au service des curés ? Le grand défi missionnaire au XIXe siècle est représenté par l’expansion des villes et l’apparition de besoins nouveaux dans un contexte de crise. Souvent d’ailleurs, le personnel religieux vient des campagnes pour s’investir dans les grandes agglomérations ou les villes de taille moyenne. Le rural, à bien des égards, est comparé à un château d’eau qui irrigue et rend possible la créativité religieuse dans les villes. Si le contexte est à l’opposition d’une France réfractaire, le catholicisme fait preuve d’une grande et tranquille vitalité dans les campagnes. Il est remarquable de le constater avec la création des institutions sanitaires, éducatives et la prise en compte des besoins nouveaux liés au développement de l’adolescence avec les patronages ou l’action catholique au tournant des XIXe et XXe siècles. Au XIXe siècle, la grande nouveauté est encore l’engagement des laïcs avec la société Saint Vincent de Paul et le développement d’une spiritualité spécifique.
Si à la fin du XIXe siècle, des auteurs tirent le signal d’alarme en constatant la diminution du nombre d’entrée dans les séminaires, ce n’est vraiment qu’à partir du milieu du XXe siècle que le constat devient massif. Il faudra du temps pour prendre conscience de la disparition des éléments qui ont façonné notre cadre religieux. Au passage, nous pouvons évoquer ici le livre d’Emmanuel Mounier Feu la chrétienté (1950) et l’appel à la conversion missionnaire avec l’ouvrage des abbés Godin et Daniel, La France pays de Mission ? (1943). C’est aussi dans ce contexte de déchristianisation que la Congrégation de la Mission redécouvre l’importance de la Mission Populaire dans les campagnes bien sûr, mais aussi dans les nouveaux quartiers urbains périphériques. Que l’on pense aux intuitions des « forains du bon Dieu » (il est passionnant de relire le livre de notre confrère, Jean Gonthier : Dieu parle à son peuple aujourd’hui, 1977) ou à celles des secteurs ruraux où l’on se rend bien compte que le cadre paroissial traditionnel n’est plus satisfaisant. Un peu plus de cinquante ans après qui y a-t-il de commun entre ce que nous vivons et ce monde disparu ? Aujourd’hui, le panorama du catholicisme français est fondamentalement différent et je reprendrais simplement pour l’illustrer cette remarque récente d’une sociologue :
La catégorie des cadres et professions intellectuellement supérieures est surreprésentée parmi la population pratiquante, contrairement aux milieux ouvriers. Autre caractéristique, le catholicisme apparaît aujourd’hui également présent dans les grandes agglomérations où le taux de pratique (15%) dépasse aujourd’hui légèrement celui des communes rurales (13%). Ce constat est un peu inattendu, car la ville a longtemps été perçue comme le lieu par excellence de la déchristianisation. » (Céline Béraud, le catholicisme français à l’épreuve des scandales sexuels, Paris, Seuil – « La république des idées » -, 2021, p.28. Cf Philippe PORTIER et Jean-Paul WILLAIME, la Religion dans la France Contemporaine, entre sécularisation et recomposition, Paris, Armand Colin, 2021).
Pouvons-nous évoquer maintenant les bouleversements de la vie dans les campagnes pour en envisager ensuite les conséquences sur l’annonce de la Bonne Nouvelle ?
Quelques traits du rural…
Dans un livre passionnant – La fin du village, une histoire française (Paris, Gallimard, Folio-histoire, 2012) – le sociologue Jean-Pierre Le Goff, en partant du cas concret d’un village de Provence –Cadenet – met en évidence les bouleversements qui travaillent le monde traditionnel rural. S’il fait référence à un village précis en Provence, ses observations sont valables et suggestives – me semble-t-il – pour l’ensemble des villages de France. Ce qui peut accélérer ou ralentir ce processus est la proximité des grandes agglomérations et le développement des moyens de circulation.
La société de consommation dans les années 50 et 60 a bouleversé la sociabilité villageoise. La mobilité représente un enjeu considérable pour se rendre à son travail ou sur les lieux de consommation. C’est encore l’arrivée et le brassage d’une population nouvelle : On dénombre de nombreuses résidences secondaires mais aussi des personnes qui font le choix de vivre à la campagne pour une meilleure qualité de vie. Dans les années 80, grâce à l’arrivée des « néo-ruraux », si l’on assiste, souligne J.-P. Le Goff, au développement d’un tissu associatif, en même temps, « l’individu se protège de la promiscuité par la distance prise avec ses semblables, par la délimitation stricte d’un espace privé dans lequel il puisse se sentir autonome et libre. » (p.314). C’est la « manie des clôtures » et du gazon qui deviennent caractéristiques de ces populations nouvelles.
Le sociologue fait encore remarquer : « après avoir connu ses heures de gloire dans les années 1980 et 1990, le militantisme associatif s’est essoufflé » (p.294). Je cite in extenso, ce passage qui me semble caractériser les bouleversements du monde rural :
A Cadenet, du temps des vanniers et des agriculteurs, la « dureté de la vie » était une condition partagée : « faire vivre sa famille » et « gagner des sous » étaient des préoccupations centrales qui laissaient peu de loisir pour s’occuper de soi. Cela n’impliquait pas pour autant l’absence de plaisirs et du bonheur de vivre. Mais ceux-ci n’étaient pas alors considérés comme une affaire purement individuelle ; ils étaient liés à l’insertion dans une tradition et une collectivité villageoises. En ce sens, le bonheur ne passait pas seulement par le foyer domestique, il était encore moins une affaire d’« épanouissement personnel » dans un rapport de soi à soi ; il était inséparable des échanges collectifs et des liens amicaux et de solidarité qui se tissaient à l’intérieur de cette collectivité d’appartenance qu’était le village d’autrefois. La dissolution de la tradition et de ces anciens liens a entraîné une autonomie et une liberté individuelle plus grandes. Pour positive que soit cette évolution en regard des contraintes et du conformisme villageois, elle ne s’en est pas moins payée d’une solitude et d’un souci de soi qui comportent leur lot de pathologies nouvelles. » (p.329).
La lecture des ouvrages d’Alain Ehrenberg (L’individu incertain, Calmann-Levy, 1995, La fatigue d’être soi, Odile Jacob, 1998, La société du malaise, Odile Jacob, 2010) permettrait certainement d’enrichir le constat que Jean Pierre Le Goff fait au passage : « les antidépresseurs et les anxiolytiques divers sont aujourd’hui parmi les médicaments les plus demandés à la pharmacie du village » (p.321). De fait la santé psychique, liée à l’isolement, devient une préoccupation majeure.
Dans la fin du village, l’auteur souligne encore que « culture – Tourisme et communication sont désormais les trois leviers d’une nouvelle étape de la transformation du village » (p.412) avec l’importance accordée au patrimoine qui semble demeurer le seul vecteur capable de rassembler autour d’une histoire envisagée sous le seul angle du présent. Dans de nombreux villages, les municipalités et les habitants se mobilisent pour « sauver » ou mettre en valeur leurs églises-patrimoines. L’Eglise est devenue prestataire de service et le slogan que l’on ne cesse d’entendre à l’occasion surtout des funérailles est symptomatique des déplacements : « On croit mais on ne pratique pas. Croyants non pratiquants » (Cf. p.435). Ce qui permet de souligner la diversité des quêtes ou des demandes religieuses à laquelle nous sommes sans cesse confrontés dans le service pastoral. Tout un chapitre de l’ouvrage de J.-P. Le Goff développe cet aspect « de nouvelles formes de spiritualité diffuse » (p.438-455). Il précise : « Pour les jeunes générations éduquées en dehors de toute religion, il n’y a pas forcément de différence entre la vie éternelle et la réincarnation ; la « religion », avec ou sans Dieu, devient affaire de bricolage individuel où chacun peut puiser comme il l’entend dans les croyances et les pratiques, l’important en l’affaire est qu’on y trouve sa propre satisfaction. » (p.447-448). Cette expression de « bricolage » individuel devient caractéristique du religieux en régime de postmodernité ou d’hypermodernité ; c’est selon les représentations que vous vous faites de la modernité !
L’auteur, dans les différents chapitres qui prennent en compte les jeunes, les personnes âgées ou encore les parcs naturels, insiste sur la technicité du vocabulaire et des concepts qui deviennent de plus en plus abstraits et déconnectés de la vie réelle. Pour illustrer cette dimension, je reprends cette conclusion de l’auteur : « A Cadenet comme ailleurs, de l’enfance à la vieillesse, le monde nouveau affiche l’image d’une société composée d’individus autonomes, motivés, dynamiques et actifs, engagés dans de multiples ˮactivités citoyennesˮ qui répondent au nouvel imaginaire individualiste et démocratique du monde moderne. Cet imaginaire ne peut cependant masquer une réalité moins idyllique : ˮ Si les besoins matériels des malades sont moindres qu’autrefois, si les soins apportés sont plus efficaces et moins douloureux, il y a toujours autant d’isolement et de souffrance morale.ˮ » (p.628). Il serait encore possible d’insister sur les disparités socio-économiques avec le chômage qui s’appesantit sur des familles et la richesse clinquante d’une petite minorité pour compléter ce tableau de fond. Et c’est dans ce contexte que la pandémie s’inscrit pour en amplifier les traits.
Ce qui est frappant est la grande diversité des réalités villageoises – Le Goff évoque un « village bariolé » ou encore une « commune patchwork et post-moderne » (p.772). N’est-ce pas la caractéristique essentielle de notre monde contemporain ?
L’un des effets majeurs de la pandémie a été de réduire encore les liens sociaux. Chacun et chacune s’est encore davantage replié sur la sphère de l’intime avec toutes les conséquences qui ont pu être égrenées par l’actualité. Lors d’une rencontre, l’animatrice du carrefour rural d’Evreux disait : « dans des zones désertifiées, la souffrance humaine est devenue hurlante ! ». Alors que se déploie la fibre optique pour améliorer la communication, il n’y a peut-être jamais eu autant de solitude et de sentiment d’abandon.
De nouvelles perspectives.
Avec la fin du village, nous l’avons bien compris, c’est aussi la fin de « la civilisation paroissiale » qui a façonné notre paysage familier. Comment les communautés chrétiennes seront-elles capables de prendre en compte les ressources de la foi chrétienne pour, au cœur de notre monde, proposer des perspectives nouvelles qui prennent réellement en compte les réalités de ce monde contemporain ? Si la crise de la Covid 19 a durci les traits, quelles initiatives pourraient-elles lui rendre son visage humain ? Henri de Lubac exprimait d’une manière très claire ce dynamisme essentiel :
Le mystère du Christ est aussi le nôtre. Ce qui s’est accompli dans la Tête doit s’accomplir aussi dans les membres. Incarnation, mort et résurrection : c’est enracinement, détachement et transfiguration. Pas de spiritualité chrétienne qui ne comporte ce rythme à trois temps. Nous avons à faire pénétrer le christianisme aux plus profondes réalités humaines. Mais ce n’est pas pour l’y laisser perdre ou dénaturer. Ce n’est pas pour le vider de sa substance spirituelle. C’est pour qu’il agisse dans l’âme et dans la société comme un ferment soulevant toute la pâte, C’est pour qu’il surnaturalise tout. C’est pour qu’au cœur de tout il mette un principe nouveau, pour qu’il fasse partout entendre l’exigence de l’urgence de l’appel d’en haut. » (Paradoxes, p.43-44).
Comment pourrons-nous vivre ce dynamisme central dans des expériences différentes ? Ne sommes-nous pas témoins de cette initiative première et fondamentale de Dieu au cœur de notre histoire humaine ?
Peut-être faut-il préserver la riche et légitime diversité des initiatives et éviter de s’engouffrer dans des réponses exclusivement techniques. Au cœur de la crise, on a assisté à une multiplication des retransmissions de célébrations ou des temps de prière. Parallèlement il y avait un grand nombre de propositions de formations ou des textes de réflexion, de qualité qui circulaient sur les réseaux sociaux. Comment discerner dans ce flot ce qui convient ? Plutôt que multiplier l’offre ne vaut-il pas mieux développer et renforcer les liens de proximité ? Dans la suite de cette crise, il s’agit alors de privilégier la proximité et rejoindre les initiatives engagées localement où la relation est première.
Aujourd’hui, dans ce monde tiraillé par la peur, on reprend souvent le terme de fraternité pour signifier la nouveauté et l’originalité de l’évangile. En écho aux textes du Pape François, je reprends ce passage à Christoph Théobald :
Une autre manière de dire cette « nécessité » qui s’impose aux « disciples-missionnaires » (EG, 19-24) que sont les « christiens » est de faire intervenir l’expérience « mystique », telle que le pape François la déploie dans un passage central de l’exhortation apostolique Evangelii gaudium ; « De nos jour, alors que les réseaux et les instruments de communications ont atteint un niveau de développement inédit, nous ressentons la nécessité de découvrir et de transmettre la « mystique » de vivre ensemble, de se mélanger, de se rencontrer, de se prendre dans les bras, de se soutenir, de participer à cette marée un peu chaotique qui peut se transformer en une véritable expérience de fraternité, en une caravane solidaire, en un saint pèlerinage » (EG, 87). On est un peu surpris de cette utilisation inattendue du concept de « mystique », liée ici à notre expérience élémentaire du vivre-ensemble […].
Pourquoi parler de « mystique » ici ? Tout simplement parce que la « fraternité » ne va nullement de soi. Il faut la choisir et apprendre à la vivre (EG, 91) ; et ce choix et long apprentissage n’est pas uniquement une question de morale ou d’éthique […]. La fraternité devient « mystique ou contemplative » quand elle « sait regarder la grandeur sacrée du prochain, découvrir Dieu en chaque être humain », quand elle « sait ouvrir le cœur à l’amour divin pour chercher le bonheur des autres comme le fait leur Père qui est bon » (EG, 92). Tous les mots comptent dans ce mouvement spirituel, en quelque sorte inductif, qui va de l’homme vers Dieu, jusqu’à ce qu’il débouche – au plus intime de l’homme où son « cœur » s’ouvre à l’intimité même de Dieu – dans le mouvement inverse de l’amour de Dieu qui précisément consiste dans la recherche du bonheur de l’autre.
Il s’agit d’une mystique non sacrale, comme François le souligne avec force (EG, 89), d’une mystique à distance de beaucoup de courants spirituels d’aujourd’hui qui se contentent d’une relation avec des énergies qui harmonisent ou d’une recherche intérieure du bien-être sans visage d’autrui (EG, 90). » (Urgences pastorales, Comprendre, partager, réformer, Paris, Bayard, 2017 ; p.161-164).
N’est-ce pas tout l’enjeu des propositions de fraternités qui se vivent dans de nombreux diocèses de France ? Dans l’Eglise d’Evreux, c’est cette recherche qui est à l’œuvre depuis un peu plus de trois ans. C’est un défi à relever particulièrement dans le rural où les distances renforcent l’individualisme. Dès le début de cette expérience de la Fraternité Missionnaire dans le secteur sud du diocèse qui comprend trois paroisses, l’initiative du Fraternibus était engagée avec le Secours Catholique et le Carrefour Rural du diocèse d’Evreux afin de permettre aux personnes isolées de trouver un lieu d’écoute et de dialogue dans les villages. Le fraternibus se déplace sur les marchés. Au début les bénévoles (peu nombreux…) se demandaient ce qu’ils allaient pouvoir proposer et de fait, les personnes viennent pour échanger, pour partager des questions ou des problèmes au détour de leur chemin. C’est un lieu de rencontre pour se ressourcer et poursuivre sa route. L’importance de l’accueil et la disponibilité à la rencontre pour écouter et répondre aux attentes des personnes est le cœur de la pastorale mise en œuvre dans les paroisses. Après la crise de la Covid, ces lieux sont importants et peut-être est-il nécessaire de développer ces « interfaces » pour chercher et découvrir la source de la bonne Nouvelle ? Pour approfondir cette intuition, je lisais récemment dans le journal La Croix une réflexion autour des tiers-lieux (« Les tiers-lieux sont-ils l’avenir de l’Eglise ? », vendredi 18 juin 2021). Mgr Ulrich, archevêque de Lille, y précisait :
L’Église d’aujourd’hui ne peut pas être statique dans ses institutions, elle doit pouvoir être attentive aux conditions dans lesquelles elle évolue pour rejoindre chacun. Les tiers-lieux d’Église vont à la rencontre de personnes qui méritent d’entendre la Bonne Nouvelle de l’Évangile mais qui n’iront pas à l’église. On ne détruira pas les paroisses pour autant, qui sont aussi des lieux de rencontre ! Beaucoup de gens entrent encore dans les églises et y sont très touchés. Mais ces initiatives lui sont complémentaires, elles permettent d’entrer par des lieux inattendus dans l’expérience que propose l’Évangile. Je ne sais pas si les tiers-lieux sont l’avenir, mais ils sont en tout cas une nécessité actuelle. »
Comment la crise sanitaire de la Covid nous permet-elle d’ouvrir les yeux pour sortir de nos routines et entendre cet appel ? Si elle a amplifié les traits de notre société et les évolutions de notre monde, l’appel se fait plus urgent pour aller urgemment à la rencontre de nos contemporains dans ces conditions nouvelles de vie. « La moisson est abondante… », n’est-ce pas cette conviction qui doit nous animer au plus profond, sans nostalgie du passé et nous motiver pour aujourd’hui ?
Père Elie DELPLACE
» Un temps mémoriel et un temps pénitentiel »
Le 6 novembre 2021, lors de l’Assemblée Plénière des évêques à Lourdes, Mgr Éric de MOULINS-BEAUFORT, Président de la Conférence des évêques de France et Sœur Véronique MARGRON, Présidente des Religieux et Religieuses de France ont pris la parole pour « un temps mémoriel » et pour « un temps pénitentiel » à la suite du rapport Sauvé de la CIASE.
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"Un temps mémoriel et un temps pénitentiel"

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Le 6 novembre 2021, lors de l’Assemblée Plénière des évêques à Lourdes, Mgr Éric de MOULINS-BEAUFORT, Président de la Conférence des évêques de France et Sœur Véronique MARGRON, Présidente des Religieux et Religieuses de France ont pris la parole pour « un temps mémoriel » et pour « un temps pénitentiel » à la suite du rapport Sauvé de la CIASE.
Paroles de Mgr Éric de MOULINS-BEAUFORT
Temps mémoriel
Petit enfant qui pleure,
Petit garçon qui t’en étais allé servir la messe, plein de fierté, petite fille qui allais te confesser le cœur plein d’espérance du pardon, jeune garçon, jeune fille, allant tout enthousiaste à l’aumônerie ou au camp scout.
Qui donc a osé souiller votre corps de ses grosses mains ? Qui a susurré à votre oreille des mots que vous ignoriez ? Qui vous a imposé cette odeur qui vous imprègne? Qui a fait de vous sa chose, tout en prétendant être votre meilleur ami ? Qui vous a entraîné dans son secret honteux ?
Petit enfant qui, à jamais pétrifié, pleure sous les voûtes d’une cathédrale, petit enfant des centaines de milliers de fois multiplié !
Quelqu’un t’a photographié. Il permet à beaucoup de te voir, de te regarder. Quelqu’un s’est reconnu en toi, a vu en toi l’image de sa destinée brisée, ravagée. Quelqu’un, en te découvrant un jour, a trouvé en toi un frère ou une sœur grâce à qui il allait pouvoir exprimer ce qu’il portait en secret, ce que tant et tant ont porté et portent sans trouver de mots pour le dire, sans trouver, et moins encore, de cœur pour les écouter.
Petit enfant qui pleure sur un pilier d’église, là où tu devrais chanter, louer, te sentir en paix dans la maison de Dieu,
Nous te regardons. Désormais, nous passerons devant toi en te voyant, en t’écoutant. Ô enfant bafoué, enfant humilié, enfant profané qui survit au fond de tant d’adultes ou adolescent suicidé, nous voulons apprendre à te regarder et à entendre le cri muet de ta souffrance.
Petits garçons, petites filles qui pleurez cachés dans les adultes que tous voient, adolescents murés en un silence qui vous a été imposé, nous vous devons cela. Nous vous le devons sous le regard de l’humanité, sous le regard de notre conscience, sous le regard du Christ notre Seigneur, que vous vouliez chanter de toute votre âme, de tout votre être, et devant qui à jamais vous pleurez.
Il est trop tard pour que nous puissions essuyer vos larmes. Il ne l’est pas de nous souvenir de vous. Votre image placée sous nos yeux, nous voudrions qu’elle imprègne nos âmes. Désormais, je ne peux entrer dans une église, pour y célébrer le mystère de la vie et de l’amour plus forts que la mort, sans porter le stigmate de votre visage qui pleure, si pauvre, si touchant, si seul, si désemparé, et si digne surtout. Tout le bien du monde ne rachète pas les pleurs d’un enfant.
Petit enfant qui pleure, petite fille, petit garçon, adolescente, adolescent, moi, Éric, évêque de l’Église catholique, avec mes frères évêques et les prêtres et les fidèles qui le veulent bien, j’implore de Dieu en ce jour qu’il m’apprenne à vous être fraternel. « Ce que vous avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. »
Temps pénitentiel
Ô Dieu que nous osons appeler « notre Père », pardonne-nous. Tu mets ton Église à nu, comme jadis Jérusalem, mise à nu à cause de ses crimes.
Nous pensions être préservés par la sainteté de ton Fils et le sacrifice qu’il a remis entre nos mains. Nous découvrons que nous sommes capables, nous tes ministres, nous que tu as appelés et choisis, de profaner ton don le plus ultime, de transformer en un système humain de dégradation, de mépris, de mort, le don jaillissant de ton Esprit.
Pardonne-nous de n’avoir pas compris combien le pouvoir que tu donnes exige de nous une clarté sans faille. Pardonne-nous d’avoir pris ta miséricorde pour une tolérance devant le mal.
Relève-nous, nous t’en prions. Refais nos cœurs. Inspire-nous comment aller vers celles et ceux que nous avons humiliés, négligés, blessés, abandonnés,
Relève les personnes qui souffrent, nous t’en supplions à genoux. Donne-nous de les écouter et de faire ce qu’elles nous demandent.
Ô Dieu que nous osons appeler « notre Père », pardonne-nous. Refais nos cœurs.
Inspire-nous comment aller vers celles et ceux meurtris et humiliés que nous avons négligés et abandonnés. Donne ta joie à celles et ceux à qui nous avons manqué, nous que tu as établis pour porter ta parole de grâce et qui avons failli.
Tu nous as appelés à enseigner, apprends-nous à écouter.
Tu nous as appelés à sanctifier, dépouille-nous de toute appropriation, que ta grâce nous maintienne en perpétuelle conversion ;
Tu nous as appelés à gouverner, purifie-nous de tout goût du pouvoir, libère-nous de toute peur, à commencer par celle de perdre.
Dieu de justice et de miséricorde, Dieu de vie et de paix, prends-nous en pitié, viens au secours de notre humanité.
Paroles de Sœur Véronique MARGRON
Temps mémoriel
Tout est là dans ces mots et ce visage.
Alors peut-être, pauvrement, humblement, les scruter lentement.
Être, demeurer frapper de stupeur par la souffrance en excès de ce visage, de cette larme, de ces yeux qui implorent. Un malheur, un effondrement ont été imposés, ont fait intrusion dans des existences qui ne demandaient qu’à grandir, vivre faire confiance, se donner.
La parole interdite au-dehors comme au-dedans de cet enfant bouleversant, m’assigne, me convoque, m’oblige à être enfin dé-préoccupée de moi-même, de nous-mêmes, de nos maisons, nos richesses en tout genre, nos affirmations, afin que toute notre énergie soit uniquement du côté de son trop de solitude qui implore notre vérité, notre présence pour de vrai, notre réponse. Pour lui rendre enfin justice. Grâce à lui, à son visage qui implore, grâce au don de la parole des victimes et des témoins de cette douleur irreprésentable, apprendre à reconnaître le mal, à nommer ce qui fait mourir, à nommer le meurtre de l’âme commis dans nos communautés croyantes, par nos membres, clercs, religieux, religieuses, laïcs, et avoir alors comme unique angoisse le soin des larmes. Apprendre à reconnaître la parole corrompue, la foi au Dieu vivant dévoyée, défigurée. Comment survivre si cet enfant, dans son enfance, comme dans sa vie d’adulte, ne trouve pas auprès de lui quelques humains capables d’honorer sa confiance, sa vie ? C’est bien lui, en son immense vulnérabilité, en son exposition sans défense, qui exige que nous soyons enfin fiables, vrais, humains, dans les profondeurs de son chagrin.
Que cet intense visage de l’enfance humiliée me poursuive, nous hante même, chacun de nous, qui portons une responsabilité, d’une façon ou d’une autre, jusqu’à ce que nous ayons fait se rencontrer la justice et la vérité. De toutes les façons qu’il continue de m’habiter, de me déranger, veilleur silencieux et insistant de mon propre cœur, de mon engagement en faveur des « droits humains à protection absolue », afin que, petit ou grand manipulé, traité en objet, chacun puisse dans mon Église, dans ma communauté, devenir un « grandissant », un sujet libre de sa vie de la plus haute dignité, simplement.
Temps pénitentiel
Mon Dieu, des hommes, des femmes, ont commis non seulement l’injustifiable mais surtout l’intolérable. Ton Église a été, est, le lieu de crimes contre l’humanité du sujet. Te supplier, toi mon Dieu, paraît alors presque trop petit, trop peu. Supplier alors aussi chacune des personnes dont la vie a été, est plongée dans les abîmes des enfers, car vous êtes, elles sont, ton visage, mon Dieu, toi le Dieu humilié, méprisé, crucifié.
Être pris en pitié, implorer tes entrailles mon Dieu, promettant de faire œuvre de justice. Supplier que nous soyons pris en pitié en demeurant au pied de la Croix. Nous ne pouvons descendre dans les enfers où chaque vie d’enfant, d’adulte rendu vulnérable, a été précipitée. Mais demander la force autant que la grâce de nous tenir à la porte, au bord du tombeau et là te supplier toi Dieu très bas, qui seul peut descendre dans ces ténèbres et en fracasser la porte. Toi qui seul peux nous délivrer, nous aussi, du mal que nous avons commis contre la vie, l’intégrité, la dignité, la confiance, la foi de chaque existence, meurtrie, une par une, l’une après l’autre, visage défiguré après visage défiguré. Nous en arracher, de ce mal commis, et fortifier notre pauvre courage pour un jour peut-être entendre cette parole de grâce, que Joseph, après avoir enterré son père Jacob offrit à ses frères qui l’avaient pourtant vendu comme esclave, réduit comme un objet : « Vous aviez voulu me faire du mal, Dieu a voulu le changer en bien, afin d’accomplir ce qui se réalise aujourd’hui : préserver la vie d’un peuple nombreux » (Gn 50, 20).
Les jeunes délégués à l’Assemblée Provinciale partagent leurs impressions
Sur les trois, deux sont élus par l’Assemblée Provinciale pour être délégués à l’Assemblée Générale de 2022 à Rome.
C'MISSION
Les jeunes délégués à l’Assemblée Provinciale partagent leurs impressions

C'MISSION
A la sortie de l’Assemblée Provinciale, notre équipe de communication a recueilli quelques paroles des jeunes délégués qui, pour deux, participent pour la première fois à l’assemblée. Sur les trois, deux sont élus par l’Assemblée Provinciale pour être délégués à l’Assemblée Générale de 2022 à Rome.