Dimanche 2 Carême – C (Lc 9,28-36). Méditation

Nous, chrétiens d’aujourd’hui, nous devons impérativement «intérioriser» notre religion si nous voulons raviver notre foi. Il ne suffit pas d’entendre l’Evangile de manière distraite, routinière et monotone, sans aucune envie d’écouter. Il ne suffit pas non plus d’écouter intelligemment, en vue seulement de comprendre.

Dimanche 2 Carême – C (Lc 9,28-36). Méditation

Écouter Jésus

Aujourd’hui, dans l’Evangile, Jésus surprend ses contemporains, et nous aussi. En effet, alors même qu’était loué le magnifique Temple de Jérusalem, il dit qu’il n’en restera pas « pierre sur pierre » (Lc 21, 6). Pourquoi ces paroles envers une institution si sacrée, qui n’était pas seulement un édifice, mais aussi un signe religieux unique, une maison pour Dieu et pour le peuple croyant ? Pourquoi prophétiser que la ferme certitude du peuple de Dieu s’écroulerait ? Pourquoi, à la fin, le Seigneur permet-il que s’écroulent des certitudes, alors que le monde en est toujours davantage privé ?

Cherchons des réponses dans les paroles de Jésus. Il nous dit aujourd’hui que presque tout passera. Presque tout, mais pas tout. En cet avant-dernier dimanche du Temps ordinaire, il explique que ce sont les avant dernières choses qui croulent, non pas les dernières : le Temple, non pas Dieu ; les royaumes et les événements de l’humanité, non pas l’homme. Les choses avant-dernières passent, qui semblent souvent définitives mais ne le sont pas. Il y a des réalités grandioses, comme nos temples, et terrifiantes, comme les tremblements de terre, des signes dans le ciel et des guerres sur la terre (cf. v. 10-11) : elles nous semblent faites pour la une des journaux ; mais le Seigneur les met en deuxième page. En première page reste ce qui ne passera jamais : le Dieu vivant, infiniment plus grand que tous les temples que nous construisons, et l’homme, notre prochain, qui vaut plus que toutes les chroniques du monde. Alors, pour nous aider à recueillir ce qui compte dans la vie, Jésus nous met en garde contre deux tentations.

La première est la tentation de la hâte, du tout de suite. Pour Jésus il ne faut pas courir derrière celui qui dit que la fin arrivera tout de suite, que « le temps est proche » (v. 8). Celui qui sème la panique et qui entretient la peur de l’autre et de l’avenir ne doit donc pas être suivi, car la peur paralyse le cœur et l’esprit. Et cependant, combien de fois nous laissons-nous séduire par la hâte de vouloir savoir tout et tout de suite, par la démangeaison de la curiosité, de la dernière information retentissante et scandaleuse, par les histoires troubles, par les hurlements du plus énervé qui crie le plus fort, ce celui qui dit “maintenant ou jamais”. Mais cette hâte, ce tout et tout de suite, ne vient pas de Dieu. Si nous nous épuisons dans le tout de suite, nous oublions ce qui demeure pour toujours : nous poursuivons les nuages qui passent et perdons de vue le ciel. Attirés par le dernier tapage, nous ne trouvons plus de temps pour Dieu et pour le frère qui vit à côté. Comme cela est vrai aujourd’hui ! Dans la frénésie de courir, de tout conquérir et tout de suite, celui qui reste en arrière gène. Et il est considéré comme un rebut : combien de personnes âgées, d’enfants à naître, de personne handicapées, de pauvres sont considérés comme inutiles. On se dépêche, sans avoir souci que les distances augmentent, que la cupidité d’un petit nombre accroit la pauvreté d’un grand nombre.

Comme antidote à la hâte, Jésus propose aujourd’hui à chacun la persévérance : « C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie » (v. 19). La persévérance, c’est aller de l’avant chaque jour avec le regard fixé sur ce qui ne passe pas : le Seigneur et le prochain. Voilà pourquoi la persévérance est le don de Dieu par lequel tous les autres dons sont conservés (cf. Saint Augustin, De dono perseverantiae, 2, 4). Demandons pour chacun de nous, et pour nous comme Eglise, de persévérer dans le bien, de ne pas perdre de vue ce qui compte.

Il y a un deuxième mensonge dont Jésus veut nous détourner, lorsqu’il dit : « Beaucoup viendront sous mon nom, et diront : “C’est moi”. Ne marchez pas derrière eux ! » (v. 8). C’est la tentation du je. De même qu’il ne recherche pas le tout de suite mais le toujours, le chrétien n’est pas non plus un disciple du je, mais du tu. Il ne suit pas les sirènes de ses caprices, mais l’appel de l’amour, la voix de Jésus. Et comment reconnaît-on la voix de Jésus ? “Beaucoup viendront sous mon nom”, dit le Seigneur, mais il ne faut pas les suivre : l’étiquette de “chrétien” ou de “catholique” ne suffit pas pour appartenir à Jésus. Il faut parler la même langue que Jésus, celle de l’amour, la langue du tu. Celui qui parle la langue de Jésus est celui qui ne dit pas je mais qui sort de son je. Et cependant, combien de fois, même pour faire le bien, règne l’hypocrisie du je : je fais le bien mais pour être reconnu comme bon ; je donne, mais pour recevoir à mon tour ; j’aide, mais pour m’attirer l’amitié de cette personne importante. C’est ainsi que parle la langue du je. La Parole de Dieu, en revanche, pousse à une « amour sans hypocrisie » (Rm 12, 9), à donner à celui qui n’a rien à rendre (cf. Lc 14, 14), à servir sans chercher de récompense et de retour (cf. Lc 6, 35). Alors, nous pouvons nous demander : Est-ce que j’aide une personne dont je n’aurai rien à recevoir ? Moi, chrétien, est-ce que j’ai au moins un pauvre pour ami ?

Les pauvres sont précieux aux yeux de Dieu parce qu’ils ne parlent pas la langue du je : ils ne se soutiennent pas par eux-mêmes, par leurs propres forces, ils ont besoin de celui qui les prend par la main. Ils nous rappellent que l’Evangile se vit ainsi, en mendiants qui implorent Dieu. La présence des pauvres nous ramène au climat de l’Evangile, où se trouve les bienheureux et les pauvres en esprit (cf. Mt 5, 3). Alors, plutôt que d’éprouver du désagrément lorsque nous les entendons frapper à nos portes, puissions-nous accueillir leur cri comme un appel à sortir de notre je, à les accueillir avec le même regard d’amour que Dieu a pour eux. Qu’il serait beau que les pauvres occupent dans notre cœur la place qu’ils ont dans le cœur de Dieu ! En étant avec les pauvres, servant les pauvres, apprenons les goûts de Dieu, comprenons ce qui reste et ce qui passe.

Revenons ainsi aux questions du début. Parmi beaucoup de choses avant-dernières, qui passent, le Seigneur veut nous rappeler aujourd’hui celle qui est dernière, qui rester pour toujours. C’est l’amour, car « Dieu est amour » (1Jn 4, 8), et le pauvre qui demande mon amour me conduit droit à lui. Les pauvres nous facilitent l’accès au ciel : c’est pourquoi le sens de la foi du Peuple de Dieu les a vus comme les portiers du ciel. Ils sont dès maintenant notre trésor, le trésor d l’Eglise. Ils nous entrouvrent en effet la richesse qui ne vieillit jamais, celle qui relie la terre et le ciel et pour laquelle il vaut vraiment la peine de vivre : l’amour.

 

« Le courage de risquer pour la promesse de Dieu ». Message du Pape François pour la 56e Journée Mondiale de Prière pour les Vocations

Chers frères et sœurs, après avoir vécu, en octobre dernier, l’expérience dynamique et féconde du Synode dédié aux jeunes, nous avons récemment célébré à Panamá les 34èmes Journées mondiales de la Jeunesse. Deux grands rendez-vous, qui ont permis à l’Eglise de tendre l’oreille à la voix de l’Esprit et aussi à la vie des jeunes, à leurs interrogations, aux lassitudes qui les accablent et aux espérances qui les habitent.

« Le courage de risquer pour la promesse de Dieu ». Message du Pape François pour la 56e Journée Mondiale de Prière pour les Vocations

Chers frères et sœurs, après avoir vécu, en octobre dernier, l’expérience dynamique et féconde du Synode dédié aux jeunes, nous avons récemment célébré à Panamá les 34e Journées mondiales de la Jeunesse. Deux grands rendez-vous, qui ont permis à l’Eglise de tendre l’oreille à la voix de l’Esprit et aussi à la vie des jeunes, à leurs interrogations, aux lassitudes qui les accablent et aux espérances qui les habitent.

En reprenant justement ce que j’ai eu l’occasion de partager avec les jeunes à Panamá, en cette Journée mondiale de prière pour les Vocations, je voudrais réfléchir sur la manière dont l’appel du Seigneur nous rend porteurs d’une promesse et, en même temps, nous demande le courage de risquer avec Lui et pour Lui. Je voudrais m’arrêter brièvement sur ces deux aspects – la promesse et le risque – en contemplant avec vous la scène évangélique de l’appel des premiers disciples près du lac de Galilée (Mc 1, 16-20).

Deux couples de frères – Simon et André avec Jacques et Jean – sont en train d’accomplir leur travail quotidien de pêcheurs. Dans ce dur métier, ils ont appris les lois de la nature, et quelquefois ils ont dû la défier quand les vents étaient contraires et que les vagues agitaient les barques. Certains jours, la pêche abondante récompensait la grande fatigue, mais d’autres fois, l’effort de toute une nuit ne suffisait pas à remplir les filets et on revenait sur le rivage fatigués et déçus.

Ce sont là les situations ordinaires de la vie, dans lesquelles chacun de nous se mesure avec les désirs qu’il porte dans le cœur, se consacre à des activités qu’il espère pouvoir être fructueuses, avance dans la “mer” de différentes manières à la recherche de la route juste qui puisse étancher sa soif de bonheur. Parfois il jouit d’une bonne pêche, d’autres fois, au contraire, il doit s’armer de courage pour tenir le gouvernail d’une barque ballottée par les vagues, ou faire face à la frustration de se retrouver avec les filets vides.

Comme dans l’histoire de chaque appel, même dans ce cas une rencontre survient. Jésus marche, il voit ces pêcheurs et s’approche… C’est arrivé avec la personne avec laquelle nous avons choisi de partager la vie dans le mariage, ou quand nous avons senti l’attrait pour la vie consacrée : nous avons vécu la surprise d’une rencontre et, à ce moment, nous avons entrevu la promesse d’une joie capable de combler notre vie. Ainsi, ce jour-là, près du lac de Galilée, Jésus est allé à la rencontre de ces pêcheurs, rompant la « paralysie de la normalité » (Homélie de la XXIIème Journée mondiale de la vie consacrée, 2 février 2018). Et tout de suite il leur adresse une promesse : « Je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes » (Mc 1, 17).

L’appel du Seigneur alors n’est pas une ingérence de Dieu dans notre liberté ; ce n’est pas une “cage” ou un poids qui nous est mis sur le dos. C’est au contraire l’initiative amoureuse avec laquelle Dieu vient à notre rencontre et nous invite à entrer dans un grand projet dont il veut nous rendre participants, visant l’horizon d’une mer plus vaste et d’une pêche surabondante.

Le désir de Dieu, en effet, est que notre vie ne devienne pas prisonnière de l’évidence, ne soit pas entraînée par inertie dans les habitudes quotidiennes et ne reste pas inerte devant ces choix qui pourraient lui donner une signification. Le Seigneur ne veut pas que nous nous résignions à vivre au jour le jour en pensant que, au fond, il n’y a rien pour quoi il vaille la peine de s’engager avec passion et en éteignant l’inquiétude intérieure pour chercher de nouvelles routes à notre navigation. Si quelquefois il nous fait expérimenter une “pêche miraculeuse”, c’est parce qu’il veut nous faire découvrir que chacun de nous est appelé – de façons diverses – à quelque chose de grand, et que la vie ne doit pas rester empêtrée dans les filets du non-sens et de ce qui anesthésie le cœur. La vocation, en somme, est une invitation à ne pas nous arrêter sur le rivage avec les filets à la main, mais à suivre Jésus au long de la route qu’il a pensée pour nous, pour notre bonheur et pour le bien de ceux qui sont autour de nous.

Naturellement, embrasser cette promesse demande le courage de risquer un choix. Les premiers disciples, en se sentant appelés par lui à prendre part à un rêve plus grand, « aussitôt, laissant leurs filets, le suivirent » (Mc 1, 18). Cela signifie que pour accueillir l’appel du Seigneur il convient de se mettre en jeu avec tout soi-même et de courir le risque d’affronter un défi inédit ; il faut laisser tout ce qui voudrait nous tenir attachés à notre petite barque, nous empêchant de faire un choix définitif ; il nous est demandé cette audace qui nous pousse avec force à la découverte du projet que Dieu a sur notre vie. En substance, lorsque nous sommes placés face à la vaste mer de la vocation, nous ne pouvons pas rester à réparer nos filets sur la barque qui nous donne sécurité, mais nous devons nous fier à la promesse du Seigneur.

Je pense surtout à l’appel à la vie chrétienne, que tous nous recevons au Baptême et qui nous rappelle comment notre vie n’est pas le fruit d’un hasard, mais le don du fait d’être des enfants aimés du Seigneur, rassemblés dans la grande famille de l’Eglise. L’existence chrétienne naît et se développe justement dans la communauté ecclésiale, surtout grâce à la Liturgie, qui nous introduit à l’écoute de la Parole de Dieu et à la grâce des sacrements ; c’est là que, depuis le plus jeune âge, nous sommes initiés à l’art de la prière et au partage fraternel. C’est justement parce qu’elle nous engendre à la vie nouvelle et nous conduit au Christ que l’Eglise est notre mère ; c’est pourquoi nous devons l’aimer également lorsque nous découvrons sur son visage les rides de la fragilité et du péché, et nous devons contribuer à la rendre toujours plus belle et lumineuse, afin qu’elle puisse être témoin de l’amour de Dieu dans le monde.

La vie chrétienne, ensuite, trouve son expression dans ces choix qui, tandis qu’ils donnent une direction précise à notre navigation, contribuent aussi à la croissance du Royaume de Dieu dans la société. Je pense au choix de s’épouser dans le Christ et de former une famille, ainsi qu’aux autres vocations liées au monde du travail et des métiers, à l’engagement dans le domaine de la charité et de la solidarité, aux responsabilités sociales et politiques, et ainsi de suite. Il s’agit de vocations qui nous rendent porteurs d’une promesse de bien, d’amour et de justice non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour les contextes sociaux et culturels dans lesquels nous vivons, qui ont besoin de chrétiens courageux et d’authentiques témoins du Royaume de Dieu.

Dans la rencontre avec le Seigneur certains peuvent sentir l’attrait d’un appel à la vie consacrée ou au sacerdoce ordonné. Il s’agit d’une découverte qui enthousiasme et qui en même temps fait peur, se sentant appelés à devenir “pêcheurs d’hommes » dans la barque de l’Eglise à travers une offrande totale de soi-même et l’engagement d’un service fidèle à l’Evangile et aux frères. Ce choix comporte le risque de tout laisser pour suivre le Seigneur et de se consacrer complètement à lui pour devenir collaborateurs de son œuvre. De nombreuses résistances intérieures peuvent empêcher une décision de ce genre, comme aussi dans certains contextes très sécularisés, où il semble ne plus y avoir de place pour Dieu et pour l’Evangile, on peut se décourager et tomber dans la « lassitude de l’espérance » (Homélie de la messe avec les prêtres, consacrés et mouvements laïcs, Panamá, 26 janvier 2019).

Pourtant il n’y a pas de joie plus grande que de risquer sa vie pour le Seigneur ! En particulier à vous, les jeunes, je voudrais dire : ne soyez pas sourds à l’appel du Seigneur ! S’il vous appelle pour ce chemin, ne tirez pas votre épingle du jeu et faites-lui confiance. Ne vous laissez pas contaminer par la peur, qui nous paralyse devant les hauts sommets que le Seigneur nous propose. Rappelez-vous toujours que, à ceux qui laissent les filets et la barque pour le suivre, le Seigneur promet la joie d’une vie nouvelle, qui comble le cœur et anime le chemin.

Très chers, il n’est pas toujours facile de discerner sa vocation et d’orienter sa vie d’une façon juste. Pour cela, il faut un engagement renouvelé de la part de toute l’Eglise – prêtres, personnes consacrées, animateurs pastoraux, éducateurs – afin que s’offrent, surtout aux jeunes, des occasions d’écoute et de discernement. Il faut une pastorale pour les jeunes et les vocations qui aide à la découverte du projet de Dieu, spécialement à travers la prière, la méditation de la Parole de Dieu, l’adoration eucharistique et l’accompagnement spirituel.

Comme cela s’est présenté plusieurs fois durant les Journées mondiales de la Jeunesse de Panamá, nous devons regarder Marie. Dans l’histoire de cette jeune fille, la vocation a été aussi en même temps une promesse et un risque. Sa mission n’a pas été facile, pourtant elle n’a pas permis à la peur de prendre le dessus. Son “oui” a été « le “oui” de celle qui veut s’engager et risquer, de celle qui veut tout parier, sans autre sécurité que la certitude de savoir qu’elle était porteuse d’une promesse. Et je demande à chacun de vous : vous sentez-vous porteurs d’une promesse ? Quelle promesse est-ce que je porte dans le cœur, à réaliser ? Marie, sans aucun doute, aura eu une mission difficile, mais les difficultés n’étaient pas une raison pour dire “non”. Certes elle aura des difficultés, mais ce ne seront pas les mêmes difficultés qui apparaissent quand la lâcheté nous paralyse du fait que tout n’est pas clair ni assuré par avance » (Veillée pour les jeunes, Panama, 26 janvier 2019).

En cette Journée, unissons-nous dans la prière en demandant au Seigneur de nous faire découvrir son projet d’amour sur notre vie, et de nous donner le courage de risquer sur la route qu’il a depuis toujours pensée pour nous.

Du Vatican, le 31 janvier 2019, Mémoire de saint Jean Bosco.

Pape François 🔸

Le désir de Dieu, en effet, est que notre vie ne devienne pas prisonnière de l’évidence, ne soit pas entraînée par inertie dans les habitudes quotidiennes et ne reste pas inerte devant ces choix qui pourraient lui donner une signification. Le Seigneur ne veut pas que nous nous résignions à vivre au jour le jour en pensant que, au fond, il n’y a rien pour quoi il vaille la peine de s’engager avec passion et en éteignant l’inquiétude intérieure pour chercher de nouvelles routes à notre navigation.

Pape François

Homélie premier dimanche de carême cycle C

Homélie premier dimanche de carême cycle C

Frères et sœurs : Le carême est chemin de conversion qui nous prépare à la Pâque. Comme il n’y a pas de pâque sans croix et mise à mort, il n’y a pas non plus de conversion sans mise à l’épreuve, sans un travail intérieur ardu et souvent éprouvant.

En ce premier dimanche de carême, Jésus nous dégage le chemin et nous apprend à résister aux tentations qui pourraient nous faire dévier de notre mission et de notre vocation de baptisés, de consacrés. Là où le peuple de Dieu a failli et a succombé à la tentation, Jésus résiste et sort vainqueur après un affrontement avec le tentateur.

Jésus est conduit au désert en tant que Fils de Dieu et soutenu, accompagné par l’Esprit. C’est-à-dire que Jésus n’est pas seul en plein désert puisque l’Esprit de Dieu ne le quitte pas : il est rempli d’Esprit Saint ! Il n’est pas non plus sans identité puisque lors du baptême le ciel s’ouvre et l’Esprit descend sur Jésus et la voix venant du ciel affirme : « tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré ».

Retenons donc : Jésus est tenté par le diable en tant que Fils de Dieu et en présence de l’Esprit. En cela, il est le prototype de tous les fils de Dieu qui veulent se laisser conduire par l’Esprit de Dieu.

Trois tentations hautement symboliques sont décrites une à une dans l’évangile de Luc :

La première concerne la faim et le pain ; le désir impératif de satisfaire immédiate le besoin de nourriture. Il n’y a pas de situation plus violente et troublante que d’être affamé. On peut perdre la raison ! Souvenez-vous, lorsque le peuple de Dieu commence sa traversée du désert, très vite, il a faim. Le peuple récrimine contre Moïse et Aaron et doute ainsi du projet de Dieu : « Ah si nous étions morts de la main du Seigneur au pays d’Egypte, quand nous étions assis près du chaudron de viande, quand nous mangions du pain à satiété ! Vous nous avez fait sortir dans ce désert pour laisser mourir de faim toute cette assemblée ! » (Ex 16,3). Satisfaire immédiatement les besoin…. Voilà la première tentation. Qu’est-ce qu’il y a de mauvais, pourrait-on se demander, de vouloir transformer en pain une pierre lorsque l’on est affamé ? Si Jésus cédait au diable en convertissant la pierre en pain pour satisfaire sa faim, il se comporterait comme un être tout puissant qui oublierait son humanité. Il userait de sa divinité en dépit de son humanité. L’humain doit passer par des médiations, autrement il n’est plus un être humain : le travail, la fatigue, l’effort, le temps… Voilà autant de médiations par lesquelles un être humain doit passer. Bref : on ne peut pas tout et on ne peut pas tout, tout de suite ! On pourrait résumer ainsi les choses : l’homme ne vit pas seulement de la « nourriture de l’immédiat ». 

La deuxième tentation a lieu dans un endroit élevé. Dans une vision instantanée tous les royaumes de la terre sont repérés et proposés par le diable à Jésus : « si tu te prosternes devant moi, je te donnerai tout ce pouvoir et la gloire de ces royaumes ». La tentation de la toute-puissance !!! On peut vendre son âme au diable de multiples manières, même de manière camouflée pour expérimenter la toute-puissance et en sortir de la frustration de l’impuissance et la sensation de ne servir à rien. Si Jésus cédait à la tentation de la toute-puissance il n’y aurait pas eu de salut. Il aurait fui devant la croix, il aurait laissé tout tomber à la première crise, à la première frustration, à la sensation de solitude et d’abandon. Dieu seul est maître de toute chose. À lui seul est la gloire, devant lui uniquement l’on doit se prosterner. En tant que Fils de Dieu il accepte et comprend que sa mission passe par l’impuissance de la croix et par le respect de la liberté de l’homme. Il est le Fils de Dieu, mais il reste obéissant et ne quitte jamais son humanité pour s’affranchir des difficultés, des échecs ou du rejet.

A Jérusalem sur le pinacle du Temple a lieu la troisième tentation. Le Temple et le lieu de l’adoration, des sacrifices, des Ecritures, de la loi… Tout cela concerne des médiations pour entrer en relation avec Dieu. Voilà la tentation de se passer des médiations humaines pour devenir enfant de Dieu. Ici le diable use diaboliquement les écritures : il les cite, il les connaît mais les manipule. Un usage diabolique des écritures est dénoncé. Jésus, lui en fait bon usage. Un enfant de Dieu, un être humain tout court, a besoin des médiations : le travail, l’effort, le vieillissement, les crises, les frustrations, la maladie… les bons moments, des petites satisfactions… pour s’humaniser. Et le disciple de Jésus, de quelles médiations a-t-il besoin ? De prière, de charité, de patience, de persévérance, d’une communauté chrétienne qui le soutienne, des vertus… Surtout il a besoin de la parole de Dieu : « tout près de toi est la Parole, elle est dans ta bouche et dans ton cœur », c’est le message de Paul aux Romains que nous avons lu.

Trois tentations hautement symboliques qui auraient détourné Jésus de sa mission et de son identité : l’immédiateté, la toute-puissance et le refus de passer par les médiations humaines. Jésus aurait pu se comporter uniquement comme en être divin tout-puissant, mais en quoi il aurait bénéficié l’humanité ? Il est devenu humain tout en étant le Fils de Dieu. Nous aussi tout en étant enfants de Dieu et tout en ayant l’Esprit Saint, nous sommes tentés de quitter notre humanité en refusant d’accepter notre lente maturation et notre difficile sanctification malgré l’exemple donné par Jésus. Regardons Jésus, il est notre modèle, il est notre maître !

Avec la prière d’ouverture de l’eucharistie de ce jour, qui peut être le programme de notre carême, prions le Seigneur de mieux le connaître en comprenant la manière comme il a déjoué les pièges du tentateur :

« Accorde-nous, Dieu tout puissant, tout au long de ce carême, de progresser dans la connaissance de Jésus-Christ et de nous ouvrir à sa lumière par une vie de plus en plus fidèle ».

Pour poursuivre la réflexion, une phrase d’un poète spirituel de notre époque, un moine de Ligugé :

 

« Si tu n’avances pas avec Jésus et en Jésus,

Prends garde que Jésus ne recule en toi,

Si tu ne t’enfonces pas dans le désert de Jésus,

 Prends garde de pas être déserté par Jésus.

 Car ce désert-là serait de désolation, tandis que l’autre est de plénitude.

Que si tu te risques en ton propre désert, ne le fais qu’en compagnie de Jésus :

 Il n’est pas bon pour l’homme de s’aventurer tout seul en soi ».

 

 (François Cassingena-Trévedy, Etincelles I, p. 44).

Roberto GOMEZ, CM 🔸

Trois tentations hautement symboliques qui auraient détourné Jésus de sa mission et de son identité : l’immédiateté, la toute-puissance et le refus de passer par les médiations humaines. Jésus aurait pu se comporter uniquement comme en être divin tout-puissant, mais en quoi il aurait bénéficié l’humanité ?

Saint Vincent de Paul et la Communauté (IV et conclusion)

Saint Vincent de Paul et la communauté (IV et conclusion)

LE PÈRE CLAUDE LAUTISSIER, DIRECTEUR DES ARCHIVES DE LA CONGRÉGATION DE LA MISSION À LA MAISON-MÈRE DE PARIS, NOUS OFFRE UN ARTICLE (NUMÉRISÉ) DU PÈRE JEAN MORIN AUTOUR DES ORIGINES DE LA “COMMUNAUTÉ” TELLE QUE SAINT VINCENT DE PAUL L’A CONÇUE POUR LES CONFRÈRES DE SON TEMPS ET QUE NOUS POUVONS RELIRE À LA LUMIÈRE DE NOTRE EXPÉRIENCE ACTUELLE. NOTRE VIE EN COMMUN DESTINÉE À LA MISSION LE PÈRE MORIN N’ARRÊTE PAS DE NOUS LE DIRE ! BONNE LECTURE DE CES DEUX PREMIÈRES PARTIES.

IV. Saint-Lazare et l’approbation de la Compagnie (1632 – 1633)

1. L’entrée à Saint-Lazare (8 janvier 1632)

Le Contrat d’union du Prieuré de Saint-Lazare à la Congrégation de la Mission fut signé le mercredi 7 janvier 1632 et la prise de possession se fit dès le lendemain. A en croire le0 curé de Saint-Laurent, M. de Lestocq qui servit d’intermédiaire au cours des tractations, il fallut insister toute une année (1631) pour amener saint Vincent à accepter ce très vaste couvent et cet enclos le plus vaste de Paris (Coste, Le grand saint… I, 191).

Dans son “Guide de saint Vincent de Paul à travers Paris” p. l, Monsieur Chalumeau précise que les bâtiments s’étendaient le long de la rue du Faubourg Saint-Denis sur une longueur de 150 mètres environ et sur une profondeur de 200 mètres environ”. Il convient sans doute de mentionner au moins ces quelques chiffres pour se faire une idée du “retentissement” profond que dût avoir ce nouveau cadre de vie sur la jeune et petite communauté. M. Coste (o.c. p. 192) ajoute qu’il y avait une église de style gothique (petite et sans beauté, remontant au XIIIe siècle) et un cloitre. Ces quelques détails [59] autorisent peut-être à juger assez vraisemblable la première réaction que M. de Lestocq prêtée à saint Vincent :

“Il est vrai, Monsieur, que votre proposition m’épouvante ; elle me paraît si fort au-dessus de nous que je n’oserais y penser. Nous sommes de pauvres prêtres qui vivons dans la simplicité, sans autre dessein que de servir les pauvres gens des champs.” (XIII, 246)…

Quoiqu’il on soit et après intervention de M. Duval, saint Vincent finit par accepter et Saint-Lazare devient la Résidence de la Communauté, quelques confrères restant au Collège des Bons Enfants.

Une lettre de saint Vincent à M. de Lestocq (I, 137-141), datant de la période des pourparlers, fait état de difficultés concernant l’éventuel transfert de la Communauté à Saint-Lazare. Il s’agit du dortoir et du chœur. Pour le dortoir, saint Vincent redoute la cohabitation entre les Missionnaires et les quelques religieux habitant encore Saint-Lazare : “parce que nous observons le silence depuis le soir après la prière jusqu’au lendemain après le diner, que nous avons une heure de récréation ; et depuis la récréation jusques au soir après souper, auquel temps nous avons encore une heure de récréation, laquelle achevée, nous rentrons dans le silence, pendant lequel nous ne parlons que de choses nécessaires, et encore tout bas…”

Pour le chœur, il s’agit de savoir si les Missionnaires porteront l’habit des Chanoines (le domino et l’aumusse) et s’ils chanteront l’Office. La réponse de saint Vincent est évidemment négative : “…pour éviter à confusion et le soupçon que le parlement aurait que nous commencerions à devenir chanoines, et par conséquent que nous renonçons tacitement à notre dessein de travailler incessamment le pauvre peuple des champs …”

Même si saint Vincent insiste sur la rigueur du silence dans le but d’obtenir une meilleure autonomie de sa Communauté par rapport aux derniers habitants de Saint-Lazare, cette lettre suggère bien le grand problème qui dût se poser à la jeune Communauté Missionnaire prenant possession de cet imposant Couvent. L’argument mis en avant contre le domino, l’aumusse et l’Office chanté est sans douta plus fondamental et essentiel : les Missionnaires doivent être et apparaître travaillant incessamment pour le pauvre peuple des champs.”

Las conditions et le style de vie en résidence ne peuvent être en contradiction avec cet essentiel de la vocation des Prêtres de la Mission. Et saint Vincent conclut qu’il élimerait mieux que nous demeurassions toujours en notre pauvreté que de détourner le dessein de Dieu sur nous”

Ce même 8 janvier 1632, l’archevêque de Paris approuvait l’union de Saint-Lazare à la Mission en précisant entre autres : que les Prêtres de la Mission seraient tenus à réciter l’office divin “in choro alta voce sine cantu”, que douze au moins devraient résider en la maison dont huit prêtres, qui assureraient des missions dans le diocèse de Paris et recevraient les Ordinands (XIII, 248-254). Même sans prendre à la lettre chacune de ces prescriptions, ce document – lui aussi – donne une idée d’une certaine évolution du style communautaire imposée par ce transfert de résidence.

2. La Bulle d’érection de la Congrégation de la Mission (12 janvier 1633)

1. La mission romaine de M. du Coudray

En juin et août 1028, on l’a vu plus haut, saint Vincent écrivit deux suppliques au Pape Urbain VIII en vue d’obtenir l’approbation de Rome pour la Congrégation, et le 22 août, la demande était pratiquement rejetée par la Propagande. (XIII. 225).

En 1631, saint Vincent reprend l’affaire et envoie M. de Coudray sur place pour y défendre le dossier. Le 20 juillet 1631, il lui écrit : “Vous voilà enfin arrivé à Rome” (I, 114), et c’est un échange de correspondance sur les délicates tractations. [60]

Cinq lettres de saint Vincent à M. du Coudray ont été conservées sur cette période.

L’argument essentiel et à mettre en avant est toujours la nécessité du pauvre peuple :

“Vous devez faire entendre que le pauvre peuple se damne, faute de savoir les choses nécessaires à salut et faute de se confesser. Que si Sa Sainteté savait cette NÉCESSITÉ, elle n’aurait point de repos qu’elle n’eût fait son possible pour y mettre ordre…” (I, 115).

Et pour appuyer cette argumentation, saint Vincent consulte les théologiens. Le 4 septembre 1631, il envoie un billet à Du Coudray : « Un grand personnage en doctrine et en piété me disait hier qu’il est de l’opinion de saint Thomas : que celui qui ignore le mystère de la Trinité et celui de l’Incarnation, mourant en cet état, meurt en état de damnation et soutient que c’est le fond de la doctrine chrétienne. Or cela me toucha si fort et me touche encore que j’aie peur d’être damné moi-même, pour n’être incessamment à l’instruction de pauvre peuple… » (I, 121)

Mais les oppositions se manifestent et les retards se multiplient. Dix ans plus tard, saint Vincent écrira au supérieur de Rome :

L’esprit de ce pays-là est réservé, temporisant et considérant, aime et estime les personnes qui vont piano, piano et se garde extrêmement de celles qui vont vite…! » (II, 263). Du Coudray souhaite employer des procédés un peu « contournés », mais saint Vincent, le 23 décembre 1631, juge la chose « assez ingénue » et ajoute : “Qui dit les choses tout bonnement comme elles sont, et se soumet, Dieu agrée, comme je crois, ce procédé. La vérité et l’humilité s’accordent bien ensemble.” (I, 144)

La lettre du 12 juillet 1632 (I, 162-165) surtout est à lire pour se faire une idée des difficultés et oppositions comme de la sainte opiniâtreté de saint Vincent.

« …car, il est vrai, on tache à nous brouiller, comme vous m’avez mandé ; et cela jusqu’à la personne de laquelle nous devrions espérer la plus grande assistance après Dieu. Mais tout cela ne m’étonnerait pas sans mes péchés, qui me donnent sujet de craindre non pas le succès de la chose, qui tôt ou tard se fera, de delà comme de deçà mais je ne saurais vous exprimer combien les artifices m’étonnent… »

N.B. : On trouvera dans les Annales de 1926 (p.140 à 144) et de 1941-1942 (p.27-31), le texte définitif de la requête présenté par M. Du Coudray, au nom de saint Vincent. Il fut présenté non à la Propagande, comme en 1628, mais à la Congrégation des Évêques et Réguliers avec l’adresse suivante : « à Sa Sainteté pour l’Érection d’une Mission de Prêtres séculiers en France ». Il n’est pas nécessaire d’analyser ici ce texte puisqu’il sera pratiquement repris en totalité dans la Bulle d’érection.

2. La Bulle Salvatoris Nostri (12 janvier 1633)

Le latin se trouve en XIII 257-267 et une traduction en français est proposée dans les Annales 1941-1942, p. 32-40. La « vie de Communauté » de la nouvelle Congrégation, en tant que telle n’y est pas directement traitée, mais on peut cependant remarquer que :

  1. C’est incontestablement, une communauté apostolique qui est officiellement approuvée dans ‘Salvatoris nostri’. Le « but particulier » de l’Institut est ainsi défini : “cum propria salute, in eorum salutem incumbere qui in villis, pagis, terris, locis et oppidis humilioribus commoruntur.”

On remarquera l’expression cum propria salute”. Une étude serait à faire sur l’histoire et l’évolution de ce qui deviendra, dans les Règles Communes de 1658, la première fin de la Compagnie : Propriae perfectioni studere. On s’appuie parfois sur ce 1° § des Règles Communes pour contester ou nuancer la primauté de la Mission et le [61] caractère nettement Apostolique de la Congrégation. Il semble bien que, pour saint Vincent, cette exigence de sainteté personnelle n’ait jamais remis en cause la fin nettement missionnaire de l’Institut.

Dans le Contrat de Fondation du 17 avril 1625, la perfection personnelle n’est mentionnée que comme condition sine qua non pour un travail Apostolique valable : (XIII, 198-199)…

Même perspective dans le premier Contrat d’Association (XIII, 204).

Par contre, on peut lire dans la supplique à Urbain VIII (1er août 1628) : “quorum principale ac praecipuum institutum erit propriae perfectioni et incolarum rure degentium totaliter incumbere.” (I, 47,55)

Pour comprendre l’esprit de Propriae perfectioni studere des Règles Communes, le mieux est sans doute de se reporter à la Conférence du 6 décembre 1658 où saint Vincent lui-même s’explique sur La Fin de la Congrégation de la Mission (XII, 73 et suiv.). La perfection personnelle y est mise en relation avec les exigences de la Mission :

“Notre-Seigneur étant venu au monde POUR sauver les hommes, a commencé à faire et nuis à enseigner” Le dessein de la Compagnie est d’imiter Notre-Seigneur, c’est-à-dire qu’il faudra d’abord pratiquer et vivre ce que l’on prêchera. Saint Vincent, tout au long de cette Conférence, unit dans une même vue MISSIONNAIRE, dons un même projet missionnaire, ce qu’il sera toujours dangereux de vouloir séparer (perfection et mission).

Le “cum propria solute, in eorum salutem incumbere” de la Bulle Salvatoris nostri suggère cette relation entre perfection et Mission et cette unité dans la visée Missionnaire.

  1. Sur le problème « Autonomie et Insertion », la Bulle entérine les « maximes fondamentales » que saint Vincent rappelait à M. du Coudray, deux ans auparavant : Supérieur général à vie, Monsieur Vincent puis ses successeurs se voient reconnus tous les droits de direction de la Compagnie, maisons, personnes et biens” relativement aux Missions seulement, les Ordinaires des lieux, ainsi qu’il a été dit, garderont leur autorité ; et mention est également faite des droits des curés. Pour les Ordinaires des lieux, il est précisé : “Qu’ainsi qu’il leur semblera bon, ils pourront envoyer, dans les diverses parties de leurs diocèses, les sujets de ladite Congrégation qui seront désignés par leurs supérieurs…”.

Quand aux curés il est précisé : “Pour tout cela, ils obtiendront auparavant la permission du curé de l’endroit, sans cette autorisation, ils n’entreprendront rien des susdits emplois…”

 

Conclusions Générales

De ce rapide survol de l’expérience communautaire de saint Vincent, jusqu’en 1633, on peu dégager plusieurs constatations et risquer quelques conclusions.

 

1. Une Communauté apostolique

La Communauté de la Mission est bien une Communauté Apostolique. On retrouve constamment cette affirmation, dans pratiquement tous les textes officiels, depuis le Contrat de Fondation du 17 avril 1625 jusqu’à la Bulle Salvatoris nostri :

On se met ensemble “pour s’appliquer entièrement et purement au salut du pauvre peuple.”  [62]

La Communauté est née des exigences de la Mission et elle est conçue, structurée en fonction de la Mission.

La mission, on l’a vu, est chronologiquement et logiquement antérieure à la Communauté. Il y eut Folleville « et la presse fut si grande » que M. Vincent ne put y suffire. D’où une première constatation : pour faire face au travail missionnaire, il faut être plusieurs. Pour les missions suivantes, dans les terres des de Gondi, on fait appel aux Pères Jésuites. Aide qui se révèle précieuse sans doute, mais qui demeure occasionnelle et irrégulière. D’où, nouvelle constatation dont on a l’écho dans le Contrat de Fondation lui-même : pour la Mission, il ne suffit pas d’être plusieurs, il y faut stabilité, disponibilité, unité… et c’est ainsi que l’on en vint à l’idée de la pieuse association de quelques ecclésiastiques, pour selon le bon plaisir des prélats, s’appliquer entièrement et purement au salut du pauvre peuple. (XIII, 198)

C’est ainsi que la Communauté naquit des exigences mêmes de la Mission et que, progressivement elle se structure. On a pu remarquer, par exemple, que même les temps de « résidence » aux Bons Enfants, puis à Saint-Lazare sont, en grande partie consacrés à ce que l’on pourrait appeler la « formation professionnelle » des Missionnaires (on s’exerce à la controverse, on étudie le petit Bécan, on fait maints exercices de prédication… etc)

Il s’agit bien, semble-t-il, d’une Communauté de travail pour la Mission.

 

2. Insérée… mais Autonome

La Situation de cette Communauté Apostolique dans l’Église a été, dès le début, un problème grave et délicat. Et, sur ce point, ce sont encore les exigences pastorales de la Mission qui ont prévalu. Malgré son ton polémique, « l’opposition des Curés de Paris » cerne bien la question. Il s’agit bel et bien de la relation entre la pastorale « ordinaire et locale » et « l’intervention Missionnaire »… ce que les curés de Paris appellent « cette extraordinaire Mission ».

Il est ainsi intéressant de noter que dès les tout débuts de la Communauté, il s’est avéré bien difficile d’être dans la Pastorale de l’Église, avec l’Évêque et tous les responsables locaux, tout en demeurant soi-même et fidèle au Charisme missionnaire.

Il est surtout intéressant de voir comment saint Vincent tenait fermement les deux bouts de la chaîne : « laisser le pouvoir aux évêques d’envoyer les missionnaires dans la part de leur diocèse qu’il leur plaira ; les missionnaires seront soumis aux curés où ils font la mission pendant le temps d’icelle ; que le supérieur de la Compagnie ait l’entière direction d’icelle… » et saint Vincent ajoutait, on l’a vu : “Baste pour les paroles ; mais pour la substance, il faut qu’elle demeure entière …” (I, 116)

Saint Vincent demeura toujours très ferme sur ces principes. C’est ainsi que le 11 août 1660, quelques jours avant sa mort, il écrivait à l’Évêque de Lescar : « les missionnaires se sont donnés à Dieu et à messeigneurs les prélats pour leur obéir » comme les serviteurs de l’Évangiles à leur maître, en sorte que leur disant : Allez en tel lieu prêcher, catéchiser et faire les autres fonctions de la Mission, ils sont obligés d’y aller, et quand ils les rappellent, de revenir ; et quand ils leur disent : « Faites cela, ils doivent le faire, selon notre Institut. »

Mais, pour le regard de la conduite intérieure des familles et des personnes de notre Congrégation, en quelque lieu qu’elles soient, elle demeure à leur supérieur général. C’est à lui à les changer, à les appeler et rappeler d’une maison à une autre, de nommer les supérieurs particuliers et les autres officiers, d’envoyer de temps en temps des visiteurs de sa part en chaque lieu, pour y maintenir la charité et l’observance des règles, recevoir les comptes de la dépense et de la recette … etc (VIII, 362)  [63]

Ainsi donc, devaient se concilier ce que nous appellerions aujourd’hui l’insertion pastorale, la mobilité et disponibilité missionnaires, et l’autonomie juridique de l’Institut : Droit est reconnu aux évêques d’utiliser les missionnaires, là où ils le veulent dans leur diocèse, à la condition toutefois (on l’a remarqué) qu’il s’agisse bien de la fonctions de la Mission », mais le supérieur se réserve la conduite des Communautés (familles) et personnes, et le droit de nommer, rappeler et changer de maison… etc.

 

3. Vivre en Commun

C’est là l’expression même employée dans le Contrat de Fondation du 17 avril 1625, expression qui d’ailleurs est reprise dons la plupart des textes officiels. Et effectivement dès les tout débuts de la période des Bons-Enfants, tous les témoignages concordent : il s’agit bien d’une « Vie en commun », tant au cours des missions que pendant les longs mois de résidence. En Mission, puis pour les Ordinands, on se répartit le travail ; « en résidence », on se prépare ensemble, on prie ensemble, on vit de la « bourse commune »… Cette « vie en commun » dut se structurer sinon s’uniformiser progressivement, et ce, à l’exemple des religieux, comme il est dit dans la lettre de saint Vincent au pape Urbain VIII. (On reviendra sur le processus de cette évolution). Les Avis donnés à la retraite annuelle de 1632 (XI, 100-102) sont déjà très significatifs, par exemple ce paragraphe : « Observer inviolablement aux Missions tout ce qui suit : 1) se lever à 4 heures et se coucher à 9 heures ; 2) faire son oraison ; 3) dire son office avec les autres ; 4) aller à l’église et en sortir avec les autres ; 5) dire la messe à son tour ; 6) ne point sortir de l’église sans permission, disant la couse au supérieur ; 7) faire lecture durant le repas ; 8) tous les vendredis tenir chapitre. »

 

4. La Communauté de Biens

Des 1625, le statut « économique » de la Communauté semble des plus clairs et précis. Il n’y a là rien de bien étonnant puisque le Contrat du 17 avril 1625 est d’abord un Contrat de Fondation au sens économique du terme. M. et Mme de Gondi « fondent l’Association » et les quelques six ecclésiastiques prévus vivront des revenus de la somme de 45 000 livres allouées par « les Fondateurs ».

Par la suite, saint Vincent demeurera fidèle à ce statut économique et multipliera les Fondations, c’est-à-dire que Prêtres et Frères de la Mission vivront de « revenus », parfois modestes, mais réguliers et les mieux assurés possible. Ce statut économique des Communautés a certainement eu sa gronde importance et influence sur la psychologie et la mentalité de la Compagnie. Une comparaison par exemple avec le statut économique des Filles de la Charité serait des plus instructives.

Mais plus encore que le statut lui-même, cc sont les motivations du choix de saint Vincent qui sont significatives. Elles sont surtout d’ordre pastoral et dictées par les exigences de la Mission. Deux impératifs, en effet, sont nettement mentionnés dans le Contrat de Fondation :

1. Pour s’appliquer entièrement et purement au soin du pauvre peuple, les Missionnaires doivent renoncer expressément à toutes charges, bénéfices et dignités, comme à tout ministère dans les villes.

2. Ils doivent, de par ailleurs, « aux dépends de leur bourse commune, prêcher, instruire, exhorter et catéchiser ces pauvres gens… sans en prendre aucune rétribution en quelque sorte ou manière que ce soit. »

Les Missionnaires ne vivront donc ni de leurs ressources personnelles auxquelles ils doivent renoncer pour être entièrement à la Mission, ni du fruit de leur travail qui devra être totalement gratuit. D’où la solution de la Fondation et des revenus : « …il n’est pas de nous comme des mendiants, écrira saint Vincent le 20 septembre 1652, ils n’ont qu’à planter le piquet et les voilà établis. Mais, à nous, qui ne prenons rien pauvre peuple, il nous faut du revenu… » (IV, 4 80)  [64]

C’est sur cette base économique que se greffera notre style de pauvreté : une pauvreté dans le travail missionnaire, une pauvreté dans le partage.

Dans le travail missionnaire, car nous vivrons de « revenus » alloués pour que nous évangélisions les Pauvres

Dans le partage intégral, car fondations et revenus sont à la communauté et constitueront ce que le Contrat appelle la « Bourse commune ».

 

5. D’une équipe missionnaire à une communauté à l’exemple des Religieux…

Reste à dire un mot du « processus » de structuration de la Communauté, de 1624 à 1633. La Communauté, on l’a vu, semble bien être née de la Mission, des exigences concrètes des missions, et le témoignage de saint Vincent, en XII, 7-8, évoque plus le style de vie de ce que nous appellerions aujourd’hui « une Équipe Missionnaire » que celui d’une Communauté : “…Nous nous en allions ainsi tous les trois prêcher et faire la Mission de village en village. En partant, nous donnions la clef à quelqu’un des voisins, ou nous-mêmes  » nous les priions d’aller coucher la nuit dans la maison…”

Dans ce témoignage, l’important est manifestement la Mission, les courses missionnaires de village en village et la « résidence » …on confie la clef… ! apparaît comme assez secondaire.

Par contre, avec et après le Contrat de Fondation, la « résidence » semble prendre de plus en plus d’importance. On devine comme un phénomène de sédentarisation de la Communauté missionnaire. Devant tenir compte du rythme des travaux agricoles, les mois de juin, juillet, août, septembre, se passeront à la « maison commune », plus quinze jours après chaque mois de Missions pendant le reste de l’année. Même si ce rythme ne fut guère respecté, les missions semblant se prolonger et se succéder souvent au détriment des temps de résidence, ces périodes relativement nombreuses et longues en la « maison commune » ont certainement contribué pour une large part à une première structuration de type « religieux » de la vie Communautaire.

Autre élément très important dans ce « processus », l’Œuvre des Ordinands, après 1628. On reçoit des Ordinands, puis des réunions d’ecclésiastiques dans la maison. Cela devient vite très exigeant pour la Communauté qui se doit de donner l’exemple d’une vie très régulière. Saint Vincent rappelle souvent à sa Communauté cette responsabilité :

“…Oh, quel bonheur de ce que non seulement Dieu veut se servir de pauvres gens comme nous, sans science et sans vertu, pour aider à redresser les ecclésiastiques déchus et déréglés, mais encore à perfectionner les bons, comme nous voyons par se grâce que cela se fait. Que bienheureux êtes-vous, Messieurs, de répandre par votre dévotion, douceur, affabilité, modestie et humilité, l’esprit de Dieu dans ces âmes, et du servir Dieu en la personne de ses plus grands serviteurs que vous êtes heureux, vous qui leur donnerez bon exemple aux conférences, aux cérémonies, au chœur, au réfectoire et partout.” (XI, 10)

Ainsi, la maison Commune se doit de devenir « exemplaire ».

Enfin, il y eût le transfert à saint-Lazare, dans un cadre, on l’a vu, assez grandiose… même si tout était bien loin d’être en bon état. On peut imaginer le « choc » que produisirent sur la jeune Communauté Missionnaire ce nouveau cadre de vie, et le retentissement que cela pût avoir sur les comportements. La résidence est, pratiquement, devenue « un Couvent ». Certes, les activités missionnaires demeurent l’essentiel, mais le style de vie semble se régulariser de plus en plus. A tel point que désormais, le style de vie de Saint-Lazare devient comme le type et l’exemple proposés à toutes les autres communautés. Beaucoup plus tard, en 1655, saint Vincent parlera ainsi aux confrères de Saint-Lazare : [65]

“… Un autre motif est l’exemple que nous devons à toutes les personnes qui viennent céans et qui nous voient et nous considèrent depuis les pieds jusqu’à la tête, qui viennent ici pour se récolliger, pour apprendre la manière de bien vivre, tant d’ecclésiastiques qui passent ici, les ordinands, les exercitants… ceux des autres maisons disent : À Saint-Lazare, on fait comme cela. Et ainsi, voilà comme tout s’en va en décadence … Voyez-vous, mes frères, la copie n’est point, pour l’ordinaire, mieux faite que l’original ; s’il y a des fautes en l’original, pour l’ordinaire il y en a dans la copie. La maison de Saint-Lazare, c’est l’original, sur laquelle les outres maisons et toutes les personnes qui y viennent prennent exemple et tirent copie…” (XI, 206-207)

Il convient cependant de ne point trop idéaliser « l’original ». Par exemple, concernant la régularité de l’office, ensemble et au chœur, imposée aux résidants de Saint-Lazare par le Contrat (XIII, 234-244)… On sera peut-être surpris de lire en XII, 334 : qu’il y a vingt ans (nous sommes en 1659 !!) que cet usage est tombé en désuétude : c’est une coutume introduite à présent dans Saint-Lazare, de n’aller plus au chœur, si ce n’est ceux du séminaire… et saint Vincent s’en humilie.

Sans donc exagérer le « caractère régulier » et exemplaire de la Communauté de Saint-Lazare, on peut remarquer, au terme de cette étude, comme une évolution progressive du style de vie en communauté. Certes, la Communauté demeure nettement et prioritairement apostolique, mais il semble évident que le style de vie se structure réellement « à l’exemple des religieux », selon la formule de saint Vincent dans la lettre au Pape Urbain VIII, et ce, d’abord dans les résidences, puis dans les missions où seront conservés et observés tous les usages de la résidence compatibles avec le travail missionnaire, l’Œuvre des Ordinands et des exercitants d’une part, et le « cadre » de Saint-Lazare d’autre part ayant très vraisemblablement contribué à l’accélération de ce processus.

Jean MORIN, CM 🔸

Sans donc exagérer le « caractère régulier » et exemplaire de la Communauté de Saint-Lazare, on peut remarquer, au terme de cette étude, comme une évolution progressive du style de vie en communauté. Certes, la Communauté demeure nettement et prioritairement apostolique, mais il semble évident que le style de vie se structure réellement « à l’exemple des religieux », selon la formule de saint Vincent

Jean MORIN
Explications :

Article parut dans le Bulletin Lazaristes de France, n. 41, octobre 1973, pp. 46-65

Numérisé par Le père Claude LAUTISSIER  le 19 décembre 2018

Dimanche 1 Carême – C (Lc 4,1-13). Méditation

Dimanche 1 Carême – C (Lc 4,1-13)

NE PAS NOUS DÉTOURNER DE JÉSUS

Les premières générations chrétiennes se sont beaucoup intéressées aux épreuves que Jésus a dû surmonter pour rester fidèle à Dieu et pour collaborer toujours à son projet de construire une vie plus humaine et plus digne pour tous.

Le récit des tentations de Jésus n’est pas un épisode isolé, qui a lieu à un moment et à un endroit, particuliers. Luc nous avertit qu’en finissant ces tentations «le diable a laissé Jésus jusqu’à une autre occasion». Les tentations reviendront dans la vie de Jésus et dans celle de ses disciples.

C’est pour cela que les évangélistes placent ce récit avant de raconter l’activité prophétique de Jésus. Ses disciples doivent bien connaître ces tentations dès le début, car ce sont les mêmes qu’ils devront surmonter au cours des siècles s’ils ne veulent pas se détourner de lui.

Dans la première tentation, on parle de pain. Jésus refuse d’utiliser Dieu pour satisfaire sa propre faim: «l’homme ne vit pas seulement de pain». La première chose pour Jésus est de chercher le royaume de Dieu et sa justice: qu’il y ait du pain pour tous. C’est pourquoi il aura recours un jour à Dieu, mais ce sera pour nourrir une foule affamée.

Dans la deuxième tentation, il est question de pouvoir et de gloire. Jésus renonce à tout cela. Aujourd’hui encore, notre tentation est de ne penser qu’à notre pain et de nous soucier exclusivement de notre crise. Nous nous détournons de Jésus quand nous croyons avoir le droit de tout avoir et nous oublions le drame, les peurs et les souffrances de ceux qui manquent de presque tout.

Il ne se prosternera pas devant le diable qui lui offre l’empire sur tous les royaumes du monde. Jésus ne cherchera jamais à être servi mais à servir.

Aujourd’hui encore, certains chrétiens sont tentés de maintenir à tout prix le pouvoir que l’Église a eu par le passé. Nous nous détournons de Jésus quand nous faisons pression sur les consciences en essayant d’imposer nos croyances par la force. Nous ouvrons la voie au royaume de Dieu lorsque nous travaillons pour un monde plus compatissant et solidaire.

Dans la troisième tentation, il est demandé à Jésus de descendre de façon grandiose devant le peuple, soutenu par les anges de Dieu. Jésus ne se laisse pas tromper. Même si on le lui demande, il ne fera jamais un signe spectaculaire du ciel. Il consacrera sa vie à faire des signes de bonté pour soulager la souffrance et les maux des gens.

Nous nous détournons de Jésus quand nous confondons notre propre ostentation avec la gloire de Dieu. Notre exhibition ne révèle pas la grandeur de Dieu. Seule une vie d’humble service envers les nécessiteux manifeste et répand son Amour.

José Antonio Pagola / Traducteur: Carlos Orduna 🔸

Nous nous détournons de Jésus quand nous confondons notre propre ostentation avec la gloire de Dieu. Notre exhibition ne révèle pas la grandeur de Dieu. Seule une vie d’humble service envers les nécessiteux manifeste et répand son Amour.

José A. Pagola
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