Solennité de Christ Roi de l’univers 2022 (homélie)

Cela est beau à entendre, mais difficile, très difficile, à comprendre. Figurez-vous, le roi de l’univers est un crucifié. Jésus crucifié est le roi de l’univers ! Quelle ironie et quel contraste avec la manière humaine de concevoir la royauté et la puissance.

Solennité de Christ Roi de l’univers 2022 (homélie)

Roberto GOMEZ
Roberto GOMEZ

Chères sœurs, chers frères :

C’est la solennité de Christ roi de l’univers ! Cela est beau à entendre, mais difficile, très difficile, à comprendre. Figurez-vous, le roi de l’univers est un crucifié. Jésus crucifié est le roi de l’univers ! Quelle ironie et quel contraste avec la manière humaine de concevoir la royauté et la puissance. 

Certes, Jésus le crucifié est au centre de l’Evangile et plus précisément il est au centre de la scène décrite par l’évangile de Luc. Mieux encore, il est crucifié au milieu de deux larrons, de deux voleurs publiquement exécutés avec Jésus. Il faut dire encore que tous les personnages décris par le récit de l’évangile sont concernés par celui qui est suspendu au bois de la croix ; mais un seul, le bon larron, perce le mystère : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume ».

Saint Cyrille d’Alexandrie, un père de l’église du cinquième siècle, questionnait déjà le bon larron : « Tu le vois crucifié et l’appelles roi ? Tu crois que celui qui supporte les moqueries et la souffrance parviendra à la gloire divine[1]? » ; en d’autres mots : ce condamné qui vient d’être cloué tout nu sur une croix que peut-il révéler de la gloire de Dieu et de sa puissance ? Il a raison de poser ce genre de questions Cyrille d’Alexandrie : un crucifié peut-il prétendre à la royauté et à la fonction de Messie ? C’est du jamais vu !

Le sarcasme des autorités, les moqueries des soldats, les injures du supplicié expriment le même étonnement et mettent en avant le paradoxe : le roi des juifs est un supplicié, un crucifié. Jésus le crucifié, usurpe le titre de roi messianique  et de manière ironique chacun à son tour le défi de démontrer son prétendu messianisme et sa capacité à délivrer de la mort : « Il en a sauvé d’autres, qu’il se sauve lui-même, s’il est le Messie de Dieu, l’Élu » crient les autorités.  « N’es-tu pas le Christ, sauve-toi toi-même et nous aussi », lâche l’un des malfaiteurs. La question est simple et dramatique : que peut promettre de bon un crucifié ? A l’époque on attendait le Messie, celui-ci devait être un élu de Dieu, habilité par lui pour guérir, pardonner et offrir le salut. Ce Jésus-là, que peut-il offrir de bon ? Un roi sans pouvoir est tout simplement dérisoire.

Il semblerait que Luc l’évangéliste devine le malaise et le malentendu crées par la scène brutale et dramatique de la crucifixion du roi des juifs. Surgit alors l’autre supplicié, que nous avons convenu d’appeler « le bon larron ». Il semble voir clair et saisir ce qui se joue justement sur le Golgotha. Il appelle Jésus par son prénom ;  de crucifié à crucifié, de condamné à condamné, il lui parle : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu seras don ton royaume ».

Il commence par reconnaître sa faute et sa responsabilité tout en déclarant l’innocence de Jésus. Il craint Dieu et reconnaît mystérieusement la puissance de Dieu révélée dans la faiblesse de ce Jésus crucifié. « Si le premier supplicié va rater sa mort comme il a raté sa vie puisqu’il insulte Jésus ;  le second reconnaît sa mort mais il le fait face à Dieu[2] ». Jésus lui promet le paradis aujourd’hui même. Jésus crucifié qui n’a pas répondu aux moqueries et aux insultes, ouvre la bouche pour assurer au supplicié repenti le paradis de Dieu, son salut total et définitif. 

La croix du Christ, la mort du Christ est féconde ; c’est en donnant sa vie qu’il nous donne la Vie. Souviens-toi de moi…voilà l’insistance du bon larron. Et Jésus se souviens de lui à cet instant même, et à cet instant même il se souvient de tous les larrons, même les plus gros. Le bon larron va mourir en faisant appel à la mémoire de Dieu. C’est la meilleure garantie face à la mort. Existe-t-il une meilleure manière de mourir ? C’est ainsi même que Jésus va mourir : « Père entre tes mains je remets mon esprit ».

Cette page de l’évangile et cette fête de Jésus-Christ Roi de l’univers  nous invitent à méditer sur le mystère de la croix et sur le paradoxe de la croix. La royauté du Chris est révélée dans un Christ faible et aussi dans cette puissance de la faiblesse du crucifié. Alors que notre monde on veut régner par la puissance, la tyrannie, la violence, l’opulence, le mépris des  petits, Jésus veut régner en donnant sa vie, en offrant sa vie comme récompense et libération de toutes nos fautes.

Frères et sœurs en ce dernier dimanche de l’année liturgique rendons grâce à Dieu le Père comme nous y invitait Paul. Il nous a  rendus capables, disait-t-il, d’avoir part au royaume de Dieu ; il nous a fait entrer dans le royaume de son Fils bien-aimé ; et ce Fils bien-aimé nous a ouvert le royaume en mourant sur une croix, en acceptant précisément la dérision et en nous invitant à percer comme le bon larron le mystère et le paradoxe de la croix.

Que le Seigneur nous donne la grâce de faire confiance à ce Dieu qui se donne. Qu’il nous donne la grâce d’accepter sa royauté toute  humble, toute petite, toute faite d’amour et de miséricorde.  Amen.  

Roberto Gómez cm

Paris, Rue du Bac

Le 20 novembre 2022

[1] Commentaire de Luc, Homélie 153.

[2] François Bovon, L’Evangile selon Luc,  CNT IIId, Genève, Labor et Fides, 2009, p. 372.

[printfriendly]

PRESENTATION A L’ASSEMBLEE GENERALE DU PROJET DE RENOVATION DE LA MAISON-MERE DE LA CONGREGATION DE LA MISSION

Cette maison est un patrimoine  spirituel et matériel de toute la Congrégation et non pas seulement de la Province de France. Nos racines et notre histoire en tant que Congrégation sont définitivement imbriquées avec cette édifice qui a évolué sans cesse au long des deux derniers siècles. Son histoire est passionnante en son avenir prometteur.

PRESENTATION A L’ASSEMBLEE GENERALE DU PROJET DE RENOVATION DE LA MAISON-MERE DE LA CONGREGATION DE LA MISSION

Roberto GOMEZ
Roberto GOMEZ

Il m’a été demandé de vous rendre compte du projet de rénovation de la Maison-Mère de la Congrégation de la Mission. Merci de m’avoir donné l’occasion de le faire. Cette maison est un patrimoine  spirituel et matériel de toute la Congrégation et non pas seulement de la Province de France. Nos racines et notre histoire en tant que Congrégation sont définitivement imbriquées avec cette édifice qui a évolué sans cesse au long des deux derniers siècles. Son histoire est passionnante en son avenir prometteur.

Permettez-moi de rappeler quelques éléments importants de l’histoire de la Maison-Mère pour mieux comprendre les enjeux, les tenants et les aboutissants  du projet de rénovation de notre Maison :

  1. La Congrégation de la Mission a trouvé son « Deuxième Berceau » au 95 rue de Sèvres il y a 205 ans. En effet, depuis le 9 novembre 1817 l’ancien hôtel de LORGES est devenu l’espace où la Congrégation de la Mission a retrouvé vie et vigueur après les événements de la révolution française. A ce moment-là, les membres de la  Congrégation étant dispersés ne possédaient pas un endroit où se rassembler dignement. Le Vicaire Général de l’époque, Mr Verbert, a obtenu de l’État français l’ancien hôtel de LORGES et une somme de 90 000  francs permettant l’amélioration du bâtiment et l’adaptation aux besoins de la Congrégation qui recommençait une nouvelle étape de son histoire. Les supérieurs généraux successifs ont donné forme et dynamisme à cette maison tout au long du XIX° et du XX° siècles.

A l’origine l’édifice était tout petit, étroit et inconfortable ; non adapté aux besoins de la Congrégation renaissante. Mr Etienne le décrira comme « l’étable de Bethléem ». Il n’y avait même pas une chapelle pour la célébration de la liturgie. La chapelle actuelle fut consacrée  le 1° novembre 1827 par l’archevêque de Pairs à cet époque, Mgr de Quélin (10 ans après notre arrivée). Les reliques de saint Vincent sont transférées en grande pompe le 25 avril 1830. Les tribunes et les bas-côtés seront construits bien plus tard entre les années 1855 et 1860 puisque la chapelle était devenue trop petite pour les lazaristes et les dévotions populaires.

Le reste de la maison se développe petit à petit selon les besoins de la Congrégation. La salle à manger fut élargie, d’autres locaux sont construits, les numéros 93 et le 97 rue de Sèvres sont acquis progressivement. C’est Mr Etienne qui finira l’ouvre bien commencée par Mr Verbert. La Congrégation de la Mission connaît alors une période florissante. Des missionnaires sont envoyés depuis la Maison-Mère dans le monde entier : l’Orient, la Perse, la Grèce, la Chine, l’Amérique Latine. Des missionnaires connus et moins connus ont laissé leur vie dans ces missions. Il suffirait d’interroger les confrères vivant dans ces provinces. La Maison-Mère est devenue progressivement le « deuxième berceau » de la Congrégation, le cœur  de la compagnie.

Pendant cette période nous ne sommes pas propriétaires de la Maison-Mère, mais locataires de l’État français.

  1. Le départ du Supérieur général et de la curie à Rome en 1963. Ce départ marquera une nouvelle étape dans la vie et le devenir de la Maison-Mère[1]. Le Supérieur général part à Rome et les ressources  économiques s’envolent avec lui. Jusqu’à ce moment, c’est la Curie qui prend en charge la transformation et la vie quotidienne de la Maison-Mère. Celle-ci est alors confiée aux bons soins de la province de Paris tout en gardant la désignation de « Maison-Mère de la Congrégation de la Mission ». Ce départ voulu par la Congrégation elle-même, change beaucoup de choses dans la grande maison tant au niveau pratique qu’au niveau de l’organisation ; vous pouvez l’imaginer ! Malgré le départ de la curie à Rome, la Maison-Mère continue d’être le cœur spirituel de la Congrégation, le lieu de la mémoire vivante de la Compagnie, la gardienne d’un patrimoine spirituel et matériel inestimables. Qu’il suffise de penser à la Chapelle et aux archives historiques.

Avant de poursuivre, je voudrais être clair : nous ne souhaitons ni ne demandons que la Curie Générale retourne à Paris. Il n’y a aucune ambigüité là-dessus de notre part.

Depuis 1963, la maison continue de s’adapter aux besoins des époques changeantes : des douches dans tous les étages (mais non pas dans le chambres),  des ascenseurs, des téléphones, puis l’internet. Le nombre des confrères vivant à demeure diminue lentement mais sûrement. Pour faire face économiquement parlant aux besoins, la Maison-Mère doit ouvrir ses portes pour accueillir des gens d’église, des laïcs, des associations  et une série d’événements ponctuels qui apporteront de la vie et des ressources à la maison.

Nous ne sommes toujours pas propriétaires de la maison. Nous sommes toujours locataires de l’État.

  1. Le 6 octobre 2006, l’État français nous rend propriétaires de toute la Maison-Mère[2]. Nous ne possédions en fait que le 93 et le 97 rue de Sèvres ainsi que les 88-90-92 rue Cherche Midi (anciens locaux de la Maison Provinciale de Paris). Désormais, cette maison est pleinement la nôtre ! Ce « cadeau » de l’État français change aussi beaucoup de choses. De fait, en 1986, le visiteur de l’époque, P. Claude Lautissier, avait signé un contrat (un bail en français) de longue durée avec le représentant de l’état pour une période de 65 ans. En 2051 on aurait dû quitter la Maison-Mère. Cela explique la difficulté d’entreprendre des travaux à long terme. On n’était pas chez nous.

La Maison-Mère est une maison de la Province de Paris d’abord puis de la Province de France, mais de par son histoire et son devenir elle a bien une dimension internationale : elle est la Maison-Mère de toute la Congrégation même si concrètement cela ne se vérifie pas ou peu dans les faits. Le CIF (Centre International de Formation) fut l’occasion d’ouvrir davantage la maison à l’international mais les confrères ne se sont pas toujours sentis accueillis comme confrères dans ces murs. Ils étaient de passage et avaient leur rythme de vie ; leur participation à la vie communautaire des confrères sur place s’est faite peu à peu en toute fraternité. Ce fut un premier pas mais cela ne fait pas pour autant que les confrères qui viennent des autres provinces se sentent vraiment chez eux à la Maison-Mère. Il nous faut le reconnaitre et nous vous demandons de bien vouloir nous pardonner.

  1. Projet de Rénovation de la Maison-Mère : dans l’automne 2019 la Province de France présente un projet de rénovation intégral de la Maison-Mère au Supérieur général et à son Conseil (cf. document Power point). Le but étant de refaire de la Maison-Mère le cœur de la Compagnie et de la famille vincentienne. Rendre cette maison accueillante, chaleureuse et à nouveau missionnaire. On pourrait dire de manière simple que nous sommes assis sur une mine d’or tellement la maison est grande, bien placée et les possibilités d’évangélisation illimitées. Les célébrations 400ème centenaire de la fondation de la Congrégation peuvent marquer un nouveau départ dans le devenir de notre Maison. Nous avons rêvé pouvoir célébrer cette assemblée générale 2022 dans une Maison-Mère rénovée. D’ailleurs, aux Philippines lors de la dernière rencontre des Visiteurs, une consultation avait été soumise dans ce sens-là. On était partis dans cette direction-là. Le P. Général a demandé alors au P. Mark Pranaitis de recollecter des fonds pour cette œuvre. La Covid étant arrivée, tout a été ralenti… hélas les travaux n’ont pas pu commencer comme prévu et l’argent n’a pas pu être collecté.

La Maison-Mère a besoin d’être rénovée. Elle est le patrimoine de chaque province et de chaque membre de la CM. Notre maison est au cœur de Paris. Nous sommes idéalement placés. Cette maison peut encore rendre d’immenses services à la Congrégation de la Mission, à la famille vincentienne, à l’église locale et universelle, aux pauvres, à l’évangélisation et au chantier immense de la charité. Le cœur de la « petite compagnie » continue de battre à Paris. Sa mémoire historique il faut la chercher dans les rues de Paris, dans ses institutions et bâtiments, dans la géographie nationale et les innombrables visages qui ont marqué son histoire.  Les premières missions ont eu lieu dans la campagne française, le génie de la charité affective et effective est né Châtillon les Dombes et à Folleville, à Villepreux… et dans l’âme de notre Père gascon.  Les reliques de saint Vincent (son corps et son cœur) sont vénérées à notre chapelle et à la Rue du Bac. Nous vénérons également dans notre chapelle les martyrs de Chine.

La Province de France s’est lancée depuis deux ans avec ses fonds propres dans la rénovation de la maison par étapes. 54 chambres ont été déjà rénovées.  Une partie étant réservée à un meilleur accueil des lazaristes et des gens d’église. Depuis le mois de janvier l’accueil de la maison est en chantier. Vous pourrez le constater de vos  yeux lors de votre prochaine visite à la Maison-Mère.

Il reste beaucoup à faire et la Province de France se rend compte qu’elle ne pourra pas toute seule mener à bien cet ouvre. Nous avons besoin d’idées, d’énergies, de personnes capables de s’investir dans un tel ouvrage et nous avons besoin aussi de recours financiers. Le P. Générale et la Curie ainsi que  le P. Mark ont déjà trouvé un million et demie de dollars. Mais il nous faut bien davantage pour que la Maison-Mère puisse proposer à toute la Compagnie et à la famille vincentienne un élan nouveau du côté de la charité  et des nouveaux services missionnaires.

La Maison-Mère est internationale, cela est un fait. La communauté locale actuelle compte 22 membres dont la moitié ne sont pas d’origine française. Nous voulons accueillir les confrères bien et mieux, nous savons que les célébrations du 400 centenaire de fondation de la CM sont une occasion propice (un kairos en langage biblique) pour redonner vie et dynamisme à ce « deuxième berceau » de la compagnie.

Pour tout cela, la Maison-Mère a besoin aujourd’hui de votre aide et soutien. Jadis, c’était la Compagnie, depuis la Maison-Mère qui créait, entretenait, venait en aide aux Provinces. Aujourd’hui, comme autrefois Jérusalem qui avait engendré les églises et a dû en recevoir une aide (Rm 15,26), à présent c’est la Maison-Mère qui a besoin de l’aide de ses enfants. N’est-ce pas là un juste retour des choses ?

Roberto Gomez cm

Supérieur de la Maison-Mère

Assemblée Générale de la CM

A Rome le 2 juillet 2022

[1] La province de Toulouse est créée en 1953, 10 ans avant le départ de la Curie générale à Rome. Un bon nombre de confrères et de ressources sont réservés pourque cette province puisse prendre de l’élan.

[2] Cf. Courrier du Ministère de l’Intérieur et de l’aménagement du territoire français du 6 octobre 2006, (Archives de la Maison-Mère). Le ministère de l’intérieur et celui des finances reconnaissent que les Lazaristes sont les propitierais de la parcelle cadastrale BD 04.

[printfriendly]

Homélie: Fête de la Sainte Trinité

La fête de la Sainte Trinité est la fête du lien et de l’unité. Lien et unité d’abord en Dieu lui-même. Cela est possible parce que Dieu est Père, Fils et sainte Esprit. Parce qu’il y a de l’unité et de la différence en Dieu lui-même.

Homélie: Fête de la Sainte Trinité

Roberto GOMEZ
Roberto GOMEZ

Chères sœurs et chers frères :

Aujourd’hui l’église toute entière fête Dieu qui vient à nous comme Père, Fils et Saint Esprit. C’est la solennité de la Sainte Trinité.

Ce mot « Trinité » n’apparaît pas dans la Bible, pas une seule fois ; par contre la réalité de la trinité de Dieu se dit et se lit dans l’histoire du salut. Dieu se révèle progressivement comme Père, comme Fils et comme Saint Esprit. C’est pour notre salut que Dieu se révèle tel qu’il est ; autrement Dieu ne se serait pas fait connaître comme tel. Redisons-le, c’est bel et bien pour notre salut et dans l’histoire que Dieu se fait connaître à travers son Fils et grâce au dynamisme et aux dons de l’Esprit.

Nous venons d’entendre Jésus dire à ses disciples : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter. Quand viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans la vérité toute entière » (Jn 16,13). Il semblerai donc que les disciples n’ont pas compris le mystère de Dieu se révélant dans son Fils Jésus-Christ. En tout cas pas complétement, tout comme nous. Ils auront besoin de temps ; mais plus encore ils auront besoin de l’aide de l’Esprit pour s’acheminer, pour marcher vers la vérité toute entière. Tel est le sens du verbe ὁδηγηω (hodéguéô : cheminer, marcher) choisi par l’évangile de Jean. L’Esprit est celui qui guide, qui conduit et qui fait marcher les disciples de Jésus vers la découverte de l’amour de Dieu. Nous ne pouvons pas connaître Dieu en dehors cette histoire trinitaire parce que Dieu se révèle dans l’histoire pour notre salut. Et notre histoire à nous est une marche vers Dieu à la suite du Christ, guidés et accompagnés par l’Esprit.

La fête de la Sainte Trinité est la fête du lien et de l’unité. Lien et unité d’abord en Dieu lui-même. Cela est possible parce que Dieu est Père, Fils et Saint Esprit. Parce qu’il y a de l’unité et de la différence en Dieu lui-même. Jésus ne cesse de se présenter en Fils venant du Père. Tel un fils apprenti il dit à ses disciples : « le Fils ne peut rien faire de lui-même, mais seulement ce qu’il voit faire au Père : car ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement » (Jn 5, 19). Le Fils  vient du Père, dépend du Père, vénère et aime le Père. Il y a de l’amour et de l’unité en Dieu. Et cette unité et cet amour nous est révélé par l’Esprit qui est le lien de l’unité et de l’amour entre le Père et le Fils. L’Esprit est le baiser du Père et du Fils, diront certains.

Paternité, filiation et lien : voilà une autre manière de représenter la réalité trinitaire de Dieu. A ce propos, il y a un père de l’Eglise, Tertullien (150-220), qui a résumé de manière extraordinaire ce que nous sommes en train de réfléchir : « Le Dieu chrétien n’est pas un Dieu unique mais un Dieu uni ». La sainteté Dieu se dit dans l’amour, dans la diversité de rôles mais dans leur unique et égale unité.

Alors, la fête du lien et de l’unité est aussi la nôtre, disciples et amis de Jésus : « On connaîtra que vous êtes mes disciples si vous vous aimez les uns les autres » (Jn 13,35). Le modèle de toute vie chrétienne est la Trinité. Dans nos familles, dans nos communautés le lien et l’unité sont un défi et une mission. Cela, parce que nous sommes différents et parce que nous sommes frères et sœurs en humanité et en Jésus-Christ. On pourrait dire de manière provocante qu’il n’y a rien de plus dynamique et de plus concret que la Trinité. Comment cela est-il possible, diriez-vous ? Ce n’est pas facile à expliquer, certes. Mais commençons par dire que nous sommes créés à l’image de la Trinité. Nous sommes différents et nous sommes une unique et même humanité. Quoi que nous ayons des cultures et des langues différentes, des couleurs de peaux et des manières d’êtres différentes, l’humanité est une (Le racisme est la chose la plus contraire à la Trinité. Le racisme contredit l’unité de Dieu et l’unité entre les enfants de Dieu). Le défi de l’humanité est l’unité. Si au cœur de notre monde et de notre histoire il y avait le partage, le dialogue, de l’intérêt des uns les autres, du respect des différences… alors l’humanité accomplirait sa vocation trinitaire qui est une vocation divine et humaine, tout comme Jésus est à la fois homme et Dieu.

Continuons notre célébration de l’eucharistie qui est le sacrement de la Trinité par excellence. Nous qui sommes différents offrons  à Dieu le Père un unique don,  les fruits de l’amour de Dieu révélés et manifestées en Jésus-Christ. Cette eucharistie est offerte au Père par le Fils et dans l’Esprit.

Roberto Gomez cm

Chapelle de la Rue du Bac

12 juin 2022

  « La Trinité qui se manifeste dans l’économie du salut

est la Trinité immanente, et réciproquement »

Karl Rhaner (Théologien Catholique du XX° siècle)

[printfriendly]

Homélie de la Solennité du Christ Roi de l’univers

La visée du règne du Christ ne prétend pas exercer un pouvoir simplement stratégique, géopolitique, manipulant la faiblesse des pauvres gens ; mais la royauté du Christ veut ouvrir les croyants et les hommes de bonne volonté à ce qui est éternel, à ce qui ne passe pas, à un trésor qui ne peut pas être ni corrompu ni détruit.

Homélie de la solennité du Christ Roi de l’univers

Chères sœurs, chers frères :

Chaque année depuis Vatican II, nous célébrons la fête de Christ Roi de l’univers le dernier dimanche de l’année liturgique. Il n’a pas été toujours ainsi ! Le Pape Pie XI, en 1925, a introduit la fête de Christ roi le dernier dimanche d’octobre avec le but de célébrer « le règne social de Jésus-Christ ». Le contexte n’était pas favorable à l’Eglise ; elle prétendait ainsi marquer sa place dans la société déjà engagée dans un processus de sécularisation accéléré.

Vatican II a bien fait de changer la date de cette fête dans le calendrier liturgique et surtout d’en transformer profondément le sens de cette célébration. Cette fête doit rester centrée sur le Christ (et non pas sur l’église), sur les paroles de notre Seigneur rappelées aujourd’hui dans l’évangile de saint Jean :

« Ma royauté n’est pas de ce monde, Si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes que se seraient battus. Pour que je ne sois pas livré aux juifs. En fait ma royauté n’est pas d’ici ».

Ces paroles de Jésus nous interdissent d’imaginer un règne social de Jésus, un règne mondain à la manière des royaumes terrestres… Imaginons pour un instant que la royauté de Jésus ait été à la manière des royaumes de la terre :

  • Le pouvoir de Jésus serait temporel, limité dans le temps et dans l’espace.
  • La puissance d’un Jésus roi à la manière du monde aurait engendré violence, compétition, soumission, vaine-gloire.
  • Les royaumes terrestres supposant aussi une lignée royale, un tel royaume aurait exclue les autres des privilèges et des honneurs.
  • Comme tout royaume terrestre a une fin, celui de Jésus aurait eu également une fin.

Vous le voyez, imaginer un royaume terrestre de Jésus n’a pas de sens et en réalité contredit la vie même de notre Seigneur, sa passion et son enseignement.

La royauté du Christ est avant tout spirituelle. Ce mot est piégé, inapproprié certes. Il a l’avantage de s’opposer à ce qui est mondain. On pourrait dire plutôt que le règne du Christ est eschatologique (ce mot est encore obscur). Eschatologique parce que transcendant, éternel. Le pouvoir exercé par un tel roi se joue dans les réalités humaines certes mais dépasse celles-ci. La visée du règne du Christ ne prétend pas exercer un pouvoir simplement stratégique, géopolitique, manipulant la faiblesse des pauvre gens ; mais la royauté du Christ veut ouvrir les croyants et les hommes de bonne volonté à ce qui est éternel, à ce qui ne passe pas, à un trésor qui ne peut pas être ni corrompu ni détruit. Jésus l’a bien dit dans l’évangile de Matthieu : « Amassez-vous des trésors dans le ciel, où ni les mites ni les vers ne font de ravages, où les voleurs ne percent ni ne dérobent. Car où est ton trésor, là aussi sera ton cœur «  (Mt 6,20-21).     

Nous pouvons dire aussi que « La royauté du Christ résulte, non de la volonté des hommes, mais de la Pâque du Fils »[1]. Tout à l’heure, lors de la préface nous proclamerons ceci : 

« Tu as consacré́ Prêtre éternel et Roi de l’univers ton Fils unique, Jésus Christ, notre Seigneur, afin qu’il s’offre lui-même sur l’autel de la Croix en victime pure et pacifique, pour accomplir les mystères de notre rédemption, et qu’après avoir soumis à son pouvoir toutes les créatures, il remette aux mains de ta souveraine puissance un règne sans limite et sans fin: règne de vie et de vérité́, règne de grâce et de sainteté́, règne de justice, d’amour et de paix ». Le trône du Christ Roi est bel et bien la croix !

Si nous célébrons le Christ roi de l’univers ce n’est parce que cela nous convient, ou parce que l’église en retirerait des privilèges… C’est une autre dynamique qui est ainsi signifié. La royauté du Christ ne peut pas être bien comprise sans la croix, ni sans la passion ni sans la résurrection.

C’est un Christ humilié par Pilate, haïe par les siens, sans pouvoir et tournée en dérisions qui se présente comme étant roi : « C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde, pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix ». Si le Christ est Roi, il est un Roi sauveur jusqu’à la mort, serviteur dans l’humilité de l’humiliation. Enfin de comptes, la Croix interdit tout rêve d’un royaume humain sur le mode des puissants. Un Christ affirmant sa royauté dans l’humiliation, homme pour les autres, solidaire des petits et des pauvres, livrant sa vie pour eux, pardonnant à ses bourreaux, traçant le chemin de la vérité : telle est la figure du Christ Roi qui dénonce et démasque toute forme de totalitarisme politique, et la prétention à la toute-puissance. A ce propos écoutons le  Psaume 44 :

Ton trône est divin, un trône éternel ; (non temporel)
Ton sceptre royal est sceptre de droiture, (et non de puissance écrasante)
Tu aimes la justice, tu réprouves le mal.
Oui, Dieu, ton Dieu, t’a consacré́
D’une onction de joie comme aucun de tes semblables » (Ps 44, 7-8).

Maintenant, aide-nous Seigneur à bien comprendre ta royauté. Attire-nous vers toi par des liens d’amour, par la seule force bienfaisante et éternelle : ton amour, plus fort que le mal et la violence, plus fort que la mort. Si le bon larron a compris ta royauté, pourquoi serions-nous incapables de la saisir ? Peut-être parce que nous pensons qu’il y a résurrection sans mort, qu’il y a gloire sans croix, qu’il y a élévation sans abaissement. Le centurion romain, lorsque tu mourrais sur la croix : «il compris et prophétisé :  « cet homme-là est le fils de Dieu ».

Dans l’évangile de saint Jean, toi, le Christ-roi couronné d’épines, moqué de tous et abandonné y compris de tes disciples, reste au centre non seulement de la scène du calvaire mais au centre de l’histoire sainte. Certains sont allé demander à Pilate « N’écris pas ‘le roi des Juifs’ mais bien  ‘cet individu a prétendu qu’il était le roi des juifs’. Pilate le non juif, se révèle plus juifs que les juifs,  en affirmant que l’on ne touche pas à l’écriture… Ce qui est écrit est écrit.

Roberto Gomez cm

Chapelle saint Vincent de Paul

Le 20 novembre 2021

[1] Patrick Prétot, https://liturgie.catholique.fr/wp-content/uploads/sites/11/2013/11/P.-Pretot-La-fete-du-Christ-roi-de-lunivers-comme-celebration-du-Mystere-Pascal.pdf vu le 21.11. 2021.

Homélie du 5° dimanche de Pâques Année B. « Je suis la vraie vigne ». « Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous portiez beaucoup de fruit et que vous soyez pour moi des disciples »

Comment être disciples de Jésus et comment porter beaucoup de fruit ? Comment persévérer dans notre condition de disciples et comment être des disciples féconds de Jésus ? Il est question ici de persévérance et de fécondité.

Homélie du 5° dimanche de Pâques Année B. « Je suis la vraie vigne ». « Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous portiez beaucoup de fruit et que vous soyez pour moi des disciples »

Chères sœurs, chers frères :

Comment être disciples de Jésus et comment porter beaucoup de fruit ? Comment persévérer dans notre condition de disciples et comment être des disciples féconds de Jésus ? Il est question ici de persévérance et de fécondité.

Or, par expérience, nous savons que vivre en disciple de Jésus pour un temps c’est relativement facile, comme il est également facile de porter quelques fruits pour un certain temps. Il est toujours question de persévérance et de fécondité dans la durée.

Lorsque Jésus raconte cette parabole de la vraie vigne à ses disciples il a peur mais il a autant d’espérance. Peur, parce que son départ était proche. Il sait que lorsque la passion arrivera tous vont le lasser seul et prendre le fuite ; mais son espérance tenait au fait que tout recommencerait grâce à ces disciples faillibles et peureux : l’espérance a vaincu la peur !

À ce moment précis de son histoire, Jésus confie son espérance à ses amis en utilisant le langage le plus familier et en même temps le plus profond. L’image de la vrai vigne insiste sur des réalités bien connues par tous à l’époque de Jésus :

  • Première réalité : ce sont les sarments qui portent les fruits, pas le cep (pas l’arbre). Les grappes de raisin sont portées par ces tiges fragiles et en même temps admirables.
  • Deuxième réalité : si les sarments portent de fruit c’est parce qu’ils sont unis à la vigne (au cep de la vigne) et parce que le vigneron en a pris soin en les taillant, en les émondant et ainsi en les

Nous comprenons mieux l’image retenue par la parabole : «  Je suis la Vigne, mon Père est le vigneron et vous êtes les sarments ».

Il en va ainsi de nos vies chrétiennes comme de nos vies humaines. Tout ce que nous faisons nous est donné. Si quelque chose nous est donné, c’est pour servir et pour accomplir une mission dans ce monde. Et si nous voulons nous accomplir en ce monde à travers nos missions et nos taches, cela se fait en persévérant, en étant passionnés par ce que nous faisons et surtout en se remettant constamment en question. L’évangile dirait en se laissant émonder, tailler. Il n’y a pas de véritable fécondité sans efforts ou renonciations. Autrement, nous stagnons, nous arrêtons d’avancer, nous nous contentons d’une petite vie alors que Dieu nous promet une vie en abondance !

Revenons sur une expression et une image de l’évangile :

« Demeurez en moi, car sans moi vous ne pouvez rien faire ». Voilà l’expression.

Et voici l’image : « tout sarment qui porte du fruit, mon Père le purifie en le taillant, pour qu’il en porte davantage ».

  • « Demeurez en moi », cette expression revient très souvent dans l’évangile de Jean et nous l’avons entendue 7 fois dans le court passage de l’évangile de ce jour. Il s’agit en effet, d’une invitation à l’amitié, à la fidélité ; à une forme de complicité et d’intimité avec le Seigneur. Jésus est le modèle de cette amitié fidèle. Il est à tout moment et un tout lieu la demeure du Père céleste. Il est le lieu de sa présence et le lieu de sa rencontre.

« Demeurez en moi comme je demeure en vous » : la source de notre vie spirituelle et de notre foi est à rechercher de ce côté-là.  L’évangile précise : « car sans moi vous ne pouvez rien faire ». L’expression est forte, mais il est vrai qu’en vie chrétienne, l’union, l’amitié et l’intimité avec le Seigneur sont la base de tout. Dieu cherche notre amitié et cela lui suffit… mais notre désir d’amitié doit être permanent. En toute circonstance et en tout lieu le Seigneur est avec nous… en toute circonstance et lieu nous nous sommes au Seigneur et nous demeurons en lui. C’est pour tout cela que nous avons pointé plus haut la persévérance. Persévérer, oui, persévérer dans cette amitié avec le Seigneur est essentielle. Si le sarment porte les grappes de la vigne, c’est parce qu’il est unis au cep, seul le sarment, ne peut rien produire. L’image est simple mais belle ! Oui, le sarment ne porte rien de lui-même. S’il porte des fruits, c’est parce que la sève et l’énergie vivifiante sont passées du cep aux sarments. Ce principe vivifiant ne vient pas de nous, il nous vient du Seigneur ressuscité que nous célébrons et invoquons dans cette eucharistie. En vie chrétienne, cette sève-là, vient de loin et de très profond.

 L’invitation est donc simple et vitale : demeurez en moi, soyez mes amis jusqu’au bout… car sans le Seigneur nous ressemblons à ces cep de vigne que nous utilisons pour faire le feu dans les champs ou dans les cheminées. Or, la seule fonction noble de la vigne est de porter des raisins gonflés de sucre, de matière première pour réjouir l’humanité et l’inviter à la fête.

  • C’est alors qu’intervient l’image de la taille, de l’émondage (du latin emundare nettoyer). En effet, si la vigne n’est pas taillée, élaguée, sa force se disperse ; trop de sarments, mais pas de fruits. Et s’il apparaît quelques grappes, celles-ci n’arrivent pas à maturité. La taille apparaît donc comme nécessaire et vitale. Le Vigneron, en taillant la vigne n’accomplit pas une opération sadique mais au contraire c’est un geste d’amour et de soin. Sans cette intervention , la vigne devient sauvage et inféconde. Vous savez bien comme terminent ces vignes-là.

Alors en vie chrétienne, si nous ne nous laissons pas élaguer, tailler par les mains amoureuses du Père, notre vie spirituelle risque de ressembler à une vigne sauvage : trop de sarments, peu ou pas de fruits… et ceux-ci seraient âpres et inféconds.

Le Seigneur est bon, ses mains sont douces… c’est nous qui résistons. Et lorsque nous résistons il y a de l’amertume, de la tristesse et de la douleur. Dans nos vies de baptisés, nous sommes passés par différentes étapes ou saisons. Entrons en nous-mêmes et reconnaissons que déjà le Seigneur nous a rendu féconds à maintes reprises, qu’il nous a taillé, élagués avec amour. C’est alors que la fécondité dans la fidélité et la persévérance a pu pointer son nez dans nos simples vies de disciples de Jésus… « La gloire de mon Père est que vous portiez du fruit et que vous demeuriez mes disciples ».

Roberto Gomez cm

Chapelle saint Vincent

Le 2 mai 2021