Saint Vincent de Paul et la Communauté (IV et conclusion)

Saint Vincent de Paul et la communauté (IV et conclusion)

LE PÈRE CLAUDE LAUTISSIER, DIRECTEUR DES ARCHIVES DE LA CONGRÉGATION DE LA MISSION À LA MAISON-MÈRE DE PARIS, NOUS OFFRE UN ARTICLE (NUMÉRISÉ) DU PÈRE JEAN MORIN AUTOUR DES ORIGINES DE LA “COMMUNAUTÉ” TELLE QUE SAINT VINCENT DE PAUL L’A CONÇUE POUR LES CONFRÈRES DE SON TEMPS ET QUE NOUS POUVONS RELIRE À LA LUMIÈRE DE NOTRE EXPÉRIENCE ACTUELLE. NOTRE VIE EN COMMUN DESTINÉE À LA MISSION LE PÈRE MORIN N’ARRÊTE PAS DE NOUS LE DIRE ! BONNE LECTURE DE CES DEUX PREMIÈRES PARTIES.

IV. Saint-Lazare et l’approbation de la Compagnie (1632 – 1633)

1. L’entrée à Saint-Lazare (8 janvier 1632)

Le Contrat d’union du Prieuré de Saint-Lazare à la Congrégation de la Mission fut signé le mercredi 7 janvier 1632 et la prise de possession se fit dès le lendemain. A en croire le0 curé de Saint-Laurent, M. de Lestocq qui servit d’intermédiaire au cours des tractations, il fallut insister toute une année (1631) pour amener saint Vincent à accepter ce très vaste couvent et cet enclos le plus vaste de Paris (Coste, Le grand saint… I, 191).

Dans son “Guide de saint Vincent de Paul à travers Paris” p. l, Monsieur Chalumeau précise que les bâtiments s’étendaient le long de la rue du Faubourg Saint-Denis sur une longueur de 150 mètres environ et sur une profondeur de 200 mètres environ”. Il convient sans doute de mentionner au moins ces quelques chiffres pour se faire une idée du “retentissement” profond que dût avoir ce nouveau cadre de vie sur la jeune et petite communauté. M. Coste (o.c. p. 192) ajoute qu’il y avait une église de style gothique (petite et sans beauté, remontant au XIIIe siècle) et un cloitre. Ces quelques détails [59] autorisent peut-être à juger assez vraisemblable la première réaction que M. de Lestocq prêtée à saint Vincent :

“Il est vrai, Monsieur, que votre proposition m’épouvante ; elle me paraît si fort au-dessus de nous que je n’oserais y penser. Nous sommes de pauvres prêtres qui vivons dans la simplicité, sans autre dessein que de servir les pauvres gens des champs.” (XIII, 246)…

Quoiqu’il on soit et après intervention de M. Duval, saint Vincent finit par accepter et Saint-Lazare devient la Résidence de la Communauté, quelques confrères restant au Collège des Bons Enfants.

Une lettre de saint Vincent à M. de Lestocq (I, 137-141), datant de la période des pourparlers, fait état de difficultés concernant l’éventuel transfert de la Communauté à Saint-Lazare. Il s’agit du dortoir et du chœur. Pour le dortoir, saint Vincent redoute la cohabitation entre les Missionnaires et les quelques religieux habitant encore Saint-Lazare : “parce que nous observons le silence depuis le soir après la prière jusqu’au lendemain après le diner, que nous avons une heure de récréation ; et depuis la récréation jusques au soir après souper, auquel temps nous avons encore une heure de récréation, laquelle achevée, nous rentrons dans le silence, pendant lequel nous ne parlons que de choses nécessaires, et encore tout bas…”

Pour le chœur, il s’agit de savoir si les Missionnaires porteront l’habit des Chanoines (le domino et l’aumusse) et s’ils chanteront l’Office. La réponse de saint Vincent est évidemment négative : “…pour éviter à confusion et le soupçon que le parlement aurait que nous commencerions à devenir chanoines, et par conséquent que nous renonçons tacitement à notre dessein de travailler incessamment le pauvre peuple des champs …”

Même si saint Vincent insiste sur la rigueur du silence dans le but d’obtenir une meilleure autonomie de sa Communauté par rapport aux derniers habitants de Saint-Lazare, cette lettre suggère bien le grand problème qui dût se poser à la jeune Communauté Missionnaire prenant possession de cet imposant Couvent. L’argument mis en avant contre le domino, l’aumusse et l’Office chanté est sans douta plus fondamental et essentiel : les Missionnaires doivent être et apparaître travaillant incessamment pour le pauvre peuple des champs.”

Las conditions et le style de vie en résidence ne peuvent être en contradiction avec cet essentiel de la vocation des Prêtres de la Mission. Et saint Vincent conclut qu’il élimerait mieux que nous demeurassions toujours en notre pauvreté que de détourner le dessein de Dieu sur nous”

Ce même 8 janvier 1632, l’archevêque de Paris approuvait l’union de Saint-Lazare à la Mission en précisant entre autres : que les Prêtres de la Mission seraient tenus à réciter l’office divin “in choro alta voce sine cantu”, que douze au moins devraient résider en la maison dont huit prêtres, qui assureraient des missions dans le diocèse de Paris et recevraient les Ordinands (XIII, 248-254). Même sans prendre à la lettre chacune de ces prescriptions, ce document – lui aussi – donne une idée d’une certaine évolution du style communautaire imposée par ce transfert de résidence.

2. La Bulle d’érection de la Congrégation de la Mission (12 janvier 1633)

1. La mission romaine de M. du Coudray

En juin et août 1028, on l’a vu plus haut, saint Vincent écrivit deux suppliques au Pape Urbain VIII en vue d’obtenir l’approbation de Rome pour la Congrégation, et le 22 août, la demande était pratiquement rejetée par la Propagande. (XIII. 225).

En 1631, saint Vincent reprend l’affaire et envoie M. de Coudray sur place pour y défendre le dossier. Le 20 juillet 1631, il lui écrit : “Vous voilà enfin arrivé à Rome” (I, 114), et c’est un échange de correspondance sur les délicates tractations. [60]

Cinq lettres de saint Vincent à M. du Coudray ont été conservées sur cette période.

L’argument essentiel et à mettre en avant est toujours la nécessité du pauvre peuple :

“Vous devez faire entendre que le pauvre peuple se damne, faute de savoir les choses nécessaires à salut et faute de se confesser. Que si Sa Sainteté savait cette NÉCESSITÉ, elle n’aurait point de repos qu’elle n’eût fait son possible pour y mettre ordre…” (I, 115).

Et pour appuyer cette argumentation, saint Vincent consulte les théologiens. Le 4 septembre 1631, il envoie un billet à Du Coudray : « Un grand personnage en doctrine et en piété me disait hier qu’il est de l’opinion de saint Thomas : que celui qui ignore le mystère de la Trinité et celui de l’Incarnation, mourant en cet état, meurt en état de damnation et soutient que c’est le fond de la doctrine chrétienne. Or cela me toucha si fort et me touche encore que j’aie peur d’être damné moi-même, pour n’être incessamment à l’instruction de pauvre peuple… » (I, 121)

Mais les oppositions se manifestent et les retards se multiplient. Dix ans plus tard, saint Vincent écrira au supérieur de Rome :

L’esprit de ce pays-là est réservé, temporisant et considérant, aime et estime les personnes qui vont piano, piano et se garde extrêmement de celles qui vont vite…! » (II, 263). Du Coudray souhaite employer des procédés un peu « contournés », mais saint Vincent, le 23 décembre 1631, juge la chose « assez ingénue » et ajoute : “Qui dit les choses tout bonnement comme elles sont, et se soumet, Dieu agrée, comme je crois, ce procédé. La vérité et l’humilité s’accordent bien ensemble.” (I, 144)

La lettre du 12 juillet 1632 (I, 162-165) surtout est à lire pour se faire une idée des difficultés et oppositions comme de la sainte opiniâtreté de saint Vincent.

« …car, il est vrai, on tache à nous brouiller, comme vous m’avez mandé ; et cela jusqu’à la personne de laquelle nous devrions espérer la plus grande assistance après Dieu. Mais tout cela ne m’étonnerait pas sans mes péchés, qui me donnent sujet de craindre non pas le succès de la chose, qui tôt ou tard se fera, de delà comme de deçà mais je ne saurais vous exprimer combien les artifices m’étonnent… »

N.B. : On trouvera dans les Annales de 1926 (p.140 à 144) et de 1941-1942 (p.27-31), le texte définitif de la requête présenté par M. Du Coudray, au nom de saint Vincent. Il fut présenté non à la Propagande, comme en 1628, mais à la Congrégation des Évêques et Réguliers avec l’adresse suivante : « à Sa Sainteté pour l’Érection d’une Mission de Prêtres séculiers en France ». Il n’est pas nécessaire d’analyser ici ce texte puisqu’il sera pratiquement repris en totalité dans la Bulle d’érection.

2. La Bulle Salvatoris Nostri (12 janvier 1633)

Le latin se trouve en XIII 257-267 et une traduction en français est proposée dans les Annales 1941-1942, p. 32-40. La « vie de Communauté » de la nouvelle Congrégation, en tant que telle n’y est pas directement traitée, mais on peut cependant remarquer que :

  1. C’est incontestablement, une communauté apostolique qui est officiellement approuvée dans ‘Salvatoris nostri’. Le « but particulier » de l’Institut est ainsi défini : “cum propria salute, in eorum salutem incumbere qui in villis, pagis, terris, locis et oppidis humilioribus commoruntur.”

On remarquera l’expression cum propria salute”. Une étude serait à faire sur l’histoire et l’évolution de ce qui deviendra, dans les Règles Communes de 1658, la première fin de la Compagnie : Propriae perfectioni studere. On s’appuie parfois sur ce 1° § des Règles Communes pour contester ou nuancer la primauté de la Mission et le [61] caractère nettement Apostolique de la Congrégation. Il semble bien que, pour saint Vincent, cette exigence de sainteté personnelle n’ait jamais remis en cause la fin nettement missionnaire de l’Institut.

Dans le Contrat de Fondation du 17 avril 1625, la perfection personnelle n’est mentionnée que comme condition sine qua non pour un travail Apostolique valable : (XIII, 198-199)…

Même perspective dans le premier Contrat d’Association (XIII, 204).

Par contre, on peut lire dans la supplique à Urbain VIII (1er août 1628) : “quorum principale ac praecipuum institutum erit propriae perfectioni et incolarum rure degentium totaliter incumbere.” (I, 47,55)

Pour comprendre l’esprit de Propriae perfectioni studere des Règles Communes, le mieux est sans doute de se reporter à la Conférence du 6 décembre 1658 où saint Vincent lui-même s’explique sur La Fin de la Congrégation de la Mission (XII, 73 et suiv.). La perfection personnelle y est mise en relation avec les exigences de la Mission :

“Notre-Seigneur étant venu au monde POUR sauver les hommes, a commencé à faire et nuis à enseigner” Le dessein de la Compagnie est d’imiter Notre-Seigneur, c’est-à-dire qu’il faudra d’abord pratiquer et vivre ce que l’on prêchera. Saint Vincent, tout au long de cette Conférence, unit dans une même vue MISSIONNAIRE, dons un même projet missionnaire, ce qu’il sera toujours dangereux de vouloir séparer (perfection et mission).

Le “cum propria solute, in eorum salutem incumbere” de la Bulle Salvatoris nostri suggère cette relation entre perfection et Mission et cette unité dans la visée Missionnaire.

  1. Sur le problème « Autonomie et Insertion », la Bulle entérine les « maximes fondamentales » que saint Vincent rappelait à M. du Coudray, deux ans auparavant : Supérieur général à vie, Monsieur Vincent puis ses successeurs se voient reconnus tous les droits de direction de la Compagnie, maisons, personnes et biens” relativement aux Missions seulement, les Ordinaires des lieux, ainsi qu’il a été dit, garderont leur autorité ; et mention est également faite des droits des curés. Pour les Ordinaires des lieux, il est précisé : “Qu’ainsi qu’il leur semblera bon, ils pourront envoyer, dans les diverses parties de leurs diocèses, les sujets de ladite Congrégation qui seront désignés par leurs supérieurs…”.

Quand aux curés il est précisé : “Pour tout cela, ils obtiendront auparavant la permission du curé de l’endroit, sans cette autorisation, ils n’entreprendront rien des susdits emplois…”

 

Conclusions Générales

De ce rapide survol de l’expérience communautaire de saint Vincent, jusqu’en 1633, on peu dégager plusieurs constatations et risquer quelques conclusions.

 

1. Une Communauté apostolique

La Communauté de la Mission est bien une Communauté Apostolique. On retrouve constamment cette affirmation, dans pratiquement tous les textes officiels, depuis le Contrat de Fondation du 17 avril 1625 jusqu’à la Bulle Salvatoris nostri :

On se met ensemble “pour s’appliquer entièrement et purement au salut du pauvre peuple.”  [62]

La Communauté est née des exigences de la Mission et elle est conçue, structurée en fonction de la Mission.

La mission, on l’a vu, est chronologiquement et logiquement antérieure à la Communauté. Il y eut Folleville « et la presse fut si grande » que M. Vincent ne put y suffire. D’où une première constatation : pour faire face au travail missionnaire, il faut être plusieurs. Pour les missions suivantes, dans les terres des de Gondi, on fait appel aux Pères Jésuites. Aide qui se révèle précieuse sans doute, mais qui demeure occasionnelle et irrégulière. D’où, nouvelle constatation dont on a l’écho dans le Contrat de Fondation lui-même : pour la Mission, il ne suffit pas d’être plusieurs, il y faut stabilité, disponibilité, unité… et c’est ainsi que l’on en vint à l’idée de la pieuse association de quelques ecclésiastiques, pour selon le bon plaisir des prélats, s’appliquer entièrement et purement au salut du pauvre peuple. (XIII, 198)

C’est ainsi que la Communauté naquit des exigences mêmes de la Mission et que, progressivement elle se structure. On a pu remarquer, par exemple, que même les temps de « résidence » aux Bons Enfants, puis à Saint-Lazare sont, en grande partie consacrés à ce que l’on pourrait appeler la « formation professionnelle » des Missionnaires (on s’exerce à la controverse, on étudie le petit Bécan, on fait maints exercices de prédication… etc)

Il s’agit bien, semble-t-il, d’une Communauté de travail pour la Mission.

 

2. Insérée… mais Autonome

La Situation de cette Communauté Apostolique dans l’Église a été, dès le début, un problème grave et délicat. Et, sur ce point, ce sont encore les exigences pastorales de la Mission qui ont prévalu. Malgré son ton polémique, « l’opposition des Curés de Paris » cerne bien la question. Il s’agit bel et bien de la relation entre la pastorale « ordinaire et locale » et « l’intervention Missionnaire »… ce que les curés de Paris appellent « cette extraordinaire Mission ».

Il est ainsi intéressant de noter que dès les tout débuts de la Communauté, il s’est avéré bien difficile d’être dans la Pastorale de l’Église, avec l’Évêque et tous les responsables locaux, tout en demeurant soi-même et fidèle au Charisme missionnaire.

Il est surtout intéressant de voir comment saint Vincent tenait fermement les deux bouts de la chaîne : « laisser le pouvoir aux évêques d’envoyer les missionnaires dans la part de leur diocèse qu’il leur plaira ; les missionnaires seront soumis aux curés où ils font la mission pendant le temps d’icelle ; que le supérieur de la Compagnie ait l’entière direction d’icelle… » et saint Vincent ajoutait, on l’a vu : “Baste pour les paroles ; mais pour la substance, il faut qu’elle demeure entière …” (I, 116)

Saint Vincent demeura toujours très ferme sur ces principes. C’est ainsi que le 11 août 1660, quelques jours avant sa mort, il écrivait à l’Évêque de Lescar : « les missionnaires se sont donnés à Dieu et à messeigneurs les prélats pour leur obéir » comme les serviteurs de l’Évangiles à leur maître, en sorte que leur disant : Allez en tel lieu prêcher, catéchiser et faire les autres fonctions de la Mission, ils sont obligés d’y aller, et quand ils les rappellent, de revenir ; et quand ils leur disent : « Faites cela, ils doivent le faire, selon notre Institut. »

Mais, pour le regard de la conduite intérieure des familles et des personnes de notre Congrégation, en quelque lieu qu’elles soient, elle demeure à leur supérieur général. C’est à lui à les changer, à les appeler et rappeler d’une maison à une autre, de nommer les supérieurs particuliers et les autres officiers, d’envoyer de temps en temps des visiteurs de sa part en chaque lieu, pour y maintenir la charité et l’observance des règles, recevoir les comptes de la dépense et de la recette … etc (VIII, 362)  [63]

Ainsi donc, devaient se concilier ce que nous appellerions aujourd’hui l’insertion pastorale, la mobilité et disponibilité missionnaires, et l’autonomie juridique de l’Institut : Droit est reconnu aux évêques d’utiliser les missionnaires, là où ils le veulent dans leur diocèse, à la condition toutefois (on l’a remarqué) qu’il s’agisse bien de la fonctions de la Mission », mais le supérieur se réserve la conduite des Communautés (familles) et personnes, et le droit de nommer, rappeler et changer de maison… etc.

 

3. Vivre en Commun

C’est là l’expression même employée dans le Contrat de Fondation du 17 avril 1625, expression qui d’ailleurs est reprise dons la plupart des textes officiels. Et effectivement dès les tout débuts de la période des Bons-Enfants, tous les témoignages concordent : il s’agit bien d’une « Vie en commun », tant au cours des missions que pendant les longs mois de résidence. En Mission, puis pour les Ordinands, on se répartit le travail ; « en résidence », on se prépare ensemble, on prie ensemble, on vit de la « bourse commune »… Cette « vie en commun » dut se structurer sinon s’uniformiser progressivement, et ce, à l’exemple des religieux, comme il est dit dans la lettre de saint Vincent au pape Urbain VIII. (On reviendra sur le processus de cette évolution). Les Avis donnés à la retraite annuelle de 1632 (XI, 100-102) sont déjà très significatifs, par exemple ce paragraphe : « Observer inviolablement aux Missions tout ce qui suit : 1) se lever à 4 heures et se coucher à 9 heures ; 2) faire son oraison ; 3) dire son office avec les autres ; 4) aller à l’église et en sortir avec les autres ; 5) dire la messe à son tour ; 6) ne point sortir de l’église sans permission, disant la couse au supérieur ; 7) faire lecture durant le repas ; 8) tous les vendredis tenir chapitre. »

 

4. La Communauté de Biens

Des 1625, le statut « économique » de la Communauté semble des plus clairs et précis. Il n’y a là rien de bien étonnant puisque le Contrat du 17 avril 1625 est d’abord un Contrat de Fondation au sens économique du terme. M. et Mme de Gondi « fondent l’Association » et les quelques six ecclésiastiques prévus vivront des revenus de la somme de 45 000 livres allouées par « les Fondateurs ».

Par la suite, saint Vincent demeurera fidèle à ce statut économique et multipliera les Fondations, c’est-à-dire que Prêtres et Frères de la Mission vivront de « revenus », parfois modestes, mais réguliers et les mieux assurés possible. Ce statut économique des Communautés a certainement eu sa gronde importance et influence sur la psychologie et la mentalité de la Compagnie. Une comparaison par exemple avec le statut économique des Filles de la Charité serait des plus instructives.

Mais plus encore que le statut lui-même, cc sont les motivations du choix de saint Vincent qui sont significatives. Elles sont surtout d’ordre pastoral et dictées par les exigences de la Mission. Deux impératifs, en effet, sont nettement mentionnés dans le Contrat de Fondation :

1. Pour s’appliquer entièrement et purement au soin du pauvre peuple, les Missionnaires doivent renoncer expressément à toutes charges, bénéfices et dignités, comme à tout ministère dans les villes.

2. Ils doivent, de par ailleurs, « aux dépends de leur bourse commune, prêcher, instruire, exhorter et catéchiser ces pauvres gens… sans en prendre aucune rétribution en quelque sorte ou manière que ce soit. »

Les Missionnaires ne vivront donc ni de leurs ressources personnelles auxquelles ils doivent renoncer pour être entièrement à la Mission, ni du fruit de leur travail qui devra être totalement gratuit. D’où la solution de la Fondation et des revenus : « …il n’est pas de nous comme des mendiants, écrira saint Vincent le 20 septembre 1652, ils n’ont qu’à planter le piquet et les voilà établis. Mais, à nous, qui ne prenons rien pauvre peuple, il nous faut du revenu… » (IV, 4 80)  [64]

C’est sur cette base économique que se greffera notre style de pauvreté : une pauvreté dans le travail missionnaire, une pauvreté dans le partage.

Dans le travail missionnaire, car nous vivrons de « revenus » alloués pour que nous évangélisions les Pauvres

Dans le partage intégral, car fondations et revenus sont à la communauté et constitueront ce que le Contrat appelle la « Bourse commune ».

 

5. D’une équipe missionnaire à une communauté à l’exemple des Religieux…

Reste à dire un mot du « processus » de structuration de la Communauté, de 1624 à 1633. La Communauté, on l’a vu, semble bien être née de la Mission, des exigences concrètes des missions, et le témoignage de saint Vincent, en XII, 7-8, évoque plus le style de vie de ce que nous appellerions aujourd’hui « une Équipe Missionnaire » que celui d’une Communauté : “…Nous nous en allions ainsi tous les trois prêcher et faire la Mission de village en village. En partant, nous donnions la clef à quelqu’un des voisins, ou nous-mêmes  » nous les priions d’aller coucher la nuit dans la maison…”

Dans ce témoignage, l’important est manifestement la Mission, les courses missionnaires de village en village et la « résidence » …on confie la clef… ! apparaît comme assez secondaire.

Par contre, avec et après le Contrat de Fondation, la « résidence » semble prendre de plus en plus d’importance. On devine comme un phénomène de sédentarisation de la Communauté missionnaire. Devant tenir compte du rythme des travaux agricoles, les mois de juin, juillet, août, septembre, se passeront à la « maison commune », plus quinze jours après chaque mois de Missions pendant le reste de l’année. Même si ce rythme ne fut guère respecté, les missions semblant se prolonger et se succéder souvent au détriment des temps de résidence, ces périodes relativement nombreuses et longues en la « maison commune » ont certainement contribué pour une large part à une première structuration de type « religieux » de la vie Communautaire.

Autre élément très important dans ce « processus », l’Œuvre des Ordinands, après 1628. On reçoit des Ordinands, puis des réunions d’ecclésiastiques dans la maison. Cela devient vite très exigeant pour la Communauté qui se doit de donner l’exemple d’une vie très régulière. Saint Vincent rappelle souvent à sa Communauté cette responsabilité :

“…Oh, quel bonheur de ce que non seulement Dieu veut se servir de pauvres gens comme nous, sans science et sans vertu, pour aider à redresser les ecclésiastiques déchus et déréglés, mais encore à perfectionner les bons, comme nous voyons par se grâce que cela se fait. Que bienheureux êtes-vous, Messieurs, de répandre par votre dévotion, douceur, affabilité, modestie et humilité, l’esprit de Dieu dans ces âmes, et du servir Dieu en la personne de ses plus grands serviteurs que vous êtes heureux, vous qui leur donnerez bon exemple aux conférences, aux cérémonies, au chœur, au réfectoire et partout.” (XI, 10)

Ainsi, la maison Commune se doit de devenir « exemplaire ».

Enfin, il y eût le transfert à saint-Lazare, dans un cadre, on l’a vu, assez grandiose… même si tout était bien loin d’être en bon état. On peut imaginer le « choc » que produisirent sur la jeune Communauté Missionnaire ce nouveau cadre de vie, et le retentissement que cela pût avoir sur les comportements. La résidence est, pratiquement, devenue « un Couvent ». Certes, les activités missionnaires demeurent l’essentiel, mais le style de vie semble se régulariser de plus en plus. A tel point que désormais, le style de vie de Saint-Lazare devient comme le type et l’exemple proposés à toutes les autres communautés. Beaucoup plus tard, en 1655, saint Vincent parlera ainsi aux confrères de Saint-Lazare : [65]

“… Un autre motif est l’exemple que nous devons à toutes les personnes qui viennent céans et qui nous voient et nous considèrent depuis les pieds jusqu’à la tête, qui viennent ici pour se récolliger, pour apprendre la manière de bien vivre, tant d’ecclésiastiques qui passent ici, les ordinands, les exercitants… ceux des autres maisons disent : À Saint-Lazare, on fait comme cela. Et ainsi, voilà comme tout s’en va en décadence … Voyez-vous, mes frères, la copie n’est point, pour l’ordinaire, mieux faite que l’original ; s’il y a des fautes en l’original, pour l’ordinaire il y en a dans la copie. La maison de Saint-Lazare, c’est l’original, sur laquelle les outres maisons et toutes les personnes qui y viennent prennent exemple et tirent copie…” (XI, 206-207)

Il convient cependant de ne point trop idéaliser « l’original ». Par exemple, concernant la régularité de l’office, ensemble et au chœur, imposée aux résidants de Saint-Lazare par le Contrat (XIII, 234-244)… On sera peut-être surpris de lire en XII, 334 : qu’il y a vingt ans (nous sommes en 1659 !!) que cet usage est tombé en désuétude : c’est une coutume introduite à présent dans Saint-Lazare, de n’aller plus au chœur, si ce n’est ceux du séminaire… et saint Vincent s’en humilie.

Sans donc exagérer le « caractère régulier » et exemplaire de la Communauté de Saint-Lazare, on peut remarquer, au terme de cette étude, comme une évolution progressive du style de vie en communauté. Certes, la Communauté demeure nettement et prioritairement apostolique, mais il semble évident que le style de vie se structure réellement « à l’exemple des religieux », selon la formule de saint Vincent dans la lettre au Pape Urbain VIII, et ce, d’abord dans les résidences, puis dans les missions où seront conservés et observés tous les usages de la résidence compatibles avec le travail missionnaire, l’Œuvre des Ordinands et des exercitants d’une part, et le « cadre » de Saint-Lazare d’autre part ayant très vraisemblablement contribué à l’accélération de ce processus.

Jean MORIN, CM 🔸

Sans donc exagérer le « caractère régulier » et exemplaire de la Communauté de Saint-Lazare, on peut remarquer, au terme de cette étude, comme une évolution progressive du style de vie en communauté. Certes, la Communauté demeure nettement et prioritairement apostolique, mais il semble évident que le style de vie se structure réellement « à l’exemple des religieux », selon la formule de saint Vincent

Jean MORIN
Explications :

Article parut dans le Bulletin Lazaristes de France, n. 41, octobre 1973, pp. 46-65

Numérisé par Le père Claude LAUTISSIER  le 19 décembre 2018

Cache-toi, sois disponible ! Homélie du mercredi de cendres à la Maison-Mère

Cache-toi, sois disponible !

Homélie du mercredi de cendres à la Maison-Mère des Lazaristes à Paris

Quand tu fais l’aumône, cache-toi !

Quand tu pries, cache-toi !

Quand tu jeunes, cache-toi !

ton Père voit ce que tu fais dans le secret ; il te le revaudra.

Cache-toi ! Quel est cet appel, entendu tous les ans au début du Carême, pour orienter le chemin qui s’amorce vers la Résurrection de Pâques ?

Cache-toi ! Ce pourrait être un appel à l’intériorité et à la vigueur spirituelle.

L’intériorité

Cache-toi ! L’intériorité à laquelle nous appelle Jésus n’est-elle pas d’abord la capacité à être soi dans la distance avec les modes, dans la distance prise par rapport aux urgences à faire, par rapport au poids des événements et au poids des épreuves, par rapport à la multiplicité des opinions contradictoires. C’est donc un espèce d’enracinement. Cache-toi !

Enracinement dans un “soi” qui ne doit pas être le soi de l’égoïsme, mais qui est notre lieu intérieur. Ce lieu intérieur qui est un espace de réflexion, de pensée, du jugement. Cache-toi ! C’est donc la capacité d’habiter notre intérieur (à condition d’en avoir un) et d’avoir le courage d’être soi. C’est important de descendre dans le mystère de soi-même, le mystère que l’on est à ses propres yeux et aux yeux de Dieu. Cache-toi !

Notre besoin d’intériorité doit être proportionnel à notre engagement. “Il ne me suffit pas d’aimer Dieu, si mon prochain ne l’aime.” (XII 262), dit Vincent de Paul. C’est le risque de l’apôtre.

Cache-toi ! La vie apostolique fait donc surgir le besoin de silence, besoin de retrait, besoin d’une certaine solitude qui n’est pas isolement, d’une solitude qui n’est pas une distance prise avec les autres, mais le moyen de vivre une relation plus profonde. On ne peut pas souhaiter des relations plus profondes avec autrui, sans faire soi-même ce voyage vers l’intérieur de soi et avoir le souci d’une intériorité et d’une consistance. Cache-toi !

 

Vigueur spirituelle

Intériorité et vigueur spirituelle ; les deux choses vont évidemment de pair. Je crois qu’on ne peut pas simplement injecter une exigence spirituelle à quelqu’un qui n’aurait pas d’intériorité. Cela veut dire que ce n’est pas un surplus, ce n’est pas un luxe, c’est une exigence interne à notre vocation de baptisés et de consacrés. C’est la condition de notre expérience de Dieu. C’est d’avoir une vie de foi qui soit à la hauteur de notre développement humain. Cache-toi ! pour te donner les moyens de prier, de servir, de faire silence, les moyens de découvrir et d’approfondir la Parole de Dieu, la tradition de l’Église. Cache-toi ! pour te donner les moyens de développer à la fois ton esprit et ton cœur.

Enfin l’intériorité et la vigueur spirituelle ne sont pas passivité. Elles sont pour nous le moteur de l’action sur nous-mêmes. Ça s’appelle la conversion. “Convertissez-vous !” nous dira-t-on tout à l’heure en recevant  les Cendres.

Pour Vincent de Paul, cette action sur nous-mêmes implique notre disponibilité ; mais une disponibilité active.

“ La disponibilité, dit-il, est un état où se trouve une vertu (une force) par laquelle l’homme se détache des créatures pour s’unir au Créateur. Ce n’est pas seulement une vertu ; en quelque façon, c’est un état qui la comprend et où elle agit ; c’est un état, mais il faut que cette vertu y soit active et que, par elle, le cœur se détache des choses qui le tiennent captif.

Et comment ? Il faut s’étudier pour se connaître ; il faut se dire : « Or ça, mon âme, quelles sont tes affections ? A quoi tenons-nous ? Qu’y a-t-il qui nous captive ? Sommes-nous en la liberté des enfants de Dieu, ou sommes-nous liés aux biens, aux aises, aux honneurs ?» S’examiner pour découvrir nos liens, afin de les rompre.  » (XII, 231b)

Cache-toi ! C’est la conversion qui t’est demandée en ce début de Carême, pour forger ton intériorité et ta vigueur spirituelle ; sois disponible en ce début de Carême pour accueillir le Seigneur qui t’appelle à changer de vie pour l’exubérante rencontre du matin de Pâques.

Claude LAUTISSIER, CM 🔸

Cache-toi ! Quel est cet appel, entendu tous les ans au début du Carême, pour orienter le chemin qui s’amorce vers la Résurrection de Pâques ?

Cache-toi ! Ce pourrait être un appel à l’intériorité et à la vigueur spirituelle.

Saint Vincent de Paul et la communauté (III)

Saint Vincent de Paul et la communauté (III)

Le père Claude LAUTISSIER, directeur des Archives de la Congrégation de la Mission à la Maison-Mère de Paris, nous offre un article (numérisé) du père Jean Morin autour des origines de la « communauté » telle que saint Vincent de Paul l’a conçue pour les confrères de son temps et que nous pouvons relire à la lumière de notre expérience actuelle. Notre vie en commun destinée à la Mission le père Morin n’arrête pas de nous le dire ! Bonne lecture de ces deux premières parties.

III. La communauté du « Collège des Bons Enfants » (1625-1632)

Depuis le 1er mars 1624, saint Vincent était « principal » du Collège des Bons-Enfants ; et le 6 mars il prenait possession de l’Établissement. Mais une clause du Contrat de 1625 permet de supposer que le « principal » ne put s’installer aussitôt dans cette nouvelle résidence.

« …lesdits seigneur et dame (madame surtout, sans doute) entendent que ledit sieur Paul fasse sa résidence continuelle et actuelle dans LEUR maison, pour continuer à eux et à leur dite famille l’assistance spirituelle qu’il leur a rendue depuis longues années en ça… » (XIII, 199).

Madame de Gondi meurt le 23 juin 1625 et Monsieur Vincent obtient de Monsieur de Gondi l’autorisation de passer outre à cette clause du contrat. Il peut donc rejoindre sa Communauté au Collège des Bons-Enfants ; ce qu’il fit vraisemblablement entra le 20 octobre et le 22 décembre 1625.

 

1. La Communauté des « trois»

C’est donc fin 1625, sans doute, que se place la suite du témoignage cité plus haut : (XII, 8) « … le Collège des Bons-Enfants, où nous nous retirâmes, Monsieur Portail et moi, et primes avec nous un bon prêtre à qui nous donnions 50 écus par an. Nous nous en allions ainsi tous trois prêcher et faire la Mission de village en en village … »

Cette Communauté « Apostolique » composée de M. Vincent, M. Portail et le « bon prêtre » a été la première « stable » et entièrement adonnée à la Mission. Elle ne correspond pas encore à toutes les prescriptions du Contrat (cf. par exemple le statut « économique » du bon prêtre payé 50 écus), mais constitue la toute dernière expérience communautaire avant la première « Communauté des Prêtres de la Mission ».

Le texte (XII, 8) continue : « Voilà ce que nous faisons nous autres, et Dieu cependant faisait ce qu’il avait prévu de toute éternité. Il donna quelques bénédictions à nos travaux, ce que voyant, de bons ecclésiastiques se joignirent à nous et demandèrent à être des nôtres. »

Selon saint Vincent, le recrutement de la première Communauté se fit au vu des travaux. C’est la Mission elle-même qui attira ces bons ecclésiastiques, lesquels demandèrent à entrer. Les premières vocations à la Mission furent donc des vocations vraiment apostoliques qui se décidèrent en voyant les travaux et entrèrent pour la Mission.

 

2. La Communauté des « quatre »

Ces premières vocations à la Mission, nous les connaissons. Ce sont, les signataires de l’Acte d’Association du 4 septembre 1626 (XIII, 203-205)

Le Contrat de Fondation demandait à saint Vincent… d’élire et choisir six personnes ecclésiastiques … entre ci et un an prochainement venant.

Quinze mois plus tard, ils sont quatre à signer : M. Vincent, M. Portal, M. du Coudray et M. de la Salle. Ces deux derniers se sont sans doute présentés vers mars ou avril 1626, ce qui permet à saint Vincent d’écrire dans l’acte :

« Nous, en vertu de ce que dessus, après avoir fait preuve, un temps assez notable, de la vertu et suffisance de François du Coudray, prêtre, du diocèse d’Amiens, de Messire Antoine Portail, prêtre du diocèse d’Arles, et de Messire Jean de la Salle, aussi prêtre, dudit diocèse d’Amiens, avons iceux choisis, élus, agrégés et associés… pour ensemblement vivre en manière de congrégation, compagnie ou confrérie, et nous employer au salut dudit pauvre peuple des champs » . [52]

C’est donc un contrat écrit et signé qui « forma » la première Communauté des Prêtres de la Mission. Par ce contrat, les signataires « se lient et unissent POUR s’employer, en manière de mission, à catéchiser, prêcher et faire faire confession générale au pauvre peuple des champs ». Il s’agit donc bien d’un contrat apostolique.

On a également remarqué la formule : « pour ensemblement vivre en manière de congrégation, compagnie ou confrérie ».

Si la terminologie est encore vague, la vie commune – conformément à la Fondation – est explicitement formulée. Pour le reste, on promet, d’observer ladite fondation et le règlement particulier qui selon celui sera dressé et d’obéir tant à nous qu’à nos successeurs supérieurs, comme étant sous notre direction, conduite et juridiction. Ce que nous susnommés du Coudray, Portail et de la Salle agréons, promettons et nous soumettons garder inviolablement.

Le même jour et devant les mêmes notaires, saint Vincent faisait donation de ses biens à ses parents. (XIII, 61-63)

Les quelques lettres que nous avons de cette période 1626-1628 ne donnent que de rares échos sur la vie de la jeune Communauté. Les missions semblent se succéder à un rythme soutenu et Louise de Marillac a quelque mal à suivre son remuant Directeur et se plaint de ses absences aussi longues quo répétées (1,28). L’alternance prévue dans le Contrat (1 mois de mission et 15 jours de résidence), dès le début, ne semble guère observée, le travail prenant le pas sur la résidence (I, 36, 38, 40).

Quant aux Documents que nous trouvons au tome XIII, sur cette période, ils reprennent le plus souvent les termes du Contrat, insistant toujours et sur la finalité apostolique de la Communauté et sur la vie en commun (XIII, 206, 207, 215)

On peut également remarquer que l’Acte du 15 juillet 1627 (XIII, 213-214) fait mention de nouveaux membres dans la Communauté : aux quatre de l’Acte d’Association de 1626 s’ajoutent Jean Bécu, Antoine Lucas ainsi que Jean Jourdain qui sera le premier Frère et Jacques Régnier qui est clerc.

 

3. La Communauté des « neuf». (1er août 1628)

Les deux lettres que saint Vincent écrivit au Pape Urbain VIII, en juin et août 1628 sont signées de MM. de la Salle, J. Bécu du Coudray, Portail, Callon, Dehorgny, Brunet, Lucas et M. Vincent. Ces lettres, écrites dans le but d’obtenir l’approbation de Rome pour la Congrégation permettent de se faire une assez bonne idée de l’essor et des orientations de la Communauté (I, 42-62).

Six points peuvent être soulignés tout particulièrement :

 

1) Finalité apostolique et vie commune

L’essentiel du contrat de Fondation est repris de façon claire et saisissante : « …quelques prêtres résolus à vivre ensemble et à s’unir en Congrégation, après avoir quitté, avec les titres et les emplois ecclésiastiques qu’on a d’ordinaire dans les villes, l’espoir même de s’en procurer à l’avenir, et cela, pour faire profession de s’adonner, sous la direction dudit Vincent de Paul, au « salut des pauvres gens des champs… »

Trois thèmes essentiels à la Communauté des Prêtres de la Mission, dans ces quelques lignes : s’adonner au salut des pauvres gens des champs, résolus à vivre ensemble et à s’unir ; après avoir quitté titres, bénéfices et espoir d’en avoir. [54]

Le paragraphe suivant explique clairement les raisons de cette dernière exigence : on renonce aux bénéfices, « pour se livrer plus facilement et plus utilement au bien spirituel des habitants des campagnes… pour s’appliquer entièrement au salut des gons de la campagne… »

C’est là une motivation dont il conviendra de se souvenir au moment de l’introduction des Vœux dans la Communauté. La première forme de « renoncement » dans la Congrégation a été exigée POUR une disponibilité entière et durable au salut des pauvres gens des champs.

Quant à la vie commune, un autre passage de cette lettre précise : pour mener ensemble la vie commune, à l’exemple des religieux ». Cette précision était-elle de trop ? En tout cas, la réponse fut négative et ainsi motivée par la Propagande : « considerans illas petitiones terminos Missionis transgredi ac ad institutionem novae religionis tendere… » (XIII, 225)

 

2) La Géographie de la Mission

Le texte de la lettre donne une idée de l’extraordinaire essor des missions en deux années : « …non seulement sur les terres desdits seigneur et dame fondateurs… mais encore dans beaucoup d’autres parties de ce Royaume de France, comme dans les archevêchés de Paris et de Sens, dans les évêchés de Châlons en Champagne, de Troyes, Soissons, Beauvais, Amiens et Chartres… »

 

3) Le Recrutement de la Communauté

La supplique demande au pape de nommer ledit Vincent instituteur et supérieur général desdits prêtres, de ceux qui désirent s’adjoindre à eux et des personnes indispensables pour vaquer aux emplois domestiques dans « la Congrégation, dite de la mission, à laquelle ils s’unissent pour mener ensemble la vie commune. »

Et, un peu plus loin, le texte cite : « le supérieur, les prêtres, officiers, ministres et coadjuteurs des maisons. »

Les frères qui, on le sait, joueront un si grand rôle sous la direction de saint Vincent sont ici, et pour la première fois mentionnée comme membres de la Communauté.

 

4) La Pauvreté de la Communauté

La lettre rappelle la gratuité absolue du travail missionnaire : « … aux frais et dépends de ladite congrégation, ne recevant et n’attendant aucune récompense ou compensation matérielle… »

De par ailleurs, on l’a vu, les membres de la Communauté renoncent personnellement aux bénéfices. D’où le système économique des fondations et « dotations »« … qu’il soit permis audit Vincent … d’accepter librement… la possession corporelle, réelle et actuelle de tous ces biens et d’en garder à perpétuité les fruits, revenus et produits, d’en percevoir, exiger, lever et récupérer les droits, revenus et intérêts … »

La Communauté vivra donc de revenus. C’était, semble-t-il, le seul moyen pour éviter et la rétribution du travail et la mendicité.

 

5) L’Exemption

Un long paragraphe de la lettre traite de la situation juridique de la Communauté dans l’Église. Saint Vincent y demande expressément que soient exemptés : le supérieur, les prêtres susdits et tous les membres de ladite congrégation de la juridiction de leurs Ordinaires et de les faire dépendre du Saint Siège Apostolique… »

Mais intervient aussitôt la mise au point pastorale essentielle pour saint Vincent : [55] « …de telle sorte néanmoins que lesdites personnes soient tenues, on ce qui regards les missions d’obéir aux très révérends seigneurs Évêques et Ordinaires de leur résidence, d’aller où et vers qui ils seront envoyés… »

Curieusement, la lettre du 1er août ajoute ici quelques précisions à la version de juin ; et ces précisions éclairent sans doute la conception vincentienne de l’exemption, par l’évocation des thèmes de disponibilité et mobilité missionnaires. En effet, si les missionnaires se doivent d’obéir aux Ordinaires en ce qui regarde les Missions, le supérieur souhaite se réserver la « liberté » de choisir les missionnaires, nommer et déposer les supérieurs, de transférer d’une maison à une autre et « de les rappeler en quelque lieu ou on quelque maison qu’ils soient pour une mission ou si quelque nécessité l’exige ».

On soupçonne déjà là l’un des grands problèmes de la Mission naissante, qu’on pourrait traduire en langage d’aujourd’hui de la façon suivante : la tension entre les exigences de l’insertion pastorale et les nécessités de la disponibilité-mobilité missionnaire.

 

6) Les Structures de la Communauté

Elles ne sont qu’évoquées dans le texte. On peut cependant remarquer qu’aussitôt après avoir demandé le droit d’édicter statuts et règlements pour la Compagnie, la lettre poursuit : « …Que votre Sainteté veuille bien accorder encore audit Vincent plein pouvoir de corriger, modifier et retoucher les règles, quand elles seront faites, publiées et édictées, toutes les fois que les dispositions et les changements des personnes et des choses et des temps le demanderont… »

Les règles ne sont pas composées… elles ne le seront que trente ans plus tard et déjà saint Vincent se soucie du droit de pouvoir les modifier compte tenu des changements des personnes et des choses et des temps. Cette conception évolutive des structures était à souligner.

Bien que rejetée par Rome (XIII, 225), cette supplique de saint Vincent fait clairement le point sur l’état et les projets de la jeune Communauté, en août 1628. « La Mission demeure la raison d’être de la Communauté ; la vie commune se structure à l’exemple des religieux » ; et, enfin, le problème de l’exemption dans l’insertion apparaît comme le cap à franchir.

 

4. « … Cette nouvelle Mission extraordinaires ». (4 déc. 1630)

Avent d’en venir à la très intéressante « Opposition des Curés de Paris » où l’on trouve cette curieuse expression « Mission extraordinaire », opposée aux « prêtres ordinaires », il convient de faire état des quelques échos que nous trouvons dans la correspondance de l’époque de la vie de la Communauté.

Toujours très active (missions à Beauvais, Montmirail, Chelles, Bergier, Mesnil…) elle ajoute à ses travaux l’Œuvre des Ordinands, lancée à Beauvais en septembre 1628. (I, 65-66). Elle semble cependant observer le temps de résidence prévu, dans le Contrat, pour les mois d’été. Le 12 septembre 1631, saint Vincent écrit :

« Nous vivons d’une vie quasi aussi solitaire à Paris que les Chartreux, pource que, ne prêchant pas ni catéchisant ni confessant à la ville, personne presque n’a à faire à nous, ni nous à personne ; et cette solitude nous fait aspirer au travail à la campagne, et ce travail à la solitude. » (I, 122)

On sent bien quelque nostalgie de la Mission dans ces lignes. Que faisait-on pendant ces longs mois ? Une autre lettre, également de septembre, mais de 1628 nous en donne quelque idée. Saint Vincent est à Beauvais et écrit à M. du Coudray qui devait le remplacer à la tête de la Communauté des « Bons-Enfants ». (I, 64-68) : [56] « … Mais comment se porte la Compagnie ? Tout le monde est-il en bonne disposition ? Chacun est-il bien gai ? Les petits règlements s’observent-ils toujours ? Étudie-t-on et s’exerce-t-on sur la controverse ? Y tenez-vous l’ordre prescrit ? Je vous supplie, Monsieur, qu’on travaille à cela qu’on possède bien le petit Bécan. Il ne se peut dire combien ce petit livre sert… !! »

On apprend également, par cette lettre, que M. Lucas est détaché pour son travail et Monsieur Vincent se soucie de sa relation la Communauté : « Comment se porte M. Lucas en son travail ? Cet emploi lui revient-il ? Revient-il souper et coucher au Collège ? Assiste-t-il à nos Conférences ? »

Quoiqu’il en soit, cette vie Commune en résidence apparaît bien comme une sorte de parenthèse dans la vie missionnaire et la situation « normale » pour la Communauté est en mission. On y est à tour de rôle supérieur (IX, 8), et St Vincent écrit au P. Portail, le 21 juin 1631 : « J’espère beaucoup de fruit de la bonté de Notre-Seigneur, si l’union, la cordialité et le support sont entre vous deux… et parce que vous êtes le plus ancien, le second de la Compagnie et le supérieur supporte tout, je dis tout, du bon M. Lucas ; je dis encore tout, de sorte que vous déposant de la supériorité, ajustez-vous à lui en charité… Surtout qu’il ne paraisse point aucune scission entre vous. Vous êtes là sur un théâtre sur lequel un acte d’aigreur est capable de tout gâter… » (I, 112-113).

Ces curieuses consignes à un supérieur en mission donnent quelque idée de l’esprit que saint Vincent voulait entretenir dans ses Communautés Apostoliques.

Mais beaucoup plus que les problèmes internes à la Communauté, c’est la situation de la Compagnie dans l’Église en général et dans l’Église de France en particulier qui préoccupe saint Vincent.

En 1631, le Parlement de Paris doit entériner les lettres Patentes par lesquelles le Roi approuve la Congrégation de la Mission (XIII, 206-208 ; 225-227). Mais, au nom des Curés du diocèse de Paris, « le Syndic des curés de cette ville et faubourgs » fait opposition (XIII, 227-232). C’est un texte « dur », presque « polémique ». Mais cette opposition sera certainement, pour saint Vincent, révélatrice et l’amènera à mieux préciser la place de la « Mission » dans l’Église.

Trois griefs sont faits aux « soi-disant prêtres de la Mission » :

– on craint qu’ils ne renoncent pas vraiment aux emplois dans les villes ;

– on craint qu’ils s’immiscent intempestivement dans les paroisses ;

– on craint qu’ils en viennent à vouloir participer aux revenus des paroisses…!

Certes, dans la Contrat, la Communauté s’engage clairement sur tous ces points, mais cela n’est pas suffisant : « …car bien que toutes telles congrégations, de prime abord et en la source de leur première institution, soient très pures et fondées dans la considération de la plus éminente piété, dans la suite des années, l’ambition et l’avarice les changent entièrement… »

D’où trois conditions expresses :

– « qu’aucun vienne dedans une paroisse sans la permission du Curé ;

– « qu’aucun exercice de mission ne se fasse aux heures des offices habituels ;

– « que soit, à tous ces nouveaux prêtres de la mission, retranchée et ôtée l’espérance de pouvoir jamais prétendre, ni demander, soit sur le bénéfice de l’Église où ils entreront, soit sur le peuple, aucune rétribution de salaire… à quoi il est d’autant plus nécessaire de pourvoir, qu’il est certain que, quelque prétexte qu’ils prennent, en cette nouvelle institution, de refuser, leur intention n’est autre sinon de parvenir insensiblement à un partage des bénéfices… »

A plusieurs reprises, dans ce texte, intervient un parallèle ou plus exactement une opposition entre le ministère ordinaire et le ministère extraordinaire. On craint « des rixes et querelles journalières… entre les prêtres ordinaires [57] et ceux, de cette extraordinaire Mission, laquelle extraordinaire Mission serait inutile si les évêques soigneux à la un troupeau ne donnaient point les cures qu’à personnes de piété et capacités connues. Auquel cas, un curé serait suffisant pour célébrer le service, prêcher et catéchiser. Doncques la cour, s’il lui plaît, remédiera à ce point que cette nouvelle Mission extraordinaire ne nuise point aux fonctions de l’ordinaire… »

Dans sa forme « polémique », ce texte révèle bien la difficulté de situer la Mission dans la Pastorale Ordinaire. Ces mises en garde des Curés de Paris, comme sans doute aussi les difficultés rencontrées « sur le terrain », amèneront saint Vincent à préciser son projet. On le remarque, entr’autres, dans les consignes qu’il donne à François du Coudray envoyé à Rome pour activer l’affaire de la reconnaissance de la Congrégation.

 

5. …« Les cinq maximes fondamentales de la Congrégation »

Cette même année 1631, an effet, (I, 115-116), saint Vincent est amené à préciser ce qu’il appelle – par deux fois – les cinq maximes fondamentales de la Congrégation ; ajoutant qu’on n’y pourrait rien changer ni ôter qui ne portât un très grand préjudice. »

Ces consignes à M. du Coudray, envoya à Rome, sont précédées et motivées par le rappel de la raison d’être de la Communauté :

Le pauvre peuple se damne… c’est la connaissance qu’on en a eue qui a fait ériger la Compagnie … pour ce faire, il faut vivre en Congrégation… C’est très clair, il faut vivre en Congrégation pour assurer le travail d’évangélisation qu’on se propose.

D’ailleurs, les quatre premières maximes fondamentales de la Congrégation ne portent que sur le travail missionnaire :

–      laisser le pouvoir aux évêques d’envoyer les missionnaires dans la part de leur diocèse qu’il leur plaira ;

–      que les missionnaires seront soumis aux curés où ils font la mission, pendant le temps d’icelle ;

–      que la mission soit totalement gratuite et que les missionnaires vivent à leurs dépens ;

–    que l’on renonce à tout ministère en ville (où il y a évêché ou présidial ; sauf pour les Ordinands ct ceux qui feront les exercices dans la maison.

Il s’agit de situer la Mission dans l’Église, juridiquement et pastoralement. La Mission doit être, non pas « extraordinaire » comme le craignent les Curés de Paris, mais « envoyée » par l’évêque et « soumise » aux Curés. L’option est nette et la volonté d’insertion (comme l’on dirait aujourd’hui) Évidente, pendant le temps de la mission.

La gratuité du travail et la renonciation aux villes maintiendront, de leur côté, la Congrégation dans sa ligne désintéressée et missionnaire au service des pauvres gens des champs.

Enfin, la dernière maxime affirme la nécessité d’une autonomie de la Communauté. Soumise et « insérée » dans son travail, elle n’en est pas pour autant ni diocésaine, ni, à fortiori, paroissiale et le supérieur revendique l’entière direction d’icelle.

Ces cinq maximes doivent donc, selon saint Vincent, être considérées comme fondamentales de la Congrégation. Elles affirment tout à la fois mais à des niveaux différents l’insertion pastorale de la Mission, et son autonomie. C’est là la volonté de saint Vincent qui, pour le moment semble perçue comme « contradictoire » par Rome : l’autonomie souhaitée lui semblant « tendre à l’institution d’une nouvelle religion » . [58]

Mais Monsieur Vincent sait être persévérant. Grâce sans doute aux difficultés rencontrées (comme l’opposition des Curés de Paris), il a précisé son « dessein » et ne veut lâcher aucun des deux bouts de la chaine ! Insérée mais autonome ; et il conclut : « …Baste pour les paroles, mais pour la substance, il faut qu’elle demeure entière… Tenez y donc ferme et faites entendre qu’il y a de longues années que l’on pense à cela et qu’on en a l’expérience. »

Cette période du « Collège des Bons-Enfants » (1625-1632) constitue bien la première étape et la première forme de la Communauté de la Mission. Une Communauté qui intérieurement s’organise et qui extérieurement cherche à se situer dans l’Église.

Intérieurement, le fait de la résidence semble avoir été important. Le contrat de Fondation, on l’a vu, prévoyait de longues périodes de résidence : un mois de missions et 15 jours de résidence plus les mois de juin, juillet, août et septembre. Cela représente pratiquement six mois sur douze de résidence communautaire. Certes, il semble bien que ce rythme et cette alternance ne furent guère mathématiquement respectés, le temps de travail mordant souvent sur les temps de résidence, mais dès cette époque il apparait que l’organisation de ces longs jours de résidence (conçus plus ou moins sur un type « religieux ») modifie progressivement le style communautaire de ce qui n’était, au début, qu’une “Équipe de travail »… comme l’on dirait aujourd’hui. (Un certain phénomène de sédentarisation... ?)

Extérieurement, la Communauté cherche à se situer dans l’Église, par rapport à la Pastorale Ordinaire de l’Église. L’opposition des Curés de Paris se présente comme une sorte de « phénomène de rejet ». On demande que « cette nouvelle Mission Extraordinaire ne nuise pas aux fonctions de l’Ordinaire » et l’on se méfie beaucoup de « tous ces nouveaux Prêtres »… Dans les cinq maximes envoyées à M. du Coudray, saint Vincent situe vigoureusement sa Communauté dans l’Église : Totalement désintéressée, la Communauté dépendra – pour son travail Apostolique – des Évêques et sera soumise aux curés « où elle fait mission » ; mais pour sa vie et son organisation interne, elle ne dépendra que « du supérieur de la compagnie ».

On le voit, avec les termes et les réalités du temps, c’est tout le problème de l’insertion pastorale et de l’autonomie de la Communauté qui est ici posé et défini.

Au cours de cette période du « Collège des Bons-Enfants », la première communauté de la Mission s’organise donc intérieurement et se définit et se situe dans l’Église et par rapport « aux fonctions de l’Ordinaire »

Jean MORIN, CM 🔸

Au cours de cette période du « Collège des Bons-Enfants », la première communauté de la Mission s’organise donc intérieurement et se définit et se situe dans l’Église et par rapport « aux fonctions de l’Ordinaire ».

POUR CONNAÎTRE DAVANTAGE :

Visitez le site des Archives de la Congrégation de la Mission – Maison-Mère

 

www.docsvincentiens.fr

Saint Vincent de Paul et la communauté (I – II)

Fidèles à la volonté de saint Vincent, nous vivons en communion fraternelle - comme les Apôtres avec le Christ - formant une communauté de travail, de prière et de biens destinée à favoriser le progrès de notre apostolat et notre propre épanouissement !

Saint Vincent de Paul et la communauté (I – II)

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Saint Vincent de Paul et la communauté (I – II)

Le père Claude LAUTISSIER, directeur des Archives de la Congrégation de la Mission à la Maison-Mère de Paris, nous offre un article (numérisé) du père Jean Morin autour des origines de la « communauté » telle que saint Vincent de Paul l’a conçue pour les confrères de son temps et que nous pouvons relire à la lumière de notre expérience actuelle. Notre vie en commun destinée à la Mission le père Morin n’arrête pas de nous le dire ! Bonne lecture de ces deux premières parties.

Fidèles à la volonté de saint Vincent, nous vivons en communion fraternelle – comme les Apôtres avec le Christ – formant une communauté de travail, de prière et de biens destinée à favoriser le progrès de notre apostolat et notre propre épanouissement ! (Constitutions, 29).

Dans ce texte, le fait, la finalité et les niveaux de la vie communautaire, dans la Mission, sont présentés comme une fidélité « à la volonté de saint Vincent »

Mais les réalités et les exigences de la Pastorale d’aujourd’hui semblent bien souvent, remettre en cause sinon le fait du moins les modalités de notre vie de Communauté. Et on souhaiterait interpréter ce n. 29 des Constitutions à la lumière du n. 18 qui, à propos de l’Activité Apostolique, précise :

  • A l’occasion nous n’hésiterons pas à frayer des voies nouvelles, plus en harmonie avec les situations concrètes et changeantes des personnes et des choses.
  • Cette recherche et, éventuellement, ces « voies nouvelles » devront cependant toujours s’inspirer d’une fidélité à la volonté de saint Vincent ; et c’est pourquoi un essai sur « Saint Vincent et la Communauté » peut avoir, aujourd’hui, son utilité.
  • Au cours de cette étude, nous tenterons de suivre les expériences successives et progressives de saint Vincent de Paul, en matière de Communauté. Peut-être comprendrons-nous mieux ainsi la pensée qu’il nous livre dans ses Entretiens comme aussi la fidélité qui nous est demandée dans la Mission d’aujourd’hui.

I. LES ANTÉCÉDENTS

 

Avant d’en venir aux premières réalisations « communautaires » d’après 1617, il est sans doute utile de mentionner quelques antécédents plus ou moins directement en rapport avec l’idée que, plus tard, saint Vincent se fit de la Communauté.

1. La Communauté … « une famille »

Très souvent et spontanément saint Vincent emploie, pour parler de la vie de communauté, des termes et expressions empruntés à la vie de famille. Cela ne lui est évidemment pas propre mais mérite d’être noté. Parlant, par exemple, de leur communauté locale lorsqu’ il écrit aux supérieurs, il emploie souvent le mot « famille » :

« Monsieur Dufestel et sa famille de Troyes … » (I, 538) – « J’embrasse avec tendresse toute votre famille … » (I, 445) [1]

Des remarques pourraient être faites au sujet des Confréries et des Filles de la Charité. Faut-il chercher dans l’expérience et les souvenirs de famille de saint Vincent les racines profondes et inconscientes de cette relation, que si fréquemment et spontanément il établit entre Communauté et Famille ? Aux historiens et aux psychologues de se prononcer. Ce que l’on sait, en tout cas, de la famille et do l’enfance de saint Vincent nous permet de supposer qu’il en conservait un souvenir heureux malgré la rudesse de la vie qu’il y connut.

2. La Communauté … Moyen de « perfection sacerdotale»

Au cours de ses deux premières expériences de Communauté, il semble bien que saint Vincent ait d’abord perçu la Communauté comme un moyen de perfection :

a) L’expérience Oratorienne (1611-12)

En 1611-1612, saint Vincent a eu l’occasion d’expérimenter une certaine vie commune avec les premiers Oratoriens. Abelly l’affirme (1664 ; I, 6, 24). Il croit même pouvoir préciser « qu’il demeura environ deux ans en cette retraite ».

On sait peu de choses sur cette communauté des premiers Oratoriens et, en fait, pratiquement rien sur la durée et les modalités du séjour qu’y fit saint Vincent. Il semble probable qu’au cours de cette période la Communauté lui apparut d’abord comme un moyen de perfection et sanctification sacerdotale. C’était l’optique de Bérulle qui disait à ses premiers disciples :

« … Le même Dieu qui a rétabli en nos jours, en plusieurs familles religieuses, l’esprit et la ferveur de leur première institution, semble vouloir aussi départir la même grâce et faveur à l’état de prêtrise qui est le premier, le plus essentiel et nécessaire à son Église et renouveler en icelui l’état et la perfection qui lui convient selon son ancien usage et sa première institution. Et c’est pour recueillir cette grâce du ciel … que nous sommes assemblés en ce lieu et en cette forme de vie qui se commence … » (Migne, 1270)

Communauté, moyen de perfection Sacerdotale ; il semble bien que ce soit d’abord sous cet angle que saint Vincent vécut sa courte expérience Oratorienne sous la direction de Bérulle.

b) L’expérience de Châtillon (1617)

Dans l’un des documents du procès de béatification de saint Vincent se trouve « Le rapport de Charles Démia sur le séjour de saint Vincent à Châtillon-les-Dombes » (XIII, 45-54). On y apprend qu’à son arrivée, six vieux prêtres sociétaires y vivaient dans un grand libertinage. Secondé par Monsieur Louis Girard, son vicaire et futur successeur, « Monsieur Vincent apporta un notable changement, tant en leurs actions qu’en leurs mœurs ; et ce fut par une façon de faire bien singulière… Il les porta à vivre en commun et empêcha que les biens d’Église ne se dissipassent … ».

Notons donc cet essai de « Vie en commun » suggéré et réalisé par saint Vincent et remarquons que le contexte semble bien indiquer que cette vie en commun est, ici [48] encore, considérée d’abord comme un moyen efficace de soutient et de Perfection des prêtres. Cc qui paraît toujours bien dans la ligne bérullienne.

3. La Communauté … moyen apostolique : « les Confréries »

Peut-on parler « d’expériences communautaires » à propos des Confréries de la Charité ? Le mot, en tous cas, est employé par saint Vincent lui-même dans les Règlements (XIII, 430).

Les Confréries de la Charité constituent, on le sait, « la toute première » fondation vincentienne. Et – pour nous en tenir ici à l’année 1617 – l’Acte de fondation (XIV, 125-126) et le Premier Règlement (XIII, 423-439) de la Confrérie de Châtillon révèlent peut-être déjà une importante évolution dans la pensée et l’expérience de saint Vincent, concernant la « Communauté ». La lecture de ces deux textes suggère, en effet, plusieurs remarques :

a) le caractère et la finalité nettement apostolique de l’Institution

Jusqu’alors, on l’a vu, saint Vincent semble avoir abordé « la Communauté « comme d’abord un moyen de Perfection. Cette fois, il s’agit clairement et d’abord d’un moyen de meilleur service. « Les Dames sous-nommées se sont charitablement associées pour assister les pauvres malades » (XIV, 425). Et l’on retrouve pratiquement la même formule dans chacun des Règlements. On se met ensemble pour assister les Pauvres. On retrouvera une formule analogue dans le Premier Contrat d’Association de la Mission du 4 septembre 1626 : « quelques ecclésiastiques qui se lient et s’unissent ensemble pour s’employer, en matière de mission, à catéchiser, prêcher… » (XIII, 204)

b) la notion d’ordre pour un meilleur service

C’est certainement là l’un des « leviers » de la pensée de saint Vincent concernant l’Institution « communautaire » de la Confrérie de Châtillon. Il faut se mettre ensemble pour assurer un service plus efficace et mieux reparti. L’introduction (très intéressante !) du Règlement (XIII, 423) remarque que les pauvres » ont parfois beaucoup souffert, plutôt pour faire d’ordre à les soulager que de personnes charitables. « Nous avons sans doute là l’écho de cc diagnostic, typiquement vincentien, qu’Abelly prête à saint Vincent au soir de l’événement de Châtillon : « Voilà une grande Charité … mais celle-ci n’est-pas-bien réglée ». (Abelly, 1664, I, 10, 46). La Confrérie sera donc moyen d’un service ordonné, bien réglé.

c) la notion de durée pour un meilleur service

La Confrérie établie et organisée « par ensemble » sera également un moyen et une garantie ; de durée au service des pauvres. « … Mais, parce qu’il est à craindre qu’ayant commencé ce bon œuvre, il ne dépérisse dans peu de temps, si, pour le maintenir, elles n’ont quelque union et liaison spirituelle ensemble, elles sont disposées à se joindre en un corps… » (XIII, 423). L’union et liaison spirituelle ensemble est ici nettement présentée comme le moyen d’assurer la durée pour le service des pauvres.

C’est là encore un aspect que l’on retrouvera souvent concernant la Communauté selon saint Vincent (I, 58 ; III, 56). Dans et pour le service, « quelqu’union et liaison spirituelle ENSEMBLE » est moyen et garantie de durée et de persévérance.

d) On peut enfin noter le caractère « séculier » et « paroissial » de cette première Institution vincentienne qui aura également quelque retentissement- dans la suite.

Connaissant le prix que donnait saint Vincent à l’expérience, on peut facilement supposer que « les antécédents » que nous venons d’évoquer ont eu leur place et leur influence dans le cheminement de la pensée de saint Vincent concernant la Communauté, en générale et la Communauté de la Mission en particulier. Nous aurons sans doute l’occasion de le remarquer dans la suite. [49].

 

II. LA NÉCESSITÉ D’UNE COMMUNAUTÉ : (1617-1625)

 

Les documents et témoignages sur cette période (1617-1625) sont rares. Nous n’avons pratiquement que les souvenirs évoqués, longtemps après, par saint Vincent lui-même au cours de ses Entretiens. Une lecture attentive do ces quelques textes pout, cependant, nous donner une idée du cheminement qui – au rythme même des missions – aboutit à la fondation de la première Communauté de la Mission.

 

1. …. « Ne pouvant plus y suffire… » (XI, 4-5)

Tout est donc parti de l’évènement Gannes-Folleville: la confession, suivie 10 25 janvier 1617 de la prédication … « et toutes ces bonnes gens furent si touchées de Dieu qu’ils venaient tous pour faire leur confession générale. Je continuai de les instruire et de les disposer aux sacrements et commençai de les entendre. Mais la presse fut si grande que, NE pouvant plus y suffire, avec un autre prêtre qui m’aidait, Madame envoya prier les Révérends Pères Jésuites d’Amiens de venir au secours ; elle en écrivit au R.P. Recteur qui y vint lui-même et, n’ayant eu le loisir d’y arrêter que fort peu de temps, il envoya pour y travailler en sa place le R.P. Fourché, de sa même Compagnie, lequel nous aida à confesser, prêcher et catéchiser, et trouva, par la miséricorde de Dieu de quoi s’occuper. Nous fûmes ensuite aux autres villages … et nous fîmes comme au premier.

De ce premier témoignage, il ressort que cette toute première mission révéla d’emblée à saint Vincent le besoin, la nécessité d’être aidé, d’être plusieurs pour faire face à « la presse ». Cette constatation toute simple et concrète a son importance : Dès Folleville, la Mission se révèle disproportionnée au travail d’un seul. L’expérience faisant son chemin, on verra dans le Contrat de 1625 que fondateurs et Monsieur Vincent semblent s’être mis d’accord sur le nombre de six missionnaires, dans la mesure bien sûr où la Mission se cantonne sur les terres des de Gondi.

 

2….. « L’on pense aux MOYENS » … (XI, 170-171)

Le deuxième témoignage, sur cette période 1617-1625, est un peu plus explicite sur l’après-Folleville. Après avoir dit qu’il fallut faire appel aux PP. Jésuites, saint Vincent poursuit : « Ensuite, voyant que cela réussissait, on pensa aux moyens de « faire que de temps en temps – l’on allât sur les terres de madite dame pour y faire mission. Je fus chargé d’en parler aux PP. Jésuites pour les prier d’accepter cette fondation. Je m’adressai au R.P. Charlet. Mais ils me firent réponse qu’ils ne pouvaient point accepter cette fondation et que cela était contraire à leur Institut ; de sorte que, comme l’on vit cela et qu’on ne trouvait personne qui se voulut charger de faire ces missions, on résolut d’associer quelques bons prêtres… »

Cc deuxième témoignage suppose une période de réflexion, recherche et démarche. Dès Folleville s’est imposé la nécessité d’être plusieurs. Après plusieurs missions, une autre nécessité apparaît : celle de la stabilité des missionnaires et d’une certaine spécialisation pour les Missions. C’est que le ministère « occasionnel » des missions tend lui-même à s’organiser et se stabiliser ; « on pensa aux moyens de faire que, de temps en temps, l’on allât … pour y faire mission ». Et c’est tout naturellement qu’on en vient à l’idée de fondation.

Il semble donc bien que, chez saint Vincent, l’idée même de Communauté surgi des exigences de la Mission, des réalités concrètes du travail. (Il faut être plusieurs ; il faut être stables et tout donnés aux missions.) [50]

 

3.… « Monsieur Portail et moi » … (XII, 1-8)

Le troisième témoignage de saint Vincent, sur la période 1611-1625, donne quelques lumières sur la phase précédant immédiatement le Contrat de Fondation. Rappelant la prédication de Folleville, le succès, l’intervention de deux Pères Jésuites, il poursuit :

« … ce qui fut cause qu’on continua le même exercice dans les autres paroisses de madite Dame durant plusieurs années, laquelle enfin voulut entretenir des prêtres pour continuer des missions et nous fit avoir à cet effet le Collège des Bons-Enfants, où nous nous retirâmes, M. Portail et moi, et prîmes avec nous un bon prêtre, à qui nous donnions 50 écus par an. Nous nous en allions ainsi tous les trois prêcher et faire la mission de village en village. En partant, nous donnions la clef à quelqu’un des voisins, ou nous-même nous les priions d’aller coucher la nuit dans la maison… »

Selon ce texte, l’équipe « Apostolique » composée de saint Vincent et de deux Pères Jésuites semble avoir fonctionné « durant plusieurs années », jusqu’à la constitution de la petite communauté des Bons-Enfants. Le passage de la collaboration « occasionnelle » des PP. Jésuites à la Communauté missionnaire (à plein temps) du Collège des Bons-Enfants est, sans doute, très important et constitue le dernier maillon avant la Fondation. L’acquisition du Collège des Bons-Enfants date du 6 mars 1624 ; on verra que saint Vincent lui-même ne pût y séjourner avant la fin de 1625, mais pendant un an la petite communauté missionnaire pourra expérimenter le « style de vie » qui sera retenu dans le contrat de fondation.

 

4. … « s’appliqueront entièrement au soin dudit pauvre peuple »…

Le Contrat de Fondation est signé le 11 avril 1625 (XIII, 197-202). Il est facile de retrouver, dans ce texte, l’écho et les conclusions des expériences que nous venons d’évoquer.

 

a) Le caractère nettement et prioritairement apostolique de la Communauté.

« …quelques ecclésiastiques de doctrine, piété et capacités connues qui voulussent renoncer POUR s’appliquer entièrement et purement au salut du pauvre peuple, allant de village en village… » et Monsieur Vincent est chargé d’élire et choisir, dans l’année, six personnes ecclésiastiques, ou tel nombre que le revenu de la présente fondation en pourra porter… pour travailler audit œuvre… »

La Communauté apparaît bien comme le moyen d’assurer la Mission.

 

b) La disponibilité missionnaire des personnes et de la Communauté est fermement soulignée

On a remarqué les deux adverbes « entièrement et purement ». C’est là, sans doute l’écho des difficultés et insuffisances perçues au cours des huit années précédentes, lorsque saint Vincent devait faire appel à des aides « occasionnels ». Cette stabilité (qui demeurera, on le sait, un souci majeur de saint Vincent) et cette entière disponibilité paraissent tellement essentielles à la Mission qu’une série de mesures concrètes et exigeantes sont prévues. Il faudra renoncer expressément à toutes charges, bénéfices et dignités et s’obliger » de ne prêcher ni administrer aucun sacrement ès-ville dans lesquelles il y aura archevêché, évêché ou présidial ». Curieusement, et toujours dans le même souci, il est précisé : « …à la réserve néanmoins qu’avenant que quelque prélat ou patron désirât conférer quelque cure à l’un d’entre eux pour le bien administrer, celui qui lui serait présenté par ledit directeur ou supérieur la pourrait accepter et exercer, ayant préalablement servi huit ou dix ans audit œuvre et non autrement, si ce n’est que le supérieur, de l’avis de la Compagnie, jugeât convenable de dispenser quelqu’un dudit service de huit ans. » Ces huit ans-minimum au service de la Mission exprime bien le souci, souci de stabilité et disponibilité né des exigences mêmes de la Mission. [51]

c) L’expression « vivre en commun » est employée dans le Contrat, et on la retrouvera pratiquement dans toutes les pièces officielles par la suite

« … Lesdits prêtres vivront en commun sous l’obéissance dudit sieur de Paul, en la manière susdite, et de leur supérieur à l’avenir après son décès, sous le nom de Compagnie, Congrégation ou Confrérie des Pères ou Prêtres de la Mission… »

Et il ne s’agit pas là d’une expression vague et classique dans pareil contrat puisque son contenu est largement explicité par la suite : d’octobre à juin, on prêchera des Missions au rythme suivant : un mois de mission et quinze jours « en leur maison commune ». Pendant les mois de juin, juillet, août et septembre, on rendra service aux curés qui le demanderont et l’on étudiera « pour se rendre d’autant plus capables d’assister le prochain. »

d) Outre la Communauté de travail et de vie, le Contrat prévoit et précise aussi la communauté de biens

Le texte insiste d’abord sur la gratuité des Missions. Les Missionnaires choisis par saint Vincent devront « s’appliquer entièrement et purement au salut du pauvre peuple, allant de village en village, aux dépens de leur bourse commune ».

Cette « bourse commune » sera alimentée régulièrement par le revenu de la somme de Fondation : Ladite somme de 45 000 livres sera par ledit sieur de Paul, de l’avis des dits seigneur et dame, employée en fonds de terre ou rente constituée, dont le profit et revenu en provenant servira à leur entretien, vêtements, nourriture et autres nécessités ; lequel fonds et revenu sera par eux géré, gouverné et administré comme chose propre »

Ces précisions sont importantes car saint Vincent conservera ce statut économique pour sa Congrégation et ses communautés locales. Les membres de la Communauté renonçant à toutes autres sources de revenu (charges, bénéfices, dignités) ; le travail des missions étant gratuit, la Communauté des missionnaires ne pouvait donc vivre et subsister que par las revenus ou rentes de la Fondation, lesquels constituaient ce que le contrat appelle « la bourse commune ».

C’est là, dirions-nous aujourd’hui dans un sens purement économique, un système « capitaliste » : Les communautés de la Mission vivant de revenus et cela pour assurer et la gratuité des missions et la durée de la mission. Car, si les missionnaires vivent de bénéfices ou dignités « personnels », la tentation sera grande de regarder en arrière. Or, il faut à la Mission des ecclésiastiques qui s’y adonnent « entièrement et purement ».

La Communauté de biens, dans ce contrat, n’est donc pas le fait de mettre en commun la totalité des « fruits du ministère », puisque le ministère est gratuit ; elle est d’une part dans la renonciation aux revenus personnels et d’autre part dans le fait de vivre de la « bourse commune » alimentée par les revenus de la Fondation.

Le Contrat de Fondation du 17 avril 1625 se présente bien comme l’aboutissant et une sorte de synthèse de l’expérience missionnaire de saint Vincent au cours des années 1617-1625. La « communauté » y apparaît comme un moyen nécessaire pour la Mission : il faut être plusieurs pour faire face au travail ; il faut être ensemble pour le bien faire ; il faut y être consacrés « entièrement et purement ». Ce sont ces évidences Apostoliques, puisées dans l’expérience de huit années de missions, qui sont à l’origine de la communauté de la Mission, et de ses premières structures. [51]

Jean MORIN, CM 🔸
Fidèles à la volonté de saint Vincent, nous vivons en communion fraternelle – comme les Apôtres avec le Christ – formant une communauté de travail, de prière et de biens destinée à favoriser le progrès de notre apostolat et notre propre épanouissement !
Constitutions de la Congrégation de la Mission n. 29
NOTES :
[1] Voir aussi : II, 312 ; 573 ; 611 ; – III, 57 ; 106 ; 114 ; 129 ; 133 ; etc…
Pour connaître davantage :
Visitez le site des Archives de la Congrégation de la Mission – Maison-Mère

www.docsvincentiens.fr

 

Les relations œcuméniques de M. Portal

Les relations œcuméniques de M. Portal

Dans la recherche de l’unité des chrétiens pour laquelle nous prions cette semaine, un événement important a marqué ces temps derniers : le désir d’évêques et de fidèles anglicans de rejoindre l’Église catholique et la réponse positive de Benoît XVI. Il y a plus de 120 ans, un long travail de rapprochement avait été tenté entre catholiques et anglicans par deux hommes dont un modeste lazariste, Monsieur Fernand PORTAL, dont on aurait pu parler dans cette conjoncture ; il nous enseignait déjà une démarche œcuménique pour aujourd’hui.

Benoît XVI dans la Constitution apostolique Anglicanorum coetibus sur l’accueil des Anglicans, dit ceci :  «Récemment, sous l’action du Saint Esprit, des groupes d’anglicans ont demandé de manière répétée et insistante à être reçus dans la pleine communion catholique, à titre individuel mais aussi collectivement. Le Siège apostolique a répondu favorablement à ces demandes. En effet, le successeur de Pierre, […] ne pouvait pas manquer de mettre à disposition les moyens nécessaires pour que se réalise ce saint désir.»

Ce saint désir… Ce fut celui de ces deux hommes, passionnés par le rapprochement avec l’Église anglicane, Lord Halifax, un anglican, et Fernand Portal.

D’emblée, entre eux, l’amitié fut soudée pour durer. “Parce que c’était lui, parce que c’était moi,” disait qui vous savez. Cette amitié si soudaine fut, somme toute, surprenante. Lord Halifax, de haute noblesse, plus âgé de seize ans, d’esprit plus mûr, d’une culture très éclectique, connaissant la vie, les luttes parlementaires et le maniement des hommes, en position d’influence et de prestige dans la société et l’Église d’Angleterre ; c’est lui qui introduira M. Portal dans les milieux anglicans.

En face, Fernand Portal, fils d’un modeste cordonnier des Cevennes, devenu lazariste et professeur de grand séminaire. Mais Lord Halifax découvre en lui un esprit ouvert, une intelligence prompte, une sûreté de jugement, une formation théologique et canonique étendue, une expérience déjà longue des hommes, de leurs aspirations, de leurs difficultés. C’est un prêtre, instruit, déjà mûri par l’exercice du ministère. Portal s’éprend de ce laïc, consumé de zèle pour le service du Christ et de son Église. Tous deux ont en commun des vertus — les vertus de Vincent de Paul — la simplicité, la douceur, l’humilité, la valeur du temps et des longs mûrissements — “il ne faut pas enjamber sur la Providence,” disait Vincent — et puis cette espérance et cette confiance obéissante qui ne se dément jamais, même en 1896 après la bulle de Léon XIII Apostolicæ Curæ sur l’invalidité des ordinations anglicanes. Ces vertus ont donné aux conversations de Lord Halifax et de Portal le tour qu’on leur connaît. Elles n’ont pas peu contribué aux climats de leur combat pour l’Union.

Avec Lord Halifax, avec les séminaristes rue du Cherche-Midi, avec les Normaliens et les nombreux amis rue de Grennelle, Portal avait l’art de la conversation. Il savait écouter, il laissait à la pensée le temps de se déployer et de se formuler. Alors modestement, il donnait son avis avec précision, puis le dialogue reprenait, toujours appuyé sur une théologie et une philosophie des plus sûres. Et chacun repartait content de l’autre et content de soi ; toujours conscient d’avoir vécu des instants de vérité profonde.

Dans le dialogue œcuménique, M. Portal n’employait pas les méthodes apologétiques en usage de son temps et c’est là qu’il est précurseur, car c’est la posture œcuménique d’aujourd’hui. Au lieu de partir des divisions, il préférait voir ce qui unit. Il aimait à dire : «Persuader l’adversaire qu’il a tort est chose facile dans les livres ; mais, dans la vie, la polémique a toujours creusé plus de fossés qu’elle n’en a comblés. Aller loyalement non pas aux adversaires, mais aux frères séparés, la main tendue, heureux de trouver chez eux des trésors spirituels, qui non seulement entretiennent leur vie religieuse, mais peuvent encore, à l’occasion, enrichir la nôtre ; n’est-ce pas vraiment préparer l’union, parce que c’est déjà la vivre ?»

En cela, Mr Portal suivait les recommandations de Vincent de Paul aux Missionnaires dans leurs relations avec les Huguenots du XVIIe siècle : «Travaillons avec humilité et respect ; que l’on ne défie pas les ministres en chaire ; et cela en esprit d’humilité et de compassion, parce que, autrement, Dieu ne bénira pas notre travail. Ils jugeront qu’il y a de la vanité dans notre conduite, et ils n’y croiront pas. “Nous ne croyons pas les hommes parce qu’ils sont savants, mais parce que nous les estimons bons et que nous les aimons”. […] On ne croira pas en nous, si nous ne leur montrons amour et compassion ; autrement, nous ne ferons rien que bruit et peu de fruit.» (SV I, 295-296)

Sur le même ton, Portal dira aux Dames de l’Union qu’il avait fondées : «Nous devons travailler pour Notre-Seigneur ; c’est entendu. Mais il faut le faire dans un esprit très large, et tâcher d’imiter la largeur de Dieu (si j’ose m’exprimer ainsi) — Vincent parlait de l’amplitude de Dieu — et celle de Notre-Seigneur lui-même. Tout est ordonné à l’ordre surnaturel ; nous devons y tendre et y mener nos frères. Mais pour ceux-ci, il faut nous rappeler sans cesse qu’ils doivent y venir librement, et que nous devons respecter cette liberté avec des délicatesses infinies.»

Cet engagement œcuménique de Lord Halifax et de Portal sur quoi s’appuyait-il ? Cette connivence loyale sur les méthodes et les approches du dialogue avec les Anglicans, ce respect sincère de l’autre et de sa liberté, quelles en étaient les sources ? C’était, à l’évidence, leur foi en Jésus-Christ et leur attachement inconditionnel, chacun dans sa confession, à l’Église de Jésus-Christ.

Ce que l’on retient de Fernand PORTAL c’est son engagement œcuménique. Mais il y a dans la vie de ce modeste fils de Vincent de Paul un autre volet moins connu mais qui a profondément marqué sa vie  : son engagement caritatif et social.

Très tôt, dans son ministère dans les grands séminaires, le service des plus pauvres le hantait. En disciple de Vincent de Paul, il refusait de se cantonner dans une activité purement intellectuelle ou dans un professorat fermé ; il se laissait émouvoir par les besoins des pauvres et son émotion se concrétisait dans l’action.

C’est ainsi qu’en 1907, il fait la connaissance de Madame Gallice qui lui décrit ce qu’elle a découvert dans le quartier parisien de Javel. C’est l’horreur de la misère, des bidons villes. Portal visite les lieux ; c’est au-delà de la description. On a loué la maison d’un savetier — Portal, le fils du cordonnier connaît la semelle et le cuir— on y reçoit les enfants de la rue, c’est la première garderie. Bien vite celle-ci devient trop petite, il faut donc agrandir à la fois la maison et le cœur. Quelques femmes généreuses et compétentes se joignent au groupe, c’est le début des “Dames de l’Union”. Le service du Christ dans le pauvre les rassemble, dans l’esprit de Vincent de Paul. Le Père les forme, les accompagne, mais toujours dans le respect de leur statut et de leur liberté de laïques. “Dames de l’Union… l’appellation est lourde de sens ; ce groupe de femmes au service de la misère est témoignage pour les Églises : la foi en Jésus-Christ comme l’attachement en l’Église et le soulagement des pauvres doivent aller de pair. S’ils sont réalisés loyalement et simplement de part et d’autre, quels que soient les obstacles doctrinaux, ils deviennent les amorces de l’Union.

En 1917, on achète les Corbières sur les pentes du lac du Bourget ; ce sera un orphelinat. Comme celle de la rue de Lourmel, la communauté des Corbières doit témoigner de l’effort chrétien pour l’unité des Églises. Là, une chapelle en sera le signe : chapelle byzantine sous le ciel latin… Elle recueillera les restes de Fernand Portal et de Madame Gallice.

En cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens, citons cette phrase de Portal qu’on pourrait croire écrite aujourd’hui : « L’union des Églises, dit-il en 1896 dans la Revue Anglo-Romaine qu’il avait créée, l’union des Églises ne peut, en effet, être obtenue que par de vrais apôtres, c’est-à-dire par des hommes de foi, employant surtout les moyens surnaturels : la prière source de grâces, la charité qui donne la compréhension des âmes, même de celles dont nous sommes séparés, l’humilité qui nous fait avouer nos défauts et nos fautes. […] Nous sommes tous coupables à l’égard de l’Église, c’est un fait certain que nous devons reconnaître. Voilà, il me semble, les éléments essentiels de toute action en faveur de l’Union .» (F. PORTAL : « Le rôle de l’amitié dans l’union des Églises », article paru dans la revue Anglo-Romaine de 1896).

Claude LAUTISSIER, CM 🔸

L’union des Églises ne peut, en effet, être obtenue que par de vrais apôtres, c’est-à-dire par des hommes de foi, employant surtout les moyens surnaturels : la prière source de grâces, la charité qui donne la compréhension des âmes, même de celles dont nous sommes séparés, l’humilité qui nous fait avouer nos défauts et nos fautes. […]

Fernand PORTAL
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