LE MAL VAINCU! Cahier Vincentien N° 112

Qu’est-ce que le mal ? Qu’est-ce qui fait mal ? Pourquoi ça fait mal ? Pourquoi confondons-nous si facilement le bien et le mal, jusqu’à nous laisser duper par des réflexions et arguments qui pervertissent la réalité ?

LE MAL VAINCU! Cahier Vincentien N° 112

Cahier Vincentien N° 112
Cahier Vincentien N° 112

Cahier 112

Au temps de st Vincent de Paul

… et aujourd’hui

LE MAL VAINCU

EDITORIAL

            Un des grands déclics dans la vie de st Vincent fut le sacrement du pardon donné à un paysan picard. Cet évènement, reconnu par Vincent lui-même comme fondateur et relu comme tel à la faveur du renouveau conciliaire, ouvre au combat du Christ contre le mal, à la lutte contre les injustices qui éloignent de Dieu. Cela nous donne l’idée de travailler la question du péché, et très vite, nous comprenons que nous allons être renvoyés à celle de l’existence du mal. Vaste sujet qui risque fort de nous perdre dans tous ses méandres. Constatons en préambule que le Christ lui-même dans tout son enseignement ne dit jamais rien de l’origine du mal. Simplement, lorsqu’il se trouve face à une personne prise par le mal, il a une double parole qui tient lieu d’action : « silence – dehors ».

Qu’est-ce que le mal ? Qu’est-ce qui fait mal ? Pourquoi ça fait mal ? Pourquoi confondons-nous si facilement le bien et le mal, jusqu’à nous laisser duper par des réflexions et arguments qui pervertissent la réalité ?

Ecoutons les descriptifs de la société d’alors, pour constater si besoin l’étendue des dégâts. Ensuite, nous tenterons de trouver traces de l’auteur principal du mal, pour découvrir qu’il s’appuie toujours sur notre tendance à la complicité, via les pièges qu’il nous tend, appelés traditionnellement tentations et vices. Après ces recherches, en bons vincentiens, nous découvrirons des réponses adaptées pour sortir des affres de ce mal.

            Nous ne résoudrons pas tout le sujet en ce cahier mais nous chercherons à déceler la compréhension de st Vincent et ses réponses pour réagir face au mal. Cet homme de Dieu n’a jamais cherché à se protéger du mal mais bien à y faire face, et à s’investir corps et âme dans le combat du Christ contre le mal. Il n’a jamais eu peur de s’exposer aux conséquences du mal : guerres, maladies, pouvoir, discordes, pauvretés de toutes sortes. Il sait que sa mission est la continuation de celle du Christ qui en est sorti vainqueur.

LE MAL VAINCU

« Délivre-nous du mal ! » Que de fois nous répétons cette invocation en priant le Notre Père ! C’est une demande fondamentale de la prière que Jésus nous invite à adresser au Père. En effet, le combat contre le mal est vital et inéluctable ; car si nous savons qu’il n’y a pas de réponse à la question de son origine, nous ne pouvons pas ignorer sa présence en nous et dans le monde. Et en partant de l’Ecriture, et aussi de la condition humaine, il nous est possible de déchiffrer les exigences de ce combat.

Le livre de la Genèse (cf. ch. 1 et 2), nous donne une idée très positive de la condition humaine. Il énonce ainsi que la création est très bonne, que l’homme – homme et femme – a été créé à l’image de Dieu, et que la terre lui a été confiée pour la cultiver et la garder. « Dieu vit tout ce qu’il avait fait ; et voici : cela était très bon » (Gn 1, 31) ! Mais rapidement l’homme a voulu être comme Dieu, décider par lui-même du bien et du mal (cf. Gn 3,5).  « Séduit par le Malin, dès le début de l’histoire, l’homme a abusé de sa liberté » (Gaudium et Spes, n.13§1), il a succombé à la tentation et commis le mal.

Pourtant Dieu n’abandonnera pas l’homme à sa misère. Il ne cessera pas de lutter contre le mal qui se répand. Il n’abandonnera pas à son sort une humanité divisée en peuples ennemis. L’appel d’Abraham (Gn 12, 1-3) marque les débuts d’une nouvelle histoire de salut. En lui seront bénis tous les peuples de la terre (Gn 12, 3). Dès le début de l’histoire, Dieu s’oppose au mal qui est à l’œuvre. La miséricorde est sa manière de faire pour l’empêcher de prendre le dessus. Et cette histoire du salut culmine dans la personne de Jésus qui viendra pour vaincre le mal. Sur la Croix, il a pris sur lui tout le poids du mal, il a enlevé le péché du monde (cf. Jn 1, 29).

Nous pouvons aussi partir de l’existence humaine. « C’est en lui-même que l’homme est divisé. Voici que toute la vie des hommes, individuelle et collective, se manifeste comme une lutte, combien dramatique, entre le bien et le mal, entre la lumière et les ténèbres » (Gaudium et spes, n. 13 §2). Nous pourrions aussi relire le livre de Job qui nous présente le combat de l’homme affronté au mal. Le mal sera toujours au cœur de notre condition humaine. Il y est présent de manière indélébile, et il suffit d’ouvrir les yeux pour le voir en contradiction avec le mystère de Dieu. Personne n’en est exempt, à l’exception de la Vierge Marie qui en a été préservée. Le mal s’insinue mystérieusement dans l’histoire humaine. Il peut nous sembler qu’il est le plus fort, qu’il prend le dessus, car il se manifeste de multiples façons. Il nous est souvent difficile de lui donner un nom.  

En même temps, nous ne pouvons pas accepter de nous résigner. L’homme qui est destiné à la vie, qui rêve d’amour et de bien, est certes continuellement exposé au mal. Mais son cœur est rempli de protestations contre ce mal qui l’empêche de vivre pleinement ce pour quoi il a été créé. Rappelons-nous le cri de Jésus à Gethsémani, ce cri qui résume la protestation et l’aspiration des hommes à être délivrés du mal : « Abba…Père, tout est possible pour toi. Éloigne de moi cette coupe ! Cependant, non pas ce que moi, je veux, mais ce que toi, tu veux » (Mc 14, 36). Dès lors, nous savons aussi que l’amour sera toujours plus fort. C’est lui qui a vaincu et continue à vaincre le mal. Jésus est à nos côtés pour lutter contre ce mal et il viendra toujours à notre aide, lui qui nous en a déjà libéré, car par lui-même l’homme est incapable de vaincre ses assauts (cf. Gaudium et spes, n. 13§2). C’est bien là notre espérance, la force qui nous est donnée par sa présence pour aller de l’avant.

Dans la situation que vit l’Eglise aujourd’hui, de façon souvent dramatique, elle ne peut faire l’économie de prendre une vive conscience de la place du mal en son sein. Face à une si grande misère, à un si grand mal, comment continuer à parler de la sainteté de l’Eglise, alors que nous constatons combien elle est aussi pécheresse en ses membres ! En réalité, Jésus n’a pas fondé une Eglise faite exclusivement de héros et de saints ou qui serait comme une « citadelle de pureté ».  Dans un livre récent, le pape François écrit : l’Eglise est « une école de conversion, un lieu de combat spirituel et de discernement, où la grâce abonde en même temps que le péché et la tentation […] dans ces moments où l’Eglise se montre faible et pécheresse, aidons-la à se relever ; ne la condamnons pas et ne la méprisons pas, mais prenons soin d’elle, comme de notre propre mère » (Un temps pour changer, pp. 109-110). L’Eglise, nos communautés, chacun et chacune de nous, sont le lieu d’un combat gigantesque contre le mal. Nul ne peut s’y soustraire. L’Eglise ne peut se résigner à cette présence du mal en elle. Et nous savons aussi que Dieu ne l’abandonnera pas. Qu’il demeurera sa force pour vaincre le mal.

Dans cette lutte acharnée contre le mal, le discernement est essentiel. Il s’agit de changer notre regard, en le portant d’abord sur Dieu qui en Jésus vient nous délivrer, plutôt que de le porter sur nous-mêmes, même si cela est aussi nécessaire. En nous ouvrant au réel, en portant une attention aux germes qui poussent et qui sont souvent moins visibles que nos difficultés, nous pourrons nous mettre à l’écoute de ce que Dieu nous dit. Écouter en laissant de côtés nos préjugés, nos manières de penser, ce qui n’est pas toujours facile, surtout lorsqu’on est enclin au pessimisme ou à la rigidité.

En conclusion, nous pouvons nous rappeler les paroles d’espérance de l’Apôtre Paul : « Que le Dieu de l’espérance vous remplisse de toute joie et de paix dans la foi, afin que vous débordiez d’espérance par la puissance de l’Esprit Saint » (Rm 15, 13). Le mal a été vaincu par la mort et la résurrection de Jésus. Il reste à l’homme de participer à ce combat dont nous connaissons déjà le résultat final. « Nous le savons en effet : ressuscité d’entre les morts, le Christ ne meurt plus ; la mort n’a plus de pouvoir sur lui. Car lui qui est mort, c’est au péché qu’il est mort une fois pour toutes ; lui qui est vivant, c’est pour Dieu qu’il est vivant. De même, vous aussi, pensez que vous êtes morts au péché, mais vivants pour Dieu en Jésus Christ » (Rm 6, 9-11).

Jean Landousies cm

De Rome à Marseille, Jean Landousies continue à partager notre réflexion sur les sujets proposés dans ces Fiches.

Bernard Sesboüé sj, « L’origine du mal » * (extraits)

L’existence du mal pose à l’homme de nombreuses questions : qui l’a créé ? Pourquoi ? Qu’est-ce que le péché dont parle la tradition chrétienne ? … Les interprétations de l’origine du mal se ramènent à quelques-unes :

  1. Le non-sens absolu de notre monde. 2. Le monde est le lieu d’un gigantesque combat entre une puissance du bien et une puissance équivalente du mal. C’est le dualisme de certaines religions anciennes dont on trouve la reviviscence dans l’une ou l’autre secte moderne. 3. Le mal vient de Dieu lui-même, le grand accusé par la conscience moderne devant le problème du mal. Dieu est en situation d’avoir à se justifier, surtout après Auschwitz. C’est le procès intenté à Dieu aujourd’hui. 4. Le mal vient de ce que le monde créé est inachevé, qu’il est en croissance. Cela comporte une part de vérité, mais c’est insuffisant. 5. Le vrai responsable du mal, quoi qu’il en soit de l’explication précédente, c’est la liberté de l’homme. Mais comment en rendre compte sans tomber dans une immense entreprise de culpabilisation de l’homme ?…

… Je m’abrite sous cette pensée de Pascal qui nous met sur la voie juste pour entrer dans cette donnée mystérieuse : « Certainement rien ne nous heurte plus rudement que cette doctrine. Et cependant sans ce mystère, le plus incompréhensible de tous, nous sommes incompréhensibles à nous-mêmes. Le nœud de notre condition prend ses replis et ses tours dans cet abîme. De sorte que l’homme est plus inconcevable sans ce mystère que ce mystère n’est inconcevable à l’homme » … Nulle culture n’est innocente. “Le mal fait partie de la connexion interhumaine, écrit Paul Ricoeur, comme le langage, comme l’outil, comme l’institution”. Le mal est donc largement “transmis”. Il est tradition. De cet état de choses, personne ne peut se considérer comme indemne. Nous constatons que le péché est contagieux. Les mauvais exemples sont vite suivis. On ne pèche donc jamais pour soi tout seul … C’est cette situation “originelle” pour chacun d’entre nous que la foi chrétienne nomme le “péché originel”. Dans la tradition chrétienne, cette expression vise d’abord et avant tout la situation globale de l’humanité et non le péché d’Adam raconté dans les premières pages de la Bible. Tous seraient alors arbitrairement inclus dans un péché des origines avec lequel ils n’ont rien à faire. Or le récit du péché des origines, même s’il est placé au commencement de la Bible est le fruit d’une interprétation seconde. Il a pour but de rendre compte de l’origine et de la radicalité de la situation globalement pécheresse de l’humanité. On ne peut chercher à l’atteindre qu’en dernier lieu, au terme du dernier pourquoi. Le “péché originel” constitue l’interprétation à la lumière de la révélation de ce que je viens de décrire et au sein duquel chacun d’entre nous se trouve à la fois victime et coupable. Vatican II a bien souligné qu’en la matière “ce que la révélation divine nous fait connaître ainsi s’accorde avec notre propre expérience”. Ce que notre expérience appelle mal des hommes et fautes humaines, la révélation l’appelle péché, au sens d’un état général de péché. Par ce terme, elle veut dire qu’il y a dans la condition humaine actuelle, source de violence et de mensonge, quelque chose qui s’oppose à Dieu et à son dessein sur l’homme … C’est cet état que saint Paul décrit dans une longue diatribe pleine de souffle au début de son Épître aux Romains. Pour lui : “Tous les hommes, juifs et païens, sont sous l’empire du péché. Comme il est écrit : il n’y a pas de juste, pas même un seul. (…) Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu” (Rm 3,9-10.23). Mais il n’ose prononcer une accusation pareille que pour annoncer l’Évangile du salut et de la justification par la foi en Jésus-Christ. L’application de ce terme de “péché” à une situation de fait et à une solidarité objective et non à un acte personnel a-t-elle été heureuse ? Sans doute pas. Ce vocabulaire est occidental et remonte à saint Augustin. La tradition de l’Église grecque a préféré les mots de mort, corruption, blessure de l’image de Dieu en nous. On parle aussi volontiers de “péché du monde”, expression plus moderne. Mais comme on ne peut pas légiférer sur l’emploi des mots et que l’expression de ” péché originel ” est là répandue partout dans notre culture, il nous faut “faire avec”.

(*cf. https://croire.la-croix.com/Les-formations-Croire.com/Theologie/Le-mal/L-origine-du-mal/ )

 

POUR UNE RELECTURE PERSONNELLE

Nous répétons dix fois plus souvent une mauvaise nouvelle qu’une bonne. Pour éviter d’être victime de ce fonctionnement, posons un regard sur notre relation à ce qui nous éloigne de la Vie.

Face à un évènement « mal » vécu (paroles blessantes, situations difficiles, épreuves…)

  • Combien de fois l’ai-je répété ? raconté ? A quoi cela me sert-il ?

Y a-t-il un progrès sur un chemin de guérison ? Comment suis-je prêt à me convertir ?

  • Je prends le temps de décortiquer le vécu d’un évènement mauvais, en mettant de côté l’affect :
    • J’écris le récit de l’évènement, le plus neutre possible.
    • D’où vient que ça m’a fait mal ? Quels sont les enjeux qui s’y cachent ?
    • Quel lien avec mon identité intrinsèque ?
  • De quoi ai-je besoin pour contrecarrer cette situation ? (Si j’ai été mis de côté = besoin de reconnaissance ; si j’ai été humilié = j’ai besoin de dignité ; etc.). Quels moyens puis-je avoir à ma disposition pour alimenter ces besoins ?
  • Relire le passage « Jeter tous ses soins en la Providence du Seigneur » (ci-dessous p.19 – XI,39), pour inviter le Seigneur dans ce combat contre le mal et me tourner résolument vers Dieu pour vivre en lui.

Nos fondateurs et Le mal vaincu

Les divers combats menés par nos fondateurs reflètent le climat de l’époque. L’état des lieux parle d’abord de la pauvreté, de « la misère au temps de la Fronde … »[1], du conditionnement social et surtout de la déchéance spirituelle et morale de chacun et de chaque groupe. Tout ce conglomérat se dévoile sur fond de guerres et de chocs des religions. Depuis le péché des origines et la personnification du mal, tout se répète. La nouveauté est dans la confirmation de la Révélation : Dieu vaincra !

 

  1. LE MAL EN LUI-MEME

Le mal est en nous, dans la société, dans nos communautés, en mission, sous toutes formes ; ces exemples sont éloquents :

Le mal nous habite.

« Que peut-on attendre de la faiblesse de l’homme ? »

La société elle-même est touchée.

« Le mal dont vous avez à vous plaindre est quasi universel »

« J’avoue, Monseigneur, que j’aurais une grande joie de vous voir à Paris, mais j’aurais un égal regret que vous y vinssiez inutilement, ne croyant pas que votre présence ici dût avoir aucun bon succès en ce temps misérable, auquel le mal dont vous avez à vous plaindre est quasi universel dans tout le royaume. Partout où les armées ont passé, elles y ont commis les sacrilèges, les vols et les impiétés que votre diocèse a soufferts ; et non seulement dans la Guyenne et le Périgord, mais aussi en Saintonge, Poitou, Bourgogne, Champagne, Picardie et en beaucoup d’autres, et même aux environs de Paris. Et généralement partout les ecclésiastiques, aussi bien que le peuple, sont fort affligés et dépourvus, en sorte que de Paris on leur envoie dans les provinces plus proches du linge et des habits pour les couvrir, et quelques aumônes pour leur aider à vivre ; autrement, il en demeurerait fort peu pour administrer les sacrements aux malades ». (A Jacques Desclaux, évêque de Dax, 1653-1654 – V,90-91)

Les missions connaissent de grands périls.

« Nos confrères … seront en grand péril »

« Vous avez raison d’être en peine de notre maison de Gênes et de la ville même ; car, si la mortalité y dure longtemps telle qu’elle a été jusqu’à présent, les habitants seront réduits à peu, et nos confrères, qui ont été préservés par le passé, seront en grand péril. J’en suis si affligé que j’en suis abattu de douleur ; et s’il en était de même de Rome, je ne sais où j’en serais. Dieu soit loué de ce que le mal n’y fait pas de progrès ! J’espère que sa divine bonté ne lui permettra pas d’en faire, mais que peu à peu elle fera dissiper ce reste qui a paru. C’est la prière que nous lui faisons quasi sans cesse, et surtout qu’il lui plaise de vous conserver et tous nos confrères d’Italie ». (Durant la peste à Gênes, A Edme Jolly à Rome, 20 juillet 1657 – VI,364)

« Travailler pour les pauvres »

« Voyez, mes frères, comme le principal de Notre-Seigneur était de travailler pour les pauvres. Quand il allait à d’autres, ce n’était que comme en chemin faisant. Mais malheur à nous aussi si nous nous rendons lâches à nous acquitter des obligations que nous avons de secourir les pauvres âmes ! Car nous nous sommes donnés à Dieu pour cela, et Dieu se repose sur nous. Declinantes ab obligatione adducet Dominus cum operantibus iniquitatem. Quos non pavisti occidisti. Ce passage s’entend de la réfection temporelle, mais il se peut appliquer à la spirituelle avec la même vérité. Jugez, mes frères, combien nous avons sujet de trembler si nous sommes des casaniers, si, pour l’âge ou sous prétexte de quelque infirmité, nous nous ralentissons et dégénérons de notre ferveur ! » (Répétition d’oraison du 25 octobre 1643 – XI,135)

Nos communautés connaissent aussi le mal.

« Le mal des communautés, surtout des petites,

est pour l’ordinaire l’émulation »

« Le mal des communautés, surtout des petites, est pour l’ordinaire l’émulation[2], et le remède l’humilité, de laquelle vous devez faire toutes les avances, aussi bien que des autres vertus nécessaires pour cette union. Nous voyons que cette émulation est arrivée en la première compagnie de l’Église, qui est celle des apôtres ; mais nous savons aussi que Notre-Seigneur l’a réprimée, et par parole, en humiliant ceux qui se voulaient élever, et par son exemple, en s’humiliant le premier. Si les vôtres s’enorgueillissent ou se courroucent ou se dérèglent, ne vous contentez pas de les en avertir charitablement, quand le cas le mérite, mais faites des actes contraires par où ils soient doucement forcés de vous suivre ». (A Louis Dupont, supérieur à Tréguier, 26 mars 1656 – V,582)

 

  1. L’AUTEUR DU MAL

Pour st Vincent de Paul, l’auteur du mal est Satan. Dans l’exercice de notre liberté, celui-ci vient contrarier notre recherche du Bien comme tous nos bonheurs, toutes nos joies, toutes nos réussites. L’expérience l’enseigne à tous, sœurs et missionnaires.

« C’était une grande faute, l’appelant Satan »

« En deux ou trois cas l’on doit avertir la communauté de la faute d’un seul : … Quand le mal est si invétéré en celui qui en est coupable qu’on juge qu’un avertissement particulier lui serait inutile. Notre-Seigneur n’avertit pas Judas pour cette raison, sinon en la présence des autres apôtres ; et encore ce fut en termes couverts, disant qu’un de ceux qui mettaient la main au plat le trahirait. Au contraire, il avertit saint Pierre, lorsqu’il le voulut dissuader de la passion qu’il avait à souffrir, et lui fit même connaître que c’était une grande faute, l’appelant Satan, sachant bien qu’il en profiterait … » (A Marc Coglée, supérieur à Sedan, 13 août 1650 – IV,50)

L’homme a un penchant immodéré pour faire de lui-même le centre de sa personnalité et de son environnement. Il s’enferme alors dans ses jugements et ses actions. Il s’agit d’un art consommé propre au démon.

« Voilà une marque d’orgueil caché et une qualité diabolique »

« Une sœur voudra une chose d’une façon ; l’autre la voudra d’une autre. Elle se tiendra ferme en son jugement. Les avis de sa sœur servante, de son confesseur de son directeur, de sa supérieure ne seront pas capables de la faire céder, parce qu’elle s’est affermie dans son propre jugement. Elle a enraciné cela dans sa cervelle ; il n’est pas possible de l’en faire démordre. Voilà une marque d’orgueil caché et une qualité diabolique, car il n’appartient qu’aux démons de demeurer dans leur opiniâtreté. C’est donc un esprit de démon, qui est tellement ferme dans le mal qu’il y demeure toujours. Il vient bien quelquefois des remords à cette personne ; mais elle n’a pas la force de les suivre ; elle le voudrait bien, mais elle ne le peut ». (Extrait de la conférence du 15 mars 1654, Sur l’orgueil caché – IX,676)

« Ces personnes-là ont le diable dans le corps »

« Le malin esprit n’est qu’illusion et que tromperie »

« Or, s’il se trouve tant d’illusions dans l’univers, jugez, mes frères, si l’auteur du mensonge, si le démon, qui se transforme en ange de lumière, comme parle saint Paul, n’en peut pas faire. Que si les hommes, dont toutes les connaissances sont très petites et limitées, peuvent facilement se tromper les uns les autres, que ne peut, je vous prie, le malin esprit, qui sait tout et qui a l’industrie de faire paraître les objets en autant de différentes manières qu’il lui plaît ? Voulez-vous savoir ce que c’est que le malin esprit à notre égard ? Il n’est qu’illusion et que tromperie ; il nous persuade, ingénieux qu’il est, que nous serons heureux, si nous parvenons à cela, à cela ; il nous fait accroire qu’il y va même de la gloire de Dieu de réussir avec applaudissement dans la prédication, et qu’il se faut signaler dans une province. Ah ! Sauveur, que de pièges, que de tromperies, que d’artifices emploie notre ennemi pour perdre les créatures que vous avez rachetées par votre précieux sang ! » (Extrait de la conférence du 17 octobre 1659, Des vraies lumières et des illusions – XII,345)

 

« Ces pensées aigres sont du malin »

« Il est dangereux de se tenir dans l’oisiveté »

« Le diable nous surcharge toujours »

« Le principe, l’origine et la source de tout le mal »

 

III. COMBATS ET VICTOIRES

« Votre adversaire, le diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer » (1 P 5,8). Il nous investit pour occuper notre être. Nous connaissons tous la parabole de l’esprit mauvais à la recherche d’un lieu de repos qui va sans cesse chercher du renfort (Lc 11,24-26). C’est dire que Dieu livre combat contre le malfaisant et réciproquement. Le baptisé croit que le Christ détient la victoire, écrasera l’adversaire et soumettra tout sous ses pieds.

« Le bien et le mal que vous me dites être en vous »

« Dieu soit loué de ce que vous m’écrivez ainsi tout bonnement le bien et le mal que vous me dites être en vous. C’est ainsi, mon cher Frère, que les âmes simples et candides comme la vôtre ont accoutumé d’en user ; aussi voit-on à l’œil que Notre-Seigneur les bénit beaucoup et leur fait beaucoup de grâces. Et c’est aussi cet esprit que l’ennemi de notre salut hait et redoute beaucoup, pource que ce sont les armes qui détruisent tous les pernicieux desseins qu’il a de tout temps de nous perdre. Il n’a jamais plus grand dépit que lorsqu’il voit que ses artifices et ses méchancetés sont découverts ; et de là vient que l’on a vu tant et tant de personnes sollicitées par lui à des choses mauvaises, lesquelles, à la première déclaration qu’elles en ont faite, ou à leurs supérieurs, ou à leurs directeurs, en ont été délivrées, ou pour le moins ont reçu grâce de Dieu pour n’y point consentir. Et c’est aussi, mon cher Frère, ce que Notre-Seigneur fera à votre égard, si vous lui êtes fidèle et que vous persévériez en votre vocation, qui est le lieu où sa divine bonté vous a mis, et de quoi il saura bien vous demander compte à votre mort, si vous ne lui tenez la parole que vous lui avez donnée d’y vivre et mourir.

Cela étant ainsi, mon cher Frère, comme vous n’en devez nullement douter, voyez si vous n’avez pas bien sujet de ne point écouter les tentations qui vous viendront de ce côté-là. De dire que le changement de maison vous délivre de toutes vos peines, croyez-moi, mon Frère, c’est un abus de le croire et un piège que vous tend le diable ; car nous nous portons toujours nous-mêmes, et nos imperfections aussi, en quelque lieu que nous allions, et le diable ne nous moleste pas moins bien souvent en un lieu qu’en un autre, voire même quelquefois il le fait davantage, notamment quand l’on a procuré le changement avec trop d’empressement, ou avec moins de conformité à la volonté de ceux qu’il a établis pour la conduite de nos âmes et de nos personnes » (A Pierre Leclerc, frère à Agen, 1656 – VI,59-60)

Prière pour éclairer notre cœur

« Plaise à ce même Seigneur de nous éclairer de son esprit pour voir les ténèbres du nôtre et le soumettre à ceux qu’il a préposés pour nous conduire ! Qu’il nous anime de sa douceur infinie, afin qu’elle se répande en nos paroles et en nos actions pour être agréables et utiles au prochain, et qu’il vous inspire de lui demander souvent cette grâce pour moi, comme je vous en supplie, qui suis, en son amour, en attendant votre réponse, Monsieur, votre très humble et affectionné serviteur. » (A Honoré Bélart, prêtre de la mission, 6 août 1657 – VI,388)

Remarquable est le texte qui est soumis à notre attention. La catéchèse de st Vincent nous offre, par l’intermédiaire de son correspondant, une invitation à se donner, à servir pour « triompher ». Le vocabulaire sent son époque ! 

« Il s’agit de triompher de vos ennemis »

« L’ennui que vous sentez dans votre emploi peut venir de plusieurs causes : 1° de la nature, qui se lasse de voir et de faire toujours les mêmes choses ; et Dieu le permet pour donner lieu à la pratique de deux belles vertus, à savoir : de la persévérance, qui nous fait arriver à la fin, et de la constance, qui nous fait surmonter les difficultés ; 2° de la qualité de l’œuvre, qui est triste et qui, étant faite par une personne aussi triste, engendre le dégoût, surtout quand il plaît à Dieu de soustraire la consolation intérieure et la suavité cordiale qu’il fait ressentir de temps en temps à ceux qui servent les pauvres ; 3° du côté du malin esprit, qui, pour vous détourner des grands biens que vous faites, vous en suggère l’aversion. Enfin cet ennui peut venir de Dieu même ; car pour élever une âme à une perfection souveraine, il la fait passer par la sécheresse, les ronces et les combats, lui faisant ainsi honorer la vie languissante de son Fils Notre-Seigneur, qui s’est trouvé dans diverses angoisses et dans l’abandonnement. Courage, Monsieur ! donnez-vous à Dieu et lui protestez que vous désirez le servir en la manière qui lui sera la plus agréable. Il s’agit de triompher de vos ennemis : de la chair, qui s’oppose à l’esprit, et de Satan, qui est jaloux de votre bonheur. La volonté de Dieu est que vous persévériez dans l’œuvre qu’elle vous a donnée à faire. Confiez- vous en sa grâce, qui ne vous manquera jamais pour l’acquit de votre vocation, et considérez que cette œuvre est des plus saintes et sanctifiantes qui soit sur la terre ». (A Guillaume Cornaire, Prêtre de la Mission, Au Mans, 15 juin 1650 – IV,32-33)

Dans le premier de livre de Samuel, au chapitre 17, on vibre à la menée d’une attaque en règle entre David et Goliath. Le vainqueur qui n’est autre que le Seigneur est nommé « le Maître du combat ». St Vincent lui-même discerne et formule des moyens de combat que Dieu donne contre le mal.

« J’espère que Dieu me fera la grâce »

« Lorsqu’on a travaillé quelque temps à se surmonter et à acquérir quelque vertu et qu’on voit qu’on n’y avance rien, on entre en désespoir d’aller plus avant ; et le malin esprit, se mêlant là-dedans, dira : ʺAh ! jamais tu ne feras rien qui vaille ; il est impossible que tu puisses faire comme cela. ʺ Voilà ce que fait le démon pour faire perdre courage au chemin de la vertu. Or, il faut mortifier cette passion par l’espérance en Dieu et dire : ʺEncore que je sache que de moi-même je ne saurais me vaincre, ni persévérer en ma vocation, j’espère que Dieu me fera la grâce dont j’ai besoin pour cet effetʺ (Extrait de la conférence du 6 janvier 1657, Sur l’obligation de travailler à sa perfection – X,250)

« Vous avez été rachetés par le sang précieux d’un Dieu incarné »

« Savez-vous bien que nous sommes pires que les démons, oui, pires que les démons ! Car, si Dieu leur avait fait la dixième partie des grâces qu’il nous a données, mon Dieu ! quel usage n’en auraient-ils pas fait ? Ah ! malheureux que vous êtes ! vous avez été rachetés par le sang précieux d’un Dieu incarné, vous avez des grâces actuelles pour vivre de la vie de Jésus-Christ. Et cependant vous les avez méprisées ! Quel châtiment ne méritez-vous pas ? » (Conférence du 17 octobre 1659, Des vraies lumières et des illusions – XII,353)

En résumé, st Vincent nous livre :

« Les mêmes moyens par lesquels le diable vous a voulu combattre, vous serviront pour l’abattre »

… et aujourd’hui

Témoignage d’un détenu sur le mal commis

Je m’appelle J. j’ai 26 ans et j’ai été incarcéré et condamné pour des faits de vols et cambriolages. Je n’en suis pas à mon coup d’essai. Investir l’espace de l’autre, subtiliser le bien d’autrui : un portefeuille, de l’argent des bijoux était devenu une habitude, un mode de fonctionnement, mon boulot en quelque sorte. … Vous savez la prison à ses codes, il existe chez les codétenus une hiérarchie dans le mal. La perception du mal est compliquée… est-ce un mal de voler par nécessité, lorsqu’on n’a pas les moyens de subvenir à ses besoins élémentaires, de se nourrir de se loger tandis que d’autres ont plus que ce dont ils ont besoin ? Je ne sais pas… Fait-on du mal à la personne alors qu’elle était absente de chez- elle, que je ne l’ai pas agressée ? C’est vrai que ce que je lui ai pris va lui manquer mais elle a les moyens …. Et puis vous savez qu’en prison il y a des catégories dans le mal par exemple, les pointeurs (délinquants sexuels) ne sont pas tolérés, ils sont mis à l’écart tandis que celui qui est là pour homicide volontaire ou involontaire, les braqueurs passent mieux. Les petits voleurs ou cambrioleurs nous sommes en bas de l’échelle.

Lorsque je suis arrivé en France, je ne parlais pas Français mais pendant mon incarcération j’ai appris la langue. J’ai regardé un soir un documentaire à la télévision sur les cambriolages et la manière dont les victimes sont affectées psychologiquement, qui m’a beaucoup fait réfléchir…on réfléchit beaucoup en détention.  En fait j’ai fini par comprendre que dans la langue française entre les mots VOL et VIOL seule la lettre i faisait la différence. Ce petit détail n’existe pas dans ma langue. Il m’arrivait de dérober un portefeuille, de prendre l’argent et de le jeter ensuite, mais dans ce portefeuille se trouvait parfois une vieille petite photo, une lettre écrite à la main qui avait probablement une signification pour le propriétaire. On rentre par effraction dans une maison, on entre dans la chambre à coucher des gens on ouvre leurs placards leurs tiroirs… c’est une violence, c’est violer leur intimité…. Je ne pensais jamais à l’autre au moment de passer à l’action si ce n’est de faire vite pour ne pas être pris.

Je ne sais pas mais je pense qu’à ma sortie, je retournerai différent dans mon pays.

POUR PROLONGER, PERSONNELLEMENT ET EN EQUIPE …

QUESTIONNAIRE POUR NOS ECHANGES SUR LE MAL 

  • Satan, le diable, le malin, Lucifer, le démon … quel que soit la personnification que nous donnons au mal, il est présent autour de nous mais aussi en nous. Repérons dans la société, dans le monde, dans les religions, comme dans notre propre vie ses formes actuelles et perverses.
  • Avec saint Paul, nous disons : « Je fais le mal que je ne veux pas et non le bien que je voudrais » (Romains 7, 19). Savoir qu’une chose est mauvaise, mais être quand même poussé à la faire, c’est parfois ce que nous vivons. Qui d’entre nous n’a jamais été en butte à cette réalité ? Réfléchissons personnellement mais aussi communautairement et ecclésialement à cette question. Comment arriver à dépasser ce simple constat ?
  • Dans le quotidien de mon existence, j’ai pu peut-être faire l’expérience du « mal subi » et/ou du « mal commis» ; que puis-je en partager ?  Qu’en ai-je appris ?
  • « …Délivre nous du mal ». Avec l’aide du Christ comment résister au mal ? Comment revenir sans cesse au Seigneur dans la prière, la réconciliation, l’accompagnement … ?

Bibliographie

Jacques BUR, Le péché originel, ce que l’Eglise a vraiment dit, Cerf, 1988

Philippe-Marie MARGELIDON, Dieu et le mal : cinq approches d’un mystère, Lethielleux, Artège, juin 2020

François-Xavier PUTALLAZ, Le Mal, Cerf, novembre 2017

Paul RICOEUR, Le mal : un défi à la philosophie et à la théologie, Editions Labor et Fides, décembre 2004

Michel SALAMOLARD, « Dieu responsable et innocent », in Nouvelle Revue Théologique, 2005/3

LE MAL AU PAS DE STE LOUISE

Lutter ensemble

C’est le malin qui joue ces jeux de (racontars), qu’il ne gagnera pas, pourvu qu’elles se ramassent et unissent bien entre soeurs, auprès (de) la Croix, ainsi que les poussins sous leur mère quand le huas les guette. (Ecrits L 185 page 212)

Pas d’excuses

J’espère que le mal n’est pas en tel état qu’il soit sans remède, mettez-vous vos fautes fortement devant les yeux, sans vous excuser, car en effet rien ne peut être cause du mal que nous faisons que nous-mêmes (Ecrits L 11 page 21)

Magnificat

Il faut pourtant que je vous dise que je ne crois pas le mal si grand que vous me le faites paraître ; consolez-vous donc, ma très chère Sœur, et ne regardez pas cette faute avec aigreur, mais admirez la bonté de Dieu de vous avoir souffert cette petite faute pour vous apprendre à vous humilier plus parfaitement que vous n’avez fait le passé (Ecrits L 121 page 127)

Connaître

Je suis toujours bien aise de savoir le bien et le mal. (Ecrit L 446 page 478)

Veiller

Les Filles de la Charité pour se maintenir dans leur vocation, et attirer de Dieu les grâces dont elles ont besoin pour cela, doivent veiller continuellement sur leurs sens et passions, pour ne leur point accorder de faire le mal qu’ils nous proposent souvent. Et pour cela, L’on doit bien avoir soin de faire entendre ce que c’est que l’un et l’autre. (Ecrit A 67 page 789)

Eviter l’entrée en tentation

Notre ennemi mortel qui est le diable se sert bien souvent de ces occasions-là, pour nous siffler ces malheureuses pensées, et son principal but est de nous décourager sans que nous nous en apercevions du service de Dieu, mais particulièrement pour nous empêcher de persévérer en nos bonnes résolutions, jusque-là quelquefois que sa méchanceté essaie de nous faire perdre notre vocation qui est la chose la plus à craindre et la plus dangereuse pour notre salut. (Ecrit L 102 page74)

Animation Vincentienne

© Congrégation de la Mission, 425 route du Berceau, 40990 SAINT VINCENT DE PAUL

Tous droits réservés

[1] Alph Feillet, La misère au temps de la Fronde et st Vincent de Paul, Paris Didier et Cie Libraires – Editeurs 1862

[2] « Emulation », au sens ancien : rivalité, jalousie.

[3]« Curieux », « ne pas avoir les yeux dans sa poche »

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Villepreux, en marge ou au centre ?

 

Villepreux, en marge ou au centre ?

Une réflexion dans le cadre de la célébration du 4e centenaire

 

Associations Internationales des Charités, Congrégation de la Mission, et par répercussion Compagnie des Filles de la charité entrent en centenaire, le quatrième du genre, celui de leur intuition. Toute la Famille Vincentienne se réjouit et les projets succèdent aux projets.

De mémoire d’homme, on a déjà vécu le tricentenaire de la mort (1960) et le quadri-centenaire de la naissance (1981) de st Vincent de Paul. L’expérience montre qu’il faut célébrer pour mieux agir, en l’occurrence pour parfaire service et évangélisation. La mémoire, elle, est servante de l’inspiration de Monsieur Vincent. Pas à pas il découvre l’urgence de sa vie, faire connaître Dieu à ceux qui n’ont pas ce bonheur par le message évangélique. C’est nous qui établissons des repères et localisons pour mieux commémorer et n’oublier personne. Il n’est pas question de contester ce que les faits imposent et les manières dont nous les utilisons pour redorer le blason vincentien et relancer la vocation qui nous est commune et que nous voudrions rendre plus attractive et voir adopter par un plus grand nombre de femmes et d’hommes.

Mais depuis l’annonce de ces festivités, une question taraude mon esprit à laquelle j’ai déjà fait allusion en débutant ce propos, quelle  est la vision unificatrice de la pensée et de l’action de st Vincent ? Par quoi est-il habité au point que cette passion soit le fil rouge de sa vie ? Quel est son  dessein fondamental, en un mot à la mode en France, quelle est sa synthèse ? Existe-il en conséquence un lieu porteur de ce dessein? Ne gagnerions-nous pas à être plus unifiant et significatif ?

 

Prémices

Les commencements parisiens de Vincent Depaul sont instructifs ; très modeste distributeur d’aumônes de la Reine Margot grâce à quelques contacts bien placés, les gascons aidant, il connait un certain désœuvrement et une situation financière mauvaise, l’acquisition de l’abbaye st Léonard de Chaumes, s’étant révélée à perte. Cette impasse le sauve. Bon prêtre, il erre cherchant confusément son chemin sacerdotal. On connaît l’épisode de la tentation contre la foi. Sa générosité le tire de cette nuit de la foi et le pousse à trouver son véritable équilibre spirituel. Pendant cette période aussi difficile que salutaire, il se tourne vers l’Oratoire qui débute à Paris autour du Père de Bérulle, futur Cardinal. Les mots sont indicatifs chez Abelly : préparation du terrain, retrait du monde, accompagnement spirituel, appel de l’Eglise, mise à l’épreuve du temps car on s’attarde toujours trop peu sur ces deux années, années de germination et de maturation. Fuite en avant ? Plus probablement, mise à exécution des conseils de Bérulle. (Abelly Livre I, Chap. VII, p. 24-25. Cf. Document Texte A).

Survient de la part du supérieur de l’Oratoire,  une proposition alléchante, la charge de précepteur des enfants d’Emmanuel de Gondi, le général es Galères. On ne refuse pas pareille situation quand il reste encore des bouffées d’avancement. (Abelly Livre I, Chap. VII, p. 27-29. Document – Texte B)

Philippe-Emmanuel de Gondi, fils d’Albert de Gondi et de Catherine de Clermont, est petit-fils d’un florentin devenu banquier à Lyon ; il peut se présenter baron du Plessis-Écouis  (à l’Est de Rouen), comte de Joigny, au sud-est de Sens. Il devient Général des Galères à la mort de son Père et il fait aussi marquis des Îles d’Or (Hyères), baron de Montmirail (Champagne, sud-ouest d’Épernay), de Dampierre (département actuel de l’Aube, Champagne), et de Villepreux, à l’ouest de Versailles.  C’est au titre de Baron du Plessis qu’il fait nommer Vincent curé de Gamaches puis chanoine d’Écouis. En effet, les seigneurs même laïcs ont charge d’âmes et peuvent avoir juridiction ecclésiastique sur les abbayes et paroisses. Bien qu’en possession de nombreux domaines, Philippe-Emmanuel ne sait pas gérer sa fortune et se trouve souvent criblé de dettes. Après la mort de sa femme, il entrera à l’Oratoire, y sera ordonné prêtre et mourra le 29 juin 1662.

Il épouse Françoise-Marguerite de Silly. Celle-ci, descendante  par sa mère, du grand Raoul de Lannoy, seigneur de Folleville, au sud-est d’Amiens, est Dame de Folleville, avec Paillart, Sérévillers et Gannes, dans l’Amiénois, et par son père, Antoine de Silly, elle est aussi damoiselle de Commercy et souveraine d’Euville, en Lorraine, sur la Meuse. À partir de 1617 elle participe aux missions et aux Charités avec saint Vincent (XIII, 444, 466, 483), et meurt à la tâche le 23 juin 1625, deux moins après la fondation de la Mission, le 17 avril.

Ce couple du milieu dévot a trois enfants Pierre, Henri et le fameux François-Paul, futur cardinal de Retz qui naît en septembre 1613. Ils logent soit à Paris, rue des Petits-Champs, puis rue Pavée, soit dans un de leurs nombreux châteaux: Joigny, Montmirail, Folleville, Villepreux. Là, Monsieur Vincent, outre ses occupations dans la famille et ses prières et études, visite et catéchise les paysans. Cette dernière remarque n’est pas sans importance et gomme tout chemin fait de ruptures brutales à la manière augustinienne ou pascalienne. Au service des Gondi, le sacerdoce de Vincent ne végète pas, car notre futur saint l’exerce volontiers. Il se sent charge d’âmes et ne recule devant aucun service : catéchismes, messes, confessions et nous l’avons noté, visites, en tout cela soumis aux curés. Il reste scrupuleusement précepteur des deux enfants et confesseur de Madame. Il apaise même les ardeurs belliqueuses de Monsieur engagé dans un processus de duel. Lui, pourtant s’enferme dans une sorte de chartreuse où il rencontre doute, problèmes de santé et colère facile. Nous sommes dans les années 1613 à 1615. Sa propre foi est ébranlée…Il connaît un secours pécuniaire des Gondi, un prêt et une rente.

Et vient 1616, il y a 400 ans. Avec sa pertinence d’historienne relayée par le père Koch, homme d’expérience et de science vincentiennes, Marie-Joëlle Guillaume note « qu’elle marque pour Vincent la sortie du tunnel ». Quand Monsieur de Gondi prend possession du comté de Joigny, Vincent donne un sermon célèbre sur le catéchisme (XIII, 25). Pour lui, comme pour l’Eglise de son temps, il est nécessaire de connaître Dieu dès l’enfance et de fuir toute ignorance, sinon pas d’entrée au ciel possible. Il prêche aussi sur la communion selon les documents possédés (XIII, 33). Et, prémisse d’un autre sermon, il se préoccupe et obtient de l’évêque de Sens pour son diocèse  de pouvoir absoudre tous les péchés qui émaillent une vie (I, 20); c’est l’apparition d’un objectif missionnaire affiché, la confession générale. Nous sommes au seuil de 1617. Comme le disait le vieux chant à la gloire de st Vincent, « les blés sont murs pour la moisson ».

 

Gannes

Pourquoi sauter allègrement cette marche et ne pas s’arrêter un peu sur elle. Les documents n’abondent pas et il est plus facile de tout reporter sur le seul Folleville.

Les sources  en notre possession nous orientent vers quatre textes connus et eux seuls :

  • Aux Sœurs par M. Portail, 9 mars 1642 (IX, 58-59)
  • Aux Missionnaires, par M. Vincent, 25 janvier 1655 (XI, 169-170)
  • Aux Missionnaires, par M. Vincent, 17 mai 1658 (XII, 7-9)
  • Aux Missionnaires, sans date Abelly I, ch.8, 32-34 (XI, 2-5)

 

Abelly parle ainsi : « Or il arriva, environ l’année 1616, qu’étant allé en Picardie avec Madame qui y possédait plusieurs terres, et faisant quelque séjour au château de Folleville, au diocèse d’Amiens, comme il s’occupait à ces œuvres de miséricorde, on le vint un jour prier d’aller au village de Gannes, distant environ de deux lieues de ce château, pour confesser un paysan qui était dangereusement malade et qui avait témoigné désirer cette consolation » (Abelly I,VIII, 32-33 . Document-Texte C). Vincent reprend  ce récit dans une conférence aux Missionnaires deux ans avant sa mort (XII, 7-9) avec les variantes connues  et la symbolique véhiculée et comme sublimée. Le père Koch remarque : « d’une part, Monsieur Vincent a parlé de cet événement, puisque M. Portail le raconte aux Sœurs,  le 7 mars 1642, et nous pouvons croire Abelly lorsqu’il nous dit que Monsieur Vincent recommandait de le commémorer chaque année. On relève seulement une certaine imprécision: en 1642, le paysan avait 80 ans; en 1664, aux dires d’Abelly, il n’en avait que 60;  et les notes des entretiens de Saint Vincent ne disent pas son âge ; d’autre part, nous avons très peu de documents sur cet événement, 3 seulement: de M. Portail, le 7 mars 1642 ; de Monsieur Vincent, le 25 janvier 1655 et le 17 mai 1658.  Autrement dit, un seul du 25 janvier.  Abelly ne donne qu’une compilation de ces trois, il n’offre rien de plus. »

Gannes mérite d’être retenu comme lieu d’expérience vitale et Folleville celui de sa prolongation logique et raisonnée. Gannes éprouve et Folleville généralise. Gannes mérite une escale historico-géographique mais plus encore spirituelle. La légende s’en est emparée et le malade est devenu le meunier[1]. Tout un argumentaire veut étayer ce choix. Plus modestement, retenons que Gannes est le point de réalisation à ne pas gommer. Et avec Madame Guillaume, saluons son château médiéval, « conçu comme une forteresse en bordure des plateaux calcaires de la Somme, (qui) domine de sa masse la vallée de la Noye »[2]. Nous sommes invités à ne pas oublier l’événement provoquant vécu à ses pieds. La mine ne peut rien sans le déclencheur : Gannes est l’étincelle qui allume la mèche.

 

Les référents traditionnels

Dans la tradition vincentienne, Folleville s’impose comme le premier évènement phare ; Il est tellement emblématique qu’il absorbe Gannes et pourtant tous deux s’imposent au pas lent de que Vincent, « maître de sagesse », appelle celui de la Providence. Il faut tenir les deux lieux à la place qui est la leur.

Pour Gannes, à la page 2 de son ouvrage, Abelly écrit: «Or il arriva, environ l’année 1616…on le vint un jour prier d’aller au village de Gannes » et à la page suivante pour Folleville : «C’était au mois de janvier 1617 que ceci arriva » (Abelly I, VIII, 33-34 -. Document- Texte D). Le flottement dans les dates est révélateur de la réactivité normale du temps pris pour réagir, de la distance entre Gannes et Folleville et Amiens et Folleville. En ces jours-là on se met au diapason du monde rural. Pas de téléphone, pas d’internet ! Madame de Gondi prend la période de réflexion et de prière et d’échange avec son époux et son confesseur. Salon et salle à manger favorisent les conversations et le rapprochement des points de vue. Et cela vaut bien d’attendre le passage à une autre année. « Le temps change tout » écrira st Vincent un jour de novembre 1648 (III, 390).

On connaît le célèbre sermon sans savoir ce qu’il contient, toutes traces probables ayant disparu  lors du sac de st Lazare, la veille de la prise de la Bastille. On sait l’élan qu’il déclenche, la file aux confessionnaux, l’appel à l’aide des jésuites d’Amiens. Nous sommes le mercredi 25 janvier 1617 en la fête de la conversion de st Paul, fête toujours d’un symbolisme des plus évocateurs. Vincent est encore jeune, trente-six ans, et sa fougue n’a d’égale que son tempérament gascon. Avec l’âge il se souvient et bénit Dieu de l’avoir alors inspiré. De la confession il passe au catéchisme, il soigne la prédication et il répète le schéma dans les villages alentour. Il fait cela avec d’autres prêtres et y implique les curés sous le regard et l’aide de Madame de Gondi, très soucieuse du salut de siens. Folleville fait école. Il couve une intuition. Que sera cette mise à jour ?

Pour l’heure, Vincent veut une pause. Toujours guidé par son mentor du moment, Bérulle, il part pour Chatillon. La vacance de la cure tombe à pic et il répond présent pour mieux féconder son sacerdoce appâté par ces premières réalisations.

Le second biographe, Collet note un besoin intéressant, «Il se sent intérieurement poussé par l’Esprit de Dieu d’aller dans quelque province éloignée, s’employer tout entier à l’instruction et au service des pauvres de la campagne»[3].La cure de Châtillon st ce lieu idéal  et laisse Bérulle libre de ses mouvements pour l’Oratoire, en  disposant  de Bourgoing à sa guise. Les Gondi s’en mêleront par personnalités interposées au point de ne laisser le curé Depaul que six mois en place, d’août à décembre 1617.

Mais le travail réalisé en cette courte circonstance est impressionnant et il est selon l’expression de Marie-Joëlle Guillaume, « une explosion de charité ». Dans cette double  paroisse bien gérée par les prédécesseurs et récemment passée au peigne fin de la visite canonique, Vincent s’installe en août. Grâce à Louis Girard, il vit et travaille à la mode oratorienne, loge chez l’habitant, convertit à l’occasion et surtout établit au gré de l’événement la première confrérie de la Charité, frappé par ce qui le dépasse et s’impose à lui comme don de Dieu (IX, 243-244. Document – Texte E). Au soir du 20 août, une question-inspiration impose sa réponse : « Ne pourrait-on point réunir ces bonnes dames et les exhorter à se donner à Dieu pour servir les pauvres malades ? » En suite de cela, je leur montrai que l’on pourrait secourir ces grandes nécessités avec grande facilité. Aussitôt elles s’y résolurent. » (IX, 209). Le règlement du 8 décembre mettra en pratique ce qui est vécu à l’automne. Et surtout la finalité est donnée, « assister spirituellement et corporellement » les malades. Nous sommes là au cœur de la charité vincentienne. C’est pour cela et pour tout cela qu’il faut vivre de l’Esprit de Dieu, faire corps, vivre en servantes et de Matthieu 25, 40 en s’organisant par vingtaine et de façon fonctionnelle, en pratiquant une charité faite de tact et de tendresse. Selon la nouvelle expression heureuse de Madame Guillaume, « Vincent de Paul est un catalyseur de charité » (page 135). Pour l’auteur de ces lignes, le dispositif vincentien est mis en place. Il peut quitter sa paroisse la laissant dans les bonnes mains de Louis Girard (curé effectif en juillet 1618), pour laisser Bérulle en excellente intelligence avec les Gondi. La veille de Noël le voici à nouveau chez eux. Monsieur Portail s’occupe des enfants et lui est prêt pour la mission.

 

Et il y eut Villepreux

Nous sommes à l’aube de 1617 avec 2017 ! Qu’on honore Folleville et Châtillon, la puissance collective, communautaire et familiale l’exige avec raison et one saurait trop s’en réjouir. Mais peut-on passer sous silence Villepreux ? Vous dites Villepreux ? Je dis bien Villepreux, symbolisme après symbolismes.

Faute d’autres documents – les fenêtres de st Lazare ayant été ouvertes toute grandes par les révolutionnaires et leur feu ayant beaucoup annihilé dans la cour de st Lazare! – il nous reste la certitude précieuse qu’en 1618, trois charités sont établies l’une à Villepreux, les autres à Joigny et Montmirail en conclusion de chaque mission donnée. Villepreux tient le peloton de tête. Le 23 février 1618, après un nouveau tournant d’année (c’est remarquable et à croire que Noël porte fruit), Vincent propose son schéma basé sur le binôme désormais constitutif de son action, « mission & charité ». Villepreux est la première synthèse  de l’œuvre missionnaire de st Vincent. Villepreux est la mise en place d’une évangélisation originale, l’Evangile vécu avec et par le service. Villepreux est le lieu-modèle de l’évangélisation selon st Vincent, évangéliser en servant et servir en évangélisant.

D’aucuns douteront de la pertinence de cette  réflexion. Qu’ils lisent alors ce que Madame Guillaume écrit : « Villepreux, dans l’actuel département des Yvelines, est le lieu de la première grande mission et de la première confrérie après celle de Châtillon. Ses habitants du XXI ème siècle en gardent la fierté. L’aimable paroissien chez qui nous allons, à l’été 2013, chercher les clés de l’église du vieux Villepreux pour la visiter veut bien entendre parler de Châtillon-les-Dombes, mais persiste à rappeler que c’est Villepreux qui fut, de toute la France, le lieu de cette première réalisation conjointe. Ville ancienne et ville moderne vivent aux couleurs de Vincent de Paul. L’Eglise Saint-Germain l’Auxerrois, dont les parties les plus anciennes remontent au XII ème siècle, retrace dans la chapelle saint-Vincent de son chœur le travail accompli ici. La rue qui descend de l’église vers la route, laissant à droite la rue des Orfèvres, offre au regard du visiteur la façade de la « maison Saint-Vincent » : trois maisons mitoyennes d’époque médiévale restaurée par la commune. C’est là que fut fondée en 1618 la confrérie de la charité.[4]»

L’Histoire ne se nourrit pas avec sûreté des sites via internet mais depuis  le 14 mars dernier on peut lire cette annonce à propos du château démoli en 1885 puis reconstruit : « A vendre propriété, comprenant un château du XIXe siècle de 1 080 m2 et un autre construit au XXe de 980 m2 avec dépendances, serres, tennis, maisons de gardiens, écuries avec 20 boxes à chevaux…Le tout dans l’axe du grand Canal du château de Versailles.»[5] Le lecteur avisé le comprend, il s’agissait du château des Gondi, preuve tangible de la présence de st Vincent. « Le blog de Jean-Pierre » est non moins intéressant parce que bien illustré au risque de séduire ceux qui doutent de l’historicité des trois maisons. Il est vraisemblable que l’une des maisons matérialise le lieu où sera fondée douze plus tard, l’école de filles puis de garçons,  suivie par Louise de Marillac dès 1630, lors de ses deux visites à Villepreux. Germaine, fille du village, sera la première institutrice fille de  la charité. [6]Quant à l’église st Germain, elle garde la date de 1618 comme la preuve de l’action missionnaire de st Vincent.

L’essentiel est l’événement que nous est transmis par Collet : «  Dès le commencement de l’année suivante, il prit des arrangements pour faire une mission à Villepreux, et dans les lieux circonvoisins. Cette fonction que des ecclésiastiques, qui sont souvent bien minces en tout sens, regardent comme au-dessous d’eux, ne rebuta pas des personnes du premier mérite, et qui occupaient des places distinguées. M. Cocqueret, Docteur de la maison de Navarre, Messieurs Berger et Gontière, Conseillers-Clercs au Parlement de Paris[7], et plusieurs autres vertueux prêtres, se joignirent à Vincent, et entreprirent avec lui cette bonne œuvre. On ne se borna pas aux secours spirituels, on tâcha de remédier aux nécessités temporelles ; et pour les prévenir, autant qu’il était possible, le saint établit à Villepreux la Confrérie de la Charité, sous l’autorité de M. le Cardinal de Rets évêque de Paris, qui en avait approuvé les Règlements.» (Collet I, 87) Au-delà du style ronflant, Monsieur Vincent soigne ses relations professionnelles, un docteur d’un célèbre collège[8] et des conseillers au Parlement de la capitale avec une première équipe de prêtres diocésains, ce qui est nouveau ; mais pointe en plus une méthode et un règlement.

La méthode missionnaire s’impose pour l’évangélisation des campagnes, petits et grands catéchismes, prédications, confessions générales, extinction des procès, visites des malades, les sermons étant sans cesse remis sur le chantier pour un apport efficace et adapté et construits pour rappeler les grandes vérités de la foi[9]. Evangéliser à la manière vincentienne, au sens plénier, c’est enseigner, réconcilier, s’engager et engager. Toute mission fonde une charité sur le modèle de Châtillon avec des constructions qui trouvent leur vocabulaire et leur règle juste après Villepreux, avec le règlement de Joigny. Villepreux est donc le lancement d’une opération destinée à se perpétuer.

Une autre observation de justice s’impose ; les missions lancées par st Vincent ne sont pas innovation ; «C’est dans l’air ! ». Les confréries aussi ; les dominicains ont déjà le Rosaire, les jésuites la Bonne-Mort. Tous veulent annoncer Jésus-Christ parce que comme le dit Brejon de Lavergnée, « la société tout entière peut être régénérée par la grâce ».

Villepreux est aussi emblématique pour une autre raison et qui a nom connu, Louise de Marillac. Les premiers missionnaires en effet, fondent les confréries non sans mal et oppositions, et veulent leur assurer pérennité. Lorsque Louise va rencontrer Vincent de façon décisive vers 1624 – 1625[10], en se mettant sous sa direction, il veut la sortir d’elle-même ; il songe alors à lui confier la charge de visiter et de conforter les confréries de charité. Entre 1629 et 1633, elle va inspecter quelques trente charités dont Villepreux. Vers 1630, une lettre circonstanciée marque des relations difficultueuses avec le curé du moment: qu’elle fasse acte de soumission lui dicte Monsieur Vincent (vers Avril 1630 – I, 81-82. Document – Texte F). Monsieur Vincent maintiendra toujours cette docilité aux curés, maitres chez eux. Sœur Elizabeth Charpy parle à ce propos et c’est très fin, d’une confiance gagnée.[11] Nous disons aujourd’hui collaboration qui implique la sincérité réciproque. Brejon de Lavergnée note à propos de ces visites : «  Ses visites relèvent de eux modèles, missionnaire et pastoral : missionnaire en ce qu’elle ‘a pas de territoire propre et  qu’elle suit en tout lieu les Lazaristes pour entretenir la flamme de leurs prédications et les confréries qu’ils ont fondées ; pastoral ou borroméen, car en « prélat réformateur», Louise se livre à de véritables chevauchées dans son « diocèse » charitable ou elle réforme et stimule les « paroisses » dont elle a la charge c’est-à-dire les confréries[12]. ». N’oublions pas que saint Jean XXIII l’a proclamée « patronne de tous les travailleurs sociaux chrétiens ». A ce titre, elle mériterait le calendrier liturgique universel.

La charité de Villepreux s’enracine avec le temps. Lors d’un deuxième voyage, Louise modifie le Règlement et l’ajuste aux exigences du moment, élection des officières, visites régulières des malades, fréquentation des sacrements, confessions et communions pour le décès de chaque « sœur ».

« Sœur » ? Déjà pointe un vocabulaire spécialisé et le lecteur averti verra se profiler une autre figure caractéristique, Marguerite Naseau, peut-être dès 1630. Elle sera maîtresse d’école à Villepreux, envoyée à St Sauveur à Paris et redirigée sur Villepreux le 12 octobre  1631 – I, 131) ; on sait qu’elle ouvre la porte aux filles de la charité, ces « bonnes filles de village »qui viennent au secours des confréries des villages et des Charités parisiennes. La Charité n’a pas de limites et frontières…et 1633 n’est pas loin.

Une autre figure dominante dont il faut absolument parler reste celle de Madame de Gondi. Elle est Villepreux ; châtelaine, elle porte une responsabilité exemplaire. Elle a poussé Monsieur Vincent à revenir sur ses terres, elle le presse à monter en chaire, elle vit jusqu’à l’inquiétude la question : « quel remède ? ». Avant de fonder la Congrégation de la Mission avec Monsieur de Gondi, elle s’investit corps et âme sur Villepreux. Elle ne connaît aucun repos et le 23 février après vêpres, la confrérie est organisée en sa présence. Elle devient indispensable au point des signer l’établissement de la charité de Montmirail avant Monsieur Vincent…noblesse oblige. (XIII, 464. Documents – Texte G)

Dans le même temps, Vincent fait confiance à ste Louise, la protège contre elle-même et son manque de pondération dans le zèle ; il l’aide à discerner les bonnes voies qui mènent à la naissance de la Compagnie. Il est cofondateur à sa  manière. Il revient à Villepreux « au vent de la Fronce » en janvier 1649. Après discernement, il décide de quitter st Lazare pour aller à Saint Germain, trouver la Reine Mère en plénipotentiaire confiant mais osé…et téméraire dans son entretien avec Mazarin. Il quitte les lieux et se réfugie à Villepreux chez M. de Gondi durant une semaine. En  effet celui-ci s’est réfugié au château de Villepreux. En compagnie du frère Ducournau, Vincent le quitte au bout d’une semaine et part pour une aventure sans précédent…Une sorte d’exil actif…

 

La synthèse vincentienne

Villepreux met en œuvre ce que Vincent a capté « par expérience et par nature ». Il a touché du doigt ce qu’un christianisme trop ritualiste lui avait fait oublier : messes dominicales, pratiques habituelles du baptême aux funérailles. A Folleville, il  réalise la grande ignorance du peuple et Madame de Gondi amplifie cette dure et palpable réalité : « le pauvre peuple se damne », et lui ajoutera et déploiera : « faute d’entendre les vérités à salut ». L’urgence est d’évangéliser, de proclamer les lignes de force de la foi, de rendre familier l’enseignement de Jésus et de son Evangile et la découverte de sa personne. Tout cela impose une prédication soignée, un catéchisme pour enfants et pour adultes et une éthique adaptée.

Mais l’expérience de st Vincent lui dicte un autre point d’attention : poursuivre la formation par l’engagement. Tout chrétien formé et devenu plus conscient de ses responsabilités baptismales ne peut que vivre sa foi par le service de l’autre et du plus faible, le malade, l’isolé, le  faible en ressources, bref, le pauvre, en situation de visite et de réconfort « corporel et spirituel ». L’expérience de Châtillon s’emboîte dans celle de Folleville. Et c’est ainsi que celle de Villepreux devient exemplaire et globalisante.

Villepreux est à percevoir comme le premier type achevé de l’engagement missionnaire porté à sa perfection par la charité. Toute mission donnée se termine par la création d’une association de charité. La Parole de Dieu engendre le service du frère, la diaconie pour reprendre un mot récent. L’une ne va pas sans l’autre. Et l’un éclaire l’autre. Fractionner ce binôme est une altération préjudiciable à l’esprit vincentien. D’autres binômes s’y retrouvent: Vincent et Louise, religieux et prêtres diocésains, clercs et laïcs, congrégation de la Mission et Charités, Charités et Filles de la Charité en éclosion.

En célébrant Villepreux et son anniversaire au début de 1618, on pourrait en même temps, consacrer à nouveau cette union qui reste comme la marque de fabrique de la tâche vincentienne. La fidélité revendique cette lecture synthétique; s’y tenir équivaut à une ampliation de la marche en avant que suppose aujourd’hui la vie et l’action car nous sommes toujours cofondateurs pour notre temps. Comme le dirait le père Philippe Lécrivain sj, nous avons à continuer le récit fondateur, à écrire encore les actes de l’Eglise au prix d’une conversion jamais achevée et d’un engendrement qui nous fait « narrateurs et fondateurs »[13] de la Congrégation, avec st Vincent et les premiers confrères. Les formes se modernisent et s’adaptent mais le fond reste : tenir Mission et Charité indissolublement unis. Voilà un possible chemin et un lieu symbole porteur, celui de l’unification de la vocation vincentienne.

Puisse cet embryon de perspectives ouvrir un dialogue, voire un débat.

 

Documents complémentaires

TEXTE A

« Quoique M. Vincent fût bien résolu de se donner parfaitement à Dieu et de lui rendre tous les services qu’il pourrait, dans l’état ecclésiastique, cet accident néanmoins qui lui arriva lui servit comme d’un nouvel aiguillon, et le bon usage qu’il en fit attira sur lui de nouvelles grâces, qui le portèrent encore plus fortement à l’exécution de ses bonnes résolutions. Et voyant que cette demeure où il avait été obligé de se retirer à son arrivée dans Paris, parmi des personnes laïques, était peu convenable au désir que Dieu lui avait inspiré de se mettre dans une vie vraiment ecclésiastique, il se résolut de s’en retirer; et la bonne estime que sa vertu lui avait acquise lui fit trouver accès chez les RR. PP. de l’Oratoire, qui le reçurent en leur maison, non pas pour être agrégé à leur sainte Compagnie, ayant lui-même déclaré depuis qu’il n’avait jamais eu cette intention, mais pour se mettre un peu à l’abri des engagements du monde, et pour mieux connaître les desseins de Dieu sur lui et se disposer à les suivre. Et sachant bien que nous sommes aveugles en notre propre conduite, et que le plus assuré moyen pour ne se point détourner des voies de Dieu, est d’avoir quelque ange visible qui nous conduise, c’est-à-dire quelque sage et vertueux directeur qui nous aide par ses bons avis, il crut ne pouvoir faire un meilleur choix, que celui même qui conduisait avec tant sagesse et de bénédiction cette sainte Compagnie de l’Oratoire, qui était alors le révérend Père de Bérulle, comme nous avons dit, dont la mémoire est en odeur de sainteté. M. Vincent donc lui ayant ouvert son cœur, ce grand serviteur de Dieu, qui avait un esprit des plus éclairés de ce siècle, reconnut incontinent que Dieu l’appelait à de grandes choses; et l’on dit même qu’il prévit dès lors et qu’il lui déclara que Dieu voulait se servir de lui pour lui rendre un signalé service dans son Église, et pour assembler à cet effet une nouvelle communauté de bons prêtres qui y travailleraient avec fruit et bénédiction.

Il demeura environ deux ans en cette retraite, et pendant ce temps-là, le R. Père Bourgoing, qui était pour lors curé de Clichy, ayant eu dessein de quitter cette cure pour entrer en la congrégation de l’Oratoire, dont il a été depuis très digne supérieur général, le R. Père de Bérulle porta M. Vincent à accepter la résignation qui lui fut faite de cette cure, pour commencer par ce lieu-là à travailler en la vigne du Seigneur. A quoi M. Vincent acquiesça par esprit d’obéissance, étant bien aise, en rendant ce service à Dieu, d’avoir quelque occasion de s’humilier, et de préférer la condition de simple curé d’un village aux autres plus avantageuses et plus honorables dont il pouvait se prévaloir. » (Abelly Livre I, Chap. VII, p. 24-25)

 

TEXTE B

« Ce fut environ l’an 1613 que le Révérend Père de Bérulle porta M. Vincent à accepter la charge de précepteur des enfants de messire Emmanuel de Gondi, comte de Joigny, alors Général des galères de France, et de dame Françoise Marguerite de Silly, son épouse, femme d’une excellente vertu, d’autant plus digne d’être estimée que la piété était en ce temps-là plus rare parmi les personnes de la Cour. Et ce choix qui fut fait de M. Vincent pour cet emploi n’est pas une petite preuve du jugement avantageux que ce premier Supérieur général de l’Oratoire faisait de sa vertu et des bonnes qualités de son esprit, le donnant à une famille des plus pieuses et des plus illustres du Royaume, et lui confiant la conduite et l’éducation de trois jeunes seigneurs de grande espérance,  dont l’aîné est Duc et Pair de France;  le second a été élevé à la dignité de Cardinal de la sainte Église[14].& pour le troisième, qui promettait beaucoup pour les belles qualités de corps et d’esprit dont il était doué, Dieu le retira de ce monde à l’âge de dix ou onze ans, pour lui donner dans le Ciel un partage plus avantageux que celui qu’il eût trouvé sur la terre. » (Abelly Livre I, Chap. VII, p. 27-29

 

TEXTE C

 « Or il arriva, environ l’année 1616, qu’étant allé en Picardie avec Madame qui y possédait plusieurs terres, et faisant quelque séjour au château de Folleville, au diocèse d’Amiens, comme il s’occupait à ces œuvres de miséricorde, on le vint un jour prier d’aller au village de Gannes, distant environ de deux lieues de ce château, pour confesser un paysan qui était dangereusement malade et qui avait témoigné désirer cette consolation ». Or, quoique ce bon homme eût toujours vécu en réputation d’un homme de bien, néanmoins M. Vincent, l’étant allé voir, eut la pensée de le porter a faire une confession générale, pour mettre son salut en plus grande sûreté; et il parut, par l’effet qui s’ensuivit, que cette pensée venait de Dieu, qui voulait faire miséricorde à cette pauvre âme et se servir de son fidèle ministre pour la retirer du penchant du précipice où elle allait tomber; car, quelque bonne vie que cet homme eût menée en apparence, il se trouva qu’il avait la conscience chargée de plusieurs péchés mortels qu’il avait toujours retenus par honte, et dont il ne s’était jamais accusé en confession, comme lui-même le déclara et publia hautement depuis, même en la présence de Madame, qui lui fit la charité de le venir visiter. «Ah ! Madame (lui dit-il) j’étais damné si je n’eusse fait une confession générale, à cause de plusieurs gros péchés dont je n’avais osé me confesser.»… Ce fut cette grâce qui fit cette salutaire opération dans le coeur de ce paysan, que de lui faire avouer publiquement, et même en présence de Madame la Générale, dont il était vassal, ses confessions sacrilèges et les énormes péchés de sa vie passée; ce qui fit que cette vertueuse dame, touchée d’étonnement, s’écria, adressant la parole à M. Vincent: «Ha! Monsieur! Qu’est-ce que cela? qu’est-ce que nous venons d’entendre ? Il en est sans doute ainsi de la plupart de ces pauvres gens. Ha ! si cet homme, qui passait pour homme de bien, était en état de damnation, que sera-ce des autres qui vivent plus mal? Ha ! Monsieur Vincent, que d’âmes se perdent ! Quel remède à cela ? » (Abelly I,VIII, 32-33).

 

TEXTE D

«C’était au mois de janvier 1617 que ceci arriva: et le jour de la conversion de saint Paul, qui est le 25, cette dame me pria, dit monsieur Vincent, de faire une prédication en l’église de Folleville pour exhorter les habitants à la confession générale; ce que je fis. je leur en représentai l’importance et l’utilité, et puis je leur enseignai la manière de la bien faire: et dieu eut tant d’égard a la confiance et à la bonne foi de cette dame (car le grand nombre et l’énormité de mes péchés eut empêché le fruit de cette action) qu’il donna la bénédiction a mon discours: et toutes ces bonnes gens furent si touches de dieu, qu’ils venaient tous pour faire leur confession générale. Je continuai de les instruire et de les disposer aux sacrements, et commençai de les entendre. mais la presse fut si grande, que ne pouvant plus y suffire avec un autre prêtre qui m’aidait, Madame envoya prier les révérends pères jésuites d’Amiens de venir au secours; elle en écrivit au révérend père recteur qui y vint lui-même, et, n’ayant pas eu le loisir d’y arrêter que fort peu de temps, il envoya pour y travailler en sa place le révérend père Fourche, de sa même compagnie, lequel nous aida a confesser, prêcher et catéchiser, et trouva par la miséricorde de Dieu de quoi s’occuper. Nous fumes ensuite aux autres villages qui appartenaient à madame en ces quartiers-là, et nous fîmes comme au premier: il y eut grand concours et Dieu donna partout la bénédiction. et voilà le premier sermon de la mission, et le succès que Dieu lui donna le jour de la conversion de saint Paul: ce que Dieu ne fit pas sans dessein en un tel jour.» (Abelly I, VIII, 33-34)

 

TEXTE E

Vous saurez donc qu’étant auprès de Lyon en une petite ville où la Providence m’avait appelé pour être curé, un dimanche, comme je m’habillais pour dire la sainte messe, on me vint dire qu’en une maison écartée des autres, à un quart de lieue de là, tout le monde était malade, sans qu’il restât une seule personne pour assister les autres, et toutes dans une nécessité qui ne se pouvait dire. Cela me toucha sensiblement le coeur. Je ne manquai pas de les recommander au prône avec affection, et Dieu, touchant le coeur de ceux qui m’écoutaient, fit qu’ils se trouvèrent tous émus de compassion pour ces pauvres affligés.

L’après-dînée il se fit assemblée chez une bonne demoiselle de la ville pour voir quel secours on leur pourrait donner, et chacun se trouva disposé à les aller voir et consoler de ses paroles et aider de son pouvoir. Après les vêpres, je pris un honnête homme, bourgeois de la ville, et nous mîmes de compagnie en chemin d’y aller. Nous rencontrâmes sur le chemin des femmes qui nous devançaient, et, un peu plus avant, d’autres qui revenaient. Et comme c’était en été et durant les grandes chaleurs, ces bonnes dames s’asseyaient le long des chemins pour se reposer et rafraîchir. Enfin, mes filles, il y en avait tant, que vous eussiez dit des processions. (IX, 243-244)

 

TEXTE F

Il est fort difficile, Mademoiselle, de faire quelque bien sans contrariété ; et pource que nous devons, autant qu’il nous est possible, soulager la peine d’autrui, je pense que vous feriez un acte agréable à Dieu de voir Monsieur le curé (3), de lui faire vos excuses de ce que, sans son avis, vous avez parlé aux sœurs de la Charité (4) et aux filles, que vous en pensiez faire à Villepreux tout simplement comme à Saint-Cloud et ailleurs, et que cela vous apprendra votre devoir une autre fois, et, s’il ne le trouve pas bon, que vous en demeuriez là. Et mon avis est que vous le fassiez. Notre-Seigneur retirera peut-être plus de gloire de votre soumission que de tout le bien que vous pourriez faire. Un beau diamant vaut plus qu’une montagne de pierres, et un acte de vertu d’acquiescement et de soumission vaut mieux que quantité de bonnes œuvres qu’on pratique à l’égard d’autrui. (vers Avril 1630 – I, 81-82)

 

TEXTE G

« Au nom de la très Sainte Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit. Sachent tous qu’il appartiendra que cejourd’hui onzième de novembre mil six cent dix-huit, en l’église Saint-Etienne de Montmirail, le peuple étant assemblé, moi, Vincent de Paul, prêtre et aumônier de dame Françoise-Marguerite de Silly, comtesse de Joigny, etc., et dame dudit Montmirail, en vertu de la permission de Monseigneur et Révérend Père en Dieu Jérôme, par la grâce de Dieu évêque de Soissons, donnée à madite dame, de faire établir l’association de la Charité en ladite ville et autres siens villages, dépendants dudit diocèse de Soissons, j’ai procédé audit établissement de l’association de la Charité, du consentement de Jean Delaistre, prieur dudit Montmirail, absent à cause de sa maladie, et en la présence de Christophe Bourdelet, son vicaire, ayant premièrement fait entendre au peuple en qui consiste ladite association et fait lecture des règlements d’icelle et de la permission de mondit seigneur de Soissons, le tout cidessus transcrit. Et ce fait, étant en la chapelle ci-devant nommée de Saint-Nicolas et maintenant choisie par ledit sieur prieur pour servir à ladite association, ai admonesté les femmes qui désireront se mettre en ladite association de s’approcher et donner leur nom. Sur quoi se sont présentées: premièrement, madite dame la comtesse, laquelle, avec les sousnommées, a désiré être de ladite association; puis demoiselle Barbe le Juge, femme de Monsieur le lieutenant Bonseré; Mademoiselle Chambelin…Puis ai procédé à l’élection des officières de ladite association, selon ledit règlement, à 1a pluralité des voix; et a été nommée pour prieure Mademoiselle la lieutenante; pour première assistante, Mademoiselle Chambelin; et pour deuxième assistante, Madame de la Saulssaye, du consentement de toutes lesquelles je leur ai laissé Nicolas Pullen, prêtre, pour recteur de ladite association. Ce qui a été fait audit Montmirail, les jour et an que dessus, en présence des soussignés.

Françoise-Marguerite de Silly. | Delaistre. | V. Depaul. | B. Le Juge. | Jeanne de. | Marie des Essarts. | Marie Varle. | Françoise Darthois. | Claude Vinot. | Julienne Broizot. | Anne Lhermitte. » (XIII, 464-467)

 

 

Explications :

[1] L’église possède un grand Christ en bois recouvert de plâtre et datant de sa fondation, un confessionnal Renaissance et deux chapelles latérales en bois, avec statues en bois du XVIIIème. Une dalle verticale rappelle que le cœur de M.F.de Lannois, ancien seigneur du lieu, est placé dans le mur. L’église est connu chez les historiens de St-Vincent-de-Paul, car ce saint s’y rendit en janvier 1617, alors qu’il résidait au château de Folleville, dans la famille de Gondi et convertit le meunier mourant. Se rendant compte du manque de prêtre pour desservir les campagnes, St-Vincent de Paul créa à l’occasion de cet incident, la congrégation des prêtres de la Mission. C’était une secte de prêtres missionnaires (sic !) qui se rendaient partout où les villageois n’étaient pas évangélisés (Site officiel – http://www.mairie-gannes.fr/default/)

[2] Vincent de Paul, un saint au grand siècle » p 116)

[3] Collet  I, 53

[4] Op.cit. 138-139

[5]https://www.google.fr/#q=villepreux et on peut aussi voir avec intérêt l’intérieur de l’église en http://villepreuxlesclayes.catho78.fr/wp1/faites-le-tour/saint-germain/ et plus encore avec un brin de patience, vertu chère aux internautes… et le blog de Jean-Pierre sur http://jeanpierrekosinski.over-blog.net/pages/La_Maison_SaintVincent_a_Villepreux-1919914.html

[6] Matthieu Brejon de Lavergnée- « Histoire des filles de la charité » – Fayard 2011- p 140

[7] « Essai historique sur l’influence de la religion en France pendant le dix – septième siècle » – Michel Pierre et Joseph Picot –Louvain 1824. Il est coutumier d’ajouter à des premiers missionnaires Messieurs Duchesne, archidiacre de Beauvais et Feron, archidiacre de Chartres selon Abelly. (I, LI, 54-55).

[8] Le collège royal de Navarre, à l’instar de quelques autres grands établissements parisiens, conserve, à l’époque moderne, la double vocation qu’il avait déjà au Moyen Âge. Il accueille, comme un collège d’exercice, enfants et adolescents, qui suivent des cours de grammaire, de physique et de rhétorique, mais il offre aussi, comme un collège universitaire, des bourses à des étudiants des facultés supérieures. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, il bénéficie d’un grand prestige et reçoit, en 1752, la première chaire de physique expérimentale, confiée à l’abbé Nollet. Les plus riches familles y envoient leurs enfants : Richelieu et, plus tard, Condorcet étudient au Collège de Navarre.(Larousse, dictionnaire de l’Histoire de France) Cocqueret est natif de Pontoise, né pauvre en 1592, philosophe et théologien brillant, très en Cour, sondé par Richelieu pour être son directeur de conscience, ce qu’il refuse tout comme l’épiscopat ; il appartient au cercle Duval ; il est l’ami de Vincent et de François de Sales. Venu supérieur général des carmélites, Il mourra à Marseille en 1655 en allant visiter les Carmélites.

[9] Il inventera même la première communion sous l’inspiration de Bourdoise.

[10] D’aucuns admettent qu’ils se sont croisés beaucoup plus tôt…

[11] Sr Elizabeth Charpy « Contre vents et marées, Louise de Marillac, chapitre 4,Au services des confréries de la charité

[12] Brejon Op. cit. p 117

[13] Relire et vivre son article « Mission, communauté, insertion, charisme » dans le cahier vincentien N° 222

N.B.

Cette article à été publié sur le site www.cmission.fr le 21 novembre 2016. Il est réédité en raison du pèlerinage

 

Saint Vincent de Paul, un homme d’oraison


Saint Vincent de Paul, un homme d’oraison

Conférence donnée lors de la récollection de carême. Diocèse d’Amiens / Folleville, 2 mars 2017

Une chose importante qu’il faut dire tout d’abord, c’est que les contemporains de Monsieur Vincent ne sont jamais arrivés à définir quelle était la qualité de sa prière. Son premier biographe, Louis Abelly, qui l’a connu pendant une trentaine d’années, disait en effet : « On n’a pu découvrir si l’oraison de Monsieur Vincent était ordinaire ou extraordinaire, son humilité lui ayant toujours fait cacher les dons qu’il recevait de Dieu autant qu’il lui était possible » (L. Abelly, tome III, p 53-54).

Dans un autre domaine, les spécialistes affirment qu’à la Cour il demeurait silencieux, jusqu’à ce qu’on le force à donner son avis. Angélique Arnaud écrivait aussi un jour, à un certain Monsieur Féron : « Monsieur Vincent me vint voir hier, auquel nous parlâmes à cœur ouvert de votre affaire, Je sachant par vous-même très secret » (Ms 2333, fo 24).

Saint Vincent était donc très discret sur sa propre vie spirituelle. Il n’aimait pas se mettre en avant, même lorsqu’il évoquait sa propre expérience. Mais les consignes qu’il a laissées aux siens relativement à la prière, à la vie d’oraison, portent sa marque profonde. Ne dit-on pas, en effet, que « la bouche parle de l’abondance du cœur » ?

Après avoir dit cela, ne sommes-nous pas devant une impasse ? Je ne le crois pas, car en réalité, la prière, ce n’est pas avant tout, une suite d’exercices de piété accomplis avec componction et d’une manière régulière, même si cela en est un élément important ! C’est pourquoi, dans un premier temps, il me parait bon, de bien définir ce qu’est la prière. A partir de cette définition, nous pourrons découvrir mieux ce que fût, à mon avis, l’expérience spirituelle de Saint Vincent.

Selon les maîtres spirituels donc, la prière est l’activité la plus importante de la vie spirituelle. Les œuvres de saint Jean de la Croix et de Thérèse d’Avila, par exemple, portent en grande partie sur la prière, et il n’est pas un seul livre de spiritualité qui n’aborde ce sujet. Maintenant, si on essaie d’inventorier les définitions de la prière, on peut constater qu’elles se rejoignent toutes, en fin de compte : elles désignent toutes, l’entrée en relation de celui qui prie avec Dieu. Par exemple, Saint Jean Damascène : « Rencontre entre Dieu et l’homme, ascension ou élévation de l’âme vers Dieu. » Saint Nil : « Commerce de l’esprit avec Dieu. » Thomas Merton : « Conscience de notre union avec Dieu. » François Varillon : « Conscience de ce que Dieu est et fait dans notre vie. » Jacques Leclercq : « Conversation, débat, dialogue avec Dieu » etc… Saint Vincent, quant à lui, la définissait ainsi, en s’adressant aux Filles de la Charité : « L’oraison, mes filles, est une élévation de l’esprit à Dieu, par laquelle l’âme se détache comme d’elle-même pour aller chercher Dieu en lui. C’est un pour parler de l’âme avec Dieu, une mutuelle communication, où Dieu dit intérieurement à l’âme ce qu’il veut qu’elle sache et qu’elle fasse, et où l’âme dit à son Dieu ce que lui-même lui fait connaitre qu’elle doit demander. » (Conférence n° 37, du 31 mai 1648, sur l’oraison)

La prière désigne donc essentiellement, toute activité de communication et de communion avec Dieu : communiquer pour communier à lui, communier à lui pour qu’il se communique à nous. La prière trouve sa réalité dans la rencontre, dans l’expérience effective d’une présence. Ceci dit, dans la prière, la rencontre de Dieu est-elle vraiment possible, et ceux qui prétendent l’avoir faite ne sont-ils pas pleins d’illusion ? Pour le savoir, il y a d’abord et surtout, un critère important : la présence de Dieu dans une vie se vérifie à ses effets sur le comportement. Autrement dit, c’est en relisant ce que j’ai pu vivre, dans l’écoute de la parole de Dieu, et aux effets sur ma propre vie, que je peux vérifier si ma rencontre de Dieu est authentique ou pas. Saint Vincent ne disait-il pas :« On connait ceux qui font bien oraison non seulement en la manière de la rapporter, mais encore plus, par leurs actions et par leurs déportements (= comportements) par lesquels ils font apparaître les fruits qu’ils en retirent ». On peut aussi se rendre compte que l’on est proche de Dieu, par les signes de sa présence en nous : la paix, la joie, le fait d’aimer Dieu et les autres. Dans la lettre de St Paul aux Galates, les signes de cette présence sont les fruits de l’Esprit : charité, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, confiance dans les autres, douceur et maitrise de soi. (Gal 5, 22-23). En dehors de ces critères objectifs, on risque fort de vivre dans le rêve.

Venons-en maintenant à Saint Vincent. Si, comme il a été déjà dit, ses contemporains ne sont jamais arrivés à définir quelle était la qualité de sa prière, car il était par nature silencieux et très secret, il ne fait aucun doute, qu’il a su néanmoins rencontrer Dieu, faire l’expérience effective de sa présence. Il a beaucoup parlé de la prière et de l’oraison aux Filles de la Charité et aux Missionnaires. Il est donc certain, qu’en parlant de la prière, Saint Vincent ne faisait pas autre chose que de partager sa propre expérience, ou l’expérience qu’il en avait, en observant la vie des autres, et spécialement celle des petits et des humbles. Ne disait-il pas :« Dieu est très simple, ou plutôt il est la simplicité même ; et partant, où est la simplicité, là aussi Dieu se rencontre. » (XI, 50) Et encore :« Dieu a promis de se communiquer aux petits et aux humbles, et de leur manifester ses secrets. Pourquoi donc ne croirions-nous pas ce qui est de Dieu, puisque c’est dit et par des petits, et à des petits ? » (IX, 400)

Et maintenant, si l’on se réfère au critère que j’indiquais plus haut : « la présence de Dieu dans une vie se vérifie à ses effets sur le comportement », on constate justement, chez St Vincent, un tournant capital, qui le conduira à un changement total de vie. C’est ainsi que, durant la première partie de son existence – de 1581 à 1617 – sa prière consistait en une demande adressée à un Etre transcendant, à un Dieu créateur et bénéfique qui est un interlocuteur apprécié, puisqu’il est le pourvoyeur des biens. Ce qui soutenait sa prière, c’est l’espoir d’un bien, plus que l’espérance d’une transformation. Il écrivait ainsi à sa mère, le 17 février 1610 :« J’espère tant en la grâce de Dieu, qu’il bénira mon labeur et qu’il me donnera bientôt Je moyen de faire une honnête retraite pour employer les restes de mes jours auprès de vous… L’infortune présente présuppose un bonheur à l’avenir » (SV 1,19).

Or, nous le savons, prier par besoin ou par désir c’est centrer notre prière sur nous­ mêmes et traiter Dieu comme un objet propre à combler nos manques et nos carences. Nous sommes alors dans l’ordre de l’utilité. Quand notre besoin est satisfait, Dieu ne sert plus à rien ; c’est comme s’il n’existait plus. Vivre la prière de cette façon, revient à manipuler Dieu, à l’asservir à nos appels et à nos demandes. C’est en renonçant au besoin, en acceptant l’insatisfaction de nos limites et de nos pauvretés, qu’il devient possible de vraiment nous dépouiller de nous-mêmes, de nous décentrer pour nous ouvrir à l’autre, découvrir le désir. Le désir est centré sur l’autre, qui n’est plus là comme un objet destiné à me satisfaire, mais comme un sujet que je reconnais dans sa différence. Prier c’est donc, passer du besoin de prier à la prière de désir. Nous ne pouvons peut-être pas éviter de commencer à aller à Dieu par besoin, mais il est nécessaire de ne pas en rester là. « Dieu n’est jamais l’objet de notre besoin, même si c’est par ce leurre que nous commençons à nous mettre en route. Ce leurre et le renoncement qui s’ensuivra caractérisent l’amour et la prière. » (Denis Vasse, « Le temps du désir. Du besoin de la prière à la prière de désir », Christus 54, 1967, pp. 174, 177.)

De plus, il est certain que la rencontre de Dieu n’est possible que si nous avons un esprit ouvert, avec des convictions profondes sans doute, mais aussi avec une certaine souplesse, une certaine capacité d’étonnement, de remise en cause. C’est pourquoi, on peut se poser la question : comment pourrions-nous rencontrer Dieu, si nous ne savons pas rencontrer l’autre dans sa différence, son originalité ? Un esprit étroit, borné, enfermé dans une certitude suffisante, ne pourra jamais goûter la joie de la rencontre des autres, et de Dieu, « le Tout-autre », à plus forte raison !

Mais revenons à St Vincent. Il semble que pendant les quelques années qui ont précédé 1617, plus exactement, durant la période de « la nuit de la foi », Vincent a fait tout un travail sur lui-même et a vécu des remises en question profondes mais libératrices. En effet, à partir de 1617, le sens de sa vie va changer complètement. Alors qu’humainement il a obtenu tout ce qu’il désirait l’honnête retirade, des fonctions honorables dans la famille des Gondi, des bénéfices ecclésiastiques – « Dieu opère en lui un changement de centre de gravité. Une conversion intérieure s’est accomplie, longuement mûrie, soutenue par une intention droite et guidée par des évènements indicateurs d’une volonté de Dieu. » (Initiation à Saint Vincent de Paul, p. 200 – André Dodin) On peut vérifier ainsi, dans sa vie, que la prière véritable est une action de Dieu en l’homme et non une mainmise de l’homme sur Dieu. Ce changement et cette conversion vont se concrétiser « au moment où, ayant goûté l’apaisement engendré en lui-même par la charité physique et morale à l’égard des malheureux, il décide de se donner pour toute sa vie au service des pauvres et d’être le serviteur de Dieu auprès des pauvres en qui Dieu réside. » (Initiation à Saint Vincent de Paul, p. 201, André Dodin)

Voilà quelque chose de très intéressant ! A cette époque, Vincent vivait, la fameuse « nuit de la foi », et ce qui lui apportait un peu d’apaisement dans cette épreuve, ce qui lui apportait quelques consolations, c’était d’être présent physiquement et moralement auprès des pauvres malades et de les servir. Ceci nous fait prendre conscience, d’une part, que si, seul Dieu a pu convertir Vincent, et non pas les pauvres en tant que tels, son expérience des pauvres l’a mis en contact direct et particulier avec le Christ représenté par eux. Dieu s’est, pour ainsi dire, servi d’eux ; ils ont été des évangélisateurs discrets, inconscients et mystérieux. Ils l’ont mis en présence de Dieu, et Vincent a compris que, Jésus Christ c’est Dieu incarné dans l’histoire des hommes, éminemment concerné, impliqué et constamment actif dans l’histoire. De plus, c’est la rencontre du Christ dans les pauvres, qui lui a apporté une certaine lumière pour éclairer sa démarche et donner à ses gestes un sens nouveau et jusque-là imprévisible et insoupçonnable. Abelly nous dit que « Son âme se trouva remise dans une douce liberté... fût remplie d’une si abondante lumière quil a avoué en diverses occasions qu’il lui semblait voir les vérités de la foi avec une lumière toute particulière. » (Abelly, Tome III, p.119).

Cette conversion de Vincent nous fait comprendre encore, que la présence de Dieu dans une vie ne se repère pas aux effets sensibles, aux effets euphoriques que l’on peut ressentir. Il se peut que nous soyons touchés un jour, par une parole de Dieu qui nous bouleverse. Mais ce n’est pas parce que cela nous fait chaud au cœur, que nous rencontrons Dieu automatiquement. La vérité de cette rencontre se vérifiera, encore une fois, dans le concret de nos vies si elle transforme nos comportements et nos attitudes. Bien sûr, il se peut qu’au début de la vie spirituelle, une grâce sensible nous soit donnée comme dans les commencements de l’amour humain. Mais le risque est grand de ne rencontrer que soi-même et ses propres impressions subjectives, sans avoir trouvé Dieu qui est autre, le Tout-Autre. D’ailleurs, on peut rencontrer Dieu sans avoir de consolations affectives sensibles. Nous savons par expérience, que des hommes et des femmes n’ont jamais été touchés dans leur sensibilité, alors que leur existence est profondément marquée par Dieu. Il y a des gens admirables dans leur foi et dans leur charité, qui n’ont jamais rien senti dans leur vie.

A ce propos, permettez-moi d’ouvrir une petite parenthèse le dossier pour la béatification de Mère Térésa de Calcutta, ouvert en 1999 révéla un secret de taille. Dans sa correspondance avec ses confesseurs et avec les archevêques de Calcutta, la religieuse confie que, pendant les cinquante dernières années de sa vie, elle a connu une « nuit de l’âme ». Une obscurité seulement éclairée par un mois de lumière en Octobre 1958. « Mon sourire est un grand manteau qui couvre une multitude de douleurs » écrit-elle en juillet 1958. Dans cet abandon spirituel, seule sa foi aveugle l’aide à tenir : « J’éprouve que Dieu n’est pas Dieu, qu’il n’existe pas vraiment. C’est en moi de terribles ténèbres. » disait-elle. Paradoxalement, cette douleur nous la rend à la fois plus proche, tout en éclairant son dessein divin.

Oui, c’est dans la foi que nous rencontrons Dieu. Un peu comme Abraham. C’est sur une parole qu’il est parti, et ce n’est qu’après coup qu’il vérifiera que cette parole a eu de l’effet sur lui.

Dans le même ordre d’idées, il est intéressant de relire en entier, ce passage savoureux d’un entretien de Saint Vincent sur l’amour de Dieu. On constate, en effet, dans cet entretien, qu’il « garde toujours les pieds sur terre » et l’on y sent aussi, comme une pointe de malice et d’humour, où se révèle un aspect de sa personnalité tout à fait sympathique ! Ecoutons-le !

« Aimons Dieu, mes frères, aimons Dieu, mais que ce soit aux dépens de nos bras, que ce soit à la sueur de nos visages. Car bien souvent tant d’actes d’amour de Dieu, de complaisance, de bienveillance, et d’autres semblables affections et pratiques intérieures d’un cœur tendre, quoique très bonnes et très désirables, sont néanmoins très suspectes, quand on n’en vient point à la pratique de l’amour effectif. « En cela, dit Notre Seigneur, mon Père est glorifié que vous rap portiez beaucoup de fruit. » Et c’est à quoi nous devons bien prendre garde ; car il y en a plusieurs qui, pour avoir l’extérieur bien composé et l’intérieur rempli de grands sentiments de Dieu, s’arrêtent à cela ; et quand ce vient au fait et qu’ils se trouvent dans les occasions d’agir, ils demeurent court. lis se flattent de leur imagination échauffée ; ils se contentent des doux entretiens qu’ils ont avec Dieu dans l’oraison ; ils en parlent même comme des anges ; mais, au sortir de là, est-il question de travailler pour Dieu, de souffrir, de se mortifier, d’instruire les pauvres, d’aller chercher la brebis égarée, d’aimer qu’il leur manque quelque chose, d’agréer les maladies ou quelque autre disgrâce, hélas ! il n’y a plus personne, le courage leur manque. Non, non, ne nous trompons pas : Tatum opus nostrum in operatione consistit. » (Extrait d’entretien sur l’amour de Dieu. Coste XI, P. 40)

Jusqu’à présent, j’ai essayé de comprendre et de préciser ce que Dieu a opéré dans l’âme de Monsieur Vincent. Voyons maintenant quelques « axes » fondamentaux de sa prière.

Le premier, et sans doute le plus important pour Vincent, c’est l’humilité. En effet, Vincent est persuadé, à la suite de St Mathieu, que Dieu cache ses secrets aux savants du monde et les a réservés aux petits et aux humbles et « qu’il découvre à leur cœur ce que toutes les écoles n’ont pas trouvé » (Coste IX. 421). Cette vérité est le fondement de sa vie de prière : « La vraie religion est parmi les pauvres » et si nous voulons par la prière entrer dans l’intimité de Dieu, il n’y a pas d’autre voie que de nous faire devant lui, « comme des mendiants, pauvres et chétifs » (XII.145). Il disait encore que, par l’humilité on veut « placer Dieu dans son cœur » (XII, 304, Conférences du 22 août 1659 sur les cinq vertus fondamentales) et encore :« Notre fin, c’est le pauvre peuple, gens grossiers ; or, si nous ne nous ajustons à eux, nous ne leur profiterons aucunement ; le moyen pourtant de le faire, c’est l’humilité, parce que, par l’humilité, nous nous anéantissons et établissons Dieu Souverain Être… » (XII, 305, id.)

Humilité donc, que je relierais volontiers à la « pauvreté spirituelle », et qui est le chemin incontournable qui conduit à Dieu. Parce que, si nous ne sommes pas des pauvres, nous ne pourrons pas le rencontrer. Il ne s’agit pas avant tout, d’une pauvreté économique mais d’une pauvreté beaucoup plus essentielle. Dans la Bible, le pauvre n’est pas celui qui n’a rien, mais celui qui est capable de tout recevoir. Cela est encore vrai aujourd’hui, bien sûr. Celui qui n’est pas capable de tout recevoir, ne pourra faire l’expérience de Dieu. S’il est comblé de richesses, de pouvoirs, de savoirs, de certitudes, il ne pourra pas entendre la parole de Dieu. La pauvreté n’est pas non plus un problème de hiérarchie sociale. Le Christ a été à l’aise dans tous les milieux, et nous connaissons tous des gens qui ont de lourdes responsabilités. Pourtant, ce sont des pauvres ! En ce sens, qu’ils sont perméables à la parole de Dieu ; leurs vies ne sont pas encombrées au point de ne pas entendre cette parole venue d’ailleurs. Dans la première des Béatitudes, Jésus nous dit : « Bienheureux les pauvres » Pourquoi cela ? Parce que c’est une condition d’accès au Royaume et que la pauvreté est la condition de la liberté. Nous ne sommes pas libres si nous sommes encombrés. Et puis, comme le disait la Bienheureuse Marie de Jésus Crucifié (1846-1878) :« Il y a en enfer toute espèce de vertus, mais pas d’humilité. Il y a au ciel toute espèce de défauts, mais pas d’orgueil. C’est-à-dire que Dieu pardonne tout à l’âme humble et qu’il compte pour rien la vertu privée d’humilité. »

Oui, la pauvreté, c’est avant tout une perméabilité à la réalité divine, elle est intimement liée à l’humilité et, pour Vincent, là où il n’y pas humilité il ne peut y avoir prière. « L’humilité­ pauvreté spirituelle » possède une force d’aimantation. Elle possède une attraction irrésistible qui rend possible chez une personne, la présence de Dieu et l’ouverture à sa grâce. C’est dans ce sens que St Vincent, à partir de sa propre expérience, sans doute, affirmait tranquillement à ses confrères : « Dès que nous serons vides de nous-mêmes, Dieu nous remplira de lui, car il ne peut souffrir le vide » (Entretiens, p. 269, 860). « Croyez-moi, Messieurs et mes frères, croyez-moi, c’est une maxime infaillible de Jésus-Christ, que je vous ai souvent annoncée de sa part, que, dès qu’un cœur est vide de soi-même, Dieu le remplit ; c’est Dieu qui demeure et qui agit là-dedans ; et c’est le désir de la confusion qui nous vide de nous-mêmes, c’est l’humilité, la sainte humilité ; et alors ce ne sera pas nous qui agirons, mais Dieu en nous, et tout ira bien ». (Entretien, septembre 1655.) Et encore : « Si vous agissez bonnement et simplement, voyez-vous, Dieu est obligé en quelque façon de bénir ce que vous direz, de bénir vos paroles : Dieu sera avec vous » (Entretien du 8 juin 1658, XII,23)

Il me parait intéressant de relire aussi ce que disait St Vincent aux Filles de la Charité, lorsqu’il leur partageait son expérience sur la prière des petits et des humbles. Ces textes nous les connaissons, bien sûr, mais je les trouve personnellement magnifiques ! Ils prennent aujourd’hui une saveur toute particulière ! Savourons-les donc, une nouvelle fois, sans modération, et avec un plaisir non dissimulé !

« Je suis persuadé que la science ne sert pas, et qu’un théologien, quelque savant qu’il soit, ne trouve aucune aide dans sa science pour faire l’oraison. Dieu se communique plus ordinairement aux simples et aux ignorants de bonne volonté qu’aux plus savants : nous en avons quantité d’exemples. La dévotion et les lumières et tendresses spirituelles sont plus souvent communiquées aux filles et aux femmes vraiment dévotes qu’aux hommes, si ce n’est à ceux qui sont simples et humbles. Chez nous les frères rendent quelquefois mieux compte de leur oraison et ont de plus belles conceptions que nous autres prêtres. Et pourquoi cela, mes filles ? C’est que Dieu l’a promis et que c’est son bon plaisir de s’entretenir avec les petits. Consolez-vous donc, vous qui ne savez pas lire, et pensez que cela ne vous peut empêcher d’aimer Dieu, ni même de bien faire l’oraison » (Conférence aux Filles de la Charité n. 21 P. 149) « C’est, mes filles, dans les cœurs qui n’ont point la science du monde et qui recherchent Dieu en lui-même, qu’il se plait à répandre de plus grandes grâces. Il découvre à ces cœurs ce que toutes les écoles n’ont point trouvé, et leur développe des mystères où les plus savants ne voient goutte. Et croiriez-vous, mes chères sœurs, que nous en voyons l’expérience parmi nous ? Je pense vous l’avoir dit deux fois, et je le répèterai encore : nous faisons la répétition de l’oraison chez nous, non pas tous les jours, mais tantôt de deux jours l’un, tantôt de trois, comme la Providence le permet. Or, par la grâce de Dieu, les prêtres y font bien, les clercs font bien aussi, qui plus, qui moins, selon ce que Dieu leur départ ; mais, pour nos pauvres frères, oh ! en eux se vérifie la promesse que Dieu a faite de se découvrir aux petits et aux humbles, car nous sommes étonnés des lumières que Dieu leur donne ; et il parait bien que c’est lui tout seul, car ils n’ont aucune science. Ce sera un pauvre cordonnier, ce sera un boulanger, un charretier, et cependant ils nous remplissent d’étonnement. » (Conférence n. 37, du 31 mai 1648, sur l’oraison.)

En relisant ces textes, comment ne pas penser à ce que disait, le théologien suisse Maurice Zundel ! Dans un style différent, mais d’une façon vraiment étonnante, il rejoint tout à fait les convictions de St Vincent. Ces réflexions sont comme une actualisation de la pensée de Saint Vincent ! C’est en tout cas, un texte que j’aime beaucoup et qui m’a rempli d’émotion la première fois que je l’ai lu, je l’avoue ! Cette fois encore, je ne résiste pas au plaisir de vous le partager ! Mais, écoutons-le : « … J’ai rencontré pas mal de gens instruits, pas mal de gens persuadés de leur génie, pas mal de gens qui savaient parler comme des livres- et qui en écrivaient- mais ça ne m’a jamais beaucoup touché. Ce qui m’a touché, cest toujours l’humilité de bonnes femmes très ordinaires, qui ne se regardaient pas, qui disaient des choses merveilleuses sans le savoir parce que, justement, la lumière de Dieu traversait leur transparence ...Et si la signature de Dieu est toujours celle de l’humilité et du don de soi, c’est évidemment que Dieu lui-même est humilité et don de soi ». (Maurice Zundel 1959.Dans : « L’humble présence » Marc Donzé).

La méditation de ces textes nous conduit tout naturellement à la simplicité, qui est comme la sœur jumelle de l’humilité ! Saint Vincent disait à son sujet : « C’est la vertu que j’aime le plus et à laquelle je fais plus d’attention dans mes actions. » (1, 284, Lettre à François du Coudray du 6 novembre 1634). Et il ajoutait : « Dieu me donne une si grande estime de la simplicité que je l’appelle mon Evangile. » (IX, 606, Conférence du 24 février 1653 sur l’esprit de la Compagnie.) Pour Saint Vincent, la simplicité est le propre de Dieu : « Dieu est très simple, ou plutôt il est la simplicité même et partout où est la simplicité, là aussi Dieu se rencontre. » (Abelly, Ill, 242.) Il disait encore dans ses entretiens : « Dieu est un être simple qui ne reçoit aucun être, une essence souveraine et infinie qui n’admet aucune agrégation avec elle ; c’est un être pur qui jamais ne souffre d’altération. » (Entretiens, p. 589)

Comme on peut aisément le constater, directement liée à l’humilité, la simplicité est un chemin privilégié pour la rencontre de Dieu ! Dieu est accessible à tous les hommes. Il n’est pas réservé à une élite culturelle, intellectuelle ou sociale, c’est certain. Cependant, il y faut certaines dispositions pour l’accueillir. « Le Fils de Dieuveut des cœurs simples et humbles, disait Saint Vincent, et quand il les a trouvés, oh qu’il le fait beau voir y faire sa résidence. Il se vante dans les saintes Ecritures que ses délices sont de converser avec les petits (Cf. Pr 3, 32). Oui, mes sœurs, Je plaisir de Dieu, la joie de Dieu, Je contentement de Dieu, s’il faut dire ainsi, cest d’être avec les humbles et simples qui demeurent dans la connaissance de leur bassesse ». (SV IX, 392.) « Belles paroles de Jésus-Christ qui montrent bien que ce nest pas dans les Louvres ni chez les princes que Dieu prend ses délices » (SV IX 400).

On peut être étonné de cette partialité, de cette « préférence » de Saint Vincent pour les pauvres. Le fait est, qu’il l’a retenue de l’enseignement de l’Evangile de Luc. Et, s’il donne une telle importance à la simplicité, c’est que pour lui, elle a l’étrange et merveilleux pouvoir de créer le climat et l’ambiance qui ont favorisé la venue du Christ, et qui favorisent sa venue chaque jour dans nos vies. « Savez-vous, mes sœurs, où loge Notre Seigneur ? C’est chez les simples », disait-il aux Filles de la Charité. (SV X, 96)

D’ailleurs, Notre Seigneur, le Christ, celui que contemple Vincent dans sa prière, c’est justement, le Christ simple et humble et non pas le Christ « maître », ni le « médecin », ni « le parfait adorateur du Père » ou « l’image parfaite de la divinité, mais « !’Evangélisateur des pauvres ». Il ne cesse de parler et de regarder ce Christ de la miséricorde infinie, qui parcourt la Judée et la Galilée, qui parle familièrement, utilise des termes et des images que tout le monde comprend, qui instruit, catéchise, opère des miracles avec des gestes et des paroles très simples. Le Christ que prie et contemple Monsieur Vincent, c’est celui qui laisse apparaître le Dieu de toute bonté, c’est un Christ simple et concret, dont les paroles expriment le bon sens de Dieu. C’est un Christ paysan et pauvre. « Rien ne plaît qu’en Jésus-Christ » disait-il (Abelly 1, I, 78) et il encourageait ses disciples à contempler encore et toujours ce Christ : « Oh ! Que ceux-là seront heureux qui pourront dire, à l’heure de la mort, ces belles paroles de Notre-Seigneur : Evangelizare pau peribus misit me Dominus ! » (SV XI, 135)

Je disais tout à l’heure, que Dieu est accessible à tous les hommes. Il n’empêche que, pour le rencontrer et accepter de tout recevoir, chacun doit entrer dans la vérité de sa vie. Accepter d’être en vérité devant soi-même, pour être en vérité devant Dieu. Aussi longtemps que nous n’avons pas fait ce travail sur nous-mêmes, nous ne pouvons faire l’expérience de Dieu. La pauvreté que nous demande le Christ pour se manifester à nous, se situe là ! N’est-ce pas cette pauvreté qu’a expérimentée finalement saint Vincent ?!

La vérité est finalement le fruit de l’humilité. Et « L’humilité, c’est simplement la vérité sur nous-mêmes. » disait sainte Thérèse. L’humilité c’est se reconnaître avec ses qualités et ses défauts, avec ses limites, incarné, fragile et mortel. Le père José Maria Ibanez disait très justement dans son livre : La foi vérifiée dans l’amour, p. 52 « La mystique de l’anéantissement est pour Saint Vincent de Paul et pour les mystiques flamands surtout, saint Jean de la Croix, sainte Thérèse de Jésus et Benoît de Canfield, le moyen d’arriver à l’union avec Dieu. Il faut accepter d’être faible, vulnérable, pour vivre la foi chrétienne comme une « expérience de la fragilité ». Alors, Dieu pénètre dans l’homme et le transforme. On ne peut aller à Dieu « en étant nu », ni « en étant vêtu », mais on ne peut s’approcher de Lui qu’en étant dépouillés et détaché de soi-même ».

Je pense, quant à moi, que Saint Vincent a vraiment fait l’expérience de Dieu, justement, en passant par « l’épreuve du réel », en passant par différentes épreuves qui l’ont secoué pendant la première partie de sa vie, notamment l’épreuve de la tentation contre la foi. Il y a eu dans sa vie, à ce moment-là, comme « un lâcher-prise » ; il a été comme acculé à une impasse. Et c’est ainsi qu’il a accepté petit à petit de « jeter le masque », de briser la cuirasse de l’orgueil, pour affronter avec courage sa propre vérité. Il a consenti enfin, à n’être que ce qu’il était, dans son intime pauvreté. S’il avait choisi, dans sa jeunesse de travailler pour Dieu, à présent c’est pour lui, l’engagement à faire le travail de Dieu. Plus que de servir Dieu, il va laisser Dieu se servir de lui. Ce fût un moment capital, décisif, un moment de crise, un lieu de discernement et de décision. En effet, la crise représente le moment le plus aigu d’une situation, la phase critique, décisive, le point de rupture, de changement, le sommet du rite, de passage. Vincent a compris enfin, à travers la crise, que l’on n’arrive pas à la vérité sur soi-même, seulement par un effort personnel, mais aussi et surtout, lorsqu’on laisse Dieu agir en nous. Et Dieu agit en nous, au moyen de la vie, des expériences que la vie elle-même apporte avec elle. Dieu fait le vide en nous, par nos désillusions, nos déceptions… Il nous révèle nos erreurs, il travaille en nous à travers la souffrance, lorsque nous nous sentons vidés, dépouillés.

Mais la crise est aussi un « kairos », temps favorable, temps de grâce ! La crise est éminemment positive, car elle désinstalle et rend vulnérable au changement, perméable à ce qu’il est nouveau, à l’accueil d’un plus de vie. Elle déstabilise et déstructure pour que puisse émerger une nouvelle manière d’être, une nouvelle cohérence. Dans le domaine spirituel, la crise coïncide avec la conversion. C’est ce qu’a expérimenté saint Vincent. Progressivement, sans doute, mais réellement, il a compris que dans la vie spirituelle, ce qui est important, c’est de laisser en Dieu tous les efforts spirituels, pour se laisser conduire par Lui, jusqu’au plus profond de notre être, à travers les vides et les aridités de notre propre cœur. C’est dans ce fond de notre être, et non pas dans nos imaginations ou nos sentiments, que nous rencontrons notre moi en toute vérité, et aussi, notre vrai Dieu. Et c’est alors, que nous prenons également conscience, que nous sommes appelés à prendre une décision de toute importance : choisir entre le chemin qui mène à la mort et aux ténèbres spirituelles, et le chemin qui mène à la lumière et à la vie ; entre des intérêts exclusivement temporels et l’ordre éternel ; entre volonté personnelle et la volonté de Dieu. Oui, nous reconnaissons là, le cheminement spirituel de saint Vincent. Ce cheminement qui l’a conduit à changer radicalement le sens de sa prière ; à ne plus rechercher en elle « le Pourvoyeur des biens », mais Celui dont « il veut profondément accomplir la volonté. »

Au sortir de cette crise, Vincent n’est plus le même, et Dieu n’est plus pour lui, le « Tout-Puissant à qui il faut demander, dans la prière, de faire réussir ses désirs et ses ambitions. Le Dieu que rencontre désormais Vincent, dans sa prière, est une Personne, et Jésus Christ est le Sauveur qui nous libère de l’esclavage du moi. » (L’Esprit Vincentien, p. 94 André Dodin). Désormais, le Christ est au centre de sa vie, et il aurait pu dire avec saint Paul : « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi ! » (Gal 2 ; 20) Il disait en tout cas à Antoine Portail : « Ressouvenez­ vous, Monsieur, que nous vivons en Jésus-Christ par la mort de Jésus-Christ et que nous devons mourir en Jésus-Christ par la vie Jésus-Christ, et que notre vie doit être cachée en Jésus-Christ et pleine de Jésus-Christ, et que pour mourir comme Jésus-Christ, il faut vivre comme Jésus-Christ. »

Progressivement et de mieux en mieux, Vincent s’efforcera de participer à une autre vie, à « entrer dans l’esprit de Jésus qui est voie, vérité et vie ». Animé de cette conviction il dira un jour à un de ses confères, Antoine Durand, à qui il confie le séminaire d’Agde : « Ni la philosophie, ni la théologie, ni les discours n’opèrent dans les âmes : il faut que Jésus-Christ s’en mêle avec nous, ou nous avec Lui, que nous opérions en Lui et Lui en nous, que nous parlions comme Lui et en son esprit ainsi que Lui-même était en son Père et prêchait la doctrine qui lui était enseignée. Il faut donc, Monsieur, vous vider de vous-même pour vous revêtir de Jésus-Christ » (Entretiens Spirituels, p. 307).

« Se vider de soi-même pour se revêtir de Jésus-Christ » : cela n’a jamais voulu dire pour Vincent, établir une relation intimiste avec le Christ. Pour lui, Dieu, qui en Jésus-Christ, s’est incarné, est entré dans notre monde et n’en est jamais sorti. L’illusion serait donc de vouloir, pour le rencontrer, quitter ce monde dont il a fait sa demeure et notre corps dont il fait son temple. Puisque grâce à l’incarnation, nous contemplons dans le monde l’amour de Dieu, ce que nous contemplons, c’est le don d’amour du Christ auquel nous sommes invités à collaborer. C’est pourquoi, il ne peut il y avoir opposition entre prière et action, puisque c’est le même Dieu que nous rencontrons dans la prière, et celui avec qui nous collaborons dans notre action. Loin de s’opposer, la prière et l’action renvoient, au contraire, l’une à l’autre, comme les deux versants d’une même réalité.

« Il faut que vous et moi prenions résolution de ne jamais manquer à faire tous les jours l’oraison, disait Saint Vincent aux Filles de la Charité. Je dis : tous les jours, mes filles ; mais s’il se pouvait, je dirais : ne la quittons jamais et ne passons point de temps sans être en oraison, c’est à dire sans avoir notre esprit élevé à Dieu ; car à proprement parler, l’oraison, c’est comme nous l’avons dit, une élévation d’esprit à Dieu. Mais l’oraison m’empêche défaire ce médicament, de le porter, de voir ce malade, cette dame. Oh ! N’importe, mes filles. Votre âme ne laissera pas d’être toujours en la présence de Dieu, et elle lui lancera toujours quelque soupir ». (IX, 422)

Nous connaissons tous, les exercices spirituels de Saint Ignace de Loyola ; ils ont précisément comme objectif, d’amener à trouver Dieu, à le rencontrer effectivement et à nous engager avec lui, non pas en dehors de tout, mais en toutes choses. Cette démarche des exercices peut inspirer toute personne qui cherche Dieu, quel que soit son état de vie particulier. Il n’y a pas de compétition ou d’opposition entre action et contemplation. Il s’agit de deux niveaux différents, celui de l’être et celui de l’agir. Etre contemplatif n’est pas une action, mais un état, une qualité permanente d’être. Saint Ignace suggère qu’il nous faut toujours être des contemplatifs, c’est à dire, toujours unis à Dieu et en sa présence, non seulement dans notre activité de prière, durant les temps forts que nous y consacrons (nous ne pouvons pas continuellement être en acte de prier), mais dans toutes nos activités, dans notre travail, nos repos, nos rencontres, etc. Il relativise donc « l’aspect matériel du temps passé à prier, pour mettre l’accent sur la disponibilité du cœur ». Il s’agit en fait, de « cette disposition habituelle du cœur, de l’esprit, de la volonté, à écouter la voix du Maître intérieur » (Léonce de Grand’Maison, La vie intérieur de l’apôtre, Beauchesne et ses Fils, pp 86-87)

Henri Nouwen, disait un jour, quant à lui : « Prier ne signifie pas penser à Dieu plutôt qu’à autre chose, ou passer du temps avec Dieu au lieu de passer du temps avec les gens. Prier signifie plutôt, penser et vivre en présence de Dieu. » (Jurjen Beumer, Henri Nouwen, sa vie et sa spiritualité, Bellarmin, 1999, p. 47). Oui, finalement, j’en suis convaincu et nous pouvons le vérifier chez Saint Vincent : la prière ne nous apprend pas seulement ce que nous avons à dire ou à faire, elle nous transforme dans notre être même ; elle nous établit toujours davantage dans la réalité de ce que nous sommes, des êtres en relation à Dieu, une relation d’amour qui illumine toute notre vie et lui rend témoignage. « Quand vous ne direz mot, si vous êtes bien occupé de Dieu, vous toucherez les cœurs de votre seule présenceL’oraison est si excellente qu’on ne la peut trop faire ; et plus on la fait, plus on veut la faire quand on y cherche Dieu. » disait Saint Vincent.

Enfin, en terminant mon exposé, je vous propose quelques outils que vous pourriez utiliser et qui pourront vous aider à discerner vous-mêmes, comment Saint Vincent est passé, de la vie spirituelle à l’expérience spirituelle. Mais auparavant, il me parait important de bien définir ce qu’est l’expérience, de la même manière que je l’ai fait au début, au sujet de la prière. Ainsi, disons-le tout de suite : ce que nous appelons expérience, comporte quatre composantes principales. Il s’agit d’un vécu conscientisé, répété, réel et vérifié.

  • Un vécu conscientisé. Ce qui caractérise tout d’abord l’expérience c’est son caractère réfléchi. L’expérience, c’est du vécu conscientisé. Ainsi, le pur vécu, même spirituel, s’il n’est pas conscientisé, se perd dans le passé et ne peut pas servir à la croissance. Sans prise de conscience, nous ne pouvons pas parler de notre vécu, le communiquer à d’autres. Dieu est toujours présent dans notre vie, mais, comme Jacob, bien des fois nous ne le savons pas (Gn 28,16). Souvent, comme pour les disciples d’Emmaüs, il demeure l’étranger que nous ne reconnaissons pas. L’expérience spirituelle consiste justement, à faire l’anamnèse spirituelle, la relecture du vécu. Il s’agit de faire émerger de l’inconscient, la prise de conscience de la réalité et de la présence active de Dieu dans notre vie concrète. Si parfois nous avons l’impression de ne pas avancer dans notre vie spirituelle, c’est peut-être justement, parce que nous vivons le quotidien de manière répétitive, sans recul et sans profondeur. Le recul et la profondeur que peut nous donner la relecture. Pour chercher et trouver Dieu, nous attendons l’exceptionnel… or, c’est ici et maintenant que Dieu nous attend. Il est présent dans nos vies, d’une présence humble et discrète qu’il nous faut apprendre à reconnaître dans les évènements, les rencontres les plus quotidiens.
  • Un vécu répété. Un autre aspect important de l’expérience est la durée. Par exemple, parler d’une personne d’expérience c’est parler de quelqu’un qui a longuement fréquenté une réalité, qui a développé une familiarité avec elle, qui s’y connait pour l’avoir, avec le temps, explorée sous tous ses angles. L’expérience c’est donc le résultat d’un contact fréquent, répété, durable, avec un secteur de l’activité humaine, qui fait qu’on s’y connait. Parler experience spirituelle connote ce même aspect de durée.
  • Un vécu, non une théorie. Dans le domaine de la science, l’expérience s’oppose à la connaissance théorique, aux idéologies, comme aussi à la connaissance ordinaire, spontanée, non vérifiée. Sur le plan religieux on distinguera la théologie (connaissance spéculative, théorique de Dieu) et la spiritualité (connaissance expérimentale de Dieu). De plus, il ya une grande différence entre parler de Dieu, disserter sur son existence, entendre parler de lui, et, d’autre part, lui parler, entrer effectivement en communication avec lui ! L’expérience spirituelle c’est passer du notionnel au réel, du ouï-dire à la rencontre effective et à la présence. L’expérience spirituelle désigne donc autre chose qu’une adhésion à une doctrine traditionnelle, à une idéologie ou à un système de pensée faisant autorité.
  • Un vécu vérifié. L’expérience c’est un vécu conscientisé, soumis à la durée, un vécu réel, non une théorie, un vécu dont je suis capable de vérifier la réalité. Si l’on veut faire l’étymologie du mot « expérience », en latin « experientia », on trouve dans ce mot : experi et entia.

Ex : marque un mouvement de sortie, une prise de distance entre moi, ma subjectivité et une réalité objective. Cela indique que le vécu a bien été vécu : il est terminé, j’en suis sorti. Cette sortie, cette distance, implique une capacité d’accueillir des réalités différentes, nouvelles, de me remettre en question, de me laisser interpeller, de me laisser changer par ma rencontre avec la réalité objective. Nous sommes là, à l’opposé du mouvement idéologique où l’on veut forcer la réalité et imposer des idées reçues, toutes faites.

Peri : signifie un travail de vérification. J’ai fait le tour d’une réalité dont j’ai pris distance. Je l’ai considérée sous ses aspects multiples et sous ses angles variés. Pour bien saisir la réalité, ce travail suppose de la durée, des répétitions. Ma perception a été vécue et elle a été testée, vérifiée. Cette opération est à l’opposé de la spontanéité, de l’étroitesse et de l’exclusivisme de l’enfant qui, justement, n’a pas d’expérience.

Entia : signifie que j’ai pris de la distance face à mon vécu (ex), j’en ai fait le tour (peri), je puis en répondre : c’est réel (entia), c’est vrai. L’expérience rejoint la réalité, elle cherche, à la différence de la connaissance théorique ou livresque, à contacter les choses dans leur vérité concrète, vitale, existentielle.

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A la fin de cet exposé, et pour ne pas être trop long, je vous propose, maintenant, de reprendre vous-mêmes (pendant cette semaine ou au cours d’une retraite du mois), les quatre composantes que je viens de vous exposer, et qui nous font dire que le vécu devient expérience.

Ensuite, il serait intéressant de repérer, dans votre propre vie, les évènements marquants, les « évènements fondateurs », puis d’en faire une « relecture ». Et, pour conclure, essayez de formuler une prière.

Si vous acceptez de réaliser ce petit exercice, vous ne le regretterez pas, j’en suis certain ! Et puis, ce serait une manière très intéressante, de sortir la parole de Saint Vincent des bibliothèques plus ou moins poussiéreuses, pour en faire une parole vivante qui pourrait vous aider à trouver Dieu, à le rencontrer et à vous engager avec Lui, non pas en dehors de tout, mais en toutes choses, comme lui a su le faire.

En disant cela, je ne voudrais évidemment pas, vous inviter à vous conformer à un modèle, vous inviter à imiter Saint Vincent ! Le mimétisme dans la vie spirituelle est stérile et désastreux.

Alain Perez CM🔸

La prière trouve sa réalité dans la rencontre, dans l’expérience effective d’une présence. Ceci dit, dans la prière, la rencontre de Dieu est-elle vraiment possible, et ceux qui prétendent l’avoir faite ne sont-ils pas pleins d’illusion ?

Le Prêtre selon Saint Vincent et aujourd’hui


Le Prêtre selon Saint Vincent et aujourd’hui

(Message vincentien aux prêtres d’aujourd’hui)

Conférence donnée lors de la Récollection de Carême – Diocèse d’Amiens – Follevile 2 mars 2017

« Si l’on veut exprimer en une phrase l’idée du sacerdoce présentée par saint Vincent de Paul, on peut dire que pour lui, le prêtre est un homme appelé de Dieu à participer au sacerdoce de Jésus Christ pour prolonger la mission rédemptrice de Jésus Christ, en faisant ce que Jésus Christ a fait, de la manière dont il l’a fait » (Jacques Delarue). Voilà donc la pensée profonde de saint Vincent sur le sacerdoce.

Cependant, cette pensée n’a pas jailli en lui comme par génération spontanée, ni à partir d’un enseignement reçu ou dans un approfondissement personnel de la doctrine. La conception du sacerdoce, chez saint Vincent, s’est forgée à partir de la réalité concrète de son expérience. Et d’abord, à partir de l’expérience de sa propre vie.

L’expérience de Saint Vincent

En effet, il semble que la perspective du sacerdoce lui ait été proposée par les vues intéressées de son père. Et c’est ainsi qu’il est entré dans les vues de son père avec une précipitation manifeste, puisqu’il reçoit l’ordination sacerdotale le 23 septembre 1600 des mains de l’évêque de Périgueux, qui était alors aveugle et moribond ! Vincent n’avait que dix-neuf ans !

Cet empressement excessif, il ne l’oubliera jamais ; cela le marquera à un tel point que, lorsqu’on lui proposera de faire entrer un de ses neveux dans les ordres pour des motifs qui n’étaient pas parfaitement purs, il s’y opposera en disant : « Pour moi, si j’avais su ce que c’était quand j’eus la témérité d ‘y entrer, comme je l’ai su depuis, j’aurais mieux aimé labourer la terre que de m’engager en cet état redoutable. » (Lettre au chanoine de Saint-Martin – 1658)

De la même manière, il écrivait à Monsieur Dupont-Fournier, avocat à Laval, le 5 mars 1659 : «… il faut donc être appelé de Dieu à cette sainte profession … l’expérience que j’ai des désordres arrivés par les prêtres, qui n’ont pas tâché de vivre selon la sainteté de leur caractère, fais que j’avertis ceux qui me demandent mon avis pour le recevoir, de ne s’y engager pas, s’ils n’ont une vraie vocation de Dieu, une intention pure d’y honorer Notre Seigneur par la pratique de ses vertus et les autres marques assurées que sa divine bonté les y appelle. Et je suis si fort dans ce sentiment que, si je n’étais pas prêtre, je ne le serais jamais. C’est ce que je dis souvent à tels prétendants, et ce que j’ai dit plus de cent fois en prêchant aux peuples de la campagne. »

Ce thème de « la dignité sacerdotale », chez saint Vincent, peut nous sembler aujourd’hui excessif et tout à fait anachronique. Mais comme je le disais plus haut, la conception du sacerdoce qui était la sienne s’était forgée à partir de la réalité concrète de son expérience. Or, l’expérience de saint Vincent – dans les premières années de son sacerdoce et à travers les différents ministères qui ont été les siens, en tant que curé de paroisse ou à l’occasion de son préceptorat dans la famille de Gondi – l’a amené à constater l’état déplorable du clergé à son époque.

Le « haut clergé » vivait à la cour ou sous l’influence des grands, et le « bas clergé » vivait dans les campagnes, souvent misérable et ignorant. Les uns et les autres perdaient de vue leur caractère d’hommes de Dieu. Quant au « bas clergé », il était tellement mêlé au peuple dont il avait la charge, qu’au lieu de l’aider à bien vivre, le plus souvent il en partageait les vices, les excès et la saleté à un point tel que « Le nom de prêtre était devenu synonyme d ‘ignorant et de débauché ». (Amelotte, t.11, p.96) De même, un évêque confiait un jour avec tristesse à saint Vincent : « J’ai horreur quand je pense que dans mon diocèse, il y a presque sept mille prêtres ivrognes ou impudiques qui montent tous les jours à l’autel et qui n’ont aucune vocation ». (Abelly. Vie de saint Vincent de Paul, liv. I, chap. XXII)

On pourrait épiloguer encore longtemps sur l’état déplorable du clergé de France au XVIIème siècle. Toujours est-il qu’à travers ses différents ministères, saint Vincent découvre la très grande détresse spirituelle du pauvre peuple des champs, et que la cause principale de cet état lamentable, c’est l’incapacité des prêtres qui ont charge d’âmes dans ces régions. Ainsi, à partir de ces expériences, vont s’enraciner dans son esprit deux convictions intimement liées :

  • Il faut courir au secours du pauvre peuple des campagnes qui se damne dans l’ignorance,
  • Et pour cela, il faut des prêtres, de bons prêtres, zélés et instruits.

Pour répondre à ce double et urgent besoin, saint Vincent organise des missions sur les terres des Gondi ; et, grâce à l’aide de Monsieur et Madame de Gondi, il fonde en 1625 une société de missionnaires, la Congrégation de la Mission. Fondation qui facilitera le renouvellement périodique des missions qui étaient des temps fort d’évangélisation des campagnes.

De la même manière, pour ne pas perdre le fruit des missions, il voit la nécessité de laisser sur place un clergé capable de poursuivre l’œuvre entreprise. Un clergé bien formé qui aidera les pauvres gens à se maintenir dans de bonnes dispositions. Et c’est ainsi qu’à l’invitation de l’évêque de Beauvais, qui avait déjà accueilli des missionnaires sur son diocèse pendant une vingtaine de jours, il entreprend la préparation des ordinands du diocèse à leur ministère sacerdotal futur. C’était en septembre 1628.

Cependant, qu’est-ce-que quelques jours pour former un bon prêtre et pour qu’il puisse le demeurer ? Conscient de cet inconvénient, et sur la suggestion d’un des ordinands, saint Vincent organise en 1633, dans la maison de Saint Lazare, des réunions hebdomadaires, le mardi. Le but de ces réunions est d’aider les ecclésiastiques à se maintenir « dans la sainteté de leur vocation… en conférant ensemble des vertus et dysfonctions propres à leur ministère ».

Puis, aux grés des expériences, ce fût vers 1636, un premier essai de séminaire pour des enfants, au collège des Bons Enfants. Essai infructueux qui poussera saint Vincent à établir plutôt des grands séminaires qui accueilleront des jeunes gens de vingt à trente ans. Et c’est ainsi que, pour les Lazaristes, les séminaires deviendront, après les missions, la principale activité de la Congrégation.

Voilà donc, tracés à grands traits et rapidement, le contexte et les évènements qui ont conduit saint Vincent à œuvrer avec d’autres, à la renaissance qui renouvela l’Église de France au XVIIe siècle. Il est intéressant de constater que cette renaissance fût avant tout une œuvre sacerdotale. Ce sont les prêtres qui en ont été les instruments, et ils l’ont été en acceptant de se former et de se réformer en profondeur !

Aujourd’hui, alors que l’Église traverse bien des zones de turbulences, ne faut-il pas penser, de la même manière, que la « renaissance » ne pourra s’opérer que par une formation et une réforme en profondeur du clergé ?

En tout cas, il m’a semblé important de rappeler, au moins d’une façon partielle, ce contexte et ces évènements, avant de partager quelques convictions vincentiennes aux prêtres d’aujourd’hui. Car, me semble-t-il, en tenant compte des transpositions qui s’imposent bien sûr, l’expérience de saint Vincent, son cheminement, peuvent être pour nous une source d’inspiration lorsque nous essayons de dessiner le profil du prêtre aujourd’hui.

En effet, on peut le constater chaque jour : la France est devenue un pays de mission comme au temps de saint Vincent, et cela depuis quelques décennies déjà ! En conséquence :

Il parait nécessaire, comme au temps de saint Vincent, de donner une formation vraiment missionnaire à tous ceux qui aspirent à travailler à la construction du Royaume de Dieu, et spécialement aux prêtres.

La formation spirituelle

Justement, le document paru en 2002, « Repartir du Christ » – de la Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée et les Sociétés de Vie Apostolique -propose, au n°20, un élément qui me parait capital pour la formation : « La vie spirituelle doit être en première place dans les projets des Familles de vie consacrée, en sorte que tous les Instituts et que toutes les communautés se présentent comme des écoles de spiritualité évangélique authentique. »

Le document continue : « Repartir du Christ signifie proclamer que la vie consacrée est une sequela Christi spéciale, « mémoire vivante » du mode d ‘existence et d’action de Jésus comme Verbe incarné par rapport à son Père et à ses frères. Cela comporte une communion d’amour particulière avec lui, qui est devenu le centre de la vie et source permanente de toute initiative… il s’agit d ‘une expérience de partage, d’« une grâce spéciale d’intimité », il s ‘agit de « s’identifier à lui, en ayant les mêmes sentiments et la même forme de vie » ; il s’agit d’une vie « saisie par le Christ ».

Lorsque nous lisons ces lignes, comment ne pas nous souvenir de la lettre que saint Vincent écrivait à Antoine Durand (XI, 343-344) et la fameuse phrase : « Il faut, Monsieur, vous vider de vous-même pour vous revêtir de Jésus-Christ ! » N’est-ce pas là, la première exigence qui incombe à un missionnaire ? Nous le savons bien par expérience, la tentation est toujours présente, de transformer notre travail pastoral en notre œuvre propre, d’utiliser notre ministère pour attirer l’attention sur nous-mêmes et nous faire valoir ! D’où l’insistance de saint Vincent sur la pureté d’intention qui nous fait renoncer aux vues humaines pour vraiment essayer d’accomplir l’œuvre de Dieu. D’où son insistance également sur l’humilité, car sans humilité il ne peut plus être question pour un missionnaire de faire l’œuvre de Dieu. Par contre, « si vous agissez bonnement et simplement, voyez-vous, disait saint Vincent, Dieu est obligé en quelque façon de bénir ce que vous direz, de bénir vos paroles : Dieu sera avec vous » (Entretien du 8 Juin 1658, XII, 23.)

Dans le même sens, il disait encore : « …Croyez-moi, Messieurs et mes frères, croyez-moi, c ‘est une maxime infaillible de Jésus-Christ, que je vous ai souvent annoncée de sa part, que, d ‘abord qu’un cœur est vide de soi-même, Dieu le remplit ; c ‘est Dieu qui demeure et qui agit là-dedans ; et c ‘est le désir de la confusion qui nous vide de nous-mêmes, c ‘est l’humilité, la sainte humilité ; et alors ce ne sera pas nous qui agirons, mais Dieu en nous, et tout ira bien. » (Entretien, septembre 1655)

La vie spirituelle est donc l’assise, la base solide sur laquelle se fonde une vie missionnaire. C’est grâce à elle que le missionnaire vit « en pleine docilité à [‘Esprit, docilité qui engage à se laisser former intérieurement par lui, afin de devenir toujours plus conforme au Christ » (La Mission du Rédempteur, n°87). Le temps consacré à la vie spirituelle n’est certainement pas du temps perdu pour la mission car, « plus les personnes consacrées se laissent configurer au Christ, plus elles le rendent présent et agissant dans l’histoire pour le salut des hommes. » (Repartir du Christ n°9).

D’ailleurs, une manière privilégiée de « se revêtir du Christ », c’est de consacrer régulièrement, chaque jour, « des moments appropriés pour un colloque silencieux et profond avec Celui dont nous nous savons aimés, afin de partager avec lui ce que nous avons vécu et recevoir la lumière pour poursuivre notre chemin quotidien » (Repartir du Christ n° 25). Grâce à ce temps fort, le missionnaire évitera la médiocrité dans sa vie humaine et spirituelle, l’embourgeoisement progressif, la mentalité consumériste ainsi que la tentation de l’efficacité et de l’activisme. Oui, un vrai missionnaire, c’est celui qui prend les moyens d’une vie spirituelle authentique : sa vie est la proclamation du primat de la grâce ; sans le Christ, il sait qu’il ne peut rien faire ; il peut tout, en revanche, en celui qui donne la force. « Donnez-moi un homme d’oraison, et il sera capable de tout » (Entretien sans date, XI, 83.) « Il faut la vie intérieure, il faut tendre là ; si on y manque, on manque à tout … Cherchons, Messieurs, à nous rendre intérieurs, à faire que Jésus-Christ règne en nous ... » (Entretien, 21 février 1659) disait saint Vincent.

Le Pape Jean-Paul II, quant à lui, exhortait ainsi les missionnaires, dans sa lettre encyclique « La Mission du Rédempteur » : « Que les missionnaires réfléchissent sur leur devoir de sainteté que le don de la vocation leur demande, en se renouvelant de jour en jour par une transformation spirituelle et en mettant à jour continuellement leur formation doctrinale et pastorale. Le missionnaire doit être « un contemplatif en action ». La réponse aux problèmes, il la trouve à la lumière de la parole divine et dans la prière personnelle et communautaire. Le contact avec les représentants des traditions spirituelles non chrétiennes, en particulier celles de l’Asie, m’a confirmé que l’avenir de la mission dépend en grande partie de la contemplation. Le missionnaire, s’il n’est pas un contemplatif, ne peut annoncer le Christ d ‘une manière crédible ; il est témoin de l’expérience de Dieu et doit pouvoir dire comme les Apôtres : « Ce que nous avons contemplé …, le Verbe de vie…, nous vous l’annonçons » (1Jn 1, 1-3).

En relisant ce dernier texte de Jean-Paul II, me revient en mémoire cette anecdote que j’ai vécue lorsque j’étais missionnaire en République Dominicaine. Mon travail me conduisait à participer de temps en temps à des rencontres de réflexion ou des récollections avec des jeunes. Au cours d’une récollection, un jeune du groupe parlait du prêtre qui venait d’organiser des missions dans son village. Le prêtre en question était un jeune prêtre, récemment ordonné, plein d’espérance, de dynamisme et de projets ! Parlant donc de ce prêtre, le jeune disait : « Oui…le Père untel …il est très généreux, très sympathique … mais on a l’impression qu’il est vide ! »

J’avoue que la réflexion de ce jeune m’a fortement interpellé et m’a fait beaucoup réfléchir, et j’ai compris alors la parole de saint Augustin qui disait un jour :« Il prêche inutilement la parole de Dieu au-dehors, celui qui ne l’écoute au-dedans.» A partir de cette réflexion, j’ai longtemps médité aussi, le texte de Maître Eckhart, ce mystique rhénan du XIIIe-XIVe siècle qui disait :« Les gens ne devraient pas tant se préoccuper de ce qu ‘ils doivent faire ; ils feraient mieux de s ‘occuper de ce qu’ils doivent être. Si nous-mêmes et notre manière d ‘être sommes bons, ce que nous ferons rayonnera. »

Oui, on peut se le demander : comment être et être bons sans une vie intérieure réelle et profonde ? En effet, n’est-ce pas grâce à l’oraison, à la prière, que nous nous habituons à regarder le monde et les autres avec le regard de Dieu ? N’est-ce pas grâce à l’oraison, à la prière que nous apprenons à agir et à aimer ce monde, comme Dieu agit et aime ? Oui, vraiment, c’est l’oraison qui nous aide à retrouver le sens de Dieu, qui nous aide à revenir à notre cœur, c’est-à-dire au centre de notre être.

Aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin de revenir à notre cœur ! En effet, nous vivons aujourd’hui une crise de l’intériorité, une intériorité généralement pauvre et superficielle et qui se manifeste dans une certaine difficulté à cesser d’agir pour se concentrer dans le silence. Cette carence débouche fréquemment sur des conduites activistes, impulsives ou agressives, et ces conduites s’expriment parfois dans des ambiances de bruit continuel ou dans des musiques qui dispersent au lieu d’aider à occuper et à enrichir notre espace intérieur. Or, disait le Pape Paul VI : « Il faut que notre zèle évangélisateur jaillisse d’une véritable sainteté de vie alimentée par la prière et surtout par l’amour de l’Eucharistie, et que, comme nous le suggère le Concile, la prédication, à son tour, fasse grandir en sainteté le prédicateur… Le monde réclame des évangélisateurs qui lui parlent d’un Dieu qu’ils connaissent et fréquentent comme s ‘ils voyaient l ‘invisible ». (Annoncer l’Evangile, n°76). C’est là un texte missionnaire significatif ! Il fait comprendre finalement « qu’on est missionnaire avant tout par ce que l’on est… avant de l’être par ce que l’on dit ou par ce que l’on fait. » (La mission du Rédempteur, n° 23).

En fait, saint Vincent voulait que le prêtre « vive en état d’oraison », que l’oraison envahisse toute sa vie, spécialement son activité pastorale. C’est ainsi, en effet, que le missionnaire ne sera pas un homme divisé qui poursuit dans l’action et la contemplation deux fins incompatibles : son engagement pastoral, au lieu de diminuer son union à Dieu, au contraire la fera croître, et sa vie de prière sera une force incomparable pour le service et l’évangélisation de ses frères ! Et cela aura des conséquences directes sur sa mission, si l’on en croit encore saint Vincent :« Si celui qui conduit les autres, disait-il à Antoine Durand, celui qui les forme, qui leur parle, n’est animé que de l’esprit humain, ceux-là qui le verront, qui l’écouteront, et s ‘étudieront à l’imiter, deviendront tout humains : il ne leur inspirera, quoi qu’il dise et quoi qu’il fasse, que l’apparence de la vertu et non pas le fond … il leur communiquera l’esprit dont lui-même sera animé … Au contraire, s’il est plein de Dieu, toutes ses paroles seront efficaces, et il sortira une vertu de lui qui édifiera … » (XI – 343).

Lorsque, répondant à l’appel du Christ, nous lui donnons notre vie par le sacerdoce ou la vie consacrée, nous le faisons avec l’intention et le propos fondamental de faire de Dieu le pôle qui oriente tous les projets et toutes les dimensions de notre vie. A cause de cela, le meilleur service que nous pouvons rendre aux hommes d’aujourd’hui, c’est d’être radicalement ce que nous devons être et que l’on attend de nous : des hommes de Dieu, avec Dieu, pour Dieu, et qui voient en toutes choses la présence de Dieu. D’ailleurs, s’il est évident que les hommes attendent le pain matériel, il est tout aussi évident qu’ils attendent aussi un pain essentiel qui rassasie la faim et qui sauve : le pain de Dieu !

Notre vocation de prêtres, de missionnaires, c’est donc, selon l’heureuse expression de Paul VI, d’être des « spécialistes de Dieu ». Non des spécialistes qui savent beaucoup sur Dieu ou qui peuvent en parler avec érudition, mais des spécialistes au sens de faire plus vivement l’expérience de Dieu en suivant le Christ, et en faisant de cette expérience le projet fondamental de leur vie. C’est ainsi que notre vie sera évangélisatrice, justement par sa façon d’être spéciale qui met Dieu au centre de notre existence… Parce que le milieu actuel n’est plus celui d’un christianisme collectif, K. Rahner disait : « Le croyant de demain, ou bien sera un « mystique », c’est-à-dire quelqu’un qui a expérimenté quelque chose, ou bien il cessera d ‘être croyant. » Cela n’est-il pas valable également pour « le croyant prêtre » ou le « croyant missionnaire » ?

Ceci dit, le prêtre peut être appelé, dans certains cas, à vivre sa mission en exerçant une profession ou une activité bénévole. Il sera par exemple, professeur, éducateur, infirmier, assistant social, permanent ou bénévole dans une association, ouvrier en usine, etc… Ce qui est important et décisif pour le missionnaire, c’est l’esprit et la motivation pour laquelle il a adopté telle profession ou telle activité. La profession, l’activité sont en elles-mêmes indifférentes ; elles sont et doivent être parfois, notre manière de nous insérer dans le monde, de vivre la mission. Cependant, elles ne peuvent en aucun cas être une manière de nous évader de notre véritable identité de prêtre, de missionnaire.

C’est pourquoi, il est important et essentiel pour le missionnaire de toujours se demander comment réaliser ce service. Autrement dit, il est essentiel de savoir s’il aide le autres en étant éducateur, infirmier, ouvrier en usine, etc., comme peuvent le faire tout autre éducateur, infirmier, assistant social, permanent. Il est essentiel de savoir s’il le fait à partir de sa situation de prêtre ou de missionnaire. Ou bien sa situation ne devra pas paraître. En ce cas-là, pourquoi est-il prêtre ? Est-il nécessaire d’être prêtre pour aider les autres ?

De toute façon, que l’on soit engagé dans la pastorale ordinaire ou dans une profession salariée ou bénévole, « sans une vie intérieur d’amour qui attire le Verbe, le Père, l’Esprit, il ne peut y avoir de regard de foi ; en conséquence, la vie perd progressivement son sens, le visage des frères devient terne, et il est impossible d’y découvrir le visage du Christ, les évènements de l’histoire demeurent ambigus, voir privés d’espérance, la mission apostolique et caritative se transforme en activités qui n’aboutissent à rien. » (Repartir du Christ. n°25)

Le Père Arrupe, ancien Général des Jésuites, disait : « Toute application du charisme et toute réforme doivent être réalisées par des hommes de grande stature spirituelle, d ‘un esprit surnaturel sans faille j Celui-ci comporte un zèle ardent -pour la gloire de Dieu et le service de l’Église, une humilité sincère, une obéissance à toute épreuve et une compréhension profonde de l’Evangile. » (L’espérance ne trompe pas. P.70)

Précisément, saint Vincent fait partie de ces hommes de grande stature : il a aimé les hommes parce qu’il a connu et aimé Dieu et voulu uniquement le servir. Ce Dieu, connu et fréquenté fidèlement dans l’oraison, l’a façonné pour en faire un géant de la Charité dont les réalisations audacieuses pour le service des pauvres n’ont pas fini de nous étonner.

Après un siècle ou le spiritualisme verbal a trop souvent servi d’alibi pour refuser de voir et de combattre l’injustice, la tentation est grande aujourd’hui de tomber dans l’excès inverse et, sous prétexte d’action efficace, de négliger, relativiser ou minimiser l’importance de l’oraison dans notre vie missionnaire. L’erreur serait d’autant plus grave que l’oraison est finalement la source de l’action. L’exemple des grands mystiques est là pour le prouver : que ce soit saint Bernard de Clairvaux, Thérèse d’Avila, Ignace de Loyola, pour n’en citer que quelques-uns. Ils rappellent à notre monde en pleine mutation que toute réforme revient essentiellement à creuser plus profondément dans les ressources non épuisées de la vie intérieure. Car, ce ne sont pas les hommes « en-dehors », perpétuellement extravertis, affectés par « le prurit » de l’activisme, qui font les réformes ; ce sont les hommes « en-dedans », c’est-à-dire ceux qui sont tellement habités par la présence à eux-mêmes et à Dieu, que c’est cette présence qui les a finalement habilités pour une réforme en profondeur.

En disant cela, il ne s’agit pas de relativiser ou même nier l’importance de l’engagement dans l’activité missionnaire ou dans une profession, bien sûr ! D’ailleurs saint Vincent nous enseigne à nous méfier de tout amour prétendu de Dieu qui en resterait à de pieux sentiments. Comme saint Jean, il sait que l’amour de Dieu ne se paie pas de mots et risque de n’être que pure tromperie s’il ne débouche sur l’amour effectif, toujours prêt à payer de sa personne pour l’amour de Dieu et du prochain. Des dehors édifiants et des pensées élevées ne sauraient suffire à la vérité de l’amour !Il disait donc à ses missionnaires : « Aimons Dieu, mes frères, aimons Dieu, mais que ce soit aux dépens de nos bras, que ce soit à la sueur de nos visages …Bien souvent tant d ‘actes d ‘amour de Dieu, de complaisance, de bienveillance, et d ‘autres semblables affections et pratiques intérieures d ‘un cœur tendre, quoique très bonnes et très désirables, sont néanmoins très suspectes, quand on n’en vient point à la pratique de l’amour effectif. » (Extrait d’entretien, n°25.)

Nous nous souvenons sans doute aussi comment Paul VI faisait un lien entre évangélisation et promotion humaine, développement, libération, dans l’exhortation apostolique « Annoncer l’Evangile ». Pour lui, il n’est pas possible de proclamer le commandement nouveau sans pro­ mouvoir, dans la justice et la paix, la véritable, l’authentique croissance de l’homme. Il disait dans son allocution pour l’ouverture de la troisième Assemblée Générale du synode des évêques (27 septembre 1974) : «Il est impossible d ‘accepter que l’œuvre d’évangélisation puisse ou doive négliger les questions extrêmement graves, tellement agitées aujourd’hui, concernant la justice, la libération, le développement et la paix dans le monde. Si cela arrivait, ce serait ignorer la doctrine de l’Evangile sur l ‘amour envers le prochain qui souffre ou est dans le besoin ».

Alors, dans notre vie missionnaire, s’agit-il de choisir l’amour affectif ou l’amour effectif, le spirituel ou le temporel ? Faux débat auquel répondrait sans doute saint Vincent en disant :

« Que les prêtres s’appliquent au soin des pauvres ; n’a-ce pas été l’office de Notre Seigneur et de plusieurs grands saints, qui n’ont pas seulement recommandé les pauvres, mais qui les ont eux-mêmes consolés, soulagés et guéris ? Les pauvres ne sont-ils pas les membres affligés de Notre Seigneur ? Ne sont-ils pas nos frères ? Et si les prêtres les abandonnent, qui voulez-vous qui les assiste ?De sorte que s’il s ‘en trouve parmi nous qui sont à la mission pour évangéliser les pauvres et non pour les soulager, pour remédier à leurs besoins temporels, je réponds que nous les devons assister et faire assister en toutes les manières, par nous et par autrui… Faire cela, c’est évangéliser par paroles et par œuvres, et c’est le plus parfait, et c ‘est aussi ce que Notre Seigneur a pratiqué et ce que doivent faire ceux qui le représentent d’office et de caractère, comme les prêtres ». (Entretien sans date, XI, 77)

Faire l’expérience de Dieu

Ceci dit, le plus important pour un prêtre, un missionnaire, ce n’est pas tant de « faire des choses » et « en faire beaucoup », mais de faire encore plus attention à la qualité évangélique de ce que nous faisons. Cela, pour que ce que nous faisons puisse être lu par les hommes et les femmes d’aujourd’hui, comme « Bonne Nouvelle » de Jésus Christ.

Dans l’Église, dans nos communautés missionnaires, on travaille beaucoup, avec une très grande générosité et une très grande bonne volonté, mais il semble parfois que ce qui compte le plus c’est tel ou tel travail, tel ou tel engagement pastoral. Conséquence de tout cela, on commence à développer ce qu’on pourrait appeler « l’épiderme de la foi », c’est-à-dire un christianisme sans intériorité. Cependant, c’est une certitude, nous aurons beau restructurer, moderniser, planifier nos différents engagements, nos communautés n’auront pas pour autant plus de force évangélique si elles ne font pas cette expérience fondamentale : l’expérience de Dieu.

C’est en regardant le Christ, en l’écoutant que nous pourrons connaître le Dieu invisible. Le Dieu de Jésus Christ se révèle à nous à travers l’Evangile de saint Luc et spécialement, les paraboles. Dans ces paraboles, Jésus exprime le mystère insondable de l’amour que Dieu a pour nous. Il le décrit avec des traits profondément humains qui disent le cœur du père, le cœur de Dieu. A travers toute sa vie, tout son enseignement, le Christ a voulu nous montrer l’amour de Dieu envers nous. Et c’est là l’expérience la plus importante que nous puissions faire dans notre vie ! C’est à partir de cette expérience que nous pourrons comprendre l’amour que Dieu a pour nous et le communiquer aux autres. Cette expérience est fondamentale pour un baptisé, un prêtre, un missionnaire, et elle change complètement son cœur et sa vie.

Une petite anecdote pour comprendre l’importance de cette expérience ! :

C’était à la fin d’un souper dans un château anglais. Un acteur de théâtre, célèbre, entretenait les hôtes en déclamant des textes de Shakespeare. Au cours de la soirée, il proposa qu’on lui suggère d’autres textes. Un prêtre assez timide demanda à l’acteur s’il connaissait le psaume 22. L’acteur répondit :« Oui, je le connais, mais je suis prêt à le réciter à une condition : qu’ensuite vous le récitiez vous-même. » Le prêtre fût un peu gêné, mais il accepta.

L’acteur fit une interprétation remarquable, avec une diction parfaite :« Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien, etc. » Vint alors le tour du prêtre qui se leva et récita les mêmes paroles du psaume. Quand il termina, il n’y eu pas d’applaudissements cette fois-là, mais un profond silence et des larmes qui perlaient sur certains visages.

L’acteur resta en silence pendant quelques instants, puis il se leva et dit : « Mesdames, messieurs, j’espère que vous vous êtes rendu compte de ce qui s’est passé cette nuit : moi je connaissais le psaume, mais cet homme connaît le Berger !… »

Oui, la crise actuelle de certaines images de Dieu ne signifie pas que la foi chrétienne devient invivable ! Non, il s’agit pour nous prêtres, missionnaires, de communiquer à nos contemporains l’expérience d’un Dieu Amour. La nouvelle culture qui est en train de surgir aujourd’hui est indifférente face à un Dieu « tout puissant ». Cependant :

Elle est capable de regarder et d’écouter des témoins et des chercheurs d’un Dieu au visage renouvelé. C’est-à-dire, des témoins :

  • D’un Dieu qui aime – ami de l’homme, humble serviteur de ses créatures, celui qui est venu chez nous, non pas pour être servi mais pour servir.
  • Un Dieu capable de compatir, de comprendre et d’accueillir tous les humains.
  • Un Dieu qui habite le cœur de chaque homme et accompagne chaque être humain dans son malheur.
  • Un Dieu qui souffre dans la chair de ceux qui ont faim et de tous les miséreux de la terre.

Le monde a besoin, aujourd’hui, de mystiques, de maîtres spirituels qui, par leur expérience, interpellent et éclairent ceux qui cherchent. « L’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres, ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins », disait Paul VI. Et il ajoutait :

« On répète souvent, de nos jours, que ce siècle a soif d ‘authenticité. A propos des jeunes, surtout, on affirme qu’ils ont horreur du factice, du falsifié, et recherchent par-dessus tout la vérité et la transparence. Ces « signes du temps » devraient nous trouver vigilants. Tacitement ou à grands cris, toujours avec force, l’on demande :

  • Croyez- vous vraiment à ce que vous annoncez ?
  • Vivez-vous ce que vous croyez ?
  • Prêchez-vous vraiment ce que vous vivez ?

Plus que jamais le témoignage de la vie est devenu une condition essentielle de l’efficacité profonde de la prédication. Par ce biais-là, nous voici, jusqu’à un certain point, responsables de la marche de l’Evangile que nous proclamons ». (Annoncer l’Evangile, n° 41, 76)

A nous donc de relever les défis ! Cela parce que, malheureusement, dans l’Église et dans nos communautés, on trouve des personnes qui font beaucoup de choses pour lesquelles on les respecte et quelquefois on les admire. Mais ils sont peu nombreux ceux qui apprécient ce qu’elles sont et leur façon de vivre ! L’Église n’est pas une ONG, même si l’engagement au service des démunis est une condition nécessaire pour rendre témoignage de l’Evangile !

Ce qui était nouveau chez le Christ, c’est qu’il annonçait Dieu lui-même, il le cherchait, il l’expérimentait, il le vivait. C’est pour cela qu’il fascinait et interpellait ceux qui le voyaient vivre. On l’admirait non seulement pour ce qu’il faisait, mais les gens se sentaient en harmonie avec ce qu’il était, ce qu’il expérimentait et ce qu’il vivait. Et c’est peut-être ce qui manque le plus dans notre Église et dans nos communautés. Il manque des personnes qui soient beaucoup plus que ce qu’elles font et qui suscitent chez ceux qui les voient vivre de la sympathie et le désir de vivre comme elles. Nous manquons de mystiques, de prophètes, de témoins !

On peut trouver aujourd’hui dans l’Église, chez les prêtres, des gestionnaires, des juristes, des canonistes, des théologiens, des sociologues, des spécialistes en ceci ou cela, et c’est très bien ! Il faut qu’il y en ait ! Cela peut être un atout intéressant pour la mission ! Cependant, peut-on dire qu’on y trouve non seulement des gens qui savent et qui font, mais aussi des gens qui rayonnent quelque chose, qui transmettent quelque chose, qui suscitent une espérance et l’envie de vivre ? Notre plus grande erreur aujourd’hui c’est, je crois, de vouloir remplacer par l’organisation, le travail, l’activité, ce qui ne peut naître que de la force de l’Esprit. Cet Esprit demandé, accueilli, contemplé et prié dans une vie spirituelle authentique.

« L’avenir de la mission – en Europe aussi – dépend en grande partie de la contemplation ».

C’est pourquoi, il est tellement important aujourd’hui de ne pas être des naïfs et de savoir discerner ! En effet, nous pouvons nous extasier à juste titre devant les réalisations du monde moderne ! Cependant il faut savoir que, si nos sociétés sont si créatives et efficaces, c’est parce que, bien des fois, elles dépossèdent les personnes. Elles leur prennent leur âme en les vidant de leur intériorité et de leur spiritualité. Et le malheur, c’est que l’on rencontre beaucoup de personnes très occupées et efficaces, mais qui ont perdu leur singularité et leur parole intérieure ! Or un homme qui ne s’habite plus lui-même devient l’homme du dehors, l’homme perdu, absent à ceux qui l’entourent, un homme malheureux qui rend malheureux les autres et ne sait plus communiquer avec les autres…

* * *Voilà quelques convictions qui m’habitent au sujet du prêtre et du missionnaire que nous devrions être aujourd’hui ! Ces convictions ont grandi en moi, à partir de mon expérience personnelle et communautaire, dans différents ministères en France et à l’étranger. Maintenant, pour terminer, je voudrai encore vous partager un texte de Madeleine Delbrel que j’ai médité souvent et qui peut-être vous aidera, vous aussi, à mieux vivre votre vocation de prêtres et de missionnaires ! C’est mon vœu le plus cher !

Ce que Madeleine Delbrel attendait des prêtres :

L’absence d’un vrai prêtre est, dans la vie, une détresse sans nom. Le plus grand cadeau qu’on puisse faire, la plus grande charité qu’on puisse apporter, c’est un prêtre qui soit un vrai prêtre. C’est approximation la plus grande qu’on puisse réaliser ici-bas de la présence visible du Christ…

Dans le Christ, il y a une vie humaine et une vie divine. Dans le prêtre, on veut retrouver aussi une vie vraiment humaine et une vie vraiment divine. Le malheur c’est que beaucoup apparaissent comme amputés soit de l’une, soit de l’autre.

Il y a des prêtres qui semblent n’avoir jamais eu de vie d’homme. Ils ne savent pas peser les difficultés d’un laïc, d’un père ou d’une mère de famille, à leur véritable poids humain. Ils ne réalisent pas ce que c’est vraiment, réellement, douloureusement qu’une vie d’homme ou de femme.

Quand les laïcs chrétiens ont rencontré une fois un prêtre qui les a « compris », qui est entré avec son cœur d’homme dans leur vie, dans leurs difficultés, jamais plus ils n’en perdent le souvenir.

A condition toutefois que, s’il mêle sa vie à la nôtre, ce soit sans vivre tout à fait comme nous. Les prêtres ont longtemps traité les laïcs en mineurs ; aujourd’hui, certains, passant à l’autre extrême, deviennent des copains. On voudrait qu’ils restent pères. Quand un père de famille a vu grandir son fils, il le considère toujours comme son fils : un fils, homme.

On a besoin également que le prêtre vive d’une vie divine. Le prêtre, tout en vivant parmi nous, doit rester d’ailleurs.

Les signes que nous attendons de cette présence divine ?

  • La prière : il y a des prêtres quon ne voit jamais prier (ce qui s’appelle prier)!
  • La joie : que de prêtres affairés, angoissés !
  • La force : le prêtre doit être celui qui tient. Sensible, vibrant, mais jamais écroulé !
  • La liberté : on le veut libre de toute formule, libéré de tout préjugé !
  • Le désintéressement : on se sent parfois utilisé par lui, au lieu qu’il nous aide à remplir notre mission !
  • La discrétion : il doit être celui qui se tait (on perd espoir en celui qui nous fait trop de confidence) !
  • La vérité : qu’il soit celui qui dit toujours la vérité !
  • La pauvreté : c’est essentiel. Quelqu’un qui est libre vis-à-vis de l’argent ; qui ressent comme une « loi de pesanteur » qui l’entraîne vers les plus petits, vers les pauvres !
  • Le sens de l’Église enfin : qu’il ne parle jamais de l’Église à la légère, et comme étant du dehors ! Un fils est tout de suite jugé, qui se permet de juger sa mère…

Mais souvent une troisième vie envahit les deux premières et les submerge : le prêtre devient l’homme de la vie ecclésiastique, du « milieu clérical » : son vocabulaire, sa manière de vivre, sa façon d’appeler les choses, son goût des petits intérêts et des petites querelles d’influences, tout cela lui fait un masque qui nous cache douloureusement le prêtre, ce prêtre qu’il est sans doute demeuré par derrière…

L’absence d’un vrai prêtre dans une vie, c’est une misère sans nom, c’est la seule misère !

signature 🔸

L’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres, ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins

Paul VI

http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/ccscrlife/documents/rc_con_ccscrlife_doc_20020614_ripartire-da-cristo_fr.html

C’est à une Église en prière qu’est accordé le don de l’Esprit !


La joie du Christ, Bonne Nouvelle, soit toujours avec nous !

Alger, 3 mai 2016 En la fête de St Philippe et St Jacques

C’est d’Alger où je suis en visite que je vous transmets ces quelques nouvelles J’ai eu la joie de célébrer ce 30 avril la fête du diocèse d’Alger: Notre Dame d’Afrique et de retrouver des visages connus. Je n’ai pu malheureusement rester à la 1ère rencontre mariale islamo-chrétienne, étant invité dans une famille et à une fête du ‘savoir, de la science’ avec l’association ‘El Nour’ (la Lumière) au milieu d’enfants et de femmes qui apprennent à lire et à écrire.

1. Quelques nouvelles de nos confrères :

Le P. Mathew KOCHUPARAMBIL de la communauté de Villepinte, a perdu son papa début d’avril. Il avait eu la chance de pouvoir le voir et d’être à ses côtés au moment de son départ vers le Père. Mathew a participé aussi à une rencontre de sa province. Nous continuons de l’accompagner de notre prière fraternelle ainsi que sa famille.

Le P. Claude LAUTISSIER  de la Maison Mère, a un genou tout neuf qui lui permet de se déplacer avec plus d’aisance même s’il se fait aider, pour l’instant, de deux cannes. Il est toujours dans un suivi médical au niveau cardiaque. Le P. Stan KOTEWIC de Valfleury a dû être amputé d’une jambe (en dessous du genou) suite à des problèmes de circulation sanguine. Je l’ai rencontré vendredi dernier et je l’ai trouvé serein, courageux dans cette épreuve, confiant pour la suite. Il doit rejoindre une maison de repos à Chavannes près de St Chamond où il lui sera confectionné une prothèse et où il fera de la rééducation. Le P. Jean-François DESCLAUX, après des ennuis de santé au niveau cardiaque et une convalescence à Lyon, a retrouvé sa maison. De même, le P. Jean-Pierre RENOUARD qui a subi une intervention au niveau de ses cordes vocales. Il y a un mieux.

Nous nous réjouissons des améliorations qu’ils connaissent et continuons de les soutenir par notre prière et notre amitié. Prenons soin de notre santé. Elle est un bien précieux qui nous permet d’être au monde et présent à nos frères.

2. Visites de communautés

Je poursuis, avec Pierre l’assistant, la visite des communautés et j’y trouve un réel plaisir. Découvrir des réalités humaines, des histoires, des situations, des lieux d’apostolat, faire davantage connaissance avec les confrères, c’est une belle richesse et c’est encourageant. Savoir accueillir une réalité concrète et non idéalisée,  accepter les limites, les difficultés rencontrées, se réjouir des réalisations, entendre des appels, des souhaits, prier et célébrer ensemble c’est s’enrichir. Tout cela m’est bénéfique et m’éclaire.

Ce lundi 26 avril, avec Frédéric P. conseiller, j’ai rendu visite à notre confrère Jack Y. à Rome. Nous avons pris le temps de l’écouter et de comprendre la situation passée et actuelle. Nous avons aussi abordé d’autres points pratiques……durant la semaine il rencontrait quelques hauts responsables de l’Eglise. Nous avons eu la joie de partager ensemble un repas avec les confrères de la maison provinciale : Jean Landousies (qui vient de changer de décennies) et Patrick Issomo. Moment convivial qui fait du bien. Jack salue fraternellement les confrères de la Province.

3. Rappels

La prochaine rencontre des supérieurs se tiendra à la Maison Mère le 11 mai prochain. Nous continuerons à travailler le Projet Provincial autour de la notion de la Nouvelle Evangélisation et de l’itinérance.

  • Profitez de vous inscrire auprès  de vos supérieurs pour la retraite de fin août, animée par le P. Vernaschi à l’abbaye de Solignac.
  • Transmettez  leur aussi un exemplaire de votre testament qu’ils pourront remettre à l’économe provincial

4. Calendrier du visiteur

Jeudi 5 mai à La Rochelle, ordination épiscopale de Mgr Georges COLOMB, ancien Père Général des Missions Etrangères de Paris
Du 6 au 8 maivisite de la communauté du Berceau avec l’assistant
Du 9 au 10 maivisite de la communauté de Bondues avec l’assistant
Le 11 mairencontre des supérieurs de communautés
Le 12 maipréparation de l’Assemblée Générale avec les délégués
Le 13 et 14 maiconseil provincial
Le 18 maivisite au séminaire d’Orléans avec le P. Benoit K.
Du 21 au 25 maivisite à la Vice Province St Cyril et Méthode
Du 26 au 29 maimariage d’une filleule en famille

Le Cénacle : Passage nécessaire ! Lieu de conversion, de naissance.

La fête de l’Ascension met un terme aux apparitions de Jésus Ressuscité à ses amis. Ils se sont retrouvés entre eux. Ils sont entrés dans une nouvelle relation avec lui. Ils ont accueilli le don de sa Paix, paix qui les a réconciliés avec eux-mêmes. Ils ont accueilli la confiance de Christ. Ils ont fait une expérience unique de la présence de leur Seigneur qu’ils retrouvent dans la prière, dans leur rencontre fraternelle régulière. Jésus s’élève vers son Père d’où il est venu et il leur demeure présent. Eux se retrouvent au Cénacle.

Le Cénacle c’est se retrouver ensemble avec Marie dans une prière commune en préparation d’accueil de l’Esprit ; temps de l’attente qui est celui de la maturation. Cette attente ne peut se faire sans Marie. Demander l’Esprit ne peut se faire sans la présence de Marie. Elle a été prise sous son ombre et c’est par lui qu’elle a façonné, donné un corps à Jésus pour nous le donner, pour que nous le touchions de nos mains, pour que nous le voyions de nos yeux, l’entendions de nos oreilles, que nous goûtions la joie de sa présence. Marie nous a été donnée pour Mère. Prenons-la chez nous.

Le Cénacle est la matrice dans laquelle nous sommes façonnés. Nous sommes le fruit des entrailles de Marie ; elle nous met au monde comme fils ; elle nous fait à l’image de son 1er né, dans l’Esprit. C’est là, dans cet être-ensemble avec Marie que nous sommes formés pour sortir au grand jour sur les routes des hommes d’aujourd’hui et leur faire découvrir les merveilles de Dieu dans leur vie et s’en réjouir avec eux. Matrice d’où sort l’Eglise audacieuse, joyeuse, qui se risque.

Nous-mêmes comme Province, prenons le temps de nous retrouver en communauté dans le Cénacle. Prenons Marie avec nous. Elle connaît l’action transformatrice de l’Esprit en elle ; elle nous partage son expérience, elle nous entraine dans cette expérience. Prenons avec nous le Projet Provincial, c’est notre écriture qui doit s’incarner dans une proximité aux Pauvres renouvelée, dans des engagements précis pour une promotion de l’homme dans sa totalité.

Avoir le désir d’une Pentecôte pour la Province ; désirer sortir, devenir itinérants pour témoigner du Christ, de sa force de Vie ; désirer être guéris de nos peurs, de nos méfiances, des nos enfermements ; désirer changer quelque chose dans notre manière de vivre notre charisme, oser d’autres chemins. Désirer et avoir la volonté de s’y engager. Ensemble.

Allons au Cénacle. Prenons Marie avec nous. Supplions-la de demander à son Fils de nous revêtir de l’Esprit pour changer notre écoute des personnes, de leurs situations, pour changer notre présence au monde, en fidélité à l’intuition de St Vincent que nous fêterons d’ici quelques mois.

Le Cénacle passage nécessaire pour naitre comme missionnaires audacieux. Heureux. Fraternels. Le cénacle est le lieu où Jésus nous confirme dans notre rôle de témoins. Bon temps dans la salle haute, le Cénacle, vers Pentecôte. Joyeuse conversion.

C’est à une Eglise en prière qu’est accordé le don de l’Esprit !

P. Christian Mauvais,
cm Visiteur de la Province de France ♦

C’est à une Église en prière qu’est accordé le don de l’Esprit !

P. Christian MAUVAIS