LA SOBRIETE: Fiches Vincentiens Cahier 115

Ceignez les reins de votre entendement, soyez sobres, et ayez une entière espérance dans la grâce qui vous sera apportée

LA SOBRIETE: Fiches Vincentiens Cahier 115

[pdf-embedder url= »https://cmission.fr/wp-content/uploads/2023/07/Fiches-Vincentiennes-Cahier-n°115-La-sobriete.pdf » title= »Fiches Vincentiennes Cahier n°115 La sobriété »]

LA SOBRIETE

Ceignez les reins de votre entendement, soyez sobres, et ayez une entière espérance dans la grâce qui vous sera apportée » (1 Pierre 1,13)

Cahier Vincentien No 114: LE SILENCE

Hors l’ambiance qu’il crée et exige, le silence produit des relations de choix entre ceux qui recherchent un tel support. Il favorise la croissance de l’homme nouveau et permet une interdépendance de qualité.

Cahier Vincentien No 114: LE SILENCE

EDITORIAL

Ce silence qui nous fait du bien !

Il s’agit de ce silence qui apaise notre environnement et notre esprit. Il dispose à l’écoute. Il offre l’espace approprié pour penser et prier. C’est de ce silence dont parle le livre de l’Apocalypse : « Quand il ouvrit le septième sceau, il y eut dans le ciel un silence d’environ une demi-heure. » (Apocalypse 8,1)

St Vincent aussi a parlé de ce silence à ses confrères en ces termes: « Tout va bien en la maison ou communauté où le silence est bien observé, comme, au contraire, dans une communauté qui ne garde point le silence, on peut dire que tout va mal. » XII,284

Ce Silence qui nous fait du bien peut être un des moyens pour nous aider à penser, prier et agir pour le Bien commun, comme nous y invitait notre Fiche 113 sur le Bien commun. Dans une société où le niveau de bruit a atteint des niveaux élevés, il est nécessaire de redécouvrir les bienfaits du silence dont on dit qu’il est d’or en comparaison de nos tumultes.

C’est pourquoi cette Fiche 114 nous propose l’éloge du silence que font nos Fondateurs.  Convaincu que le silence dispose à une meilleure relation avec le Créateur, St Vincent dit aux Filles de la Charité : « Le silence…sert pour parler à Dieu ; c’est dans le silence qu’il communique ses grâces ; il ne nous parle point hors du silence ; car les paroles de Dieu ne se mêlent point avec les paroles et le tumulte des hommes » X,95.

Le silence a le pouvoir de nous mettre en bonne relation avec Dieu. Il peut être ressenti comme un silence imposé, par exemple pour des personnes atteintes de surdité. Certaines personnes, comme les contemplatifs(ves) dans les monastères, quant à elles, choisissent le silence parce qu’il nourrit leur vie. Nous vous partageons deux témoignages sur ces silences. Dans tous les cas, il est salutaire de savoir faire silence pour « Ne point se laisser aller aux caquets, médisances et plaintes » (Ste Louise) qui nous empêcheraient d’écouter Dieu et de le servir.

Retrouvez l’intégralité de ce Cahier Vincentien dans le fichier PDF ci-dessous joint

[printfriendly]

LE MAL VAINCU! Cahier Vincentien N° 112

Qu’est-ce que le mal ? Qu’est-ce qui fait mal ? Pourquoi ça fait mal ? Pourquoi confondons-nous si facilement le bien et le mal, jusqu’à nous laisser duper par des réflexions et arguments qui pervertissent la réalité ?

LE MAL VAINCU! Cahier Vincentien N° 112

Cahier Vincentien N° 112
Cahier Vincentien N° 112

Cahier 112

Au temps de st Vincent de Paul

… et aujourd’hui

LE MAL VAINCU

EDITORIAL

            Un des grands déclics dans la vie de st Vincent fut le sacrement du pardon donné à un paysan picard. Cet évènement, reconnu par Vincent lui-même comme fondateur et relu comme tel à la faveur du renouveau conciliaire, ouvre au combat du Christ contre le mal, à la lutte contre les injustices qui éloignent de Dieu. Cela nous donne l’idée de travailler la question du péché, et très vite, nous comprenons que nous allons être renvoyés à celle de l’existence du mal. Vaste sujet qui risque fort de nous perdre dans tous ses méandres. Constatons en préambule que le Christ lui-même dans tout son enseignement ne dit jamais rien de l’origine du mal. Simplement, lorsqu’il se trouve face à une personne prise par le mal, il a une double parole qui tient lieu d’action : « silence – dehors ».

Qu’est-ce que le mal ? Qu’est-ce qui fait mal ? Pourquoi ça fait mal ? Pourquoi confondons-nous si facilement le bien et le mal, jusqu’à nous laisser duper par des réflexions et arguments qui pervertissent la réalité ?

Ecoutons les descriptifs de la société d’alors, pour constater si besoin l’étendue des dégâts. Ensuite, nous tenterons de trouver traces de l’auteur principal du mal, pour découvrir qu’il s’appuie toujours sur notre tendance à la complicité, via les pièges qu’il nous tend, appelés traditionnellement tentations et vices. Après ces recherches, en bons vincentiens, nous découvrirons des réponses adaptées pour sortir des affres de ce mal.

            Nous ne résoudrons pas tout le sujet en ce cahier mais nous chercherons à déceler la compréhension de st Vincent et ses réponses pour réagir face au mal. Cet homme de Dieu n’a jamais cherché à se protéger du mal mais bien à y faire face, et à s’investir corps et âme dans le combat du Christ contre le mal. Il n’a jamais eu peur de s’exposer aux conséquences du mal : guerres, maladies, pouvoir, discordes, pauvretés de toutes sortes. Il sait que sa mission est la continuation de celle du Christ qui en est sorti vainqueur.

LE MAL VAINCU

« Délivre-nous du mal ! » Que de fois nous répétons cette invocation en priant le Notre Père ! C’est une demande fondamentale de la prière que Jésus nous invite à adresser au Père. En effet, le combat contre le mal est vital et inéluctable ; car si nous savons qu’il n’y a pas de réponse à la question de son origine, nous ne pouvons pas ignorer sa présence en nous et dans le monde. Et en partant de l’Ecriture, et aussi de la condition humaine, il nous est possible de déchiffrer les exigences de ce combat.

Le livre de la Genèse (cf. ch. 1 et 2), nous donne une idée très positive de la condition humaine. Il énonce ainsi que la création est très bonne, que l’homme – homme et femme – a été créé à l’image de Dieu, et que la terre lui a été confiée pour la cultiver et la garder. « Dieu vit tout ce qu’il avait fait ; et voici : cela était très bon » (Gn 1, 31) ! Mais rapidement l’homme a voulu être comme Dieu, décider par lui-même du bien et du mal (cf. Gn 3,5).  « Séduit par le Malin, dès le début de l’histoire, l’homme a abusé de sa liberté » (Gaudium et Spes, n.13§1), il a succombé à la tentation et commis le mal.

Pourtant Dieu n’abandonnera pas l’homme à sa misère. Il ne cessera pas de lutter contre le mal qui se répand. Il n’abandonnera pas à son sort une humanité divisée en peuples ennemis. L’appel d’Abraham (Gn 12, 1-3) marque les débuts d’une nouvelle histoire de salut. En lui seront bénis tous les peuples de la terre (Gn 12, 3). Dès le début de l’histoire, Dieu s’oppose au mal qui est à l’œuvre. La miséricorde est sa manière de faire pour l’empêcher de prendre le dessus. Et cette histoire du salut culmine dans la personne de Jésus qui viendra pour vaincre le mal. Sur la Croix, il a pris sur lui tout le poids du mal, il a enlevé le péché du monde (cf. Jn 1, 29).

Nous pouvons aussi partir de l’existence humaine. « C’est en lui-même que l’homme est divisé. Voici que toute la vie des hommes, individuelle et collective, se manifeste comme une lutte, combien dramatique, entre le bien et le mal, entre la lumière et les ténèbres » (Gaudium et spes, n. 13 §2). Nous pourrions aussi relire le livre de Job qui nous présente le combat de l’homme affronté au mal. Le mal sera toujours au cœur de notre condition humaine. Il y est présent de manière indélébile, et il suffit d’ouvrir les yeux pour le voir en contradiction avec le mystère de Dieu. Personne n’en est exempt, à l’exception de la Vierge Marie qui en a été préservée. Le mal s’insinue mystérieusement dans l’histoire humaine. Il peut nous sembler qu’il est le plus fort, qu’il prend le dessus, car il se manifeste de multiples façons. Il nous est souvent difficile de lui donner un nom.  

En même temps, nous ne pouvons pas accepter de nous résigner. L’homme qui est destiné à la vie, qui rêve d’amour et de bien, est certes continuellement exposé au mal. Mais son cœur est rempli de protestations contre ce mal qui l’empêche de vivre pleinement ce pour quoi il a été créé. Rappelons-nous le cri de Jésus à Gethsémani, ce cri qui résume la protestation et l’aspiration des hommes à être délivrés du mal : « Abba…Père, tout est possible pour toi. Éloigne de moi cette coupe ! Cependant, non pas ce que moi, je veux, mais ce que toi, tu veux » (Mc 14, 36). Dès lors, nous savons aussi que l’amour sera toujours plus fort. C’est lui qui a vaincu et continue à vaincre le mal. Jésus est à nos côtés pour lutter contre ce mal et il viendra toujours à notre aide, lui qui nous en a déjà libéré, car par lui-même l’homme est incapable de vaincre ses assauts (cf. Gaudium et spes, n. 13§2). C’est bien là notre espérance, la force qui nous est donnée par sa présence pour aller de l’avant.

Dans la situation que vit l’Eglise aujourd’hui, de façon souvent dramatique, elle ne peut faire l’économie de prendre une vive conscience de la place du mal en son sein. Face à une si grande misère, à un si grand mal, comment continuer à parler de la sainteté de l’Eglise, alors que nous constatons combien elle est aussi pécheresse en ses membres ! En réalité, Jésus n’a pas fondé une Eglise faite exclusivement de héros et de saints ou qui serait comme une « citadelle de pureté ».  Dans un livre récent, le pape François écrit : l’Eglise est « une école de conversion, un lieu de combat spirituel et de discernement, où la grâce abonde en même temps que le péché et la tentation […] dans ces moments où l’Eglise se montre faible et pécheresse, aidons-la à se relever ; ne la condamnons pas et ne la méprisons pas, mais prenons soin d’elle, comme de notre propre mère » (Un temps pour changer, pp. 109-110). L’Eglise, nos communautés, chacun et chacune de nous, sont le lieu d’un combat gigantesque contre le mal. Nul ne peut s’y soustraire. L’Eglise ne peut se résigner à cette présence du mal en elle. Et nous savons aussi que Dieu ne l’abandonnera pas. Qu’il demeurera sa force pour vaincre le mal.

Dans cette lutte acharnée contre le mal, le discernement est essentiel. Il s’agit de changer notre regard, en le portant d’abord sur Dieu qui en Jésus vient nous délivrer, plutôt que de le porter sur nous-mêmes, même si cela est aussi nécessaire. En nous ouvrant au réel, en portant une attention aux germes qui poussent et qui sont souvent moins visibles que nos difficultés, nous pourrons nous mettre à l’écoute de ce que Dieu nous dit. Écouter en laissant de côtés nos préjugés, nos manières de penser, ce qui n’est pas toujours facile, surtout lorsqu’on est enclin au pessimisme ou à la rigidité.

En conclusion, nous pouvons nous rappeler les paroles d’espérance de l’Apôtre Paul : « Que le Dieu de l’espérance vous remplisse de toute joie et de paix dans la foi, afin que vous débordiez d’espérance par la puissance de l’Esprit Saint » (Rm 15, 13). Le mal a été vaincu par la mort et la résurrection de Jésus. Il reste à l’homme de participer à ce combat dont nous connaissons déjà le résultat final. « Nous le savons en effet : ressuscité d’entre les morts, le Christ ne meurt plus ; la mort n’a plus de pouvoir sur lui. Car lui qui est mort, c’est au péché qu’il est mort une fois pour toutes ; lui qui est vivant, c’est pour Dieu qu’il est vivant. De même, vous aussi, pensez que vous êtes morts au péché, mais vivants pour Dieu en Jésus Christ » (Rm 6, 9-11).

Jean Landousies cm

De Rome à Marseille, Jean Landousies continue à partager notre réflexion sur les sujets proposés dans ces Fiches.

Bernard Sesboüé sj, « L’origine du mal » * (extraits)

L’existence du mal pose à l’homme de nombreuses questions : qui l’a créé ? Pourquoi ? Qu’est-ce que le péché dont parle la tradition chrétienne ? … Les interprétations de l’origine du mal se ramènent à quelques-unes :

  1. Le non-sens absolu de notre monde. 2. Le monde est le lieu d’un gigantesque combat entre une puissance du bien et une puissance équivalente du mal. C’est le dualisme de certaines religions anciennes dont on trouve la reviviscence dans l’une ou l’autre secte moderne. 3. Le mal vient de Dieu lui-même, le grand accusé par la conscience moderne devant le problème du mal. Dieu est en situation d’avoir à se justifier, surtout après Auschwitz. C’est le procès intenté à Dieu aujourd’hui. 4. Le mal vient de ce que le monde créé est inachevé, qu’il est en croissance. Cela comporte une part de vérité, mais c’est insuffisant. 5. Le vrai responsable du mal, quoi qu’il en soit de l’explication précédente, c’est la liberté de l’homme. Mais comment en rendre compte sans tomber dans une immense entreprise de culpabilisation de l’homme ?…

… Je m’abrite sous cette pensée de Pascal qui nous met sur la voie juste pour entrer dans cette donnée mystérieuse : « Certainement rien ne nous heurte plus rudement que cette doctrine. Et cependant sans ce mystère, le plus incompréhensible de tous, nous sommes incompréhensibles à nous-mêmes. Le nœud de notre condition prend ses replis et ses tours dans cet abîme. De sorte que l’homme est plus inconcevable sans ce mystère que ce mystère n’est inconcevable à l’homme » … Nulle culture n’est innocente. « Le mal fait partie de la connexion interhumaine, écrit Paul Ricoeur, comme le langage, comme l’outil, comme l’institution ». Le mal est donc largement « transmis ». Il est tradition. De cet état de choses, personne ne peut se considérer comme indemne. Nous constatons que le péché est contagieux. Les mauvais exemples sont vite suivis. On ne pèche donc jamais pour soi tout seul … C’est cette situation « originelle » pour chacun d’entre nous que la foi chrétienne nomme le « péché originel ». Dans la tradition chrétienne, cette expression vise d’abord et avant tout la situation globale de l’humanité et non le péché d’Adam raconté dans les premières pages de la Bible. Tous seraient alors arbitrairement inclus dans un péché des origines avec lequel ils n’ont rien à faire. Or le récit du péché des origines, même s’il est placé au commencement de la Bible est le fruit d’une interprétation seconde. Il a pour but de rendre compte de l’origine et de la radicalité de la situation globalement pécheresse de l’humanité. On ne peut chercher à l’atteindre qu’en dernier lieu, au terme du dernier pourquoi. Le « péché originel » constitue l’interprétation à la lumière de la révélation de ce que je viens de décrire et au sein duquel chacun d’entre nous se trouve à la fois victime et coupable. Vatican II a bien souligné qu’en la matière « ce que la révélation divine nous fait connaître ainsi s’accorde avec notre propre expérience ». Ce que notre expérience appelle mal des hommes et fautes humaines, la révélation l’appelle péché, au sens d’un état général de péché. Par ce terme, elle veut dire qu’il y a dans la condition humaine actuelle, source de violence et de mensonge, quelque chose qui s’oppose à Dieu et à son dessein sur l’homme … C’est cet état que saint Paul décrit dans une longue diatribe pleine de souffle au début de son Épître aux Romains. Pour lui : « Tous les hommes, juifs et païens, sont sous l’empire du péché. Comme il est écrit : il n’y a pas de juste, pas même un seul. (…) Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu » (Rm 3,9-10.23). Mais il n’ose prononcer une accusation pareille que pour annoncer l’Évangile du salut et de la justification par la foi en Jésus-Christ. L’application de ce terme de « péché » à une situation de fait et à une solidarité objective et non à un acte personnel a-t-elle été heureuse ? Sans doute pas. Ce vocabulaire est occidental et remonte à saint Augustin. La tradition de l’Église grecque a préféré les mots de mort, corruption, blessure de l’image de Dieu en nous. On parle aussi volontiers de « péché du monde », expression plus moderne. Mais comme on ne peut pas légiférer sur l’emploi des mots et que l’expression de  » péché originel  » est là répandue partout dans notre culture, il nous faut « faire avec ».

(*cf. https://croire.la-croix.com/Les-formations-Croire.com/Theologie/Le-mal/L-origine-du-mal/ )

 

POUR UNE RELECTURE PERSONNELLE

Nous répétons dix fois plus souvent une mauvaise nouvelle qu’une bonne. Pour éviter d’être victime de ce fonctionnement, posons un regard sur notre relation à ce qui nous éloigne de la Vie.

Face à un évènement « mal » vécu (paroles blessantes, situations difficiles, épreuves…)

  • Combien de fois l’ai-je répété ? raconté ? A quoi cela me sert-il ?

Y a-t-il un progrès sur un chemin de guérison ? Comment suis-je prêt à me convertir ?

  • Je prends le temps de décortiquer le vécu d’un évènement mauvais, en mettant de côté l’affect :
    • J’écris le récit de l’évènement, le plus neutre possible.
    • D’où vient que ça m’a fait mal ? Quels sont les enjeux qui s’y cachent ?
    • Quel lien avec mon identité intrinsèque ?
  • De quoi ai-je besoin pour contrecarrer cette situation ? (Si j’ai été mis de côté = besoin de reconnaissance ; si j’ai été humilié = j’ai besoin de dignité ; etc.). Quels moyens puis-je avoir à ma disposition pour alimenter ces besoins ?
  • Relire le passage « Jeter tous ses soins en la Providence du Seigneur » (ci-dessous p.19 – XI,39), pour inviter le Seigneur dans ce combat contre le mal et me tourner résolument vers Dieu pour vivre en lui.

Nos fondateurs et Le mal vaincu

Les divers combats menés par nos fondateurs reflètent le climat de l’époque. L’état des lieux parle d’abord de la pauvreté, de « la misère au temps de la Fronde … »[1], du conditionnement social et surtout de la déchéance spirituelle et morale de chacun et de chaque groupe. Tout ce conglomérat se dévoile sur fond de guerres et de chocs des religions. Depuis le péché des origines et la personnification du mal, tout se répète. La nouveauté est dans la confirmation de la Révélation : Dieu vaincra !

 

  1. LE MAL EN LUI-MEME

Le mal est en nous, dans la société, dans nos communautés, en mission, sous toutes formes ; ces exemples sont éloquents :

Le mal nous habite.

« Que peut-on attendre de la faiblesse de l’homme ? »

La société elle-même est touchée.

« Le mal dont vous avez à vous plaindre est quasi universel »

« J’avoue, Monseigneur, que j’aurais une grande joie de vous voir à Paris, mais j’aurais un égal regret que vous y vinssiez inutilement, ne croyant pas que votre présence ici dût avoir aucun bon succès en ce temps misérable, auquel le mal dont vous avez à vous plaindre est quasi universel dans tout le royaume. Partout où les armées ont passé, elles y ont commis les sacrilèges, les vols et les impiétés que votre diocèse a soufferts ; et non seulement dans la Guyenne et le Périgord, mais aussi en Saintonge, Poitou, Bourgogne, Champagne, Picardie et en beaucoup d’autres, et même aux environs de Paris. Et généralement partout les ecclésiastiques, aussi bien que le peuple, sont fort affligés et dépourvus, en sorte que de Paris on leur envoie dans les provinces plus proches du linge et des habits pour les couvrir, et quelques aumônes pour leur aider à vivre ; autrement, il en demeurerait fort peu pour administrer les sacrements aux malades ». (A Jacques Desclaux, évêque de Dax, 1653-1654 – V,90-91)

Les missions connaissent de grands périls.

« Nos confrères … seront en grand péril »

« Vous avez raison d’être en peine de notre maison de Gênes et de la ville même ; car, si la mortalité y dure longtemps telle qu’elle a été jusqu’à présent, les habitants seront réduits à peu, et nos confrères, qui ont été préservés par le passé, seront en grand péril. J’en suis si affligé que j’en suis abattu de douleur ; et s’il en était de même de Rome, je ne sais où j’en serais. Dieu soit loué de ce que le mal n’y fait pas de progrès ! J’espère que sa divine bonté ne lui permettra pas d’en faire, mais que peu à peu elle fera dissiper ce reste qui a paru. C’est la prière que nous lui faisons quasi sans cesse, et surtout qu’il lui plaise de vous conserver et tous nos confrères d’Italie ». (Durant la peste à Gênes, A Edme Jolly à Rome, 20 juillet 1657 – VI,364)

« Travailler pour les pauvres »

« Voyez, mes frères, comme le principal de Notre-Seigneur était de travailler pour les pauvres. Quand il allait à d’autres, ce n’était que comme en chemin faisant. Mais malheur à nous aussi si nous nous rendons lâches à nous acquitter des obligations que nous avons de secourir les pauvres âmes ! Car nous nous sommes donnés à Dieu pour cela, et Dieu se repose sur nous. Declinantes ab obligatione adducet Dominus cum operantibus iniquitatem. Quos non pavisti occidisti. Ce passage s’entend de la réfection temporelle, mais il se peut appliquer à la spirituelle avec la même vérité. Jugez, mes frères, combien nous avons sujet de trembler si nous sommes des casaniers, si, pour l’âge ou sous prétexte de quelque infirmité, nous nous ralentissons et dégénérons de notre ferveur ! » (Répétition d’oraison du 25 octobre 1643 – XI,135)

Nos communautés connaissent aussi le mal.

« Le mal des communautés, surtout des petites,

est pour l’ordinaire l’émulation »

« Le mal des communautés, surtout des petites, est pour l’ordinaire l’émulation[2], et le remède l’humilité, de laquelle vous devez faire toutes les avances, aussi bien que des autres vertus nécessaires pour cette union. Nous voyons que cette émulation est arrivée en la première compagnie de l’Église, qui est celle des apôtres ; mais nous savons aussi que Notre-Seigneur l’a réprimée, et par parole, en humiliant ceux qui se voulaient élever, et par son exemple, en s’humiliant le premier. Si les vôtres s’enorgueillissent ou se courroucent ou se dérèglent, ne vous contentez pas de les en avertir charitablement, quand le cas le mérite, mais faites des actes contraires par où ils soient doucement forcés de vous suivre ». (A Louis Dupont, supérieur à Tréguier, 26 mars 1656 – V,582)

 

  1. L’AUTEUR DU MAL

Pour st Vincent de Paul, l’auteur du mal est Satan. Dans l’exercice de notre liberté, celui-ci vient contrarier notre recherche du Bien comme tous nos bonheurs, toutes nos joies, toutes nos réussites. L’expérience l’enseigne à tous, sœurs et missionnaires.

« C’était une grande faute, l’appelant Satan »

« En deux ou trois cas l’on doit avertir la communauté de la faute d’un seul : … Quand le mal est si invétéré en celui qui en est coupable qu’on juge qu’un avertissement particulier lui serait inutile. Notre-Seigneur n’avertit pas Judas pour cette raison, sinon en la présence des autres apôtres ; et encore ce fut en termes couverts, disant qu’un de ceux qui mettaient la main au plat le trahirait. Au contraire, il avertit saint Pierre, lorsqu’il le voulut dissuader de la passion qu’il avait à souffrir, et lui fit même connaître que c’était une grande faute, l’appelant Satan, sachant bien qu’il en profiterait … » (A Marc Coglée, supérieur à Sedan, 13 août 1650 – IV,50)

L’homme a un penchant immodéré pour faire de lui-même le centre de sa personnalité et de son environnement. Il s’enferme alors dans ses jugements et ses actions. Il s’agit d’un art consommé propre au démon.

« Voilà une marque d’orgueil caché et une qualité diabolique »

« Une sœur voudra une chose d’une façon ; l’autre la voudra d’une autre. Elle se tiendra ferme en son jugement. Les avis de sa sœur servante, de son confesseur de son directeur, de sa supérieure ne seront pas capables de la faire céder, parce qu’elle s’est affermie dans son propre jugement. Elle a enraciné cela dans sa cervelle ; il n’est pas possible de l’en faire démordre. Voilà une marque d’orgueil caché et une qualité diabolique, car il n’appartient qu’aux démons de demeurer dans leur opiniâtreté. C’est donc un esprit de démon, qui est tellement ferme dans le mal qu’il y demeure toujours. Il vient bien quelquefois des remords à cette personne ; mais elle n’a pas la force de les suivre ; elle le voudrait bien, mais elle ne le peut ». (Extrait de la conférence du 15 mars 1654, Sur l’orgueil caché – IX,676)

« Ces personnes-là ont le diable dans le corps »

« Le malin esprit n’est qu’illusion et que tromperie »

« Or, s’il se trouve tant d’illusions dans l’univers, jugez, mes frères, si l’auteur du mensonge, si le démon, qui se transforme en ange de lumière, comme parle saint Paul, n’en peut pas faire. Que si les hommes, dont toutes les connaissances sont très petites et limitées, peuvent facilement se tromper les uns les autres, que ne peut, je vous prie, le malin esprit, qui sait tout et qui a l’industrie de faire paraître les objets en autant de différentes manières qu’il lui plaît ? Voulez-vous savoir ce que c’est que le malin esprit à notre égard ? Il n’est qu’illusion et que tromperie ; il nous persuade, ingénieux qu’il est, que nous serons heureux, si nous parvenons à cela, à cela ; il nous fait accroire qu’il y va même de la gloire de Dieu de réussir avec applaudissement dans la prédication, et qu’il se faut signaler dans une province. Ah ! Sauveur, que de pièges, que de tromperies, que d’artifices emploie notre ennemi pour perdre les créatures que vous avez rachetées par votre précieux sang ! » (Extrait de la conférence du 17 octobre 1659, Des vraies lumières et des illusions – XII,345)

 

« Ces pensées aigres sont du malin »

« Il est dangereux de se tenir dans l’oisiveté »

« Le diable nous surcharge toujours »

« Le principe, l’origine et la source de tout le mal »

 

III. COMBATS ET VICTOIRES

« Votre adversaire, le diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer » (1 P 5,8). Il nous investit pour occuper notre être. Nous connaissons tous la parabole de l’esprit mauvais à la recherche d’un lieu de repos qui va sans cesse chercher du renfort (Lc 11,24-26). C’est dire que Dieu livre combat contre le malfaisant et réciproquement. Le baptisé croit que le Christ détient la victoire, écrasera l’adversaire et soumettra tout sous ses pieds.

« Le bien et le mal que vous me dites être en vous »

« Dieu soit loué de ce que vous m’écrivez ainsi tout bonnement le bien et le mal que vous me dites être en vous. C’est ainsi, mon cher Frère, que les âmes simples et candides comme la vôtre ont accoutumé d’en user ; aussi voit-on à l’œil que Notre-Seigneur les bénit beaucoup et leur fait beaucoup de grâces. Et c’est aussi cet esprit que l’ennemi de notre salut hait et redoute beaucoup, pource que ce sont les armes qui détruisent tous les pernicieux desseins qu’il a de tout temps de nous perdre. Il n’a jamais plus grand dépit que lorsqu’il voit que ses artifices et ses méchancetés sont découverts ; et de là vient que l’on a vu tant et tant de personnes sollicitées par lui à des choses mauvaises, lesquelles, à la première déclaration qu’elles en ont faite, ou à leurs supérieurs, ou à leurs directeurs, en ont été délivrées, ou pour le moins ont reçu grâce de Dieu pour n’y point consentir. Et c’est aussi, mon cher Frère, ce que Notre-Seigneur fera à votre égard, si vous lui êtes fidèle et que vous persévériez en votre vocation, qui est le lieu où sa divine bonté vous a mis, et de quoi il saura bien vous demander compte à votre mort, si vous ne lui tenez la parole que vous lui avez donnée d’y vivre et mourir.

Cela étant ainsi, mon cher Frère, comme vous n’en devez nullement douter, voyez si vous n’avez pas bien sujet de ne point écouter les tentations qui vous viendront de ce côté-là. De dire que le changement de maison vous délivre de toutes vos peines, croyez-moi, mon Frère, c’est un abus de le croire et un piège que vous tend le diable ; car nous nous portons toujours nous-mêmes, et nos imperfections aussi, en quelque lieu que nous allions, et le diable ne nous moleste pas moins bien souvent en un lieu qu’en un autre, voire même quelquefois il le fait davantage, notamment quand l’on a procuré le changement avec trop d’empressement, ou avec moins de conformité à la volonté de ceux qu’il a établis pour la conduite de nos âmes et de nos personnes » (A Pierre Leclerc, frère à Agen, 1656 – VI,59-60)

Prière pour éclairer notre cœur

« Plaise à ce même Seigneur de nous éclairer de son esprit pour voir les ténèbres du nôtre et le soumettre à ceux qu’il a préposés pour nous conduire ! Qu’il nous anime de sa douceur infinie, afin qu’elle se répande en nos paroles et en nos actions pour être agréables et utiles au prochain, et qu’il vous inspire de lui demander souvent cette grâce pour moi, comme je vous en supplie, qui suis, en son amour, en attendant votre réponse, Monsieur, votre très humble et affectionné serviteur. » (A Honoré Bélart, prêtre de la mission, 6 août 1657 – VI,388)

Remarquable est le texte qui est soumis à notre attention. La catéchèse de st Vincent nous offre, par l’intermédiaire de son correspondant, une invitation à se donner, à servir pour « triompher ». Le vocabulaire sent son époque ! 

« Il s’agit de triompher de vos ennemis »

« L’ennui que vous sentez dans votre emploi peut venir de plusieurs causes : 1° de la nature, qui se lasse de voir et de faire toujours les mêmes choses ; et Dieu le permet pour donner lieu à la pratique de deux belles vertus, à savoir : de la persévérance, qui nous fait arriver à la fin, et de la constance, qui nous fait surmonter les difficultés ; 2° de la qualité de l’œuvre, qui est triste et qui, étant faite par une personne aussi triste, engendre le dégoût, surtout quand il plaît à Dieu de soustraire la consolation intérieure et la suavité cordiale qu’il fait ressentir de temps en temps à ceux qui servent les pauvres ; 3° du côté du malin esprit, qui, pour vous détourner des grands biens que vous faites, vous en suggère l’aversion. Enfin cet ennui peut venir de Dieu même ; car pour élever une âme à une perfection souveraine, il la fait passer par la sécheresse, les ronces et les combats, lui faisant ainsi honorer la vie languissante de son Fils Notre-Seigneur, qui s’est trouvé dans diverses angoisses et dans l’abandonnement. Courage, Monsieur ! donnez-vous à Dieu et lui protestez que vous désirez le servir en la manière qui lui sera la plus agréable. Il s’agit de triompher de vos ennemis : de la chair, qui s’oppose à l’esprit, et de Satan, qui est jaloux de votre bonheur. La volonté de Dieu est que vous persévériez dans l’œuvre qu’elle vous a donnée à faire. Confiez- vous en sa grâce, qui ne vous manquera jamais pour l’acquit de votre vocation, et considérez que cette œuvre est des plus saintes et sanctifiantes qui soit sur la terre ». (A Guillaume Cornaire, Prêtre de la Mission, Au Mans, 15 juin 1650 – IV,32-33)

Dans le premier de livre de Samuel, au chapitre 17, on vibre à la menée d’une attaque en règle entre David et Goliath. Le vainqueur qui n’est autre que le Seigneur est nommé « le Maître du combat ». St Vincent lui-même discerne et formule des moyens de combat que Dieu donne contre le mal.

« J’espère que Dieu me fera la grâce »

« Lorsqu’on a travaillé quelque temps à se surmonter et à acquérir quelque vertu et qu’on voit qu’on n’y avance rien, on entre en désespoir d’aller plus avant ; et le malin esprit, se mêlant là-dedans, dira : ʺAh ! jamais tu ne feras rien qui vaille ; il est impossible que tu puisses faire comme cela. ʺ Voilà ce que fait le démon pour faire perdre courage au chemin de la vertu. Or, il faut mortifier cette passion par l’espérance en Dieu et dire : ʺEncore que je sache que de moi-même je ne saurais me vaincre, ni persévérer en ma vocation, j’espère que Dieu me fera la grâce dont j’ai besoin pour cet effetʺ (Extrait de la conférence du 6 janvier 1657, Sur l’obligation de travailler à sa perfection – X,250)

« Vous avez été rachetés par le sang précieux d’un Dieu incarné »

« Savez-vous bien que nous sommes pires que les démons, oui, pires que les démons ! Car, si Dieu leur avait fait la dixième partie des grâces qu’il nous a données, mon Dieu ! quel usage n’en auraient-ils pas fait ? Ah ! malheureux que vous êtes ! vous avez été rachetés par le sang précieux d’un Dieu incarné, vous avez des grâces actuelles pour vivre de la vie de Jésus-Christ. Et cependant vous les avez méprisées ! Quel châtiment ne méritez-vous pas ? » (Conférence du 17 octobre 1659, Des vraies lumières et des illusions – XII,353)

En résumé, st Vincent nous livre :

« Les mêmes moyens par lesquels le diable vous a voulu combattre, vous serviront pour l’abattre »

… et aujourd’hui

Témoignage d’un détenu sur le mal commis

Je m’appelle J. j’ai 26 ans et j’ai été incarcéré et condamné pour des faits de vols et cambriolages. Je n’en suis pas à mon coup d’essai. Investir l’espace de l’autre, subtiliser le bien d’autrui : un portefeuille, de l’argent des bijoux était devenu une habitude, un mode de fonctionnement, mon boulot en quelque sorte. … Vous savez la prison à ses codes, il existe chez les codétenus une hiérarchie dans le mal. La perception du mal est compliquée… est-ce un mal de voler par nécessité, lorsqu’on n’a pas les moyens de subvenir à ses besoins élémentaires, de se nourrir de se loger tandis que d’autres ont plus que ce dont ils ont besoin ? Je ne sais pas… Fait-on du mal à la personne alors qu’elle était absente de chez- elle, que je ne l’ai pas agressée ? C’est vrai que ce que je lui ai pris va lui manquer mais elle a les moyens …. Et puis vous savez qu’en prison il y a des catégories dans le mal par exemple, les pointeurs (délinquants sexuels) ne sont pas tolérés, ils sont mis à l’écart tandis que celui qui est là pour homicide volontaire ou involontaire, les braqueurs passent mieux. Les petits voleurs ou cambrioleurs nous sommes en bas de l’échelle.

Lorsque je suis arrivé en France, je ne parlais pas Français mais pendant mon incarcération j’ai appris la langue. J’ai regardé un soir un documentaire à la télévision sur les cambriolages et la manière dont les victimes sont affectées psychologiquement, qui m’a beaucoup fait réfléchir…on réfléchit beaucoup en détention.  En fait j’ai fini par comprendre que dans la langue française entre les mots VOL et VIOL seule la lettre i faisait la différence. Ce petit détail n’existe pas dans ma langue. Il m’arrivait de dérober un portefeuille, de prendre l’argent et de le jeter ensuite, mais dans ce portefeuille se trouvait parfois une vieille petite photo, une lettre écrite à la main qui avait probablement une signification pour le propriétaire. On rentre par effraction dans une maison, on entre dans la chambre à coucher des gens on ouvre leurs placards leurs tiroirs… c’est une violence, c’est violer leur intimité…. Je ne pensais jamais à l’autre au moment de passer à l’action si ce n’est de faire vite pour ne pas être pris.

Je ne sais pas mais je pense qu’à ma sortie, je retournerai différent dans mon pays.

POUR PROLONGER, PERSONNELLEMENT ET EN EQUIPE …

QUESTIONNAIRE POUR NOS ECHANGES SUR LE MAL 

  • Satan, le diable, le malin, Lucifer, le démon … quel que soit la personnification que nous donnons au mal, il est présent autour de nous mais aussi en nous. Repérons dans la société, dans le monde, dans les religions, comme dans notre propre vie ses formes actuelles et perverses.
  • Avec saint Paul, nous disons : « Je fais le mal que je ne veux pas et non le bien que je voudrais » (Romains 7, 19). Savoir qu’une chose est mauvaise, mais être quand même poussé à la faire, c’est parfois ce que nous vivons. Qui d’entre nous n’a jamais été en butte à cette réalité ? Réfléchissons personnellement mais aussi communautairement et ecclésialement à cette question. Comment arriver à dépasser ce simple constat ?
  • Dans le quotidien de mon existence, j’ai pu peut-être faire l’expérience du « mal subi » et/ou du « mal commis» ; que puis-je en partager ?  Qu’en ai-je appris ?
  • « …Délivre nous du mal ». Avec l’aide du Christ comment résister au mal ? Comment revenir sans cesse au Seigneur dans la prière, la réconciliation, l’accompagnement … ?

Bibliographie

Jacques BUR, Le péché originel, ce que l’Eglise a vraiment dit, Cerf, 1988

Philippe-Marie MARGELIDON, Dieu et le mal : cinq approches d’un mystère, Lethielleux, Artège, juin 2020

François-Xavier PUTALLAZ, Le Mal, Cerf, novembre 2017

Paul RICOEUR, Le mal : un défi à la philosophie et à la théologie, Editions Labor et Fides, décembre 2004

Michel SALAMOLARD, « Dieu responsable et innocent », in Nouvelle Revue Théologique, 2005/3

LE MAL AU PAS DE STE LOUISE

Lutter ensemble

C’est le malin qui joue ces jeux de (racontars), qu’il ne gagnera pas, pourvu qu’elles se ramassent et unissent bien entre soeurs, auprès (de) la Croix, ainsi que les poussins sous leur mère quand le huas les guette. (Ecrits L 185 page 212)

Pas d’excuses

J’espère que le mal n’est pas en tel état qu’il soit sans remède, mettez-vous vos fautes fortement devant les yeux, sans vous excuser, car en effet rien ne peut être cause du mal que nous faisons que nous-mêmes (Ecrits L 11 page 21)

Magnificat

Il faut pourtant que je vous dise que je ne crois pas le mal si grand que vous me le faites paraître ; consolez-vous donc, ma très chère Sœur, et ne regardez pas cette faute avec aigreur, mais admirez la bonté de Dieu de vous avoir souffert cette petite faute pour vous apprendre à vous humilier plus parfaitement que vous n’avez fait le passé (Ecrits L 121 page 127)

Connaître

Je suis toujours bien aise de savoir le bien et le mal. (Ecrit L 446 page 478)

Veiller

Les Filles de la Charité pour se maintenir dans leur vocation, et attirer de Dieu les grâces dont elles ont besoin pour cela, doivent veiller continuellement sur leurs sens et passions, pour ne leur point accorder de faire le mal qu’ils nous proposent souvent. Et pour cela, L’on doit bien avoir soin de faire entendre ce que c’est que l’un et l’autre. (Ecrit A 67 page 789)

Eviter l’entrée en tentation

Notre ennemi mortel qui est le diable se sert bien souvent de ces occasions-là, pour nous siffler ces malheureuses pensées, et son principal but est de nous décourager sans que nous nous en apercevions du service de Dieu, mais particulièrement pour nous empêcher de persévérer en nos bonnes résolutions, jusque-là quelquefois que sa méchanceté essaie de nous faire perdre notre vocation qui est la chose la plus à craindre et la plus dangereuse pour notre salut. (Ecrit L 102 page74)

Animation Vincentienne

© Congrégation de la Mission, 425 route du Berceau, 40990 SAINT VINCENT DE PAUL

Tous droits réservés

[1] Alph Feillet, La misère au temps de la Fronde et st Vincent de Paul, Paris Didier et Cie Libraires – Editeurs 1862

[2] « Emulation », au sens ancien : rivalité, jalousie.

[3]« Curieux », « ne pas avoir les yeux dans sa poche »

[printfriendly]

Aller au cœur de la spiritualité vincentienne

Aller au cœur de la spiritualité vincentienne

Aller au cœur, c’est toucher à l’essentiel. Le cœur assure la circulation du sang dans tout l’organisme, permettant aux cellules de recevoir oxygène et nutriments.

Situé entre nos poumons au milieu du thorax,  il est le moteur du système cardiovasculaire, dont le rôle est de pomper le sang qu’il fait circuler dans tous les tissus de notre organisme. Pour répondre aux besoins énergétiques du corps, le cœur doit battre plus de 100 000 fois par jour. Comme tous les autres tissus de l’organisme, le cœur a besoin d’oxygène et de nutriments pour fonctionner correctement. Le sang qui circule dans le cœur va trop vite pour y être absorbé, si bien que le cœur dispose de son propre système de vaisseaux, appelé artères coronaires, qui le vascularisent. Il comprend quatre cavités : les oreillettes (elles sont petites, car elles ne peuvent contenir que trois demi-cuillères à soupe de sang à la fois), les ventricules  (elles contiennent environ un quart de tasse de sang à la fois). Il est plutôt amusant de réaliser que ces petites cavités sont chargées de pomper presque 8 000 litres de sang par jour. Dans la partie supérieure de l’oreillette droite se trouve un petit morceau de tissu cardiaque spécial appelé nœud sino-auriculaire. Cette région commande tout le mécanisme de régulation des battements cardiaques. C’est le stimulateur cardiaque naturel, chargé de déclencher et établir les battements cardiaques. C’est le cœur du cœur. Cette région minuscule commande à votre cœur d’accélérer lorsque vous courez ou que vous faites de l’exercice, et de ralentir lorsque vous êtes assis ou que vous dormez.

Je vais arrêter là ces descriptions anatomiques forcément découvertes chez autrui, car je ne suis pas médecin et encore moins chirurgien. Mais c’est le sujet choisi qui me les a inspirées et une conversation récente qui m’a conduit à comprendre quelque chose d’essentiel dans ce sujet : la spiritualité de st Vincent est complexe et quand on veut aller au cœur du sujet, on doit s’attendre à trouver autant de subtilités que dans l’organisation du cœur physique. Il existe un enchevêtrement d’idées et de comportements, voire de réflexes spontanés qui s’emboitent les uns dans les autres et que je veux vous rappeler dans un premier temps et l’on discerne aussi un point central, disons le cœur du cœur. Bref, cette comparaison nous aide à comprendre le meilleur de la spiritualité vincentienne, le must de notre identité.

AUTOPORTRAIT IDEAL DU SPIRITUEL VINCENTIEN

 Oui, cette première partie veut essayer de décrire ce que  pensent  et vivent  une fille de la charité, un missionnaire, un laïc vincentien chevronné. Cet autoportrait est forcément idéalisé mais il me paraît répondre à la demande réitérée d’un ancien Président National de la Société st Vincent de Paul, Louise de Marillac, mon ami Gérard Gorcy, qui disait inlassablement à des confrères en mal de nivellement par le bas: « Il faut tirer vers le haut ! »

“Toute notre œuvre est dans l’action”

On ne l’imagine pas autrement : le disciple de St Vincent de Paul est un actif. Les agendas d’aujourd’hui le confirment jusqu’au trop-plein. A sa table de travail, sur le terrain, en visite chez son ami le malade ou l’éprouvé, de réunions en conseils et de commissions en improvisations, le vincentien s’active beaucoup et ne pense qu’à son engagement. Il entend comme un ordre perpétuel de Mission la consigne de M. Vincent : “Aimons Dieu, mes frères mais que ce soit aux dépens de nos bras, que ce soit à la sueur de nos visages”. Mais dans le même temps par transmission, formation, et mieux par intuition, il se veut à genoux à la chapelle ou « dans le secret », porte fermée et cœur ouvert au mystère. Il sait bien qu’il ne peut rien construire de solide sans honorer le secret de son maître : « Donnez-moi un homme d’oraison et il sera capable de tout ».Agir mais agir en Dieu et pour Lui. C’est une question récurrente posée au Corps auquel il appartient et à sa personne même. Agir, c’est prier mais prier c’est agir.

Se consumer pour l’empire de Jésus-Christ

 On dit qu’il est zélé. Le mot est vieillot mais qui ne voit sa brûlante actualité ? Le dictionnaire du CNRTL indique « l’ardeur, l’empressement, le dévouement mise au service d’une cause ou d’une personne ou à l’accomplissement d’une tâche et aussi « une foi active, la ferveur, la dévotion ». Le zèle vincentien tient de tout cela. Aventurier dans l’âme et homme de cœur, un vrai vincentien veut prendre des risques, oser, miser sur son intrépidité; il s’interdit les états d’âme, tout repliement frileux, ce que St Vincent appelle “l’insensibilité”. Un vrai missionnaire, un laïc vincentien “peut tout”; quand on est fille de la charité, cela s’appelle “le travail” ou “la ferveur”; quand on est lazariste, cela se nomme “zèle”. Et les propos du fondateur ne cessent de stimuler les uns et les autres : “Il faut que nous soyons tout à Dieu et au service du public; Il faut nous donner à Dieu pour cela, nous consumer pour cela, donner nos vies pour cela… Nous devons  les exposer pour porter l’Evangile jusqu’aux pays les plus éloignés …” Incroyable passeport concrétisé par les exemples de Gênes quand des confrères meurent de la peste, d’Irlande quand sévit la persécution et que le frère Lye est martyrisé devant sa mère, de Madagascar quand au moins quatorze confrères donnent leur vie pour la Mission, envoyés par st Vincent !

Etre donné à Dieu

Mais d’où provient cette énergie farouche, capable du martyre ? De l’appartenance fondamentale. Le vincentien est rivé à Dieu; ancré en lui. Le Seigneur est son roc. Inlassablement, il se redit sa vocation première : se donner à Dieu. Il sait l’amour du Père  et celui du Fils pour son Père. Il écoute les appels de l’Esprit. Il vit une relation privilégiée avec la Trinité. Elle est le principe et le modèle de toute sa dynamique spirituelle. Il revient à elle comme à sa source, comme  vient de le souligner notre Provincial, le père Christian Mauvais : « Quand on regarde son expérience, qu’on lit ses écrits, on est frappé de voir que, pour Vincent, tout prend sa source dans la Sainte Trinité. C’est son modèle ; le seul qu’il nous propose. Ce modèle, peut nous paraître inaccessible, hors de notre sphère ! C’est pourtant de ce côté qu’il faut chercher et regarder.[1] »

Comment? Son secret tient en un seul mot : oraison. Pour se lier d’amour au Dieu-Amour, Vincent ne connaît qu’un moyen: tenir un temps notable et quotidien dans la prière. A titre d’exemple, le lazariste a même reçu la consigne d’une heure de temps passée devant Dieu chaque matin[2]. Il a appris de M. Vincent et de ses successeurs que l’oraison est un principe vital : “l’âme”, “l’eau”, “la fontaine”, “l’air”, “la nourriture”, “la rosée”, “le pain”. Au temps de son Maître, on disait “ le réservoir”, “le centre de la dévotion”, “un rempart inexpugnable” ou plus simplement “le don de Dieu”. Et toute oraison débouche sur l’action par un engagement de principe. Sans cette détermination quotidienne, cet engagement précis pour la journée,  l’oraison est vaine. « Il faut descendre dans le particulier » dit le fondateur, être très concret, réaliste et précis. Pour agir, il invite à prier, méditer, contempler, se déterminer pour l’action, sans jamais se détacher de ce devoir. Quelquefois, voire souvent, par faiblesse, l’adepte de cette pratique fait l’amère expérience d’une infidélité qui l’atrophie ! Et cette omission le rééduque en permanence comme un appel au grand large.

Imiter le Christ

Cette  “grâce de l’oraison “ est le véhicule qui le conduit droit au Christ. Voilà son tout, “la Règle de la Mission”, “la vie de sa vie, l’unique prétention de son cœur”. La spiritualité  vincentienne est christologique et tout ce qui s’y vit prend exemple sur le Christ. Il est le modèle, le référent, le prototype qui permet un début de reproduction. Le travail spirituel est fondamentalement d’imitation. Tout vincentien sait, en familier de l’Evangile, qu’il n’est pas d’autre chemin, d’autre vérité, d’autre vie pour un missionnaire de toute catégorie, orienté vers la Parole ou la Charité, le Christ étant tout à la fois Evangélisateur et Serviteur. Il nous invite à un engagement globalisé qui va du lavement des pieds à la transmission orale du salut. Tout cela forme un tout et laïcs ou consacrés sont invités à être porteurs de ces deux attitudes qui se complètent et harmonisent l’engagement. Notre-Seigneur est le vrai modèle et ce grand tableau invisible sur lequel nous devons former toutes nos actions”.

Vouloir et pouvoir

Déjà au temps de St Vincent des murmures réprobateurs alimentaient les conversations des couloirs du premier st Lazare. Lui tempêtait contre les timorés et les oisifs : “Est-ce là être missionnaire, d’avoir toutes ses aises?”. Il ne voulait pas accueillir comme ouvriers, des paresseux, des carcasses de missionnaires, des ratatinés de la vie et des mitonnés, selon sa très plaisante expression. Mais connaissant la faiblesse humaine pour l’avoir expérimentée, il distille des conseils et signale, au rythme de ses interventions, des points d’insistance.

Vivre les vertus de l’état

D’abord, il faut vivre “les vertus de l’état”. « Charité, simplicité, humilité », si l’on est Fille de la Charité ou Equipière Saint Vincent. « Simplicité, humilité, douceur, mortification et zèle » si l’on se veut Lazariste. « La joie, la cordialité et la justice » étant les vertus préférées des Conférenciers d’Ozanam.

La simplicité est la vertu qui rapproche de Dieu. Simple, le vincentien se souvient qu’il est ainsi à l’image de Dieu car “Dieu est un être simple”. Vivre au jour le jour la simplicité c’est n’avoir en vue que Dieu seul. L’expérience l’enseigne : “Dieu ne se plaît et ne communique ses grâces qu’aux âmes simples”. Il faut “aller droit à Dieu” ou dans un langage propre au landais qu’est st Vincent, “bonnement et simplement”.

L’humilité est la meilleure approche de soi. On est humble pour apprendre à se bien connaître. Jésus lui-même a pris le chemin de l’humilité et il l’a privilégié. Il invite le vincentien à s’estimer en toute sincérité, digne de peu,  ne craignant pas  d’apparaître bourré de défauts et de n’être finalement qu’un instrument quelconque au service du Seigneur… L’humilité est son mot de passe. C’est aussi une vertu chère aux missionnaires amenés, dans leur apostolat, à rencontrer des gens simples, frustres et pauvres. L’humilité bien comprise aide à “s’ajuster à eux”.

A ce train-là, l’ascèse est vite au rendez-vous car il faut “se vider de soi-même pour se revêtir de Jésus-Christ”. Comment être crédible, parler de croix et de mortification, si l’on n’apprend  pas à vivre “ à la dure”, en combattant contre ses passions et ses défauts, sans trop se ménager ni s’écouter ? Si le vincentien veut vivre en équipe, en communauté, il doit se caparaçonner sinon il sera “en perpétuelle pointille”! Prendre sur soi et maitriser ses réactions relève d’un art psychologique sans cesse sur l’atelier.

Un tel engagement postule  aussi la douceur. Jésus l’a lui-même désigné comme l’une de ses vertus préférées : “Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur”. Elle donne la Terre ! Et dit Vincent : »elle ouvre le cœur des hommes”. Elle a une finalité apostolique et elle permet à chacun d’être reçu comme porte-parole crédible de la Bonne Nouvelle. St Vincent en a fait l’expérience : par la colère, on “cadenasse les cœurs”, par la douceur, “on les gagne” à Dieu. « Plus fait douceur que violence » proverbialise La Fontaine, un moment son contemporain.

Le zèle (voir plus haut) qui caractérise le vincentien est la flamme du feu qu’est la charité. Toutes les vertus de l’état resplendissent en elle. Elle unit les cœurs, les dynamise et permet de se retrouver en frères et en sœurs. La consigne  de M. Vincent est d’une actualité étonnante : “Qu’il ne se passe rien, qu’il ne se fasse rien, qu’il ne se dise rien que vous ne le sachiez l’une et l’autre. Il faut avoir cette mutualité”… charité entre soi, charité envers les petits : ce qui sort de notre cœur “est un petit feu qui entre dans celui d’autrui”. L’affirmation suivante vaut son pesant d’or et habille de joie le cœur du vincentien: “Dieu aime ceux qui aiment les pauvres”. Voilà pourquoi tout amour lui revient: faire les choses de sa vocation, c’est lui monter que Dieu l’aime à la folie. Et on pourrait ajouter la joie, la cordialité et la justice, vertus de la sensibilité et d’une humanité équilibrée, fruits appréciés de la charité, chez les conférenciers d’Ozanam et de ses compagnons. Et c’est bien à eux-mêmes de présenter leurs caractéristiques constitutives puisqu’ils jouissent d’une indépendance cléricale en étant mouvement de laïcs demandant l’accompagnement de conseillers spirituels. 

Vivre au bon plaisir de Dieu

Ce faisant, le vincentien est persuadé d’accomplir la volonté de Dieu, ce grand  mot d’ordre des consignes spirituelles ! St Vincent s’émerveillait du bonheur que ses missionnaires avait “de faire toujours et en toutes choses la volonté de Dieu en  faisant ce que le Fils de Dieu lui-même est venu faire sur la terre…” Tout ce qui concourt à ce travail de développement intégral accomplit cette volonté et ne permet pas de douter un seul instant, qu’il fait ce que Dieu veut!  C’est la clef de voûte de sa synthèse spirituelle. Il n’invite pas à une vie capricieuse, singularisée, individualiste comme le veut notre temps, mais à ce que Dieu souhaite à chacun, « une vie donnée à tous ».

Avec une telle perspective, le vincentien vit abandonné à la Providence. Disponibilité  et confiance sont ses atouts. Il “se livre” toujours à elle puisque  son modèle  en avait  fait sa pratique : “La vraie sagesse consiste à suivre  la Providence pas à pas”. Les chemins en sont parfois insolites mais pour qui les suit, sûreté et force sont toujours au rendez-vous.

Au jour le jour, il est attentif aux événements qui sont les signes par lesquels Dieu  lui manifeste ses désirs. Tout son art consiste à mettre sa vie et son action en harmonie avec ce “plaisir de Dieu”, bien plus grand que le bon plaisir royal très en vogue au temps de Monsieur Vincent, et de se montrer “inventif à l’infini” dans le choix des moyens  pour être le relais de Jésus, un bon “ouvrier évangélique”. A sa suite, le vincentien est  Missionnaire  et Serviteur de ses frères en humanité, les Pauvres que Dieu aime et veut dans son Royaume.

Annexe

Voici un texte que ne désavouerait pas st Vincent :

L’ACTION, UNE AUTRE PRIÈRE

C’est une joie de voir que tant de personnes trouvent aujourd’hui du goût dans la prière, et plus largement dans toutes sortes de manières de méditer. Les intentions, les méthodes, les intérêts sont certes très divers, mais les témoignages s’accordent sur les fruits recueillis. Repos intérieur, bien-être, enrichissement spirituel sont autant de sources de respiration au quotidien, qui confèrent lucidité et vérité dans une vie personnelle et relationnelle plus paisible et fraternelle.

Saint Ignace de Loyola, qui alla jusqu’à prier sept heures par jour au lendemain de sa conversion, découvrit plus tard, en organisant sa vie d’étudiant à Paris, que « l’homme ne sert pas Dieu seulement quand il prie ». Davantage, loin de ruiner l’œuvre de la prière, l’action suscite une prière nouvelle, propre aux conditions dans lesquelles elle se déroule. Voilà qui fait « trouver Dieu en toutes choses ». Et, pour Ignace, comme pour tous ceux qui vivent de la force de l’amour, Dieu ne nous rejoint pas dans une prière indéfiniment épurée. Sa tendresse accompagne et suit l’effort de charité active et de discernement d’une action menée au service de son Règne, dans un monde plus juste, plus humain, plus attirant.

Cependant, en retour, seul le goût de la prière peut nous tenir dans une attention évangélique aux besoins du monde et à la venue toujours imminente de Dieu. Opter pour un style de vie où la prière fonde l’action et en fait une respiration au service du Bien commun : voilà certainement une urgence de notre temps et de nos sociétés plurielles et fragiles.

A suivre… « Au centre du cœur, Jésus-Christ caché »

P. Jean-Pierre Renouard CM 🔸

Tout vincentien sait, en familier de l’Evangile, qu’il n’est pas d’autre chemin, d’autre vérité, d’autre vie pour un missionnaire de toute catégorie, orienté vers la Parole ou la Charité, le Christ étant tout à la fois Evangélisateur et Serviteur.

Editorial de Rémi de Maindreville s.j.  – Christus n° 254 – Avril 2017

https://www.revue-christus.com/article/l-action-une-autre-priere-4493

[1] Cf. SITE C’ MISSION : https://cmission.fr/index.php/2017/04/11/la-trinite-comme-enracinement-de-la-pratique-cooperative-ou-collaboratrice-de-saint-vincent/

[2] Règles communes de la Congrégation de la Mission X, 7. La vie moderne a oblitéré ce temps et l’aggiornamento de 1980-1981 a manqué de rigueur et de précision en bafouillant a réécriture.

Saint Vincent de Paul, un homme d’oraison


Saint Vincent de Paul, un homme d’oraison

Conférence donnée lors de la récollection de carême. Diocèse d’Amiens / Folleville, 2 mars 2017

Une chose importante qu’il faut dire tout d’abord, c’est que les contemporains de Monsieur Vincent ne sont jamais arrivés à définir quelle était la qualité de sa prière. Son premier biographe, Louis Abelly, qui l’a connu pendant une trentaine d’années, disait en effet : « On n’a pu découvrir si l’oraison de Monsieur Vincent était ordinaire ou extraordinaire, son humilité lui ayant toujours fait cacher les dons qu’il recevait de Dieu autant qu’il lui était possible » (L. Abelly, tome III, p 53-54).

Dans un autre domaine, les spécialistes affirment qu’à la Cour il demeurait silencieux, jusqu’à ce qu’on le force à donner son avis. Angélique Arnaud écrivait aussi un jour, à un certain Monsieur Féron : « Monsieur Vincent me vint voir hier, auquel nous parlâmes à cœur ouvert de votre affaire, Je sachant par vous-même très secret » (Ms 2333, fo 24).

Saint Vincent était donc très discret sur sa propre vie spirituelle. Il n’aimait pas se mettre en avant, même lorsqu’il évoquait sa propre expérience. Mais les consignes qu’il a laissées aux siens relativement à la prière, à la vie d’oraison, portent sa marque profonde. Ne dit-on pas, en effet, que « la bouche parle de l’abondance du cœur » ?

Après avoir dit cela, ne sommes-nous pas devant une impasse ? Je ne le crois pas, car en réalité, la prière, ce n’est pas avant tout, une suite d’exercices de piété accomplis avec componction et d’une manière régulière, même si cela en est un élément important ! C’est pourquoi, dans un premier temps, il me parait bon, de bien définir ce qu’est la prière. A partir de cette définition, nous pourrons découvrir mieux ce que fût, à mon avis, l’expérience spirituelle de Saint Vincent.

Selon les maîtres spirituels donc, la prière est l’activité la plus importante de la vie spirituelle. Les œuvres de saint Jean de la Croix et de Thérèse d’Avila, par exemple, portent en grande partie sur la prière, et il n’est pas un seul livre de spiritualité qui n’aborde ce sujet. Maintenant, si on essaie d’inventorier les définitions de la prière, on peut constater qu’elles se rejoignent toutes, en fin de compte : elles désignent toutes, l’entrée en relation de celui qui prie avec Dieu. Par exemple, Saint Jean Damascène : « Rencontre entre Dieu et l’homme, ascension ou élévation de l’âme vers Dieu. » Saint Nil : « Commerce de l’esprit avec Dieu. » Thomas Merton : « Conscience de notre union avec Dieu. » François Varillon : « Conscience de ce que Dieu est et fait dans notre vie. » Jacques Leclercq : « Conversation, débat, dialogue avec Dieu » etc… Saint Vincent, quant à lui, la définissait ainsi, en s’adressant aux Filles de la Charité : « L’oraison, mes filles, est une élévation de l’esprit à Dieu, par laquelle l’âme se détache comme d’elle-même pour aller chercher Dieu en lui. C’est un pour parler de l’âme avec Dieu, une mutuelle communication, où Dieu dit intérieurement à l’âme ce qu’il veut qu’elle sache et qu’elle fasse, et où l’âme dit à son Dieu ce que lui-même lui fait connaitre qu’elle doit demander. » (Conférence n° 37, du 31 mai 1648, sur l’oraison)

La prière désigne donc essentiellement, toute activité de communication et de communion avec Dieu : communiquer pour communier à lui, communier à lui pour qu’il se communique à nous. La prière trouve sa réalité dans la rencontre, dans l’expérience effective d’une présence. Ceci dit, dans la prière, la rencontre de Dieu est-elle vraiment possible, et ceux qui prétendent l’avoir faite ne sont-ils pas pleins d’illusion ? Pour le savoir, il y a d’abord et surtout, un critère important : la présence de Dieu dans une vie se vérifie à ses effets sur le comportement. Autrement dit, c’est en relisant ce que j’ai pu vivre, dans l’écoute de la parole de Dieu, et aux effets sur ma propre vie, que je peux vérifier si ma rencontre de Dieu est authentique ou pas. Saint Vincent ne disait-il pas :« On connait ceux qui font bien oraison non seulement en la manière de la rapporter, mais encore plus, par leurs actions et par leurs déportements (= comportements) par lesquels ils font apparaître les fruits qu’ils en retirent ». On peut aussi se rendre compte que l’on est proche de Dieu, par les signes de sa présence en nous : la paix, la joie, le fait d’aimer Dieu et les autres. Dans la lettre de St Paul aux Galates, les signes de cette présence sont les fruits de l’Esprit : charité, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, confiance dans les autres, douceur et maitrise de soi. (Gal 5, 22-23). En dehors de ces critères objectifs, on risque fort de vivre dans le rêve.

Venons-en maintenant à Saint Vincent. Si, comme il a été déjà dit, ses contemporains ne sont jamais arrivés à définir quelle était la qualité de sa prière, car il était par nature silencieux et très secret, il ne fait aucun doute, qu’il a su néanmoins rencontrer Dieu, faire l’expérience effective de sa présence. Il a beaucoup parlé de la prière et de l’oraison aux Filles de la Charité et aux Missionnaires. Il est donc certain, qu’en parlant de la prière, Saint Vincent ne faisait pas autre chose que de partager sa propre expérience, ou l’expérience qu’il en avait, en observant la vie des autres, et spécialement celle des petits et des humbles. Ne disait-il pas :« Dieu est très simple, ou plutôt il est la simplicité même ; et partant, où est la simplicité, là aussi Dieu se rencontre. » (XI, 50) Et encore :« Dieu a promis de se communiquer aux petits et aux humbles, et de leur manifester ses secrets. Pourquoi donc ne croirions-nous pas ce qui est de Dieu, puisque c’est dit et par des petits, et à des petits ? » (IX, 400)

Et maintenant, si l’on se réfère au critère que j’indiquais plus haut : « la présence de Dieu dans une vie se vérifie à ses effets sur le comportement », on constate justement, chez St Vincent, un tournant capital, qui le conduira à un changement total de vie. C’est ainsi que, durant la première partie de son existence – de 1581 à 1617 – sa prière consistait en une demande adressée à un Etre transcendant, à un Dieu créateur et bénéfique qui est un interlocuteur apprécié, puisqu’il est le pourvoyeur des biens. Ce qui soutenait sa prière, c’est l’espoir d’un bien, plus que l’espérance d’une transformation. Il écrivait ainsi à sa mère, le 17 février 1610 :« J’espère tant en la grâce de Dieu, qu’il bénira mon labeur et qu’il me donnera bientôt Je moyen de faire une honnête retraite pour employer les restes de mes jours auprès de vous… L’infortune présente présuppose un bonheur à l’avenir » (SV 1,19).

Or, nous le savons, prier par besoin ou par désir c’est centrer notre prière sur nous­ mêmes et traiter Dieu comme un objet propre à combler nos manques et nos carences. Nous sommes alors dans l’ordre de l’utilité. Quand notre besoin est satisfait, Dieu ne sert plus à rien ; c’est comme s’il n’existait plus. Vivre la prière de cette façon, revient à manipuler Dieu, à l’asservir à nos appels et à nos demandes. C’est en renonçant au besoin, en acceptant l’insatisfaction de nos limites et de nos pauvretés, qu’il devient possible de vraiment nous dépouiller de nous-mêmes, de nous décentrer pour nous ouvrir à l’autre, découvrir le désir. Le désir est centré sur l’autre, qui n’est plus là comme un objet destiné à me satisfaire, mais comme un sujet que je reconnais dans sa différence. Prier c’est donc, passer du besoin de prier à la prière de désir. Nous ne pouvons peut-être pas éviter de commencer à aller à Dieu par besoin, mais il est nécessaire de ne pas en rester là. « Dieu n’est jamais l’objet de notre besoin, même si c’est par ce leurre que nous commençons à nous mettre en route. Ce leurre et le renoncement qui s’ensuivra caractérisent l’amour et la prière. » (Denis Vasse, « Le temps du désir. Du besoin de la prière à la prière de désir », Christus 54, 1967, pp. 174, 177.)

De plus, il est certain que la rencontre de Dieu n’est possible que si nous avons un esprit ouvert, avec des convictions profondes sans doute, mais aussi avec une certaine souplesse, une certaine capacité d’étonnement, de remise en cause. C’est pourquoi, on peut se poser la question : comment pourrions-nous rencontrer Dieu, si nous ne savons pas rencontrer l’autre dans sa différence, son originalité ? Un esprit étroit, borné, enfermé dans une certitude suffisante, ne pourra jamais goûter la joie de la rencontre des autres, et de Dieu, « le Tout-autre », à plus forte raison !

Mais revenons à St Vincent. Il semble que pendant les quelques années qui ont précédé 1617, plus exactement, durant la période de « la nuit de la foi », Vincent a fait tout un travail sur lui-même et a vécu des remises en question profondes mais libératrices. En effet, à partir de 1617, le sens de sa vie va changer complètement. Alors qu’humainement il a obtenu tout ce qu’il désirait l’honnête retirade, des fonctions honorables dans la famille des Gondi, des bénéfices ecclésiastiques – « Dieu opère en lui un changement de centre de gravité. Une conversion intérieure s’est accomplie, longuement mûrie, soutenue par une intention droite et guidée par des évènements indicateurs d’une volonté de Dieu. » (Initiation à Saint Vincent de Paul, p. 200 – André Dodin) On peut vérifier ainsi, dans sa vie, que la prière véritable est une action de Dieu en l’homme et non une mainmise de l’homme sur Dieu. Ce changement et cette conversion vont se concrétiser « au moment où, ayant goûté l’apaisement engendré en lui-même par la charité physique et morale à l’égard des malheureux, il décide de se donner pour toute sa vie au service des pauvres et d’être le serviteur de Dieu auprès des pauvres en qui Dieu réside. » (Initiation à Saint Vincent de Paul, p. 201, André Dodin)

Voilà quelque chose de très intéressant ! A cette époque, Vincent vivait, la fameuse « nuit de la foi », et ce qui lui apportait un peu d’apaisement dans cette épreuve, ce qui lui apportait quelques consolations, c’était d’être présent physiquement et moralement auprès des pauvres malades et de les servir. Ceci nous fait prendre conscience, d’une part, que si, seul Dieu a pu convertir Vincent, et non pas les pauvres en tant que tels, son expérience des pauvres l’a mis en contact direct et particulier avec le Christ représenté par eux. Dieu s’est, pour ainsi dire, servi d’eux ; ils ont été des évangélisateurs discrets, inconscients et mystérieux. Ils l’ont mis en présence de Dieu, et Vincent a compris que, Jésus Christ c’est Dieu incarné dans l’histoire des hommes, éminemment concerné, impliqué et constamment actif dans l’histoire. De plus, c’est la rencontre du Christ dans les pauvres, qui lui a apporté une certaine lumière pour éclairer sa démarche et donner à ses gestes un sens nouveau et jusque-là imprévisible et insoupçonnable. Abelly nous dit que « Son âme se trouva remise dans une douce liberté... fût remplie d’une si abondante lumière quil a avoué en diverses occasions qu’il lui semblait voir les vérités de la foi avec une lumière toute particulière. » (Abelly, Tome III, p.119).

Cette conversion de Vincent nous fait comprendre encore, que la présence de Dieu dans une vie ne se repère pas aux effets sensibles, aux effets euphoriques que l’on peut ressentir. Il se peut que nous soyons touchés un jour, par une parole de Dieu qui nous bouleverse. Mais ce n’est pas parce que cela nous fait chaud au cœur, que nous rencontrons Dieu automatiquement. La vérité de cette rencontre se vérifiera, encore une fois, dans le concret de nos vies si elle transforme nos comportements et nos attitudes. Bien sûr, il se peut qu’au début de la vie spirituelle, une grâce sensible nous soit donnée comme dans les commencements de l’amour humain. Mais le risque est grand de ne rencontrer que soi-même et ses propres impressions subjectives, sans avoir trouvé Dieu qui est autre, le Tout-Autre. D’ailleurs, on peut rencontrer Dieu sans avoir de consolations affectives sensibles. Nous savons par expérience, que des hommes et des femmes n’ont jamais été touchés dans leur sensibilité, alors que leur existence est profondément marquée par Dieu. Il y a des gens admirables dans leur foi et dans leur charité, qui n’ont jamais rien senti dans leur vie.

A ce propos, permettez-moi d’ouvrir une petite parenthèse le dossier pour la béatification de Mère Térésa de Calcutta, ouvert en 1999 révéla un secret de taille. Dans sa correspondance avec ses confesseurs et avec les archevêques de Calcutta, la religieuse confie que, pendant les cinquante dernières années de sa vie, elle a connu une « nuit de l’âme ». Une obscurité seulement éclairée par un mois de lumière en Octobre 1958. « Mon sourire est un grand manteau qui couvre une multitude de douleurs » écrit-elle en juillet 1958. Dans cet abandon spirituel, seule sa foi aveugle l’aide à tenir : « J’éprouve que Dieu n’est pas Dieu, qu’il n’existe pas vraiment. C’est en moi de terribles ténèbres. » disait-elle. Paradoxalement, cette douleur nous la rend à la fois plus proche, tout en éclairant son dessein divin.

Oui, c’est dans la foi que nous rencontrons Dieu. Un peu comme Abraham. C’est sur une parole qu’il est parti, et ce n’est qu’après coup qu’il vérifiera que cette parole a eu de l’effet sur lui.

Dans le même ordre d’idées, il est intéressant de relire en entier, ce passage savoureux d’un entretien de Saint Vincent sur l’amour de Dieu. On constate, en effet, dans cet entretien, qu’il « garde toujours les pieds sur terre » et l’on y sent aussi, comme une pointe de malice et d’humour, où se révèle un aspect de sa personnalité tout à fait sympathique ! Ecoutons-le !

« Aimons Dieu, mes frères, aimons Dieu, mais que ce soit aux dépens de nos bras, que ce soit à la sueur de nos visages. Car bien souvent tant d’actes d’amour de Dieu, de complaisance, de bienveillance, et d’autres semblables affections et pratiques intérieures d’un cœur tendre, quoique très bonnes et très désirables, sont néanmoins très suspectes, quand on n’en vient point à la pratique de l’amour effectif. « En cela, dit Notre Seigneur, mon Père est glorifié que vous rap portiez beaucoup de fruit. » Et c’est à quoi nous devons bien prendre garde ; car il y en a plusieurs qui, pour avoir l’extérieur bien composé et l’intérieur rempli de grands sentiments de Dieu, s’arrêtent à cela ; et quand ce vient au fait et qu’ils se trouvent dans les occasions d’agir, ils demeurent court. lis se flattent de leur imagination échauffée ; ils se contentent des doux entretiens qu’ils ont avec Dieu dans l’oraison ; ils en parlent même comme des anges ; mais, au sortir de là, est-il question de travailler pour Dieu, de souffrir, de se mortifier, d’instruire les pauvres, d’aller chercher la brebis égarée, d’aimer qu’il leur manque quelque chose, d’agréer les maladies ou quelque autre disgrâce, hélas ! il n’y a plus personne, le courage leur manque. Non, non, ne nous trompons pas : Tatum opus nostrum in operatione consistit. » (Extrait d’entretien sur l’amour de Dieu. Coste XI, P. 40)

Jusqu’à présent, j’ai essayé de comprendre et de préciser ce que Dieu a opéré dans l’âme de Monsieur Vincent. Voyons maintenant quelques « axes » fondamentaux de sa prière.

Le premier, et sans doute le plus important pour Vincent, c’est l’humilité. En effet, Vincent est persuadé, à la suite de St Mathieu, que Dieu cache ses secrets aux savants du monde et les a réservés aux petits et aux humbles et « qu’il découvre à leur cœur ce que toutes les écoles n’ont pas trouvé » (Coste IX. 421). Cette vérité est le fondement de sa vie de prière : « La vraie religion est parmi les pauvres » et si nous voulons par la prière entrer dans l’intimité de Dieu, il n’y a pas d’autre voie que de nous faire devant lui, « comme des mendiants, pauvres et chétifs » (XII.145). Il disait encore que, par l’humilité on veut « placer Dieu dans son cœur » (XII, 304, Conférences du 22 août 1659 sur les cinq vertus fondamentales) et encore :« Notre fin, c’est le pauvre peuple, gens grossiers ; or, si nous ne nous ajustons à eux, nous ne leur profiterons aucunement ; le moyen pourtant de le faire, c’est l’humilité, parce que, par l’humilité, nous nous anéantissons et établissons Dieu Souverain Être… » (XII, 305, id.)

Humilité donc, que je relierais volontiers à la « pauvreté spirituelle », et qui est le chemin incontournable qui conduit à Dieu. Parce que, si nous ne sommes pas des pauvres, nous ne pourrons pas le rencontrer. Il ne s’agit pas avant tout, d’une pauvreté économique mais d’une pauvreté beaucoup plus essentielle. Dans la Bible, le pauvre n’est pas celui qui n’a rien, mais celui qui est capable de tout recevoir. Cela est encore vrai aujourd’hui, bien sûr. Celui qui n’est pas capable de tout recevoir, ne pourra faire l’expérience de Dieu. S’il est comblé de richesses, de pouvoirs, de savoirs, de certitudes, il ne pourra pas entendre la parole de Dieu. La pauvreté n’est pas non plus un problème de hiérarchie sociale. Le Christ a été à l’aise dans tous les milieux, et nous connaissons tous des gens qui ont de lourdes responsabilités. Pourtant, ce sont des pauvres ! En ce sens, qu’ils sont perméables à la parole de Dieu ; leurs vies ne sont pas encombrées au point de ne pas entendre cette parole venue d’ailleurs. Dans la première des Béatitudes, Jésus nous dit : « Bienheureux les pauvres » Pourquoi cela ? Parce que c’est une condition d’accès au Royaume et que la pauvreté est la condition de la liberté. Nous ne sommes pas libres si nous sommes encombrés. Et puis, comme le disait la Bienheureuse Marie de Jésus Crucifié (1846-1878) :« Il y a en enfer toute espèce de vertus, mais pas d’humilité. Il y a au ciel toute espèce de défauts, mais pas d’orgueil. C’est-à-dire que Dieu pardonne tout à l’âme humble et qu’il compte pour rien la vertu privée d’humilité. »

Oui, la pauvreté, c’est avant tout une perméabilité à la réalité divine, elle est intimement liée à l’humilité et, pour Vincent, là où il n’y pas humilité il ne peut y avoir prière. « L’humilité­ pauvreté spirituelle » possède une force d’aimantation. Elle possède une attraction irrésistible qui rend possible chez une personne, la présence de Dieu et l’ouverture à sa grâce. C’est dans ce sens que St Vincent, à partir de sa propre expérience, sans doute, affirmait tranquillement à ses confrères : « Dès que nous serons vides de nous-mêmes, Dieu nous remplira de lui, car il ne peut souffrir le vide » (Entretiens, p. 269, 860). « Croyez-moi, Messieurs et mes frères, croyez-moi, c’est une maxime infaillible de Jésus-Christ, que je vous ai souvent annoncée de sa part, que, dès qu’un cœur est vide de soi-même, Dieu le remplit ; c’est Dieu qui demeure et qui agit là-dedans ; et c’est le désir de la confusion qui nous vide de nous-mêmes, c’est l’humilité, la sainte humilité ; et alors ce ne sera pas nous qui agirons, mais Dieu en nous, et tout ira bien ». (Entretien, septembre 1655.) Et encore : « Si vous agissez bonnement et simplement, voyez-vous, Dieu est obligé en quelque façon de bénir ce que vous direz, de bénir vos paroles : Dieu sera avec vous » (Entretien du 8 juin 1658, XII,23)

Il me parait intéressant de relire aussi ce que disait St Vincent aux Filles de la Charité, lorsqu’il leur partageait son expérience sur la prière des petits et des humbles. Ces textes nous les connaissons, bien sûr, mais je les trouve personnellement magnifiques ! Ils prennent aujourd’hui une saveur toute particulière ! Savourons-les donc, une nouvelle fois, sans modération, et avec un plaisir non dissimulé !

« Je suis persuadé que la science ne sert pas, et qu’un théologien, quelque savant qu’il soit, ne trouve aucune aide dans sa science pour faire l’oraison. Dieu se communique plus ordinairement aux simples et aux ignorants de bonne volonté qu’aux plus savants : nous en avons quantité d’exemples. La dévotion et les lumières et tendresses spirituelles sont plus souvent communiquées aux filles et aux femmes vraiment dévotes qu’aux hommes, si ce n’est à ceux qui sont simples et humbles. Chez nous les frères rendent quelquefois mieux compte de leur oraison et ont de plus belles conceptions que nous autres prêtres. Et pourquoi cela, mes filles ? C’est que Dieu l’a promis et que c’est son bon plaisir de s’entretenir avec les petits. Consolez-vous donc, vous qui ne savez pas lire, et pensez que cela ne vous peut empêcher d’aimer Dieu, ni même de bien faire l’oraison » (Conférence aux Filles de la Charité n. 21 P. 149) « C’est, mes filles, dans les cœurs qui n’ont point la science du monde et qui recherchent Dieu en lui-même, qu’il se plait à répandre de plus grandes grâces. Il découvre à ces cœurs ce que toutes les écoles n’ont point trouvé, et leur développe des mystères où les plus savants ne voient goutte. Et croiriez-vous, mes chères sœurs, que nous en voyons l’expérience parmi nous ? Je pense vous l’avoir dit deux fois, et je le répèterai encore : nous faisons la répétition de l’oraison chez nous, non pas tous les jours, mais tantôt de deux jours l’un, tantôt de trois, comme la Providence le permet. Or, par la grâce de Dieu, les prêtres y font bien, les clercs font bien aussi, qui plus, qui moins, selon ce que Dieu leur départ ; mais, pour nos pauvres frères, oh ! en eux se vérifie la promesse que Dieu a faite de se découvrir aux petits et aux humbles, car nous sommes étonnés des lumières que Dieu leur donne ; et il parait bien que c’est lui tout seul, car ils n’ont aucune science. Ce sera un pauvre cordonnier, ce sera un boulanger, un charretier, et cependant ils nous remplissent d’étonnement. » (Conférence n. 37, du 31 mai 1648, sur l’oraison.)

En relisant ces textes, comment ne pas penser à ce que disait, le théologien suisse Maurice Zundel ! Dans un style différent, mais d’une façon vraiment étonnante, il rejoint tout à fait les convictions de St Vincent. Ces réflexions sont comme une actualisation de la pensée de Saint Vincent ! C’est en tout cas, un texte que j’aime beaucoup et qui m’a rempli d’émotion la première fois que je l’ai lu, je l’avoue ! Cette fois encore, je ne résiste pas au plaisir de vous le partager ! Mais, écoutons-le : « … J’ai rencontré pas mal de gens instruits, pas mal de gens persuadés de leur génie, pas mal de gens qui savaient parler comme des livres- et qui en écrivaient- mais ça ne m’a jamais beaucoup touché. Ce qui m’a touché, cest toujours l’humilité de bonnes femmes très ordinaires, qui ne se regardaient pas, qui disaient des choses merveilleuses sans le savoir parce que, justement, la lumière de Dieu traversait leur transparence ...Et si la signature de Dieu est toujours celle de l’humilité et du don de soi, c’est évidemment que Dieu lui-même est humilité et don de soi ». (Maurice Zundel 1959.Dans : « L’humble présence » Marc Donzé).

La méditation de ces textes nous conduit tout naturellement à la simplicité, qui est comme la sœur jumelle de l’humilité ! Saint Vincent disait à son sujet : « C’est la vertu que j’aime le plus et à laquelle je fais plus d’attention dans mes actions. » (1, 284, Lettre à François du Coudray du 6 novembre 1634). Et il ajoutait : « Dieu me donne une si grande estime de la simplicité que je l’appelle mon Evangile. » (IX, 606, Conférence du 24 février 1653 sur l’esprit de la Compagnie.) Pour Saint Vincent, la simplicité est le propre de Dieu : « Dieu est très simple, ou plutôt il est la simplicité même et partout où est la simplicité, là aussi Dieu se rencontre. » (Abelly, Ill, 242.) Il disait encore dans ses entretiens : « Dieu est un être simple qui ne reçoit aucun être, une essence souveraine et infinie qui n’admet aucune agrégation avec elle ; c’est un être pur qui jamais ne souffre d’altération. » (Entretiens, p. 589)

Comme on peut aisément le constater, directement liée à l’humilité, la simplicité est un chemin privilégié pour la rencontre de Dieu ! Dieu est accessible à tous les hommes. Il n’est pas réservé à une élite culturelle, intellectuelle ou sociale, c’est certain. Cependant, il y faut certaines dispositions pour l’accueillir. « Le Fils de Dieuveut des cœurs simples et humbles, disait Saint Vincent, et quand il les a trouvés, oh qu’il le fait beau voir y faire sa résidence. Il se vante dans les saintes Ecritures que ses délices sont de converser avec les petits (Cf. Pr 3, 32). Oui, mes sœurs, Je plaisir de Dieu, la joie de Dieu, Je contentement de Dieu, s’il faut dire ainsi, cest d’être avec les humbles et simples qui demeurent dans la connaissance de leur bassesse ». (SV IX, 392.) « Belles paroles de Jésus-Christ qui montrent bien que ce nest pas dans les Louvres ni chez les princes que Dieu prend ses délices » (SV IX 400).

On peut être étonné de cette partialité, de cette « préférence » de Saint Vincent pour les pauvres. Le fait est, qu’il l’a retenue de l’enseignement de l’Evangile de Luc. Et, s’il donne une telle importance à la simplicité, c’est que pour lui, elle a l’étrange et merveilleux pouvoir de créer le climat et l’ambiance qui ont favorisé la venue du Christ, et qui favorisent sa venue chaque jour dans nos vies. « Savez-vous, mes sœurs, où loge Notre Seigneur ? C’est chez les simples », disait-il aux Filles de la Charité. (SV X, 96)

D’ailleurs, Notre Seigneur, le Christ, celui que contemple Vincent dans sa prière, c’est justement, le Christ simple et humble et non pas le Christ « maître », ni le « médecin », ni « le parfait adorateur du Père » ou « l’image parfaite de la divinité, mais « !’Evangélisateur des pauvres ». Il ne cesse de parler et de regarder ce Christ de la miséricorde infinie, qui parcourt la Judée et la Galilée, qui parle familièrement, utilise des termes et des images que tout le monde comprend, qui instruit, catéchise, opère des miracles avec des gestes et des paroles très simples. Le Christ que prie et contemple Monsieur Vincent, c’est celui qui laisse apparaître le Dieu de toute bonté, c’est un Christ simple et concret, dont les paroles expriment le bon sens de Dieu. C’est un Christ paysan et pauvre. « Rien ne plaît qu’en Jésus-Christ » disait-il (Abelly 1, I, 78) et il encourageait ses disciples à contempler encore et toujours ce Christ : « Oh ! Que ceux-là seront heureux qui pourront dire, à l’heure de la mort, ces belles paroles de Notre-Seigneur : Evangelizare pau peribus misit me Dominus ! » (SV XI, 135)

Je disais tout à l’heure, que Dieu est accessible à tous les hommes. Il n’empêche que, pour le rencontrer et accepter de tout recevoir, chacun doit entrer dans la vérité de sa vie. Accepter d’être en vérité devant soi-même, pour être en vérité devant Dieu. Aussi longtemps que nous n’avons pas fait ce travail sur nous-mêmes, nous ne pouvons faire l’expérience de Dieu. La pauvreté que nous demande le Christ pour se manifester à nous, se situe là ! N’est-ce pas cette pauvreté qu’a expérimentée finalement saint Vincent ?!

La vérité est finalement le fruit de l’humilité. Et « L’humilité, c’est simplement la vérité sur nous-mêmes. » disait sainte Thérèse. L’humilité c’est se reconnaître avec ses qualités et ses défauts, avec ses limites, incarné, fragile et mortel. Le père José Maria Ibanez disait très justement dans son livre : La foi vérifiée dans l’amour, p. 52 « La mystique de l’anéantissement est pour Saint Vincent de Paul et pour les mystiques flamands surtout, saint Jean de la Croix, sainte Thérèse de Jésus et Benoît de Canfield, le moyen d’arriver à l’union avec Dieu. Il faut accepter d’être faible, vulnérable, pour vivre la foi chrétienne comme une « expérience de la fragilité ». Alors, Dieu pénètre dans l’homme et le transforme. On ne peut aller à Dieu « en étant nu », ni « en étant vêtu », mais on ne peut s’approcher de Lui qu’en étant dépouillés et détaché de soi-même ».

Je pense, quant à moi, que Saint Vincent a vraiment fait l’expérience de Dieu, justement, en passant par « l’épreuve du réel », en passant par différentes épreuves qui l’ont secoué pendant la première partie de sa vie, notamment l’épreuve de la tentation contre la foi. Il y a eu dans sa vie, à ce moment-là, comme « un lâcher-prise » ; il a été comme acculé à une impasse. Et c’est ainsi qu’il a accepté petit à petit de « jeter le masque », de briser la cuirasse de l’orgueil, pour affronter avec courage sa propre vérité. Il a consenti enfin, à n’être que ce qu’il était, dans son intime pauvreté. S’il avait choisi, dans sa jeunesse de travailler pour Dieu, à présent c’est pour lui, l’engagement à faire le travail de Dieu. Plus que de servir Dieu, il va laisser Dieu se servir de lui. Ce fût un moment capital, décisif, un moment de crise, un lieu de discernement et de décision. En effet, la crise représente le moment le plus aigu d’une situation, la phase critique, décisive, le point de rupture, de changement, le sommet du rite, de passage. Vincent a compris enfin, à travers la crise, que l’on n’arrive pas à la vérité sur soi-même, seulement par un effort personnel, mais aussi et surtout, lorsqu’on laisse Dieu agir en nous. Et Dieu agit en nous, au moyen de la vie, des expériences que la vie elle-même apporte avec elle. Dieu fait le vide en nous, par nos désillusions, nos déceptions… Il nous révèle nos erreurs, il travaille en nous à travers la souffrance, lorsque nous nous sentons vidés, dépouillés.

Mais la crise est aussi un « kairos », temps favorable, temps de grâce ! La crise est éminemment positive, car elle désinstalle et rend vulnérable au changement, perméable à ce qu’il est nouveau, à l’accueil d’un plus de vie. Elle déstabilise et déstructure pour que puisse émerger une nouvelle manière d’être, une nouvelle cohérence. Dans le domaine spirituel, la crise coïncide avec la conversion. C’est ce qu’a expérimenté saint Vincent. Progressivement, sans doute, mais réellement, il a compris que dans la vie spirituelle, ce qui est important, c’est de laisser en Dieu tous les efforts spirituels, pour se laisser conduire par Lui, jusqu’au plus profond de notre être, à travers les vides et les aridités de notre propre cœur. C’est dans ce fond de notre être, et non pas dans nos imaginations ou nos sentiments, que nous rencontrons notre moi en toute vérité, et aussi, notre vrai Dieu. Et c’est alors, que nous prenons également conscience, que nous sommes appelés à prendre une décision de toute importance : choisir entre le chemin qui mène à la mort et aux ténèbres spirituelles, et le chemin qui mène à la lumière et à la vie ; entre des intérêts exclusivement temporels et l’ordre éternel ; entre volonté personnelle et la volonté de Dieu. Oui, nous reconnaissons là, le cheminement spirituel de saint Vincent. Ce cheminement qui l’a conduit à changer radicalement le sens de sa prière ; à ne plus rechercher en elle « le Pourvoyeur des biens », mais Celui dont « il veut profondément accomplir la volonté. »

Au sortir de cette crise, Vincent n’est plus le même, et Dieu n’est plus pour lui, le « Tout-Puissant à qui il faut demander, dans la prière, de faire réussir ses désirs et ses ambitions. Le Dieu que rencontre désormais Vincent, dans sa prière, est une Personne, et Jésus Christ est le Sauveur qui nous libère de l’esclavage du moi. » (L’Esprit Vincentien, p. 94 André Dodin). Désormais, le Christ est au centre de sa vie, et il aurait pu dire avec saint Paul : « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi ! » (Gal 2 ; 20) Il disait en tout cas à Antoine Portail : « Ressouvenez­ vous, Monsieur, que nous vivons en Jésus-Christ par la mort de Jésus-Christ et que nous devons mourir en Jésus-Christ par la vie Jésus-Christ, et que notre vie doit être cachée en Jésus-Christ et pleine de Jésus-Christ, et que pour mourir comme Jésus-Christ, il faut vivre comme Jésus-Christ. »

Progressivement et de mieux en mieux, Vincent s’efforcera de participer à une autre vie, à « entrer dans l’esprit de Jésus qui est voie, vérité et vie ». Animé de cette conviction il dira un jour à un de ses confères, Antoine Durand, à qui il confie le séminaire d’Agde : « Ni la philosophie, ni la théologie, ni les discours n’opèrent dans les âmes : il faut que Jésus-Christ s’en mêle avec nous, ou nous avec Lui, que nous opérions en Lui et Lui en nous, que nous parlions comme Lui et en son esprit ainsi que Lui-même était en son Père et prêchait la doctrine qui lui était enseignée. Il faut donc, Monsieur, vous vider de vous-même pour vous revêtir de Jésus-Christ » (Entretiens Spirituels, p. 307).

« Se vider de soi-même pour se revêtir de Jésus-Christ » : cela n’a jamais voulu dire pour Vincent, établir une relation intimiste avec le Christ. Pour lui, Dieu, qui en Jésus-Christ, s’est incarné, est entré dans notre monde et n’en est jamais sorti. L’illusion serait donc de vouloir, pour le rencontrer, quitter ce monde dont il a fait sa demeure et notre corps dont il fait son temple. Puisque grâce à l’incarnation, nous contemplons dans le monde l’amour de Dieu, ce que nous contemplons, c’est le don d’amour du Christ auquel nous sommes invités à collaborer. C’est pourquoi, il ne peut il y avoir opposition entre prière et action, puisque c’est le même Dieu que nous rencontrons dans la prière, et celui avec qui nous collaborons dans notre action. Loin de s’opposer, la prière et l’action renvoient, au contraire, l’une à l’autre, comme les deux versants d’une même réalité.

« Il faut que vous et moi prenions résolution de ne jamais manquer à faire tous les jours l’oraison, disait Saint Vincent aux Filles de la Charité. Je dis : tous les jours, mes filles ; mais s’il se pouvait, je dirais : ne la quittons jamais et ne passons point de temps sans être en oraison, c’est à dire sans avoir notre esprit élevé à Dieu ; car à proprement parler, l’oraison, c’est comme nous l’avons dit, une élévation d’esprit à Dieu. Mais l’oraison m’empêche défaire ce médicament, de le porter, de voir ce malade, cette dame. Oh ! N’importe, mes filles. Votre âme ne laissera pas d’être toujours en la présence de Dieu, et elle lui lancera toujours quelque soupir ». (IX, 422)

Nous connaissons tous, les exercices spirituels de Saint Ignace de Loyola ; ils ont précisément comme objectif, d’amener à trouver Dieu, à le rencontrer effectivement et à nous engager avec lui, non pas en dehors de tout, mais en toutes choses. Cette démarche des exercices peut inspirer toute personne qui cherche Dieu, quel que soit son état de vie particulier. Il n’y a pas de compétition ou d’opposition entre action et contemplation. Il s’agit de deux niveaux différents, celui de l’être et celui de l’agir. Etre contemplatif n’est pas une action, mais un état, une qualité permanente d’être. Saint Ignace suggère qu’il nous faut toujours être des contemplatifs, c’est à dire, toujours unis à Dieu et en sa présence, non seulement dans notre activité de prière, durant les temps forts que nous y consacrons (nous ne pouvons pas continuellement être en acte de prier), mais dans toutes nos activités, dans notre travail, nos repos, nos rencontres, etc. Il relativise donc « l’aspect matériel du temps passé à prier, pour mettre l’accent sur la disponibilité du cœur ». Il s’agit en fait, de « cette disposition habituelle du cœur, de l’esprit, de la volonté, à écouter la voix du Maître intérieur » (Léonce de Grand’Maison, La vie intérieur de l’apôtre, Beauchesne et ses Fils, pp 86-87)

Henri Nouwen, disait un jour, quant à lui : « Prier ne signifie pas penser à Dieu plutôt qu’à autre chose, ou passer du temps avec Dieu au lieu de passer du temps avec les gens. Prier signifie plutôt, penser et vivre en présence de Dieu. » (Jurjen Beumer, Henri Nouwen, sa vie et sa spiritualité, Bellarmin, 1999, p. 47). Oui, finalement, j’en suis convaincu et nous pouvons le vérifier chez Saint Vincent : la prière ne nous apprend pas seulement ce que nous avons à dire ou à faire, elle nous transforme dans notre être même ; elle nous établit toujours davantage dans la réalité de ce que nous sommes, des êtres en relation à Dieu, une relation d’amour qui illumine toute notre vie et lui rend témoignage. « Quand vous ne direz mot, si vous êtes bien occupé de Dieu, vous toucherez les cœurs de votre seule présenceL’oraison est si excellente qu’on ne la peut trop faire ; et plus on la fait, plus on veut la faire quand on y cherche Dieu. » disait Saint Vincent.

Enfin, en terminant mon exposé, je vous propose quelques outils que vous pourriez utiliser et qui pourront vous aider à discerner vous-mêmes, comment Saint Vincent est passé, de la vie spirituelle à l’expérience spirituelle. Mais auparavant, il me parait important de bien définir ce qu’est l’expérience, de la même manière que je l’ai fait au début, au sujet de la prière. Ainsi, disons-le tout de suite : ce que nous appelons expérience, comporte quatre composantes principales. Il s’agit d’un vécu conscientisé, répété, réel et vérifié.

  • Un vécu conscientisé. Ce qui caractérise tout d’abord l’expérience c’est son caractère réfléchi. L’expérience, c’est du vécu conscientisé. Ainsi, le pur vécu, même spirituel, s’il n’est pas conscientisé, se perd dans le passé et ne peut pas servir à la croissance. Sans prise de conscience, nous ne pouvons pas parler de notre vécu, le communiquer à d’autres. Dieu est toujours présent dans notre vie, mais, comme Jacob, bien des fois nous ne le savons pas (Gn 28,16). Souvent, comme pour les disciples d’Emmaüs, il demeure l’étranger que nous ne reconnaissons pas. L’expérience spirituelle consiste justement, à faire l’anamnèse spirituelle, la relecture du vécu. Il s’agit de faire émerger de l’inconscient, la prise de conscience de la réalité et de la présence active de Dieu dans notre vie concrète. Si parfois nous avons l’impression de ne pas avancer dans notre vie spirituelle, c’est peut-être justement, parce que nous vivons le quotidien de manière répétitive, sans recul et sans profondeur. Le recul et la profondeur que peut nous donner la relecture. Pour chercher et trouver Dieu, nous attendons l’exceptionnel… or, c’est ici et maintenant que Dieu nous attend. Il est présent dans nos vies, d’une présence humble et discrète qu’il nous faut apprendre à reconnaître dans les évènements, les rencontres les plus quotidiens.
  • Un vécu répété. Un autre aspect important de l’expérience est la durée. Par exemple, parler d’une personne d’expérience c’est parler de quelqu’un qui a longuement fréquenté une réalité, qui a développé une familiarité avec elle, qui s’y connait pour l’avoir, avec le temps, explorée sous tous ses angles. L’expérience c’est donc le résultat d’un contact fréquent, répété, durable, avec un secteur de l’activité humaine, qui fait qu’on s’y connait. Parler experience spirituelle connote ce même aspect de durée.
  • Un vécu, non une théorie. Dans le domaine de la science, l’expérience s’oppose à la connaissance théorique, aux idéologies, comme aussi à la connaissance ordinaire, spontanée, non vérifiée. Sur le plan religieux on distinguera la théologie (connaissance spéculative, théorique de Dieu) et la spiritualité (connaissance expérimentale de Dieu). De plus, il ya une grande différence entre parler de Dieu, disserter sur son existence, entendre parler de lui, et, d’autre part, lui parler, entrer effectivement en communication avec lui ! L’expérience spirituelle c’est passer du notionnel au réel, du ouï-dire à la rencontre effective et à la présence. L’expérience spirituelle désigne donc autre chose qu’une adhésion à une doctrine traditionnelle, à une idéologie ou à un système de pensée faisant autorité.
  • Un vécu vérifié. L’expérience c’est un vécu conscientisé, soumis à la durée, un vécu réel, non une théorie, un vécu dont je suis capable de vérifier la réalité. Si l’on veut faire l’étymologie du mot « expérience », en latin « experientia », on trouve dans ce mot : experi et entia.

Ex : marque un mouvement de sortie, une prise de distance entre moi, ma subjectivité et une réalité objective. Cela indique que le vécu a bien été vécu : il est terminé, j’en suis sorti. Cette sortie, cette distance, implique une capacité d’accueillir des réalités différentes, nouvelles, de me remettre en question, de me laisser interpeller, de me laisser changer par ma rencontre avec la réalité objective. Nous sommes là, à l’opposé du mouvement idéologique où l’on veut forcer la réalité et imposer des idées reçues, toutes faites.

Peri : signifie un travail de vérification. J’ai fait le tour d’une réalité dont j’ai pris distance. Je l’ai considérée sous ses aspects multiples et sous ses angles variés. Pour bien saisir la réalité, ce travail suppose de la durée, des répétitions. Ma perception a été vécue et elle a été testée, vérifiée. Cette opération est à l’opposé de la spontanéité, de l’étroitesse et de l’exclusivisme de l’enfant qui, justement, n’a pas d’expérience.

Entia : signifie que j’ai pris de la distance face à mon vécu (ex), j’en ai fait le tour (peri), je puis en répondre : c’est réel (entia), c’est vrai. L’expérience rejoint la réalité, elle cherche, à la différence de la connaissance théorique ou livresque, à contacter les choses dans leur vérité concrète, vitale, existentielle.

*********************

A la fin de cet exposé, et pour ne pas être trop long, je vous propose, maintenant, de reprendre vous-mêmes (pendant cette semaine ou au cours d’une retraite du mois), les quatre composantes que je viens de vous exposer, et qui nous font dire que le vécu devient expérience.

Ensuite, il serait intéressant de repérer, dans votre propre vie, les évènements marquants, les « évènements fondateurs », puis d’en faire une « relecture ». Et, pour conclure, essayez de formuler une prière.

Si vous acceptez de réaliser ce petit exercice, vous ne le regretterez pas, j’en suis certain ! Et puis, ce serait une manière très intéressante, de sortir la parole de Saint Vincent des bibliothèques plus ou moins poussiéreuses, pour en faire une parole vivante qui pourrait vous aider à trouver Dieu, à le rencontrer et à vous engager avec Lui, non pas en dehors de tout, mais en toutes choses, comme lui a su le faire.

En disant cela, je ne voudrais évidemment pas, vous inviter à vous conformer à un modèle, vous inviter à imiter Saint Vincent ! Le mimétisme dans la vie spirituelle est stérile et désastreux.

Alain Perez CM🔸

La prière trouve sa réalité dans la rencontre, dans l’expérience effective d’une présence. Ceci dit, dans la prière, la rencontre de Dieu est-elle vraiment possible, et ceux qui prétendent l’avoir faite ne sont-ils pas pleins d’illusion ?