Message du Pape François à l’occasion de la 1ere Journée Mondiale des Grands-Parents et des personnes âgées (25 juillet 2021)

“Je suis avec toi tous les jours” (cf. Mt 28, 20) ! Telle est la promesse que le Seigneur a faite à ses disciples avant de monter au ciel et c’est la même promesse qu’il te répète aussi aujourd’hui, cher grand-père et chère grand-mère.À toi. “Je suis avec toi tous les jours” sont aussi les paroles qu’en tant qu’Evêque de Rome, et en tant que personne âgée comme toi, je voudrais t’adresser à l’occasion de cette première Journée Mondiale des Grands-parents et des Personnes âgées. Toute l’Eglise est proche de toi –disons-le mieux, elle nous est proche – : elle a souci de toi, elle t’aime et ne veut pas te laisser seul !

Message du Pape François à l’occasion de la 1ere Journée Mondiale des Grands-Parents et des personnes âgées (25 juillet 2021)

Chers grands-pères, Chères grands-mères !

“Je suis avec toi tous les jours” (cf. Mt 28, 20) ! Telle est la promesse que le Seigneur a faite à ses disciples avant de monter au ciel et c’est la même promesse qu’il te répète aussi aujourd’hui, cher grand-père et chère grand-mère.À toi. “Je suis avec toi tous les jours” sont aussi les paroles qu’en tant qu’Evêque de Rome, et en tant que personne âgée comme toi, je voudrais t’adresser à l’occasion de cette première Journée Mondiale des Grands-parents et des Personnes âgées. Toute l’Eglise est proche de toi –disons-le mieux, elle nous est proche – : elle a souci de toi, elle t’aime et ne veut pas te laisser seul !

Je sais bien que ce message te parvient à un moment difficile : la pandémie a été une tempête inattendue et furieuse, une dure épreuve qui s’est abattue sur la vie de tout le monde, mais qui a réservé un traitement spécial, un traitement encore plus rude à nous, les personnes âgées. Beaucoup d’entre nous sont tombés malades ; nombreux ont perdu la vie ou ont vu mourir leur conjoint ou leurs proches ; d’autres encore ont été contraints à la solitude pendant une très longue période, isolés.

Le Seigneur connaît chacune de nos souffrances actuelles. Il est aux côtés de ceux qui font l’expérience douloureuse d’être mis à l’écart ; notre solitude – aggravée par la pandémie – ne lui est pas indifférente. Une tradition raconte que saint Joachim, le grand-père de Jésus, avait lui aussi été exclu de sa communauté parce qu’il n’avait pas d’enfants ; sa vie – tout comme celle de sa femme Anne – était considérée comme inutile. Mais le Seigneur lui envoya un ange pour le consoler. Alors qu’il se tenait tout triste aux portes de la ville, un envoyé du Seigneur lui apparut pour lui dire : « Joachim, Joachim ! Le Seigneur a exaucé ta prière insistante » [1]. Giotto, dans l’une de ses célèbres fresques [2], semble situer l’épisode pendant la nuit, une de ces nombreuses nuits sans sommeil, pleines de souvenirs, de soucis et de désirs, auxquelles beaucoup d’entre nous sommes habitués.

Mais aussi lorsque tout semble obscur, comme pendant ces mois de pandémie, le Seigneur continue à envoyer des anges pour consoler notre solitude et nous répéter : “Je suis avec toi tous les jours”. Il te le dit, il me le dit, il le dit à nous tous ! Tel est le sens de cette Journée que j’ai voulu que l’on célèbre pour la première fois cette année, après une longue période d’isolement et une reprise encore lente de la vie sociale : que chaque grand-père, chaque grand-mère, chaque personne âgée – en particulier les plus isolés d’entre nous – reçoive la visite d’un ange !

Parfois, ils auront les traits de nos petits-enfants, d’autres fois, ceux des membres de notre famille, des amis de toujours ou que nous avons rencontrés pendant ces moments difficiles. Pendant cette période, nous avons appris l’importance des câlins et des visites pour chacun d’entre nous, et comme je suis attristé par le fait que dans certains lieux, ces gestes ne soient pas encore possibles !

Mais le Seigneur nous envoie aussi ses messagers à travers la Parole de Dieu, qu’il ne fait jamais manquer à notre vie. Lisons chaque jour une page de l’Évangile, prions les Psaumes, lisons les Prophètes ! Nous serons surpris par la fidélité du Seigneur. Les Écritures nous aideront également à comprendre ce que le Seigneur attend de notre vie aujourd’hui. En effet, il envoie les ouvriers à sa vigne à toutes les heures de la journée (cf. Mt 20, 1-16), à chaque saison de la vie. Je peux moi-même témoigner d’avoir reçu l’appel à devenir Évêque de Rome au moment où j’avais atteint, pour ainsi dire, l’âge de la retraite et je ne pensais plus pouvoir faire grand-chose de nouveau. Le Seigneur est toujours proche de nous, toujours, avec de nouvelles invitations, avec de nouvelles paroles, avec sa consolation. Il est toujours proche de nous. Vous savez que le Seigneur est éternel et ne prend jamais sa retraite, jamais.

Dans l’Évangile de Matthieu, Jésus dit aux Apôtres : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé » (28, 19-20). Ces paroles s’adressent aussi à nous aujourd’hui et nous aident à mieux comprendre que notre vocation est celle de conserver les racines, de transmettre la foi aux jeunes et de prendre soin des plus petits. Écoutez bien : quelle est notre vocation aujourd’hui, à notre âge ? Conserver les racines, transmettre la foi aux jeunes et prendre soin des plus petits. N’oubliez pas cela.

Peu importe ton âge, si tu travailles encore ou pas, si tu es resté seul ou si tu as encore une famille, si tu es devenu grand-mère ou grand-père très tôt ou plus tard, si tu es encore indépendant ou si tu as besoin d’assistance, car il n’y a pas un âge de retraite pour la mission d’annoncer l’Évangile, de transmettre les traditions aux petits-enfants. Il faut se mettre en chemin et, surtout, sortir de soi pour entreprendre quelque chose de nouveau.

Il y a donc une vocation renouvelée pour toi aussi à un moment crucial de l’histoire. Tu te demanderas : comment est-ce possible ? Mon énergie s’épuise petit à petit et je ne crois pas pouvoir faire grand-chose. Comment puis-je commencer à me comporter différemment lorsque l’habitude est devenue la règle de mon existence ? Comment puis-je me consacrer à ceux qui sont plus pauvres alors que j’ai déjà tant de soucis pour ma famille ? Comment puis-je élargir mes horizons quand je ne parviens même plus à quitter ma résidence ? Ma solitude n’est-elle pas un trop lourd fardeau ? Combien d’entre vous se posent cette question : ma solitude n’est-elle pas un trop lourd fardeau ? Nicodème a posé une question similaire à Jésus lui-même lorsqu’il lui a demandé : « Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? » (Jn 3, 4). Cela est possible, répond le Seigneur, en ouvrant son cœur à l’action de l’Esprit Saint qui souffle où il veut. L’Esprit Saint, en vertu de la liberté qu’il a, va partout et fait ce qu’il veut.

Comme je l’ai répété à maintes reprises, nous ne sortirons plus les mêmes de cette crise que le monde entier traverse : nous sortirons meilleurs ou pires. Et « Plaise au ciel que […] ce ne soit pas un autre épisode grave de l’histoire dont nous n’aurons pas su tirer leçon ! – nous avons la tête dure ! –. Plaise au ciel que nous n’oublions pas les personnes âgées décédées par manque de respirateurs ! […] Plaise au ciel que tant de souffrance ne soit pas inutile, que nous fassions un pas vers un nouveau mode de vie et découvrions définitivement que nous avons besoin les uns des autres et que nous avons des dettes les uns envers les autres, afin que l’humanité renaisse » (Enc. Fratelli tutti, n. 35). Personne ne se sauve tout seul. Nous sommes tous débiteurs, les uns des autres. Tous frères.

Dans cette perspective, je voudrais te dire qu’on a besoin de toi pour construire, dans la fraternité et dans l’amitié sociale, le monde de demain : celui dans lequel nous vivrons – nous avec nos enfants et nos petits-enfants – lorsque la tempête se sera apaisée. Nous devons tous être « parties prenantes de la réhabilitation et de l’aide aux sociétés blessées » (ibid., n. 77). Parmi les différents piliers qui devront soutenir cette nouvelle construction, il y en a trois que tu peux, mieux que quiconque, aider à placer. Trois piliers : les rêves, la mémoire et la prière. La proximité du Seigneur donnera la force d’entreprendre un nouveau chemin, même aux plus fragiles d’entre nous, par les routes du rêve, de la mémoire et de la prière.

Le prophète Joël fit autrefois cette promesse : « Vos anciens seront instruits par des songes, et vos jeunes gens par des visions » (3, 1). L’avenir du monde réside dans cette alliance entre les jeunes et les personnes âgées. Qui, mieux que les jeunes, peut prendre les rêves des personnes âgées et les mener à bien ? Mais pour cela il faut continuer à rêver : dans nos rêves de justice, de paix, de solidarité réside la possibilité que nos jeunes aient de nouvelles visions, et qu’ensemble nous puissions construire l’avenir. C’est important que tu témoignes toi aussi qu’il est possible de sortir renouvelé d’une expérience d’épreuve. Et je suis sûr que ce n’est pas l’unique épreuve, parce que dans ta vie, tu en as eu beaucoup d’autres et tu as réussi à t’en sortir. Apprend également de cette expérience à t’en sortir maintenant.

Les rêves sont pour cette raison intimement liés à la mémoire. Je pense à combien est précieux le souvenir douloureux de la guerre et à ce que les nouvelles générations peuvent en apprendre sur la valeur de la paix. Et il t’appartient de transmettre cela, toi qui as vécu la douleur de la guerre. Faire mémoire est une véritable mission pour toute personne âgée : la mémoire, et transmettre cette mémoire aux autres. Édith Bruck, qui a survécu au drame de la Shoah, affirme que « le fait d’éclairer ne serait-ce qu’une seule conscience vaut l’effort et la douleur de garder vivant le souvenir de ce qui s’est passé – et elle continue-. Pour moi, faire mémoire est synonyme de vivre » [3]. Je pense aussi à mes grands-parents et à ceux d’entre vous qui ont dû émigrer et savent combien il est difficile de quitter sa maison, comme beaucoup de personnes le font encore aujourd’hui en quête d’un avenir. Certains d’entre eux, nous les avons peut-être à côté de nous et ils prennent soin de nous. Cette mémoire peut aider à construire un monde plus humain et plus accueillant. Mais, sans la mémoire, on ne peut pas construire ; sans les fondations, tu ne construiras jamais une maison. Jamais! Et les fondations de la vie sont la mémoire.

Enfin, la prière. Comme l’a dit une fois mon prédécesseur, le Pape Benoît, le saint vieillard qui continue à prier et à travailler pour l’Église, : « La prière des personnes âgées peut protéger le monde, en l’aidant probablement de manière encore plus incisive que l’activisme de tant de personnes » [4]. Il a dit ça presqu’à la fin de son pontificat en 2012. Que c’est beau ! Ta prière est une ressource très précieuse : c’est un poumon dont ni l’Église ni le monde ne peuvent se priver (cf. Exhort. ap. Evangelii Gaudium, n. 262). Surtout en ce temps si difficile pour l’humanité, alors que nous sommes en train de traverser, tous sur un même bateau, la mer houleuse de la pandémie, ton intercession pour le monde et pour l’Église n’est pas vaine, mais elle indique à tous la confiance sereine d’un port sûr.

Chère grand-mère, cher grand-père, au moment de conclure mon message, je voudrais t’indiquer aussi l’exemple du bienheureux – et bientôt saint – Charles de Foucauld. Il a vécu comme ermite en Algérie et dans ce contexte périphérique, il a témoigné de « son aspiration de sentir tout être humain comme un frère » (Enc. Fratelli tutti, n. 287). Son histoire montre comment il est possible, même dans la solitude du désert, d’intercéder pour les pauvres du monde entier et de devenir véritablement un frère ou une sœur universel.

Je demande au Seigneur que, suivant son exemple, chacun de nous puisse élargir son cœur, le rendre sensible aux souffrances des derniers, et capable d’intercéder pour eux. Que chacun de nous apprenne à répéter à tous, et aux plus jeunes en particulier, ces paroles de consolation qui nous ont été adressées aujourd’hui : “Je suis avec toi tous les jours” ! Allons de l’avant et courage ! Que le Seigneur vous bénisse.

Rome, Saint Jean de Latran, 31 mai 2021, Fête de la Visitation de la Vierge Marie.

François

 

 

[1] L’épisode est raconté dans le Protoévangile de Jacques

[2] Il s’agit de l’image qui a été choisie comme logo de la Journée Mondiale des Grands-Parents et des Personnes âgées.

[3] La mémoire est vie, l’écriture est respiration. L’Osservatore Romano, 26 janvier 2021.

[4] Visite à la maison de retraite “Viva gli anziani”, 2 novembre 2012.

Faire confiance. Méditation

Aujourd’hui, on entend à peine parler de «la providence de Dieu». C’est un langage qui est tombé en désuétude ou qui est devenu une manière pieuse de considérer certains événements.

Faire confiance. Méditation

Aujourd’hui, on entend à peine parler de «la providence de Dieu». C’est un langage qui est tombé en désuétude ou qui est devenu une manière pieuse de considérer certains événements. Cependant, croire en l’amour providentiel de Dieu est une caractéristique fondamentale du chrétien.

Tout naît d’une conviction radicale. Dieu n’abandonne pas et ne néglige pas ceux qu’il crée, mais soutient leur vie avec un amour fidèle, vigilant et créateur. Nous ne sommes pas à la merci du hasard, du chaos ou de la fatalité. Dieu est au coeur de la réalité et conduit notre être vers le bien.

Cette foi ne nous libère pas des peines et des labeurs, mais elle enracine le croyant dans une confiance totale en Dieu, qui chasse la peur de tomber définitivement sous les forces du mal. Dieu est le Seigneur suprême de nos vies. D’où l’invitation de la première lettre de saint Pierre: «Déposez en Dieu tous vos fardeaux, car ce qui l’intéresse, c’est votre bien» (1 Pierre 5, 7).

Cela ne signifie pas que Dieu «intervient» dans notre vie comme le font d’autres personnes ou d’autres facteurs. La foi en la Providence est parfois tombée dans le discrédit précisément parce qu’elle a été comprise dans un sens interventionniste, comme si Dieu s’immisçait dans nos affaires, forçant les événements ou éliminant la liberté humaine. Ce n’est pas le cas. Dieu respecte totalement les décisions des personnes et le cours de l’histoire.

C’est pourquoi nous ne devrions pas dire, à proprement parler, que Dieu «guide» notre vie, mais plutôt qu’il offre sa grâce et sa force pour que nous puissions l’orienter et la guider vers notre bien. Ainsi, la présence providentielle de Dieu ne conduit pas à la passivité ou à l’inhibition, mais à l’initiative et à la créativité.

En outre, nous ne devons pas oublier que même si nous pouvons saisir des signes de l’amour providentiel de Dieu dans des expériences concrètes de notre vie, son action reste toujours insondable. Ce qui nous semble mauvais aujourd’hui peut être demain une source de bien. Nous sommes incapables d’embrasser la totalité de notre existence; le sens final des choses nous échappe; nous ne pouvons pas comprendre les événements dans leurs conséquences ultimes. Tout reste sous le signe de l’amour de Dieu, qui n’oublie aucune de ses créatures.

C’est dans cette perspective que la scène du lac de Tibériade acquiert toute sa profondeur. Au milieu de la tempête, les disciples voient Jésus dormir tranquillement dans la barque. De leur coeur plein de peur sort un cri: «Maître, cela ne te fait rien que nous soyons en train de couler?». Jésus, après avoir transmis son propre calme à la mer et au vent, leur dit: «Pourquoi êtes-vous si lâches? N’avez-vous toujours pas la foi?».

José Antonio Pagola
Traducteur: Carlos Orduna

www.https://www.gruposdejesus.com/12-temps-ordinaire-b-mark-435-41/

Message du Pape François. 5e Journée Mondiale des Pauvres. 14 novembre 2021 – 33e dimanche du temps ordinaire : « Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous » (Mc 14,7)

Les pauvres de toute condition et de toute latitude nous évangélisent, car ils nous permettent de redécouvrir de manière toujours nouvelle les traits les plus authentiques du visage du Père. « Ils ont beaucoup à nous enseigner. En plus de participer au sensus fidei, par leurs propres souffrances ils connaissent le Christ souffrant. Il est nécessaire que tous nous nous laissions évangéliser par eux.

Message du Pape François. 5e Journée Mondiale des Pauvres. 14 novembre 2021 – 33e dimanche du temps ordinaire : « Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous » (Mc 14,7)

1. « Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous » (Mc 14, 7). Jésus a prononcé ces paroles dans le cadre d’un repas à Béthanie, dans la maison d’un certain Simon dit « le lépreux », quelques jours avant la pâque. Comme le raconte l’évangéliste, une femme était entrée avec un vase d’albâtre rempli d’un parfum très précieux et l’avait versé sur la tête de Jésus. Ce geste avait suscité un grand étonnement et a donné lieu à deux interprétations différentes.

La première est l’indignation de certains parmi les personnes présentes, y compris les disciples qui, compte tenu de la valeur du parfum – environ 300 deniers, soit l’équivalent du salaire annuel d’un travailleur – pensent qu’il aurait été préférable de le vendre et de donner le produit aux pauvres. Selon l’Évangile de Jean, c’est Judas qui se fait l’interprète de cette position : « Pourquoi n’a-t-on pas vendu ce parfum pour trois cents deniers que l’on aurait donné à des pauvres ? » Et l’évangéliste note : « Il parlait ainsi, non par souci des pauvres, mais parce que c’était un voleur : comme il tenait la bourse commune, il prenait ce que l’on y mettait. » (12, 5-6). Ce n’est pas un hasard si cette critique sévère vient de la bouche du traître: c’est la preuve que ceux qui ne reconnaissent pas les pauvres trahissent l’enseignement de Jésus et ne peuvent pas être ses disciples. Rappelons-nous, à cet égard, les paroles fortes d’Origène: « Judas semblait se soucier des pauvres […]. S’il y a maintenant encore quelqu’un qui détient la bourse de l’Église et qui parle en faveur des pauvres comme Judas, mais qui prend ce qu’on y met dedans, alors qu’il ait sa part avec Judas » (Commentaire à l’Évangile de Matthieu 11, 9).

La deuxième interprétation est donnée par Jésus lui-même et permet de saisir le sens profond du geste accompli par la femme. Il dit : « Laissez-la ! Pourquoi la tourmenter ? Il est beau le geste qu’elle a fait envers moi » (Mc 14, 6). Jésus sait que sa mort est proche et voit dans ce geste l’anticipation de l’onction pour son corps sans vie avant qu’il ne soit placé au tombeau. Ce point de vue va au-delà de toute attente des convives. Jésus leur rappelle que le premier pauvre c’est Lui, le plus pauvre parmi les pauvres parce qu’il les représente tous. Et c’est aussi au nom des pauvres, des personnes seules, marginalisées et discriminées que le Fils de Dieu accepte le geste de cette femme. Par sa sensibilité féminine, elle montre qu’elle est la seule à comprendre l’état d’esprit du Seigneur. Cette femme anonyme – peut être destinée à représenter l’univers féminin tout entier qui, au fil des siècles, n’aura pas voix au chapitre et subira des violences – inaugure la présence significative des femmes qui participent aux événements culminants de la vie du Christ : sa crucifixion, sa mort et son ensevelissement ainsi que son apparition comme Ressuscité. Les femmes, si souvent discriminées et tenues à l’écart des postes de responsabilité, sont au contraire, dans les pages des Évangiles, protagonistes dans l’histoire de la révélation. Et l’expression finale de Jésus, qui associe cette femme à la grande mission évangélisatrice, est éloquente : « Amen, je vous le dis : partout où l’Évangile sera proclamé – dans le monde entier – on racontera, en souvenir d’elle, ce qu’elle vient de faire » (Mc 14, 9).

2. Cette forte “empathie” entre Jésus et la femme, et la façon dont il interprète son onction en contraste avec la vision scandalisée de Judas et des autres, ouvrent une voie féconde de réflexion sur le lien indissociable qui existe entre Jésus, les pauvres et l’annonce de l’Évangile.

Le visage de Dieu qu’il révèle est en effet, celui d’un Père pour les pauvres et proche des pauvres. Toute l’œuvre de Jésus affirme que la pauvreté n’est pas le fruit de la fatalité, mais le signe concret de sa présence parmi nous. Nous ne le trouvons pas quand et où nous le voulons, mais nous le reconnaissons dans la vie des pauvres, dans leur souffrance et leur misère, dans les conditions parfois inhumaines dans lesquelles ils sont forcés de vivre. Je ne me lasse pas de répéter que les pauvres sont de véritables évangélisateurs parce qu’ils ont été les premiers à être évangélisés et appelés à partager le bonheur du Seigneur et de son Royaume (cf. Mt 5, 3).

Les pauvres de toute condition et de toute latitude nous évangélisent, car ils nous permettent de redécouvrir de manière toujours nouvelle les traits les plus authentiques du visage du Père. « Ils ont beaucoup à nous enseigner. En plus de participer au sensus fidei, par leurs propres souffrances ils connaissent le Christ souffrant. Il est nécessaire que tous nous nous laissions évangéliser par eux. La nouvelle évangélisation est une invitation à reconnaître la force salvifique de leurs existences, et à les mettre au centre du cheminement de l’Église. Nous sommes appelés à découvrir le Christ en eux, à prêter notre voix à leurs causes, mais aussi à être leurs amis, à les écouter, à les comprendre et à accueillir la mystérieuse sagesse que Dieu veut nous communiquer à travers eux. Notre engagement ne consiste pas exclusivement en des actions ou des programmes de promotion et d’assistance; ce que l’Esprit suscite n’est pas un débordement d’activisme, mais avant tout une attention à l’autre qu’il considère comme un avec lui. Cette attention aimante est le début d’une véritable préoccupation pour sa personne, à partir de laquelle je désire chercher effectivement son bien » (Exhort. ap. Evangelii gaudium, nn. 198-199).

3. Jésus est non seulement du côté des pauvres, mais partage avec eux le même sort. C’est aussi un enseignement fort pour ses disciples de tous les temps. Ses mots « les pauvres, vous en aurez toujours avec vous » indiquent aussi ceci : leur présence parmi nous est constante, mais elle ne doit pas conduire à une habitude qui devienne indifférence, mais impliquer dans un partage de vie qui n’admet pas de procurations. Les pauvres ne sont pas des personnes “extérieures” à la communauté, mais des frères et sœurs avec qui partager la souffrance, pour soulager leur malaise et leur marginalisation, pour qu’on leur rende la dignité perdue et qu’on leur assure l’inclusion sociale nécessaire. Par ailleurs, on sait qu’un geste de bienfaisance présuppose un bienfaiteur et quelqu’un qui en bénéficie, tandis que le partage engendre la fraternité. L’aumône est occasionnelle ; tandis que le partage est durable. La première risque de gratifier celui qui la fait et d’humilier celui qui la reçoit ; la seconde renforce la solidarité et pose les conditions nécessaires pour parvenir à la justice. Bref, les croyants, lorsqu’ils veulent voir Jésus en personne et le toucher de leurs mains, savent vers qui se tourner : les pauvres sont un sacrement du Christ, ils représentent sa personne et nous renvoient à lui.

Nous avons tant d’exemples de saints et de saintes qui ont fait du partage avec les pauvres leur projet de vie. Je pense, entre autres, au père Damien de Veuster, un saint apôtre des lépreux. Avec une grande générosité, il répondit à l’appel à se rendre sur l’île de Molokai, devenue un ghetto accessible uniquement aux lépreux, pour vivre et mourir avec eux. Il s’est retroussé les manches et fit tout pour rendre la vie de ces pauvres malades et marginalisés, réduits à une dégradation extrême, digne d’être vécue. Il se fit médecin et infirmier, inconscient des risques qu’il prenait et dans cette “colonie de la mort”, comme on appelait l’île, il a apporté la lumière de l’amour. La lèpre l’a également frappé, signe d’un partage total avec les frères et sœurs pour lesquels il avait fait don de sa vie. Son témoignage est très actuel en ces jours marqués par la pandémie de coronavirus : la grâce de Dieu est certainement à l’œuvre dans le cœur de beaucoup de personnes qui, dans la discrétion, se dépensent pour les plus pauvres dans un partage concret.

4. Nous devons donc adhérer avec une conviction totale à l’invitation du Seigneur : « Convertissez-vous et croyez en l’Évangile » (Mc 1, 15). Cette conversion consiste avant tout à ouvrir notre cœur afin de reconnaître les multiples expressions de pauvreté et à manifester le Royaume de Dieu par un mode de vie cohérent avec la foi que nous professons. Souvent, les pauvres sont considérés comme des personnes séparées, comme une catégorie qui demande un service de bienfaisance particulier. Suivre Jésus implique, à cet égard, un changement de mentalité, c’est-à-dire de relever le défi du partage et de la participation. Devenir ses disciples implique le choix de ne pas accumuler de trésors sur la terre, qui donnent l’illusion d’une sécurité, en réalité fragile et éphémère. Au contraire, cela exige la disponibilité à se libérer de tout lien qui empêche d’atteindre le vrai bonheur et la béatitude, pour reconnaître ce qui est durable et ne peut être détruit par rien ni personne (cf. Mt 6, 19-20).

Ici l’enseignement de Jésus va aussi à contre-courant, car il promet ce que seuls les yeux de la foi peuvent voir et expérimenter avec une certitude absolue : « Celui qui aura quitté, à cause de mon nom, des maisons, des frères, des sœurs, un père, une mère, des enfants, ou une terre, recevra le centuple, et il aura en héritage la vie éternelle » (Mt 19, 29). Si l’on ne choisit pas de devenir pauvre de richesses éphémères, de pouvoir mondain et de vantardise, on ne pourra jamais donner sa vie par amour ; on vivra une existence morcelée, pleine de bonnes intentions, mais inefficace pour transformer le monde. Il s’agit donc de s’ouvrir résolument à la grâce du Christ, qui peut nous rendre témoins de sa charité sans limites et redonner de la crédibilité à notre présence dans le monde.

5. L’Évangile du Christ pousse à avoir une attention tout à fait particulière à l’égard des pauvres et demande de reconnaître les multiples, les trop nombreuses formes de désordre moral et social qui engendrent toujours de nouvelles formes de pauvreté. La conception selon laquelle les pauvres sont non seulement responsables de leur condition mais constituent un fardeau intolérable pour un système économique, qui place au centre l’intérêt de certaines catégories privilégiées, semble faire son chemin. Un marché qui ignore ou sélectionne les principes éthiques crée des conditions inhumaines qui frappent des personnes qui vivent déjà dans des conditions précaires. On assiste ainsi à la création de pièges toujours nouveaux de la misère et de l’exclusion, produits par des acteurs économiques et financiers sans scrupules, dépourvus de sens humanitaire et de responsabilité sociale.

L’année dernière, un autre fléau s’est ajouté, qui a encore multiplié les pauvres : la pandémie. Elle continue à frapper aux portes de millions de personnes et, quand elle n’apporte pas avec elle la souffrance et la mort, elle est quand même porteuse de pauvreté. Le nombre de pauvres a augmenté de manière démesurée et, malheureusement, cela sera encore dans les mois à venir. Certains pays subissent des conséquences très graves de la pandémie, de sorte que les personnes les plus vulnérables se retrouvent privées de biens de première nécessité. Les longues files d’attente devant les cantines pour les pauvres sont le signe tangible de cette aggravation. Un examen attentif exige que l’on trouve les solutions les plus appropriées pour lutter contre le virus au niveau mondial, sans viser des intérêts partisans. En particulier, il est urgent d’apporter des réponses concrètes à ceux qui souffrent du chômage, qui touche de façon dramatique de nombreux pères de famille, des femmes et des jeunes. La solidarité sociale et la générosité dont beaucoup, grâce à Dieu, sont capables, combinées à des projets clairvoyants de promotion humaine, apportent et apporteront une contribution très importante à cet égard.

6. La question qui n’est en rien évidente reste toutefois ouverte : comment peut-on apporter une réponse tangible aux millions de pauvres qui trouvent souvent comme seule réponse l’indifférence quand ce n’est pas de l’agacement ? Quelle voie de justice faut-il emprunter pour que les inégalités sociales puissent être surmontées et que la dignité humaine, si souvent bafouée, soit rétablie ? Un mode de vie individualiste est complice de la pauvreté, et décharge souvent sur les pauvres toute la responsabilité de leur condition. Mais la pauvreté n’est pas le fruit du destin, elle est une conséquence de l’égoïsme. Il est donc essentiel de mettre en place des processus de développement qui valorisent les capacités de tous, pour que la complémentarité des compétences et la diversité des rôles conduisent à une ressource commune de participation. Beaucoup de pauvreté des “riches” qui pourrait être guérie par la richesse des “pauvres”, si seulement ils se rencontraient et se connaissaient ! Personne n’est si pauvre qu’il ne puisse pas donner quelque chose de lui-même dans la réciprocité. Les pauvres ne peuvent pas être seulement ceux qui reçoivent ; ils doivent être mis dans la condition de pouvoir donner, parce qu’ils savent bien comment le faire. Combien d’exemples de partage sont sous nos yeux! Les pauvres nous enseignent souvent la solidarité et le partage. C’est vrai, ces gens manquent de quelque chose, ils leur manquent souvent beaucoup et même du nécessaire, mais ils ne manquent pas de tout, parce qu’ils conservent leur dignité d’enfants de Dieu que rien ni personne ne peut leur enlever.

7. C’est pourquoi une approche différente de la pauvreté s’impose. C’est un défi que les Gouvernements et les Institutions mondiales doivent relever avec un modèle social tourné vers l’avenir, capable de faire face aux nouvelles formes de pauvreté qui touchent le monde et qui marqueront de manière décisive les décennies à venir. Si les pauvres sont mis en marge, comme s’ils étaient les responsables de leur condition, alors le concept même de la démocratie est mis en crise et chaque politique sociale devient défaillante. Nous devrions avouer avec une grande humilité que nous sommes souvent des incompétents devant les pauvres. On parle d’eux de manière abstraite, on s’arrête aux statistiques et on s’émeut devant quelque documentaire. La pauvreté, au contraire, devrait entraîner une conception créative, permettant d’accroître la liberté effective de pouvoir réaliser l’existence avec les capacités propres à chaque personne. C’est une illusion, dont il faut rester à l’écart, que de penser que la liberté s’obtient et grandit par le fait de posséder de l’argent. Servir efficacement les pauvres provoque l’action et permet de trouver les formes les plus appropriées pour relever et promouvoir cette partie de l’humanité trop souvent anonyme et sans voix, mais qui a imprimé en elle le visage du Sauveur qui demande de l’aide.

8. « Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous » (Mc 14, 7). C’est une invitation à ne jamais perdre de vue l’occasion qui se présente de faire le bien. En arrière-plan, on peut entrevoir l’ancien commandement biblique : « Se trouve-t-il chez toi un malheureux parmi tes frères […], tu n’endurciras pas ton cœur et tu ne fermeras pas la main à ton frère malheureux, mais tu lui ouvriras tout grand la main et lui prêteras largement de quoi suffire à ses besoins. […] Tu lui donneras largement, ce n’est pas à contrecœur que tu lui donneras. Pour ce geste, le Seigneur ton Dieu te bénira dans toutes tes actions et dans toutes tes entreprises. Certes, le malheureux ne disparaîtra pas de ce pays. Aussi je te donne ce commandement : tu ouvriras tout grand ta main pour ton frère quand il est, dans ton pays, pauvre et malheureux » (Dt 15, 7-8.10-11). Sur la même longueur d’onde, l’apôtre Paul exhorte les chrétiens de ses communautés à secourir les pauvres de la première communauté de Jérusalem et à le faire « sans regret et sans contrainte, car Dieu aime celui qui donne joyeusement » (2 Co 9, 7). Il ne s’agit pas d’alléger notre conscience en faisant quelque aumône, mais plutôt de s’opposer à la culture de l’indifférence et de l’injustice avec lesquelles on se place vis-à-vis des pauvres.

Dans ce contexte, il convient également de rappeler les paroles de saint Jean Chrysostome : « Celui qui est généreux ne doit pas demander des comptes sur la conduite, mais seulement améliorer la condition de pauvreté et satisfaire le besoin. Le pauvre n’a qu’une seule défense : sa pauvreté et la condition de besoin dans laquelle il se trouve. Ne lui demande rien d’autre. Mais que l’homme le plus mauvais du monde, s’il manque de la nourriture nécessaire, soit libéré de la faim. […] L’homme miséricordieux est un port pour ceux qui sont dans le besoin : le port accueille et libère du danger tous les naufragés ; qu’ils soient malfaiteurs, bons ou qu’ils soient en danger, le port les met à l’abri à l’intérieur de sa crique. Toi aussi, donc, quand tu vois un homme sur la terre qui a fait le naufrage de la misère, ne juge pas, ne lui demande pas compte de sa conduite, mais libère-le du malheur. » (Discours sur le pauvre Lazare, II, 5).

9. Il est décisif d’accroître notre sensibilité afin de comprendre les besoins des pauvres, toujours en mutation comme le sont les conditions de vie. Aujourd’hui, en effet, dans les régions du monde économiquement plus développées, on est moins disposé que par le passé à faire face à la pauvreté. L’état de bien-être relatif auquel on s’est habitué rend plus difficile l’acceptation des sacrifices et des privations. On est prêt à tout pour ne pas être privé de tout ce qui a été le fruit d’une conquête facile. On tombe ainsi dans des formes de rancune, de nervosité spasmodique, de revendications qui conduisent à la peur, à la détresse et, dans certains cas, à la violence. Ce n’est pas le critère sur lequel construire l’avenir; et pourtant, ce sont aussi des formes de pauvreté dont on ne peut détourner le regard. Nous devons être ouverts à lire les signes des temps qui expriment de nouvelles façons d’être évangélisateur dans le monde contemporain. L’assistance immédiate pour aller à la rencontre des besoins des pauvres ne doit pas empêcher d’être clairvoyant pour réaliser de nouveaux signes de l’amour et de la charité chrétienne, comme réponse aux nouvelles pauvretés que l’humanité d’aujourd’hui expérimente.

J’espère que la Journée mondiale des pauvres, qui en est à sa cinquième célébration, pourra s’enraciner de plus en plus au cœur de nos Églises locales et provoquer un mouvement d’évangélisation qui rencontre en premier lieu les pauvres là où ils se trouvent. Nous ne pouvons pas attendre qu’ils frappent à notre porte, il est urgent que nous les atteignions chez eux, dans les hôpitaux et les résidences de soins, dans les rues et les coins sombres où ils se cachent parfois, dans les centres de refuge et d’accueil… Il est important de comprendre ce qu’ils ressentent, ce qu’ils éprouvent et quels désirs ils ont dans leur cœur. Faisons nôtres les paroles pressantes de Don Primo Mazzolari: « Je vous prie de ne pas me demander s’il y a des pauvres, qui ils sont et combien ils sont, parce que je crains que de telles questions ne représentent une distraction ou un prétexte pour s’éloigner d’une indication précise de la conscience et du cœur. […] Je ne les ai jamais comptés, les pauvres, car on ne peut pas les compter : les pauvres s’embrassent, ils ne se comptent pas » (Adesso  n. 7,  15 avril 1949). Les pauvres sont au milieu de nous. Comme ce serait évangélique si nous pouvions dire en toute vérité : nous sommes pauvres, nous aussi, et c’est seulement de cette manière que nous réussissons à les reconnaître réellement et les rendre partie intégrante de notre vie et instrument de salut.

Donné à Rome, Saint Jean de Latran, 13 juin 2021, en la mémoire de Saint Antoine de Padoue.

DISCOURS DU PAPE FRANÇOIS À LA COMMUNAUTÉ DU COLLÈGE SAINT LOUIS DES FRANÇAIS Lundi, 7 juin 2021

Dans une société marquée par l’individualisme, l’affirmation de soi, la culture du rejet, l’indifférence, vous faites une belle expérience du vivre ensemble avec ses défis quotidiens.

DISCOURS DU PAPE FRANÇOIS À LA COMMUNAUTÉ DU COLLÈGE SAINT LOUIS DES FRANÇAIS Lundi, 7 juin 2021

Chers frères, je suis très heureux de vous accueillir et de vous rencontrer, membres de la communauté des prêtres de Saint Louis des Français. Je remercie le Recteur, Mgr Laurent Breguet, pour ses aimables paroles.

Dans une société marquée par l’individualisme, l’affirmation de soi, la culture du rejet, l’indifférence, vous faites une belle expérience du vivre ensemble avec ses défis quotidiens. Située au cœur de Rome, votre maison peut, par son témoignage de vie, communiquer aux personnes qui la fréquentent les valeurs évangéliques d’une fraternité responsable et solidaire de la souffrance de ceux qui traversent des moments difficiles. En effet, votre vie fraternelle et vos différents engagements doivent faire sentir la fidélité de l’amour de Dieu et sa proximité. Un signe, un signal.

En cette année consacrée à saint Joseph, je vous invite à redécouvrir le visage de cet homme de foi, de ce père tendre et de cet exemple de fidélité et d’abandon confiant au projet de Dieu. En fait, « la volonté de Dieu, son histoire, son projet, passent aussi à travers la préoccupation de Joseph. Joseph nous enseigne ainsi qu’avoir foi en Dieu comprend également le fait de croire qu’il peut agir à travers nos peurs, nos fragilités, notre faiblesse ».[1] Il n’y a pas besoin de mettre de côté les fragilités : elles sont un lieu théologique. Ma fragilité, celle de chacun de nous, est un lieu théologique de rencontre avec le Seigneur. Les prêtres “superman” finissent mal, tous. Le prêtre fragile, qui connait ses faiblesses et en parle avec le Seigneur, celui-là ira bien. Avec Joseph, nous sommes appelés à revenir à l’expérience des actes simples de l’accueil, de la tendresse, du don de soi.

Dans la vie communautaire, il y a toujours la tentation de créer des petits groupes fermés, de s’isoler, de critiquer et de parler mal des autres, de se croire supérieur, plus intelligent. Le commérage est une habitude des groupes fermés, une habitude aussi des prêtres qui deviennent vieux garçons. Ils vont, parlent, médisent : cela n’aide pas. Et cela nous guette tous, et cela ne va pas ! Il faut abandonner cette habitude et veiller à penser à la miséricorde de Dieu. Vivez en vous accueillant les uns les autres comme un don, une grâce. C’est seulement dans une fraternité vécue dans la vérité, la sincérité des relations et une vie de prière que nous pouvons former une communauté où se respire l’air de la joie et de la tendresse.

Apprenez à vivre ces moments précieux de partage et de prière communautaire dans une participation active, joyeuse. Aussi les moments de gratuité, de la rencontre gratuite… Le prêtre est un homme qui, à la lumière de l’Evangile, distille le goût de Dieu autour de lui et donne l’espérance aux cœurs troublés : il doit en être ainsi. Les études que vous faites dans les différentes universités romaines vous préparent à vos futures tâches de pasteurs, grandes ou humbles. Elles vous forgent à mieux apprécier la réalité dans laquelle vous devez annoncer l’Evangile de la joie. Cependant, vous n’allez pas sur le terrain pour appliquer les théories sans prendre en considération le milieu dans lequel vous êtes, ainsi que les personnes qui vous sont confiées. Soyez « des pasteurs avec ‘l’odeur de leurs brebis’ »[2], des personnes capables de vivre, de rire et de pleurer avec votre peuple, en bref de communier avec lui. Cela m’inquiète lorsque l’on fait des réflexions, des pensées sur le sacerdoce comme s’il s’agissait d’une chose de laboratoire : ce prêtre, cet autre prêtre… On ne peut pas réfléchir sur le sacerdoce hors du saint peuple de Dieu. Le sacerdoce ministériel est la conséquence du sacerdoce baptismal du saint peuple fidèle de Dieu. Il ne faut pas l’oublier. Si vous pensez à un sacerdoce isolé du peuple de Dieu, ce n’est pas le sacerdoce catholique, non, pas même chrétien. Dépouillez-vous de vous-mêmes, de vos idées préconçues, de vos rêves de grandeur, de votre auto-affirmation pour mettre Dieu et les personnes au centre de vos préoccupations quotidiennes. Pour mettre le saint peuple fidèle de Dieu au centre, il faut être pasteur. “Non je voudrais être seulement intellectuel, pas pasteur” : mais alors demande la réduction à l’état laïc, ce sera mieux pour toi, et fais l’intellectuel. Mais si tu es prêtre, sois pasteur. Tu feras le pasteur, il y a de multiples manières de le faire, mais toujours au milieu du peuple de Dieu. Ce que Paul rappelait à son disciple bien aimé : Souviens toi de ta mère, de ta grand-mère, qui sont du peuple, qui t’ont enseigné. Le Seigneur a dit à David : “Je t’ai choisi de derrière le troupeau”, de là.

Chers frères prêtres, je vous invite à élargir vos horizons, à rêver, à rêver d’une Eglise servante, d’un monde plus fraternel et solidaire. Et pour cela, comme acteurs, vous avez votre contribution à apporter. N’ayez pas peur d’oser, de risquer, d’aller de l’avant car vous pouvez tout avec le Christ qui vous donne la force (cf. Ph 4, 13). Soyez des apôtres de la joie en cultivant en vous la joie d’être au service de vos frères et de l’Eglise. Et avec la joie va aussi le sens de l’humour. Un prêtre qui n’a pas le sens de l’humour, ne convient pas. Quelque chose ne va pas. Imitez ces grands prêtres qui rient des autres, d’eux-mêmes et aussi de leur ombre : le sens de l’humour est une des caractéristiques de la sainteté, comme je l’ai signalé dans l’Exhortation apostolique sur la sainteté, Gaudete et exultate. Et cultivez en vous la gratitude d’être au service des frères et de l’Eglise.  Comme prêtres, vous avez été « oints avec l’huile de joie pour oindre avec l’huile de joie »[3]. Et c’est seulement en étant ancrés dans le Christ que vous pouvez faire l’expérience d’une joie qui vous pousse à conquérir les cœurs. La joie sacerdotale est la source de votre agir comme missionnaires de votre temps.

Enfin, je vous invite à cultiver la reconnaissance. La reconnaissance au Seigneur pour ce que vous êtes les uns pour les autres. Dans vos limites, vos fragilités, vos tribulations, il a toujours un regard d’amour posé sur vous et il vous fait confiance. La reconnaissance « est toujours une ‘‘arme puissante’’ »[4] qui nous permet de maintenir allumée la flamme de l’espérance dans les moments de découragement, de solitude et d’épreuves.

Confiant chacun de vous, vos familles, le personnel de votre maison, ainsi que les membres de la paroisse Saint Louis des Français à l’intercession de la Vierge Marie et à la protection de saint Louis, je vous accorde à tous de grand cœur la Bénédiction apostolique. S’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi, parce que j’en ai besoin. Cette charge n’est pas facile. Et dans les livres de spiritualité, il y a un chapitre – dans certains livres, mais je pense à saint Alphonse de Ligori et à tant d’autres – un chapitre sur un thème et ensuite un exemple. Et ils donnent un exemple de vie. Aujourd’hui, avant que vous soyez entrés, le Père Landousies m’a dit qu’à la fin de juin il laissera ce travail ici, à la Curie : il a été longtemps mon traducteur français. Mais je voudrais faire un résumé de sa personne. C’est un exemple. J’ai trouvé en lui le témoignage d’un prêtre heureux, d’un prêtre cohérent, un prêtre qui a été capable de vivre avec des martyrs déjà béatifiés – qu’il connaissait chacun – et aussi de vivre avec une maladie dont on ne savait pas ce qu’elle était, avec la même paix, avec le même témoignage. Et je profite de dire cela, publiquement, aussi devant l’Osservatore Romano, pour le remercier pour son témoignage qui, si souvent, m’a fait du bien. Sa manière d’être m’a fait du bien. Il s’en va, mais il va avoir un ministère à Marseille, et il fera beaucoup de bien avec cette capacité qu’il a d’accueillir tout le monde. Il laisse ici la bonne odeur du Christ, la bonne odeur d’un prêtre, d’un bon prêtre. Devant vous je lui dis merci, merci pour tout ce qu’il a fait.

[1] Lettre apostolique Patris corde, n. 2.

[2] Homélie, 28 mars 2013.

[3] Homélie, 17 avril 2014.

[4] Lettre aux prêtres à l’occasion des 160 ans de la mort de saint Jean-Marie Vianney, le Curé d’Ars, 4 août 2019.

Pour en savoir plus :

https://www.vatican.va/content/francesco/fr/events/event.dir.html/content/vaticanevents/fr/2021/6/7/sanluigi-deifrancesi.html

 

https://fr.zenit.org/2021/06/07/les-pretres-surhommes-finissent-mal-tous-fait-observer-le-pape-francois-traduction-complete/

Pentecôte – B (Jean 20,19-23). » OUVERTS À L’ESPRIT »

Ils ne parlent pas beaucoup. Ils ne se font pas remarquer. Leur présence est modeste et discrète, mais ils sont le «sel de la terre». Tant qu’il y aura dans le monde des femmes et des hommes attentifs à l’Esprit de Dieu, il sera possible d’espérer encore. Ils sont le plus beau cadeau pour une Église menacée par la médiocrité spirituelle.

Pentecôte – B (Jean 20,19-23). » OUVERTS À L’ESPRIT »

Ils ne parlent pas beaucoup. Ils ne se font pas remarquer. Leur présence est modeste et discrète, mais ils sont le «sel de la terre». Tant qu’il y aura dans le monde des femmes et des hommes attentifs à l’Esprit de Dieu, il sera possible d’espérer encore. Ils sont le plus beau cadeau pour une Église menacée par la médiocrité spirituelle.

Leur influence ne vient pas de ce qu’ils font ou de ce qu’ils disent ou écrivent, mais d’une réalité plus profonde. On les trouve retirés dans les monastères ou cachés au milieu des gens. Ils ne se distinguent pas par leur activité et pourtant ils rayonnent une énergie intérieure partout où ils se trouvent.

Ils ne vivent pas d’apparences. Leur vie jaillit du plus profond de leur être. Ils vivent en harmonie avec eux-mêmes, attentifs à faire coïncider leur existence avec l’appel de l’Esprit qui les habite. Sans s’en rendre compte eux-mêmes, ils sont le reflet du Mystère de Dieu sur terre.

Ils ont des défauts et des limites. Ils ne sont pas immunisés contre le péché. Mais ils ne se laissent pas absorber par les problèmes et les conflits de la vie. Ils retournent sans cesse au plus profond de leur être. Ils s’efforcent de vivre en présence de Dieu. Celui-ci est le coeur et la source qui unifie leurs désirs, leurs paroles et leurs décisions.

Il suffit d’entrer en contact avec eux pour prendre conscience de la dispersion et de l’agitation qui règnent au dedans de nous. Auprès d’eux, il est facile de percevoir le manque d’unité intérieure, le vide et la superficialité de nos vies. Ils nous font découvrir des dimensions que nous ignorons.

Ces hommes et ces femmes ouverts à l’Esprit sont une source de lumière et de vie. Leur influence est cachée et mystérieuse. Ils établissent avec les autres une relation qui est née de Dieu. Ils vivent en communion avec des personnes qu’ils n’ont jamais vues. Ils aiment avec tendresse et compassion des personnes qu’ils ne connaissent pas. Dieu les fait vivre en union profonde avec toute la création.

Au milieu d’une société matérialiste et superficielle, qui disqualifie et maltraite tant les valeurs de l’esprit, je veux évoquer ces hommes et ces femmes «spirituels». Ils nous rappellent la plus grande aspiration du coeur humain et la Source ultime où toute soif est étanchée.

José Antonio Pagola
Traducteur: Carlos Orduna