Rencontre avec les prêtres, les consacrés et les séminaristes. Discours du Saint Père. Santiago de Chili, 16 janvier 2018

Voyage apostolique du Pape François au Chili

Rencontre avec les prêtres, les consacrés et les séminaristes

DISCOURS DU SAINT-PÈRE

Cathédrale de Santiago du Chili, mardi 16 janvier 2018

Chers frères et sœurs, bon soir, Je me réjouis de pouvoir partager cette rencontre avec vous. J’ai apprécié la façon dont le Cardinal Ezzati progressait en vous présentant : ici il y a, ici il y a… les consacrées, les consacrés, les prêtres, les diacres permanents, les séminaristes, ils sont ici… Me vient à la mémoire le jour de notre ordination ou de notre consécration quand, après la présentation, nous disions : « Me voici Seigneur pour faire ta volonté ». Au cours de cette rencontre, nous voulons dire au Seigneur : « nous voici » pour renouveler notre oui. Nous voulons renouveler ensemble la réponse à l’appel qui un jour a secoué notre cœur.

Et pour ce faire, je crois que cela peut nous aider de partir du passage de l’Évangile que nous avons écouté et de partager trois moments connus par Pierre et par la première communauté : Pierre/la communauté abattue, Pierre/la communauté bénéficiaire de miséricorde et Pierre / la communauté transfigurée. Je fais jouer ce binôme Pierre-communauté parce que l’expérience des apôtres relève toujours de ce double aspect, l’un personnel et l’autre communautaire. Ils vont de pair et nous ne pouvons pas les séparer. Nous sommes certes appelés personnellement, mais toujours à faire partie d’un groupe plus grand. Le selfie vocationnel n’existe pas, il n’existe pas. La vocation exige que la photo te soit prise par un autre ; on n’y peut rien ! Les choses sont ainsi.

1. Pierre abattu, la communauté abattue

J’apprécie toujours le style des Évangiles qui ne décore pas ni n’embellit pas les évènements, et ne les dépeint pas plus beaux. Il nous présente la vie comme elle vient et non comme il faudrait qu’elle soit. L’Évangile ne craint pas de nous présenter les moments difficiles, et même conflictuels que les disciples ont traversés.

Recomposons la scène. Ils avaient tué Jésus ; certaines femmes disaient qu’il était vivant (Lc 24, 22-24). Même si elles ont vu Jésus Ressuscité, l’évènement est si fort que les disciples auront besoin de temps pour comprendre ce qui s’est passé. Luc dit : “leur joie était telle qu’ils ne pouvaient pas croire”. Il leur faudra du temps pour comprendre ce qu’il leur est arrivé. Compréhension qui leur viendra à la Pentecôte, avec l’envoi de l’Esprit Saint. L’apparition du Ressuscité prendra du temps pour trouver une place dans le cœur des siens.

Les disciples retournent à leurs lieux d’origine. Ils vont faire ce qu’ils savent faire : pêcher. Non pas tous, seuls quelques-uns. Divisés ? Dispersés ? Nous ne le savons pas. Ce que nous disent les Écritures, c’est qu’ils n’ont rien pêché. Les filets sont vides.

Cependant il y avait un autre vide qui pesait inconsciemment sur eux : le désarroi et le trouble à cause de la mort de leur Maître. Il n’est plus, il a été crucifié. Cependant ce n’était pas seulement lui qui a été crucifié, mais eux aussi, parce que la mort de Jésus a mis en évidence un tourbillon de conflits dans le cœur de ses amis. Pierre l’a renié, Judas l’a trahi, les autres ont fui et se sont cachés. Seule une poignée de femmes et le disciple bien-aimé sont restés. Les autres s’en sont allés. En l’espace de quelques jours, tout s’est effondré. Ce sont les heures de désarroi et de trouble dans la vie du disciple. Dans les moments « où la poussière des persécutions, des épreuves, des doutes, etc. est soulevée par les évènements culturels et historiques, il n’est pas facile trouver le chemin à suivre. Il existe diverses tentations propres à ces moment-là : agiter des idées, ne pas prêter l’attention adéquate au problème, faire trop de cas des persécuteurs… Et il me semble que la pire de toutes les tentations, c’est de rester là à ruminer le chagrin » (Jorge M. Bergoglio, Las cartas de la tribulación, 9, Ed. Diego de Torres, Buenos Aires 1987.). Oui, rester là à ruminer le chagrin. Et c’est ce qui est arrivé aux disciples.

Comme nous le disait le Cardinal Ezzati, « la vie sacerdotale et la vie consacrée au Chili ont traversé et traversent des heures difficiles de turbulences et des difficultés non négligeables. Parallèlement à la fidélité de l’immense majorité, l’ivraie du mal s’est développée avec son cortège de scandale et d’abandon ».

Moment de turbulences. Je connais la douleur qu’ont signifiée les cas d’abus commis sur des mineurs et je suis de près ce que l’on fait pour surmonter ce grave et douloureux mal. Douleur pour le mal et la souffrance des victimes et de leurs familles, qui ont vu trahie la confiance qu’elles avaient placée dans les ministres de l’Église. Douleur pour la souffrance des communautés ecclésiales, et douleur pour vous, frères, qui, en plus de l’épuisement dû à votre dévouement, avez vécu la souffrance qu’engendrent la suspicion et la remise en cause, ayant pu provoquer chez quelques-uns ou plusieurs le doute, la peur et le manque de confiance. Je sais que parfois vous avez essuyé des insultes dans le métro ou en marchant dans la rue, qu’être « habillé en prêtre » dans beaucoup d’endroits se « paie cher ». C’est pourquoi je vous invite à ce que nous demandions à Dieu de nous donner la lucidité d’appeler la réalité par son nom, le courage de demander pardon et la capacité d’apprendre à écouter ce que le Seigneur est en train de nous dire, et ne pas ruminer le chagrin.

J’aimerais ajouter en outre un autre aspect important. Nos sociétés sont en train de changer. Le Chili d’aujourd’hui est bien différent de celui que j’ai connu dans ma jeunesse, quand je me formais. Sont en train de naître de nouvelles et différentes formes culturelles qui ne cadrent pas avec les repères connus. Et il faut reconnaître que, souvent, nous ne savons pas comment nous insérer dans ces nouvelles circonstances. Souvent, nous rêvons des « oignons d’Égypte » et nous oublions que la terre promise est devant, pas derrière. Que la promesse date d’hier mais est faite pour l’avenir. Et nous pouvons donc céder à la tentation de nous enfermer et de nous isoler pour défendre nos approches qui finissent par devenir rien de plus que de bons monologues. Nous pouvons être tentés de penser que tout va mal, et au lieu d’annoncer une « bonne nouvelle », la seule chose que nous annonçons, c’est l’apathie et la désillusion. Ainsi nous fermons les yeux face aux défis pastoraux en croyant que l’Esprit n’aurait rien à dire. Ainsi nous oublions que l’Évangile est un chemin de conversion, non seulement pour « les autres », mais pour nous aussi.

Que cela nous plaise ou pas, nous sommes invités à affronter la réalité telle qu’elle se présente à nous. La réalité personnelle, communautaire et sociale. Les filets –affirment les disciples- sont vides, et nous pouvons comprendre les sentiments que cela génère. Ils reviennent à la maison sans grandes aventures à raconter ; ils reviennent à la maison les mains vides ; ils reviennent à la maison, abattus.

Que reste-t-il de ces disciples forts, enthousiastes, qui se donnaient des airs, qui se sentaient choisis et qui avaient tout quitté pour suivre Jésus ? (cf. Mc 1, 16-20) ; que reste-t-il de ces disciples sûrs d’eux-mêmes prêts à aller en prison et qui iraient jusqu’à donner leur vie pour leur Maître (cf. Lc 22, 33), et qui pour le défendre voulaient faire descendre du feu sur la terre (cf. Lc 9, 54) ; pour lequel ils dégaineraient l’épée et combattraient ? (cf. Lc 22, 49-51), que reste-t-il du Pierre qui apostrophait son Maître sur la manière dont celui-ci devrait gérer sa vie et sur son programme de rédemption ? Le chagrin (cf. Mc 8, 31-33).

2. Pierre bénéficiaire de miséricorde, la communauté bénéficiaire de miséricorde

C’est l’heure de vérité dans la vie de la première communauté. C’est l’heure où Pierre a été confronté à une partie de lui-même. À la partie de sa vérité que tant de fois il n’a pas voulu voir. Il a fait l’expérience de ses limites, de sa fragilité, de son être de pécheur. Pierre, l’homme de tempérament, le chef impulsif et sauveur, avec une bonne dose d’autosuffisance et un excès de confiance en lui-même ainsi qu’en ses capacités, a dû accepter sa faiblesse et son péché. Il était aussi pécheur que les autres, il était aussi démuni que les autres, il était aussi fragile que les autres. Pierre a déçu celui qu’il avait promis de protéger. Heure cruciale dans la vie de Pierre.

Comme disciples, comme Église, la même chose peut nous arriver : il existe des moments où nous ne nous retrouvons pas devant nos exploits, mais devant notre faiblesse. Heures cruciales dans la vie des disciples, pourtant c’est en ces heures que naît l’apôtre. Laissons-nous guider par le texte.

« Quand ils eurent mangé, Jésus dit à Simon-Pierre : “Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment plus que ceux-ci ?” » (Jn 21, 15).

Après le repas, Jésus invite Pierre à faire un tour et l’unique parole est une interrogation, une interrogation d’amour : M’aimes-tu ? Jésus ne s’oriente pas vers la réprimande ni vers la condamnation. La seule chose qu’il veut faire, c’est de sauver Pierre. Il veut le sauver du danger de rester enfermé dans son péché, de rester là à ‘‘ruminer’’ le chagrin, fruit de ses limites ; le sauver du risque de laisser s’effondrer, à cause de ses limites, tout ce qu’il avait vécu de bien avec Jésus. Jésus veut le sauver de l’enfermement et de l’isolement. Il veut le sauver de cette attitude destructrice qui consiste à se faire passer pour une victime, ou au contraire, à tomber dans un « toujours le même » et qui, au bout du compte, finit par édulcorer n’importe quel engagement avec le relativisme le plus nocif. Il veut le libérer du fait de considérer celui qui s’oppose à lui comme un ennemi, ou de ne pas accepter avec sérénité les contradictions ou les critiques. Il veut le libérer de la tristesse et spécialement de la mauvaise humeur. Avec cette question, Jésus invite Pierre à écouter son cœur et à apprendre à discerner. Car « ce n’est pas le propre de Dieu de défendre la vérité au détriment de la charité, ni la charité aux dépens de la vérité, ou l’équilibre au détriment des deux, il faut discerner. Jésus veut éviter que Pierre ne devienne un vrai destructeur, ou un menteur charitable ou une personne perplexe paralysée » (cf. Ibid.), comme cela peut nous arriver dans ces situations.

Jésus a interrogé Pierre sur son amour et il a insisté auprès de lui jusqu’à ce qu’il puisse lui donner une réponse réaliste : « Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime » (Jn 21, 17). C’est ainsi que Jésus l’a confirmé dans sa mission. C’est ainsi qu’il devient définitivement son apôtre.

Qu’est-ce qui consolide Pierre comme apôtre ? Qu’est-ce qui nous maintient apôtres ? Une seule chose : « nous avons été traités avec miséricorde », « nous avons été traités avec miséricorde » (1 Tm 1, 12-16). « Au cœur de nos péchés, de nos limites, de nos misères ; au milieu de nos nombreuses chutes, Jésus Christ nous a vus, il s’est approché, il nous a donné sa main et nous a traités avec miséricorde. Chacun d’entre nous pourrait en faire mémoire, en repensant à toutes les fois où le Seigneur l’a vu, l’a regardé, s’est approché et l’a traité avec miséricorde » (Message Vidéo au CELAM à l’occasion du Jubilé extraordinaire de la Miséricorde sur le Continent américain, 27 août 2016). Je vous invite à le faire. Nous ne sommes pas ici parce que nous serions meilleurs que les autres. Nous ne sommes pas des superhéros qui, de leur hauteur, descendent pour rencontrer des « mortels ». Mais plutôt, nous sommes envoyés avec la conscience d’être des hommes et des femmes pardonnés. Et c’est la source de notre joie. Nous sommes consacrés, pasteurs à la manière de Jésus blessé, mort et ressuscité. Le consacré – et quand je dis consacrés je veux dire tous ceux qui sont ici – est celui qui trouve dans ses blessures les signes de la Résurrection. Il est celui qui peut voir dans les blessures du monde la force de la Résurrection. Il est celui qui, à la manière de Jésus, ne va pas à la rencontre de ses frères avec le reproche et la condamnation.

Jésus Christ ne se présente pas aux siens sans ses blessures ; précisément c’est grâce à ses blessures que Thomas peut confesser sa foi. Une Église avec des blessures est capable de comprendre les blessures du monde d’aujourd’hui, et de les faire siennes, de les porter en elle-même, d’y prêter attention et de chercher à les guérir. Une Église avec des blessures ne se met pas au centre, ne se croit pas parfaite, mais elle place au centre le seul qui peut guérir les blessures et qui a pour nom : Jésus Christ.

La conscience d’être nous-mêmes blessés nous libère ; oui, elle nous libère du risque de devenir autoréférentiels, de nous croire supérieurs. Elle nous libère de cette tendance « prométhéenne de ceux qui, en définitive, font confiance uniquement à leurs propres forces et se sentent supérieurs aux autres parce qu’ils observent des normes déterminées ou parce qu’ils sont inébranlablement fidèles à un style catholique justement propre au passé » (Exhort. ap. Evangelii Gaudium, n.94).

En Jésus, nos blessures sont ressuscitées. Elles nous rendent solidaires ; elles nous aident à détruire les murs qui nous enferment dans une attitude élitiste pour nous encourager à construire des ponts et aller à la rencontre de tant de personnes assoiffées du même amour miséricordieux que seul Christ peut nous offrir. Que de fois « rêvons-nous de plans apostoliques, expansionnistes, méticuleux et bien dessinés, typiques des généraux défaits ! Ainsi nous renions notre histoire d’Église, qui est glorieuse en tant qu’elle est histoire de sacrifices, d’espérance, de lutte quotidienne, de vie dépensée dans le service, de constance dans le travail pénible, parce que tout travail est accompli à la sueur de notre front » (Ibid., n.96). Je vois avec une certaine préoccupation qu’il existe des communautés qui vivent, mues plus par le découragement de ne plus être à l’affiche, par le souci d’occuper les espaces, de paraître et de se montrer, que par celui de se retrousser les manches et de sortir afin de toucher la réalité difficile de notre peuple fidèle.

Qu’elle est lourde d’interrogation, la réflexion de ce saint chilien qui faisait remarquer : « Elles seront, en effet, fausses méthodes toutes celles qui seraient imposées en raison de l’uniformité ; toutes celles qui prétendent nous conduire à Dieu en nous faisant perdre de vue nos frères ; toutes celles qui nous font fermer les yeux sur l’univers, au lieu de nous apprendre à les ouvrir pour tout élever vers le Créateur de tout être ; toutes celles qui rendent égoïstes et nous conduisent à nous replier sur nous-mêmes » (San Alberto Hurtado, Discurso a jóvenes de la Acción Católica, 1943).

Le peuple de Dieu n’attend pas de nous ni nous demande que nous soyons des superhéros, il veut des pasteurs, des hommes et des femmes consacrés, qui aient de la compassion, qui sachent tendre la main, qui sachent s’arrêter devant la personne à terre et, comme Jésus, qui aident à sortir de cette obsession de « ruminer » le chagrin qui empoisonne l’âme.

3. Pierre transfiguré, la communauté transfigurée

Jésus invite Pierre à discerner et, ainsi, commencent à prendre force de nombreux évènements de la vie de Pierre, comme le geste prophétique du lavement des pieds. Pierre, lui qui a résisté avant de se laisser laver les pieds, commence à comprendre que la véritable grandeur passe par le fait de se faire petit et serviteur (« Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous » [Mc. 9,35]).

Quelle pédagogie de la part de notre Seigneur ! Du geste prophétique de Jésus à l’Église prophétique qui, lavée de son péché, n’a pas peur de sortir pour servir une humanité blessée.

Pierre a connu dans sa chair la blessure non seulement du péché, mais aussi de ses propres limites et faiblesses. Pourtant il a découvert en Jésus que ses blessures peuvent être un chemin de Résurrection. Connaître Pierre abattu pour connaître Pierre transfiguré est l’invitation à passer d’une Église de personnes abattues en proie au chagrin à une Église servante des nombreuses personnes abattues qui se trouvent à nos côtés. Une Église capable de se mettre au service de son Seigneur en celui qui a faim, en celui qui est prisonnier, en celui qui a soif, en celui qui est expulsé, en celui qui est nu, en celui qui est malade… (Mt 25, 35). Un service qui ne s’identifie pas à de l’assistanat ou à du paternalisme, mais à une conversion du cœur. Le problème n’est pas seulement de donner à manger au pauvre, ou de vêtir celui qui est nu, ou d’être aux côtés de celui qui est malade, mais de considérer que le pauvre, la personne nue, le malade, le prisonnier, la personne expulsée sont dignes de s’asseoir à nos tables, de se sentir « à la maison » parmi nous, de se sentir en famille. C’est le signe que le Royaume des Cieux est parmi nous. C’est le signe d’une Église qui a été blessée par son péché, a obtenu miséricorde da la part de son Seigneur, et qui est devenue prophétique par vocation.

Redevenir prophétique, c’est renouveler notre engagement à ne pas vouloir un monde idéal, une communauté idéale, un disciple idéal pour vivre ou pour évangéliser, mais c’est créer les conditions afin que chaque personne abattue puisse rencontrer Jésus. On n’aime pas les situations ni les communautés idéales, on aime les personnes.

La reconnaissance sincère, douloureuse et priante de nos limites, loin de nous éloigner de notre Seigneur, nous permet de revenir vers Jésus en sachant qu’il « peut toujours, avec sa nouveauté, renouveler notre vie et notre communauté, et même si la proposition chrétienne traverse des époques d’obscurité et de faiblesses ecclésiales, elle ne vieillit jamais… Chaque fois que nous cherchons à revenir à la source pour récupérer la fraîcheur originale de l’Évangile, surgissent des voies nouvelles, des méthodes créatives, d’autres formes d’expression, des signes plus éloquents, des paroles chargées de sens renouvelé pour le monde d’aujourd’hui » (Exhort. ap. Evangelii Gaudium, n.11). Que cela nous fait du bien à nous tous de laisser Jésus renouveler nos cœurs !

Quand je commençais cette rencontre, je vous disais que nous venions pour renouveler notre oui, avec enthousiasme, avec passion. Nous voulons renouveler notre oui, mais un oui réaliste, parce qu’il est soutenu par le regard de Jésus. Je vous invite à faire dans votre cœur, quand vous serez rentrés chez vous, une espèce de testament spirituel, à la manière du Cardinal Raul Silva Henriquez. Cette belle prière qui commence en disant :

« L’Église que j’aime est la Sainte Église de chaque jour… la tienne, la mienne, la Sainte Église de chaque jour…

Jésus Christ, l’Évangile, le pain, l’Eucharistie, le Corps du Christ humble chaque jour. Avec des visages de pauvres et des visages d’hommes et de femmes qui chantaient, qui luttaient, qui souffraient. La Sainte Église de chaque jour ».

Je te demande : Comment est l’Église que tu aimes ? Aimes-tu cette Église blessée qui trouve la vie dans les plaies de Jésus ?

Merci pour cette rencontre. Merci pour l’opportunité de renouveler avec vous le « Oui ». Que Notre-Dame du Carmel vous couvre de son manteau.

Et s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi.

Pape François 🔸

Le peuple de Dieu n’attend pas de nous ni nous demande que nous soyons des superhéros, il veut des pasteurs, des hommes et des femmes consacrés, qui aient de la compassion, qui sachent tendre la main, qui sachent s’arrêter devant la personne à terre et, comme Jésus, qui aident à sortir de cette obsession de « ruminer » le chagrin qui empoisonne l’âme.

Pape François
Explications :

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Quitter une mission

Quitter une mission

Il m’est demandé de faire un bilan de mes missions auprès des jeunes collégiens et lycéens que j’ai vécues avec Eric Ravoux durant 8 ans. C’est une belle occasion de faire le point ainsi qu’une aide pour tourner une belle page de vie. Je parlerai parfois en « je » parfois en « nous » car cette mission a vraiment été portée à deux, il est donc difficile de dissocier le perso du commun. Cela n’empêchera pas Eric de continuer à faire écho de cette mission qu’il continue actuellement.

J’ai régulièrement relaté nos missions via de petites publications sur nos sites CM. Ces 8 ans passés à sillonner la France et ensuite la Belgique sont l’occasion d’actions de grâce pour tout ce qui m’a été donné de vivre. Je voudrais évoquer quelques points forts avant de poser quelques réflexions sur le monde des jeunes.

  • Action de grâce pour une mission que je n’ai pas choisie ! Ce sont les Filles de la Charité qui en 2009 sont venus nous chercher, Eric et moi, en tant que responsables des vocations, pour témoigner auprès des jeunes de notre fondateur. A l’époque on s’engageait dans le jubilé des 350 ans de la mort de st Vincent et ste Louise. Il est bon de recevoir une mission en faisant confiance à l’Esprit pour arriver malgré mes limites à faire quelques petits profits.
  • Action de grâce pour une mission partagée. Je ne sais pas travailler seul, j’ai besoin d’un stimulant via une équipe pour aller de l’avant. Avec Eric nous avons vécu ce binôme comme une bénédiction. Régulièrement nous nous le disions car il est bon de repérer ce que le Seigneur nous donne de vivre. Un de mes formateurs du séminaire interne me disait « rendre grâce pour une grâce reçue est une ouverture à une nouvelle grâce ». Dans cette vie communautaire réduite à sa plus simple expression, j’ai pu vivre ces temps fraternels que l’on espère trouver lorsque nous nous engageons dans une congrégation religieuse. C’est toujours un défi de partager une vie commune, surtout à deux, particulièrement les 4 dernières années dans un treize mètres carrés (nous étions souvent en camping-car). Cela demande des ajustements réciproques mais cela donne un bon équilibre de vie pour gérer notre besoin relationnel, surtout que notre mode de vie ne laissait guère de place à des relations régulières avec d’autres personnes (sur un an, nous étions grosso modo à la communauté que deux à trois mois. Le reste du temps sur les routes !)
  • Actions de grâce pour ce mode de vie qu’est l’itinérance… avec tout le confort et la sécurité nécessaire pour pouvoir la vivre paisiblement. Cela donne une autre vision de notre passage sur cette Terre. Ça aide beaucoup à ne pas s’attacher aux choses et à prendre conscience que je n’ai pas besoin de grand-chose pour vivre. C’est un très bon moyen pour vivre le détachement.
  • Action de grâce pour les partenariats avec les directeurs d’établissements qui nous ont appelés pour vivre ces temps forts avec les élèves. Et par extension la rencontre avec les communautés éducatives où j’ai pu vivre de belles rencontres tant avec des profs qu’avec des personnes de l’OGEC ou autres. La vie se révèle dans les rencontres que nous faisons. Des liens se tissent et des bouts d’histoires s’écrivent.
  • Action de grâce pour cette mission soutenue par nos Visiteurs, qui ont su voir l’intérêt de notre présence auprès des jeunes pour annoncer cette présence de Dieu en nos vies.
  • Action de grâce enfin pour tous ces jeunes rencontrés. En moyenne nous rencontrions un peu plus de 10 000 jeunes par an. Bien sûr, le cadre était très particulier et court dans le temps (deux heures par classes, une fois par an !). Cela n’a pas empêché de découvrir cette jeunesse et d’avoir de bons échanges avec eux sur le sens de la vie et sur les questions qu’ils se posent.

 

Quelques constats

 

  • Il est frappant de constater que les jeunes ont très peu l’occasion de se poser les questions du sens de la vie. Ils sont tellement matraqués par notre société de consommation via les publicités pour qu’ils ne soient que des consommateurs qu’ils n’ont pas le souci de leur devenir.
  • Ils sont les premières victimes d’une société très « critiqueuse ». Pris par le fantasme de la perfection, on ne regarde que ce qui ne va pas et on appui lourdement dessus, comme si insister sur les mauvaises notes a déjà fait progresser quelqu’un !! La grande conséquence est une très faible estime d’eux-mêmes et un très grand manque de confiance (éléments essentiels pour sa propre réussite). C’est toute la question de la foi… ne serait-ce que la foi en eux-mêmes.
  • Ils sont très sensibles à tout ce qui est justice. Et d’une manière plus large dès que nous creusons un peu leurs attentes profondes qui évoquent leurs valeurs, il est aisé de constater qu’ils ont toute une richesse de valeurs en eux. Le défi est de la mettre en acte.
  • Notre système éducatif, focalisant principalement sur le cognitif, ne permet pas aux jeunes de découvrir leurs capacités réelles, leur intelligence première, ni ne sait trop les accompagner sur leurs rêves et attentes. Il y aurait grand intérêt à leur faire expérimenter bien des situations de travail ou des domaines qu’ils ne connaissent pas afin qu’ils puissent mieux se connaitre et ainsi mieux s’orienter.
  • Sur le plan culturel c’est vraiment le désert religieux ! le laïcisme continue à faire le rouleau compacteur. Cela nous demande d’adapter notre vocabulaire pour évoquer toute notion religieuse ou sacrée. C’est aussi accepter d’entendre des propos qui pourraient heurter mais qui sont simplement le fruit d’une non connaissance.
  • Ne connaissant rien dans ce domaine ils peuvent être bien disposés à découvrir le monde spirituel. Il nous faut simplement commencer par les B A BA !
  • La posture missionnaire demande de savoir accueillir d’une manière inconditionnelle leurs réactions, leurs réflexions et leurs questions sans aucun apriori pour éviter la fermeture de la rencontre. Une fois que l’on sait que leur comportement n’est pas pour agresser mais simple curiosité, il est possible de leur donner à voir ce que peut être l’Eglise et le monde du religieux.

Notre travail de missionnaire était principalement de susciter un questionnement sur leur vie, de témoigner de notre parcours vocationnel, l’importance de Dieu en nos vies et notre vie de prière, pour leur donner envie d’être des curieux de la vie. Mais le réel défi est dans la pastorale quotidienne via toute la communauté éducative des établissements. Car donner envie est une bonne chose, ça peut être l’occasion de se mettre en route, encore faut-il qu’il y ait un accompagnement pour aller plus loin sur le chemin. C’est ce point de collaboration et d’articulation qui est parfois ténu dans ce style de mission. Pour y pallier il y a eu des rencontres d’adultes pour des temps de présentation du charisme vincentien ou de réflexion sur la relation à avoir avec les élèves. C’est un début de réponse, il y a à le poursuivre pour réellement vivre en collaboration le travail des missionnaires itinérants et les missionnaires qui restent dans l’établissement car bien évidemment c’est tout baptisé qui se doit d’être missionnaire !

Vincent GOGUEY, CM 🔸

Notre travail de missionnaire était principalement de susciter un questionnement sur leur vie, de témoigner de notre parcours vocationnel, l’importance de Dieu en nos vies et notre vie de prière, pour leur donner envie d’être des curieux de la vie. Mais le réel défi est dans la pastorale quotidienne via toute la communauté éducative des établissements.

Vincent Goguey

Villepreux, en marge ou au centre ?

 

Villepreux, en marge ou au centre ?

Une réflexion dans le cadre de la célébration du 4e centenaire

 

Associations Internationales des Charités, Congrégation de la Mission, et par répercussion Compagnie des Filles de la charité entrent en centenaire, le quatrième du genre, celui de leur intuition. Toute la Famille Vincentienne se réjouit et les projets succèdent aux projets.

De mémoire d’homme, on a déjà vécu le tricentenaire de la mort (1960) et le quadri-centenaire de la naissance (1981) de st Vincent de Paul. L’expérience montre qu’il faut célébrer pour mieux agir, en l’occurrence pour parfaire service et évangélisation. La mémoire, elle, est servante de l’inspiration de Monsieur Vincent. Pas à pas il découvre l’urgence de sa vie, faire connaître Dieu à ceux qui n’ont pas ce bonheur par le message évangélique. C’est nous qui établissons des repères et localisons pour mieux commémorer et n’oublier personne. Il n’est pas question de contester ce que les faits imposent et les manières dont nous les utilisons pour redorer le blason vincentien et relancer la vocation qui nous est commune et que nous voudrions rendre plus attractive et voir adopter par un plus grand nombre de femmes et d’hommes.

Mais depuis l’annonce de ces festivités, une question taraude mon esprit à laquelle j’ai déjà fait allusion en débutant ce propos, quelle  est la vision unificatrice de la pensée et de l’action de st Vincent ? Par quoi est-il habité au point que cette passion soit le fil rouge de sa vie ? Quel est son  dessein fondamental, en un mot à la mode en France, quelle est sa synthèse ? Existe-il en conséquence un lieu porteur de ce dessein? Ne gagnerions-nous pas à être plus unifiant et significatif ?

 

Prémices

Les commencements parisiens de Vincent Depaul sont instructifs ; très modeste distributeur d’aumônes de la Reine Margot grâce à quelques contacts bien placés, les gascons aidant, il connait un certain désœuvrement et une situation financière mauvaise, l’acquisition de l’abbaye st Léonard de Chaumes, s’étant révélée à perte. Cette impasse le sauve. Bon prêtre, il erre cherchant confusément son chemin sacerdotal. On connaît l’épisode de la tentation contre la foi. Sa générosité le tire de cette nuit de la foi et le pousse à trouver son véritable équilibre spirituel. Pendant cette période aussi difficile que salutaire, il se tourne vers l’Oratoire qui débute à Paris autour du Père de Bérulle, futur Cardinal. Les mots sont indicatifs chez Abelly : préparation du terrain, retrait du monde, accompagnement spirituel, appel de l’Eglise, mise à l’épreuve du temps car on s’attarde toujours trop peu sur ces deux années, années de germination et de maturation. Fuite en avant ? Plus probablement, mise à exécution des conseils de Bérulle. (Abelly Livre I, Chap. VII, p. 24-25. Cf. Document Texte A).

Survient de la part du supérieur de l’Oratoire,  une proposition alléchante, la charge de précepteur des enfants d’Emmanuel de Gondi, le général es Galères. On ne refuse pas pareille situation quand il reste encore des bouffées d’avancement. (Abelly Livre I, Chap. VII, p. 27-29. Document – Texte B)

Philippe-Emmanuel de Gondi, fils d’Albert de Gondi et de Catherine de Clermont, est petit-fils d’un florentin devenu banquier à Lyon ; il peut se présenter baron du Plessis-Écouis  (à l’Est de Rouen), comte de Joigny, au sud-est de Sens. Il devient Général des Galères à la mort de son Père et il fait aussi marquis des Îles d’Or (Hyères), baron de Montmirail (Champagne, sud-ouest d’Épernay), de Dampierre (département actuel de l’Aube, Champagne), et de Villepreux, à l’ouest de Versailles.  C’est au titre de Baron du Plessis qu’il fait nommer Vincent curé de Gamaches puis chanoine d’Écouis. En effet, les seigneurs même laïcs ont charge d’âmes et peuvent avoir juridiction ecclésiastique sur les abbayes et paroisses. Bien qu’en possession de nombreux domaines, Philippe-Emmanuel ne sait pas gérer sa fortune et se trouve souvent criblé de dettes. Après la mort de sa femme, il entrera à l’Oratoire, y sera ordonné prêtre et mourra le 29 juin 1662.

Il épouse Françoise-Marguerite de Silly. Celle-ci, descendante  par sa mère, du grand Raoul de Lannoy, seigneur de Folleville, au sud-est d’Amiens, est Dame de Folleville, avec Paillart, Sérévillers et Gannes, dans l’Amiénois, et par son père, Antoine de Silly, elle est aussi damoiselle de Commercy et souveraine d’Euville, en Lorraine, sur la Meuse. À partir de 1617 elle participe aux missions et aux Charités avec saint Vincent (XIII, 444, 466, 483), et meurt à la tâche le 23 juin 1625, deux moins après la fondation de la Mission, le 17 avril.

Ce couple du milieu dévot a trois enfants Pierre, Henri et le fameux François-Paul, futur cardinal de Retz qui naît en septembre 1613. Ils logent soit à Paris, rue des Petits-Champs, puis rue Pavée, soit dans un de leurs nombreux châteaux: Joigny, Montmirail, Folleville, Villepreux. Là, Monsieur Vincent, outre ses occupations dans la famille et ses prières et études, visite et catéchise les paysans. Cette dernière remarque n’est pas sans importance et gomme tout chemin fait de ruptures brutales à la manière augustinienne ou pascalienne. Au service des Gondi, le sacerdoce de Vincent ne végète pas, car notre futur saint l’exerce volontiers. Il se sent charge d’âmes et ne recule devant aucun service : catéchismes, messes, confessions et nous l’avons noté, visites, en tout cela soumis aux curés. Il reste scrupuleusement précepteur des deux enfants et confesseur de Madame. Il apaise même les ardeurs belliqueuses de Monsieur engagé dans un processus de duel. Lui, pourtant s’enferme dans une sorte de chartreuse où il rencontre doute, problèmes de santé et colère facile. Nous sommes dans les années 1613 à 1615. Sa propre foi est ébranlée…Il connaît un secours pécuniaire des Gondi, un prêt et une rente.

Et vient 1616, il y a 400 ans. Avec sa pertinence d’historienne relayée par le père Koch, homme d’expérience et de science vincentiennes, Marie-Joëlle Guillaume note « qu’elle marque pour Vincent la sortie du tunnel ». Quand Monsieur de Gondi prend possession du comté de Joigny, Vincent donne un sermon célèbre sur le catéchisme (XIII, 25). Pour lui, comme pour l’Eglise de son temps, il est nécessaire de connaître Dieu dès l’enfance et de fuir toute ignorance, sinon pas d’entrée au ciel possible. Il prêche aussi sur la communion selon les documents possédés (XIII, 33). Et, prémisse d’un autre sermon, il se préoccupe et obtient de l’évêque de Sens pour son diocèse  de pouvoir absoudre tous les péchés qui émaillent une vie (I, 20); c’est l’apparition d’un objectif missionnaire affiché, la confession générale. Nous sommes au seuil de 1617. Comme le disait le vieux chant à la gloire de st Vincent, « les blés sont murs pour la moisson ».

 

Gannes

Pourquoi sauter allègrement cette marche et ne pas s’arrêter un peu sur elle. Les documents n’abondent pas et il est plus facile de tout reporter sur le seul Folleville.

Les sources  en notre possession nous orientent vers quatre textes connus et eux seuls :

  • Aux Sœurs par M. Portail, 9 mars 1642 (IX, 58-59)
  • Aux Missionnaires, par M. Vincent, 25 janvier 1655 (XI, 169-170)
  • Aux Missionnaires, par M. Vincent, 17 mai 1658 (XII, 7-9)
  • Aux Missionnaires, sans date Abelly I, ch.8, 32-34 (XI, 2-5)

 

Abelly parle ainsi : « Or il arriva, environ l’année 1616, qu’étant allé en Picardie avec Madame qui y possédait plusieurs terres, et faisant quelque séjour au château de Folleville, au diocèse d’Amiens, comme il s’occupait à ces œuvres de miséricorde, on le vint un jour prier d’aller au village de Gannes, distant environ de deux lieues de ce château, pour confesser un paysan qui était dangereusement malade et qui avait témoigné désirer cette consolation » (Abelly I,VIII, 32-33 . Document-Texte C). Vincent reprend  ce récit dans une conférence aux Missionnaires deux ans avant sa mort (XII, 7-9) avec les variantes connues  et la symbolique véhiculée et comme sublimée. Le père Koch remarque : « d’une part, Monsieur Vincent a parlé de cet événement, puisque M. Portail le raconte aux Sœurs,  le 7 mars 1642, et nous pouvons croire Abelly lorsqu’il nous dit que Monsieur Vincent recommandait de le commémorer chaque année. On relève seulement une certaine imprécision: en 1642, le paysan avait 80 ans; en 1664, aux dires d’Abelly, il n’en avait que 60;  et les notes des entretiens de Saint Vincent ne disent pas son âge ; d’autre part, nous avons très peu de documents sur cet événement, 3 seulement: de M. Portail, le 7 mars 1642 ; de Monsieur Vincent, le 25 janvier 1655 et le 17 mai 1658.  Autrement dit, un seul du 25 janvier.  Abelly ne donne qu’une compilation de ces trois, il n’offre rien de plus. »

Gannes mérite d’être retenu comme lieu d’expérience vitale et Folleville celui de sa prolongation logique et raisonnée. Gannes éprouve et Folleville généralise. Gannes mérite une escale historico-géographique mais plus encore spirituelle. La légende s’en est emparée et le malade est devenu le meunier[1]. Tout un argumentaire veut étayer ce choix. Plus modestement, retenons que Gannes est le point de réalisation à ne pas gommer. Et avec Madame Guillaume, saluons son château médiéval, « conçu comme une forteresse en bordure des plateaux calcaires de la Somme, (qui) domine de sa masse la vallée de la Noye »[2]. Nous sommes invités à ne pas oublier l’événement provoquant vécu à ses pieds. La mine ne peut rien sans le déclencheur : Gannes est l’étincelle qui allume la mèche.

 

Les référents traditionnels

Dans la tradition vincentienne, Folleville s’impose comme le premier évènement phare ; Il est tellement emblématique qu’il absorbe Gannes et pourtant tous deux s’imposent au pas lent de que Vincent, « maître de sagesse », appelle celui de la Providence. Il faut tenir les deux lieux à la place qui est la leur.

Pour Gannes, à la page 2 de son ouvrage, Abelly écrit: «Or il arriva, environ l’année 1616…on le vint un jour prier d’aller au village de Gannes » et à la page suivante pour Folleville : «C’était au mois de janvier 1617 que ceci arriva » (Abelly I, VIII, 33-34 -. Document- Texte D). Le flottement dans les dates est révélateur de la réactivité normale du temps pris pour réagir, de la distance entre Gannes et Folleville et Amiens et Folleville. En ces jours-là on se met au diapason du monde rural. Pas de téléphone, pas d’internet ! Madame de Gondi prend la période de réflexion et de prière et d’échange avec son époux et son confesseur. Salon et salle à manger favorisent les conversations et le rapprochement des points de vue. Et cela vaut bien d’attendre le passage à une autre année. « Le temps change tout » écrira st Vincent un jour de novembre 1648 (III, 390).

On connaît le célèbre sermon sans savoir ce qu’il contient, toutes traces probables ayant disparu  lors du sac de st Lazare, la veille de la prise de la Bastille. On sait l’élan qu’il déclenche, la file aux confessionnaux, l’appel à l’aide des jésuites d’Amiens. Nous sommes le mercredi 25 janvier 1617 en la fête de la conversion de st Paul, fête toujours d’un symbolisme des plus évocateurs. Vincent est encore jeune, trente-six ans, et sa fougue n’a d’égale que son tempérament gascon. Avec l’âge il se souvient et bénit Dieu de l’avoir alors inspiré. De la confession il passe au catéchisme, il soigne la prédication et il répète le schéma dans les villages alentour. Il fait cela avec d’autres prêtres et y implique les curés sous le regard et l’aide de Madame de Gondi, très soucieuse du salut de siens. Folleville fait école. Il couve une intuition. Que sera cette mise à jour ?

Pour l’heure, Vincent veut une pause. Toujours guidé par son mentor du moment, Bérulle, il part pour Chatillon. La vacance de la cure tombe à pic et il répond présent pour mieux féconder son sacerdoce appâté par ces premières réalisations.

Le second biographe, Collet note un besoin intéressant, «Il se sent intérieurement poussé par l’Esprit de Dieu d’aller dans quelque province éloignée, s’employer tout entier à l’instruction et au service des pauvres de la campagne»[3].La cure de Châtillon st ce lieu idéal  et laisse Bérulle libre de ses mouvements pour l’Oratoire, en  disposant  de Bourgoing à sa guise. Les Gondi s’en mêleront par personnalités interposées au point de ne laisser le curé Depaul que six mois en place, d’août à décembre 1617.

Mais le travail réalisé en cette courte circonstance est impressionnant et il est selon l’expression de Marie-Joëlle Guillaume, « une explosion de charité ». Dans cette double  paroisse bien gérée par les prédécesseurs et récemment passée au peigne fin de la visite canonique, Vincent s’installe en août. Grâce à Louis Girard, il vit et travaille à la mode oratorienne, loge chez l’habitant, convertit à l’occasion et surtout établit au gré de l’événement la première confrérie de la Charité, frappé par ce qui le dépasse et s’impose à lui comme don de Dieu (IX, 243-244. Document – Texte E). Au soir du 20 août, une question-inspiration impose sa réponse : « Ne pourrait-on point réunir ces bonnes dames et les exhorter à se donner à Dieu pour servir les pauvres malades ? » En suite de cela, je leur montrai que l’on pourrait secourir ces grandes nécessités avec grande facilité. Aussitôt elles s’y résolurent. » (IX, 209). Le règlement du 8 décembre mettra en pratique ce qui est vécu à l’automne. Et surtout la finalité est donnée, « assister spirituellement et corporellement » les malades. Nous sommes là au cœur de la charité vincentienne. C’est pour cela et pour tout cela qu’il faut vivre de l’Esprit de Dieu, faire corps, vivre en servantes et de Matthieu 25, 40 en s’organisant par vingtaine et de façon fonctionnelle, en pratiquant une charité faite de tact et de tendresse. Selon la nouvelle expression heureuse de Madame Guillaume, « Vincent de Paul est un catalyseur de charité » (page 135). Pour l’auteur de ces lignes, le dispositif vincentien est mis en place. Il peut quitter sa paroisse la laissant dans les bonnes mains de Louis Girard (curé effectif en juillet 1618), pour laisser Bérulle en excellente intelligence avec les Gondi. La veille de Noël le voici à nouveau chez eux. Monsieur Portail s’occupe des enfants et lui est prêt pour la mission.

 

Et il y eut Villepreux

Nous sommes à l’aube de 1617 avec 2017 ! Qu’on honore Folleville et Châtillon, la puissance collective, communautaire et familiale l’exige avec raison et one saurait trop s’en réjouir. Mais peut-on passer sous silence Villepreux ? Vous dites Villepreux ? Je dis bien Villepreux, symbolisme après symbolismes.

Faute d’autres documents – les fenêtres de st Lazare ayant été ouvertes toute grandes par les révolutionnaires et leur feu ayant beaucoup annihilé dans la cour de st Lazare! – il nous reste la certitude précieuse qu’en 1618, trois charités sont établies l’une à Villepreux, les autres à Joigny et Montmirail en conclusion de chaque mission donnée. Villepreux tient le peloton de tête. Le 23 février 1618, après un nouveau tournant d’année (c’est remarquable et à croire que Noël porte fruit), Vincent propose son schéma basé sur le binôme désormais constitutif de son action, « mission & charité ». Villepreux est la première synthèse  de l’œuvre missionnaire de st Vincent. Villepreux est la mise en place d’une évangélisation originale, l’Evangile vécu avec et par le service. Villepreux est le lieu-modèle de l’évangélisation selon st Vincent, évangéliser en servant et servir en évangélisant.

D’aucuns douteront de la pertinence de cette  réflexion. Qu’ils lisent alors ce que Madame Guillaume écrit : « Villepreux, dans l’actuel département des Yvelines, est le lieu de la première grande mission et de la première confrérie après celle de Châtillon. Ses habitants du XXI ème siècle en gardent la fierté. L’aimable paroissien chez qui nous allons, à l’été 2013, chercher les clés de l’église du vieux Villepreux pour la visiter veut bien entendre parler de Châtillon-les-Dombes, mais persiste à rappeler que c’est Villepreux qui fut, de toute la France, le lieu de cette première réalisation conjointe. Ville ancienne et ville moderne vivent aux couleurs de Vincent de Paul. L’Eglise Saint-Germain l’Auxerrois, dont les parties les plus anciennes remontent au XII ème siècle, retrace dans la chapelle saint-Vincent de son chœur le travail accompli ici. La rue qui descend de l’église vers la route, laissant à droite la rue des Orfèvres, offre au regard du visiteur la façade de la « maison Saint-Vincent » : trois maisons mitoyennes d’époque médiévale restaurée par la commune. C’est là que fut fondée en 1618 la confrérie de la charité.[4]»

L’Histoire ne se nourrit pas avec sûreté des sites via internet mais depuis  le 14 mars dernier on peut lire cette annonce à propos du château démoli en 1885 puis reconstruit : « A vendre propriété, comprenant un château du XIXe siècle de 1 080 m2 et un autre construit au XXe de 980 m2 avec dépendances, serres, tennis, maisons de gardiens, écuries avec 20 boxes à chevaux…Le tout dans l’axe du grand Canal du château de Versailles.»[5] Le lecteur avisé le comprend, il s’agissait du château des Gondi, preuve tangible de la présence de st Vincent. « Le blog de Jean-Pierre » est non moins intéressant parce que bien illustré au risque de séduire ceux qui doutent de l’historicité des trois maisons. Il est vraisemblable que l’une des maisons matérialise le lieu où sera fondée douze plus tard, l’école de filles puis de garçons,  suivie par Louise de Marillac dès 1630, lors de ses deux visites à Villepreux. Germaine, fille du village, sera la première institutrice fille de  la charité. [6]Quant à l’église st Germain, elle garde la date de 1618 comme la preuve de l’action missionnaire de st Vincent.

L’essentiel est l’événement que nous est transmis par Collet : «  Dès le commencement de l’année suivante, il prit des arrangements pour faire une mission à Villepreux, et dans les lieux circonvoisins. Cette fonction que des ecclésiastiques, qui sont souvent bien minces en tout sens, regardent comme au-dessous d’eux, ne rebuta pas des personnes du premier mérite, et qui occupaient des places distinguées. M. Cocqueret, Docteur de la maison de Navarre, Messieurs Berger et Gontière, Conseillers-Clercs au Parlement de Paris[7], et plusieurs autres vertueux prêtres, se joignirent à Vincent, et entreprirent avec lui cette bonne œuvre. On ne se borna pas aux secours spirituels, on tâcha de remédier aux nécessités temporelles ; et pour les prévenir, autant qu’il était possible, le saint établit à Villepreux la Confrérie de la Charité, sous l’autorité de M. le Cardinal de Rets évêque de Paris, qui en avait approuvé les Règlements.» (Collet I, 87) Au-delà du style ronflant, Monsieur Vincent soigne ses relations professionnelles, un docteur d’un célèbre collège[8] et des conseillers au Parlement de la capitale avec une première équipe de prêtres diocésains, ce qui est nouveau ; mais pointe en plus une méthode et un règlement.

La méthode missionnaire s’impose pour l’évangélisation des campagnes, petits et grands catéchismes, prédications, confessions générales, extinction des procès, visites des malades, les sermons étant sans cesse remis sur le chantier pour un apport efficace et adapté et construits pour rappeler les grandes vérités de la foi[9]. Evangéliser à la manière vincentienne, au sens plénier, c’est enseigner, réconcilier, s’engager et engager. Toute mission fonde une charité sur le modèle de Châtillon avec des constructions qui trouvent leur vocabulaire et leur règle juste après Villepreux, avec le règlement de Joigny. Villepreux est donc le lancement d’une opération destinée à se perpétuer.

Une autre observation de justice s’impose ; les missions lancées par st Vincent ne sont pas innovation ; «C’est dans l’air ! ». Les confréries aussi ; les dominicains ont déjà le Rosaire, les jésuites la Bonne-Mort. Tous veulent annoncer Jésus-Christ parce que comme le dit Brejon de Lavergnée, « la société tout entière peut être régénérée par la grâce ».

Villepreux est aussi emblématique pour une autre raison et qui a nom connu, Louise de Marillac. Les premiers missionnaires en effet, fondent les confréries non sans mal et oppositions, et veulent leur assurer pérennité. Lorsque Louise va rencontrer Vincent de façon décisive vers 1624 – 1625[10], en se mettant sous sa direction, il veut la sortir d’elle-même ; il songe alors à lui confier la charge de visiter et de conforter les confréries de charité. Entre 1629 et 1633, elle va inspecter quelques trente charités dont Villepreux. Vers 1630, une lettre circonstanciée marque des relations difficultueuses avec le curé du moment: qu’elle fasse acte de soumission lui dicte Monsieur Vincent (vers Avril 1630 – I, 81-82. Document – Texte F). Monsieur Vincent maintiendra toujours cette docilité aux curés, maitres chez eux. Sœur Elizabeth Charpy parle à ce propos et c’est très fin, d’une confiance gagnée.[11] Nous disons aujourd’hui collaboration qui implique la sincérité réciproque. Brejon de Lavergnée note à propos de ces visites : «  Ses visites relèvent de eux modèles, missionnaire et pastoral : missionnaire en ce qu’elle ‘a pas de territoire propre et  qu’elle suit en tout lieu les Lazaristes pour entretenir la flamme de leurs prédications et les confréries qu’ils ont fondées ; pastoral ou borroméen, car en « prélat réformateur», Louise se livre à de véritables chevauchées dans son « diocèse » charitable ou elle réforme et stimule les « paroisses » dont elle a la charge c’est-à-dire les confréries[12]. ». N’oublions pas que saint Jean XXIII l’a proclamée « patronne de tous les travailleurs sociaux chrétiens ». A ce titre, elle mériterait le calendrier liturgique universel.

La charité de Villepreux s’enracine avec le temps. Lors d’un deuxième voyage, Louise modifie le Règlement et l’ajuste aux exigences du moment, élection des officières, visites régulières des malades, fréquentation des sacrements, confessions et communions pour le décès de chaque « sœur ».

« Sœur » ? Déjà pointe un vocabulaire spécialisé et le lecteur averti verra se profiler une autre figure caractéristique, Marguerite Naseau, peut-être dès 1630. Elle sera maîtresse d’école à Villepreux, envoyée à St Sauveur à Paris et redirigée sur Villepreux le 12 octobre  1631 – I, 131) ; on sait qu’elle ouvre la porte aux filles de la charité, ces « bonnes filles de village »qui viennent au secours des confréries des villages et des Charités parisiennes. La Charité n’a pas de limites et frontières…et 1633 n’est pas loin.

Une autre figure dominante dont il faut absolument parler reste celle de Madame de Gondi. Elle est Villepreux ; châtelaine, elle porte une responsabilité exemplaire. Elle a poussé Monsieur Vincent à revenir sur ses terres, elle le presse à monter en chaire, elle vit jusqu’à l’inquiétude la question : « quel remède ? ». Avant de fonder la Congrégation de la Mission avec Monsieur de Gondi, elle s’investit corps et âme sur Villepreux. Elle ne connaît aucun repos et le 23 février après vêpres, la confrérie est organisée en sa présence. Elle devient indispensable au point des signer l’établissement de la charité de Montmirail avant Monsieur Vincent…noblesse oblige. (XIII, 464. Documents – Texte G)

Dans le même temps, Vincent fait confiance à ste Louise, la protège contre elle-même et son manque de pondération dans le zèle ; il l’aide à discerner les bonnes voies qui mènent à la naissance de la Compagnie. Il est cofondateur à sa  manière. Il revient à Villepreux « au vent de la Fronce » en janvier 1649. Après discernement, il décide de quitter st Lazare pour aller à Saint Germain, trouver la Reine Mère en plénipotentiaire confiant mais osé…et téméraire dans son entretien avec Mazarin. Il quitte les lieux et se réfugie à Villepreux chez M. de Gondi durant une semaine. En  effet celui-ci s’est réfugié au château de Villepreux. En compagnie du frère Ducournau, Vincent le quitte au bout d’une semaine et part pour une aventure sans précédent…Une sorte d’exil actif…

 

La synthèse vincentienne

Villepreux met en œuvre ce que Vincent a capté « par expérience et par nature ». Il a touché du doigt ce qu’un christianisme trop ritualiste lui avait fait oublier : messes dominicales, pratiques habituelles du baptême aux funérailles. A Folleville, il  réalise la grande ignorance du peuple et Madame de Gondi amplifie cette dure et palpable réalité : « le pauvre peuple se damne », et lui ajoutera et déploiera : « faute d’entendre les vérités à salut ». L’urgence est d’évangéliser, de proclamer les lignes de force de la foi, de rendre familier l’enseignement de Jésus et de son Evangile et la découverte de sa personne. Tout cela impose une prédication soignée, un catéchisme pour enfants et pour adultes et une éthique adaptée.

Mais l’expérience de st Vincent lui dicte un autre point d’attention : poursuivre la formation par l’engagement. Tout chrétien formé et devenu plus conscient de ses responsabilités baptismales ne peut que vivre sa foi par le service de l’autre et du plus faible, le malade, l’isolé, le  faible en ressources, bref, le pauvre, en situation de visite et de réconfort « corporel et spirituel ». L’expérience de Châtillon s’emboîte dans celle de Folleville. Et c’est ainsi que celle de Villepreux devient exemplaire et globalisante.

Villepreux est à percevoir comme le premier type achevé de l’engagement missionnaire porté à sa perfection par la charité. Toute mission donnée se termine par la création d’une association de charité. La Parole de Dieu engendre le service du frère, la diaconie pour reprendre un mot récent. L’une ne va pas sans l’autre. Et l’un éclaire l’autre. Fractionner ce binôme est une altération préjudiciable à l’esprit vincentien. D’autres binômes s’y retrouvent: Vincent et Louise, religieux et prêtres diocésains, clercs et laïcs, congrégation de la Mission et Charités, Charités et Filles de la Charité en éclosion.

En célébrant Villepreux et son anniversaire au début de 1618, on pourrait en même temps, consacrer à nouveau cette union qui reste comme la marque de fabrique de la tâche vincentienne. La fidélité revendique cette lecture synthétique; s’y tenir équivaut à une ampliation de la marche en avant que suppose aujourd’hui la vie et l’action car nous sommes toujours cofondateurs pour notre temps. Comme le dirait le père Philippe Lécrivain sj, nous avons à continuer le récit fondateur, à écrire encore les actes de l’Eglise au prix d’une conversion jamais achevée et d’un engendrement qui nous fait « narrateurs et fondateurs »[13] de la Congrégation, avec st Vincent et les premiers confrères. Les formes se modernisent et s’adaptent mais le fond reste : tenir Mission et Charité indissolublement unis. Voilà un possible chemin et un lieu symbole porteur, celui de l’unification de la vocation vincentienne.

Puisse cet embryon de perspectives ouvrir un dialogue, voire un débat.

 

Documents complémentaires

TEXTE A

« Quoique M. Vincent fût bien résolu de se donner parfaitement à Dieu et de lui rendre tous les services qu’il pourrait, dans l’état ecclésiastique, cet accident néanmoins qui lui arriva lui servit comme d’un nouvel aiguillon, et le bon usage qu’il en fit attira sur lui de nouvelles grâces, qui le portèrent encore plus fortement à l’exécution de ses bonnes résolutions. Et voyant que cette demeure où il avait été obligé de se retirer à son arrivée dans Paris, parmi des personnes laïques, était peu convenable au désir que Dieu lui avait inspiré de se mettre dans une vie vraiment ecclésiastique, il se résolut de s’en retirer; et la bonne estime que sa vertu lui avait acquise lui fit trouver accès chez les RR. PP. de l’Oratoire, qui le reçurent en leur maison, non pas pour être agrégé à leur sainte Compagnie, ayant lui-même déclaré depuis qu’il n’avait jamais eu cette intention, mais pour se mettre un peu à l’abri des engagements du monde, et pour mieux connaître les desseins de Dieu sur lui et se disposer à les suivre. Et sachant bien que nous sommes aveugles en notre propre conduite, et que le plus assuré moyen pour ne se point détourner des voies de Dieu, est d’avoir quelque ange visible qui nous conduise, c’est-à-dire quelque sage et vertueux directeur qui nous aide par ses bons avis, il crut ne pouvoir faire un meilleur choix, que celui même qui conduisait avec tant sagesse et de bénédiction cette sainte Compagnie de l’Oratoire, qui était alors le révérend Père de Bérulle, comme nous avons dit, dont la mémoire est en odeur de sainteté. M. Vincent donc lui ayant ouvert son cœur, ce grand serviteur de Dieu, qui avait un esprit des plus éclairés de ce siècle, reconnut incontinent que Dieu l’appelait à de grandes choses; et l’on dit même qu’il prévit dès lors et qu’il lui déclara que Dieu voulait se servir de lui pour lui rendre un signalé service dans son Église, et pour assembler à cet effet une nouvelle communauté de bons prêtres qui y travailleraient avec fruit et bénédiction.

Il demeura environ deux ans en cette retraite, et pendant ce temps-là, le R. Père Bourgoing, qui était pour lors curé de Clichy, ayant eu dessein de quitter cette cure pour entrer en la congrégation de l’Oratoire, dont il a été depuis très digne supérieur général, le R. Père de Bérulle porta M. Vincent à accepter la résignation qui lui fut faite de cette cure, pour commencer par ce lieu-là à travailler en la vigne du Seigneur. A quoi M. Vincent acquiesça par esprit d’obéissance, étant bien aise, en rendant ce service à Dieu, d’avoir quelque occasion de s’humilier, et de préférer la condition de simple curé d’un village aux autres plus avantageuses et plus honorables dont il pouvait se prévaloir. » (Abelly Livre I, Chap. VII, p. 24-25)

 

TEXTE B

« Ce fut environ l’an 1613 que le Révérend Père de Bérulle porta M. Vincent à accepter la charge de précepteur des enfants de messire Emmanuel de Gondi, comte de Joigny, alors Général des galères de France, et de dame Françoise Marguerite de Silly, son épouse, femme d’une excellente vertu, d’autant plus digne d’être estimée que la piété était en ce temps-là plus rare parmi les personnes de la Cour. Et ce choix qui fut fait de M. Vincent pour cet emploi n’est pas une petite preuve du jugement avantageux que ce premier Supérieur général de l’Oratoire faisait de sa vertu et des bonnes qualités de son esprit, le donnant à une famille des plus pieuses et des plus illustres du Royaume, et lui confiant la conduite et l’éducation de trois jeunes seigneurs de grande espérance,  dont l’aîné est Duc et Pair de France;  le second a été élevé à la dignité de Cardinal de la sainte Église[14].& pour le troisième, qui promettait beaucoup pour les belles qualités de corps et d’esprit dont il était doué, Dieu le retira de ce monde à l’âge de dix ou onze ans, pour lui donner dans le Ciel un partage plus avantageux que celui qu’il eût trouvé sur la terre. » (Abelly Livre I, Chap. VII, p. 27-29

 

TEXTE C

 « Or il arriva, environ l’année 1616, qu’étant allé en Picardie avec Madame qui y possédait plusieurs terres, et faisant quelque séjour au château de Folleville, au diocèse d’Amiens, comme il s’occupait à ces œuvres de miséricorde, on le vint un jour prier d’aller au village de Gannes, distant environ de deux lieues de ce château, pour confesser un paysan qui était dangereusement malade et qui avait témoigné désirer cette consolation ». Or, quoique ce bon homme eût toujours vécu en réputation d’un homme de bien, néanmoins M. Vincent, l’étant allé voir, eut la pensée de le porter a faire une confession générale, pour mettre son salut en plus grande sûreté; et il parut, par l’effet qui s’ensuivit, que cette pensée venait de Dieu, qui voulait faire miséricorde à cette pauvre âme et se servir de son fidèle ministre pour la retirer du penchant du précipice où elle allait tomber; car, quelque bonne vie que cet homme eût menée en apparence, il se trouva qu’il avait la conscience chargée de plusieurs péchés mortels qu’il avait toujours retenus par honte, et dont il ne s’était jamais accusé en confession, comme lui-même le déclara et publia hautement depuis, même en la présence de Madame, qui lui fit la charité de le venir visiter. «Ah ! Madame (lui dit-il) j’étais damné si je n’eusse fait une confession générale, à cause de plusieurs gros péchés dont je n’avais osé me confesser.»… Ce fut cette grâce qui fit cette salutaire opération dans le coeur de ce paysan, que de lui faire avouer publiquement, et même en présence de Madame la Générale, dont il était vassal, ses confessions sacrilèges et les énormes péchés de sa vie passée; ce qui fit que cette vertueuse dame, touchée d’étonnement, s’écria, adressant la parole à M. Vincent: «Ha! Monsieur! Qu’est-ce que cela? qu’est-ce que nous venons d’entendre ? Il en est sans doute ainsi de la plupart de ces pauvres gens. Ha ! si cet homme, qui passait pour homme de bien, était en état de damnation, que sera-ce des autres qui vivent plus mal? Ha ! Monsieur Vincent, que d’âmes se perdent ! Quel remède à cela ? » (Abelly I,VIII, 32-33).

 

TEXTE D

«C’était au mois de janvier 1617 que ceci arriva: et le jour de la conversion de saint Paul, qui est le 25, cette dame me pria, dit monsieur Vincent, de faire une prédication en l’église de Folleville pour exhorter les habitants à la confession générale; ce que je fis. je leur en représentai l’importance et l’utilité, et puis je leur enseignai la manière de la bien faire: et dieu eut tant d’égard a la confiance et à la bonne foi de cette dame (car le grand nombre et l’énormité de mes péchés eut empêché le fruit de cette action) qu’il donna la bénédiction a mon discours: et toutes ces bonnes gens furent si touches de dieu, qu’ils venaient tous pour faire leur confession générale. Je continuai de les instruire et de les disposer aux sacrements, et commençai de les entendre. mais la presse fut si grande, que ne pouvant plus y suffire avec un autre prêtre qui m’aidait, Madame envoya prier les révérends pères jésuites d’Amiens de venir au secours; elle en écrivit au révérend père recteur qui y vint lui-même, et, n’ayant pas eu le loisir d’y arrêter que fort peu de temps, il envoya pour y travailler en sa place le révérend père Fourche, de sa même compagnie, lequel nous aida a confesser, prêcher et catéchiser, et trouva par la miséricorde de Dieu de quoi s’occuper. Nous fumes ensuite aux autres villages qui appartenaient à madame en ces quartiers-là, et nous fîmes comme au premier: il y eut grand concours et Dieu donna partout la bénédiction. et voilà le premier sermon de la mission, et le succès que Dieu lui donna le jour de la conversion de saint Paul: ce que Dieu ne fit pas sans dessein en un tel jour.» (Abelly I, VIII, 33-34)

 

TEXTE E

Vous saurez donc qu’étant auprès de Lyon en une petite ville où la Providence m’avait appelé pour être curé, un dimanche, comme je m’habillais pour dire la sainte messe, on me vint dire qu’en une maison écartée des autres, à un quart de lieue de là, tout le monde était malade, sans qu’il restât une seule personne pour assister les autres, et toutes dans une nécessité qui ne se pouvait dire. Cela me toucha sensiblement le coeur. Je ne manquai pas de les recommander au prône avec affection, et Dieu, touchant le coeur de ceux qui m’écoutaient, fit qu’ils se trouvèrent tous émus de compassion pour ces pauvres affligés.

L’après-dînée il se fit assemblée chez une bonne demoiselle de la ville pour voir quel secours on leur pourrait donner, et chacun se trouva disposé à les aller voir et consoler de ses paroles et aider de son pouvoir. Après les vêpres, je pris un honnête homme, bourgeois de la ville, et nous mîmes de compagnie en chemin d’y aller. Nous rencontrâmes sur le chemin des femmes qui nous devançaient, et, un peu plus avant, d’autres qui revenaient. Et comme c’était en été et durant les grandes chaleurs, ces bonnes dames s’asseyaient le long des chemins pour se reposer et rafraîchir. Enfin, mes filles, il y en avait tant, que vous eussiez dit des processions. (IX, 243-244)

 

TEXTE F

Il est fort difficile, Mademoiselle, de faire quelque bien sans contrariété ; et pource que nous devons, autant qu’il nous est possible, soulager la peine d’autrui, je pense que vous feriez un acte agréable à Dieu de voir Monsieur le curé (3), de lui faire vos excuses de ce que, sans son avis, vous avez parlé aux sœurs de la Charité (4) et aux filles, que vous en pensiez faire à Villepreux tout simplement comme à Saint-Cloud et ailleurs, et que cela vous apprendra votre devoir une autre fois, et, s’il ne le trouve pas bon, que vous en demeuriez là. Et mon avis est que vous le fassiez. Notre-Seigneur retirera peut-être plus de gloire de votre soumission que de tout le bien que vous pourriez faire. Un beau diamant vaut plus qu’une montagne de pierres, et un acte de vertu d’acquiescement et de soumission vaut mieux que quantité de bonnes œuvres qu’on pratique à l’égard d’autrui. (vers Avril 1630 – I, 81-82)

 

TEXTE G

« Au nom de la très Sainte Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit. Sachent tous qu’il appartiendra que cejourd’hui onzième de novembre mil six cent dix-huit, en l’église Saint-Etienne de Montmirail, le peuple étant assemblé, moi, Vincent de Paul, prêtre et aumônier de dame Françoise-Marguerite de Silly, comtesse de Joigny, etc., et dame dudit Montmirail, en vertu de la permission de Monseigneur et Révérend Père en Dieu Jérôme, par la grâce de Dieu évêque de Soissons, donnée à madite dame, de faire établir l’association de la Charité en ladite ville et autres siens villages, dépendants dudit diocèse de Soissons, j’ai procédé audit établissement de l’association de la Charité, du consentement de Jean Delaistre, prieur dudit Montmirail, absent à cause de sa maladie, et en la présence de Christophe Bourdelet, son vicaire, ayant premièrement fait entendre au peuple en qui consiste ladite association et fait lecture des règlements d’icelle et de la permission de mondit seigneur de Soissons, le tout cidessus transcrit. Et ce fait, étant en la chapelle ci-devant nommée de Saint-Nicolas et maintenant choisie par ledit sieur prieur pour servir à ladite association, ai admonesté les femmes qui désireront se mettre en ladite association de s’approcher et donner leur nom. Sur quoi se sont présentées: premièrement, madite dame la comtesse, laquelle, avec les sousnommées, a désiré être de ladite association; puis demoiselle Barbe le Juge, femme de Monsieur le lieutenant Bonseré; Mademoiselle Chambelin…Puis ai procédé à l’élection des officières de ladite association, selon ledit règlement, à 1a pluralité des voix; et a été nommée pour prieure Mademoiselle la lieutenante; pour première assistante, Mademoiselle Chambelin; et pour deuxième assistante, Madame de la Saulssaye, du consentement de toutes lesquelles je leur ai laissé Nicolas Pullen, prêtre, pour recteur de ladite association. Ce qui a été fait audit Montmirail, les jour et an que dessus, en présence des soussignés.

Françoise-Marguerite de Silly. | Delaistre. | V. Depaul. | B. Le Juge. | Jeanne de. | Marie des Essarts. | Marie Varle. | Françoise Darthois. | Claude Vinot. | Julienne Broizot. | Anne Lhermitte. » (XIII, 464-467)

 

 

Explications :

[1] L’église possède un grand Christ en bois recouvert de plâtre et datant de sa fondation, un confessionnal Renaissance et deux chapelles latérales en bois, avec statues en bois du XVIIIème. Une dalle verticale rappelle que le cœur de M.F.de Lannois, ancien seigneur du lieu, est placé dans le mur. L’église est connu chez les historiens de St-Vincent-de-Paul, car ce saint s’y rendit en janvier 1617, alors qu’il résidait au château de Folleville, dans la famille de Gondi et convertit le meunier mourant. Se rendant compte du manque de prêtre pour desservir les campagnes, St-Vincent de Paul créa à l’occasion de cet incident, la congrégation des prêtres de la Mission. C’était une secte de prêtres missionnaires (sic !) qui se rendaient partout où les villageois n’étaient pas évangélisés (Site officiel – http://www.mairie-gannes.fr/default/)

[2] Vincent de Paul, un saint au grand siècle » p 116)

[3] Collet  I, 53

[4] Op.cit. 138-139

[5]https://www.google.fr/#q=villepreux et on peut aussi voir avec intérêt l’intérieur de l’église en http://villepreuxlesclayes.catho78.fr/wp1/faites-le-tour/saint-germain/ et plus encore avec un brin de patience, vertu chère aux internautes… et le blog de Jean-Pierre sur http://jeanpierrekosinski.over-blog.net/pages/La_Maison_SaintVincent_a_Villepreux-1919914.html

[6] Matthieu Brejon de Lavergnée- « Histoire des filles de la charité » – Fayard 2011- p 140

[7] « Essai historique sur l’influence de la religion en France pendant le dix – septième siècle » – Michel Pierre et Joseph Picot –Louvain 1824. Il est coutumier d’ajouter à des premiers missionnaires Messieurs Duchesne, archidiacre de Beauvais et Feron, archidiacre de Chartres selon Abelly. (I, LI, 54-55).

[8] Le collège royal de Navarre, à l’instar de quelques autres grands établissements parisiens, conserve, à l’époque moderne, la double vocation qu’il avait déjà au Moyen Âge. Il accueille, comme un collège d’exercice, enfants et adolescents, qui suivent des cours de grammaire, de physique et de rhétorique, mais il offre aussi, comme un collège universitaire, des bourses à des étudiants des facultés supérieures. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, il bénéficie d’un grand prestige et reçoit, en 1752, la première chaire de physique expérimentale, confiée à l’abbé Nollet. Les plus riches familles y envoient leurs enfants : Richelieu et, plus tard, Condorcet étudient au Collège de Navarre.(Larousse, dictionnaire de l’Histoire de France) Cocqueret est natif de Pontoise, né pauvre en 1592, philosophe et théologien brillant, très en Cour, sondé par Richelieu pour être son directeur de conscience, ce qu’il refuse tout comme l’épiscopat ; il appartient au cercle Duval ; il est l’ami de Vincent et de François de Sales. Venu supérieur général des carmélites, Il mourra à Marseille en 1655 en allant visiter les Carmélites.

[9] Il inventera même la première communion sous l’inspiration de Bourdoise.

[10] D’aucuns admettent qu’ils se sont croisés beaucoup plus tôt…

[11] Sr Elizabeth Charpy « Contre vents et marées, Louise de Marillac, chapitre 4,Au services des confréries de la charité

[12] Brejon Op. cit. p 117

[13] Relire et vivre son article « Mission, communauté, insertion, charisme » dans le cahier vincentien N° 222

N.B.

Cette article à été publié sur le site www.cmission.fr le 21 novembre 2016. Il est réédité en raison du pèlerinage

 

L’accueil de l’autre

L’accueil de l’autre

« La sollicitude de l’Eglise doit s’exprimer concrètement à chaque étape de l’expérience migratoire. C’est une grande responsabilité que d’Église entend partager avec tous les croyants ainsi qu’avec tous les hommes et femmes de bonne volonté, appelé à répondre aux nombreux défis posés par les migrations…. Notre réponse commune peut s’articuler autour de quatre verbes : accueillir, protéger, promouvoir et intégrer. » C’est par ces paroles que François nous réveille et nous stimule pour un réel engagement vis à vis de l’étranger en migration particulièrement.

Les actes des Apôtres nous décrivent un certain Saul animé d’une rage meurtrière envers les fidèles des 1ères communautés chrétiennes qu’il considère comme infidèles ; c’est pour cette raison qu’il n’hésite pas à les arrêter et à les enchainer. En tant que pharisien, c’est probablement un amour fou pour Dieu qui le pousse à ces actes ! Il y a de quoi avoir peur d’une telle intransigeance, dureté de cœur détermination.

Cette attitude de Saul nous fait penser aujourd’hui, à ces personnes, ces groupes, qui à travers le monde, sont acharnés à repérer ‘les infidèles’, les étrangers et à les supprimer de différentes façons, parce qu’ils ne sont pas dans la droite ligne de la religion, qu’ils dérangent une tradition ou parce qu’ils ont une vision du monde qui diffère.

La personnalité de Saul, peut aussi nous renvoyer l’image de gouvernants, de systèmes qui n’hésitent pas à jeter sur les routes des hommes, des femmes et des enfants pour sauvegarder leur place, leur compte en banque, leur prestige, leur idéologie ; cette part d’humanité se retrouve ainsi en errance, affrontée à des regards pas toujours ouverts et fraternels, et doit faire face à des situations de non hospitalité, engendrant la peur et l’intranquillité.

Ce personnage de Saul peut encore révéler ce que nous sommes parfois nous-mêmes vis à vis des autres qui nous dérangent par leurs attitudes, prises de position, leurs parcours historiques ! N’y a-t-il pas quelquefois de l’intransigeance et de la dureté de cœur dans nos paroles sur l’autre, dans nos rapports au sein de nos communautés, de nos lieux de vie… et les manières d’enchainer, de rendre inoffensifs ceux qui nous gênent, sont nombreuses : indifférence, mépris, rejet, rumeurs, murmures etc. il arrive que notre frère, notre sœur soit étranger pour nous et souffre de nos jugements hâtifs.

Sur son chemin, Saul a eu la chance de vivre une rencontre très forte avec le Christ ; rencontre qui met à terre ses idées bien arrêtées, bien cadrées. Elle lui fait réaliser qu’il se trompe de combat et que l’esprit qui l’anime est celui de la division, de la vengeance, de la mort, de l’étouffement ; cette rencontre foudroyante l’invite à se laisser mouvoir et conduire par l’Esprit du Christ, esprit de communion, de vie, d’accueil. Saul est invité à mettre sa rage, ses énergies au service de l’étranger, du païen, du différent dans les nations étrangères pour lui annoncer l’Evangile, le rassembler dans un même corps, l’accueillir comme frère en humanité et dans la foi. L’audace, le zèle sont ainsi réorientés. Cette conversion peut-elle être la nôtre ?

Sur son chemin, Saul a été conforté aussi par la présence d’Ananie qui lui-même a dû faire un chemin intérieur pour ne pas en rester aux idées reçues, à la réputation faite à Saul et qui lui fait peur. Ananie restait prisonnier de cette réputation faite à Saul, ce meurtrier, dangereux, dont il fallait se méfier. Comment Seigneur intégrer dans notre communauté un gars comme lui qui ne respire que mort ?

De la même façon, il nous arrive parfois de demeurer prisonniers de ce qu’on entend dire sur l’autre et qu’on répète en augmentant la dose de rejet. Quelle conversion avons-nous à vivre pour nous libérer de ces images et oser le pas de l’accueil dans nos communautés humaines ou religieuses. La peur engendre la méfiance et le rejet ; elle nous empêche d’entendre et de faire des propositions de vie.

Grâce à l’accueil d’Ananie, Saul s’est résitué autrement sur son chemin ; son regard a été purifié, clarifié, son cœur lavé par le baptême, son corps rempli de force par l’eucharistie ; il a trouvé un lieu, une communauté qui a redonné sens à sa mission, qui a réorienté ses énergies ; Lui, le pire ennemi est devenu le frère de beaucoup, surtout de ceux qui étaient au loin, dispersés dans les régions du monde ; il a travaillé pour qu’ils soient accueillis dans l’Eglise.

Comme Saul et Ananie, je crois que nous avons un fort travail à faire entre nous déjà pour nous accueillir avec nos différences, notre étrangeté ; l’inter culturalité, l’universalité au sein de notre Famille est certainement une chance, celle de nous convertir à l’autre ; celle de nous amener à regarder l’autre à partir du Christ, non à partir de nous-mêmes ! « La beauté du monde est faite d’une multitude de différences, un p eu d’amour rendra tout plus facile » (sœurs de l’Enfant Jésus Nicolas Barré)

Il y a tout un chemin pour que l’étranger devienne notre frère, pour que nous le comprenions dans sa particularité. St Vincent a combattu fortement pour que l’étranger, qu’il soit de Lorraine, de Picardie ou d’ailleurs soit secouru, accueilli, ait les moyens de prendre sa vie en main. Il a mis ses énergies et celles de ceux avec qui il collaborait au service de l’étranger en errance !

Si nous faisons ce travail sur nous-mêmes, nous le ferons aussi vis à vis de l’étranger qui vient sur nos terres et qui nous invite à l’hospitalité ! Si chacune de nos communautés ou lieu de vie pouvait accueillir pour un temps, un migrant, un demandeur de vie, de fraternité pour l’accompagner sur le chemin de l’intégration, de l’épanouissement, cela donnerait sens et chair à notre don, à notre être-ensemble, au vivre-ensemble ! Prendre en compte ces migrants mineurs qui sont de plus en plus nombreux : ils sont les plus vulnérables. « De quelle vulnérabilité sommes-nous proches aujourd’hui ? N’est-ce pas la passion pour les personnes sur le seuil, aux marges qui doit nous animer ? » (sœur V. Margron, présidente de la CORREF).

Ananie découvre que la communauté rassemblée au nom du Christ, est un lieu d’accueil, d’ouverture où chacun peut avoir sa place, où chacun peut être transformé intérieurement et s’ouvrir à l’autre. Comme à Béthanie où Jésus aime à se poser avec ses amis. Ce n’est pas un lieu où il reste mais un arrêt passager sur sa route. Il reprend souffle dans la rencontre amicale, dans le partage d’une parole, d’un pain.

La maison de l’hospitalité : cela pourrait être l’orientation et la devise pour l’ouverture de nos communautés, de nos pays envers ceux qui viennent d’ailleurs, qui ont besoin d’un lieu où se poser, où se remettre du stress, des dangers du chemin parcouru, , de la peur ? Quelles attitudes, quelles paroles, quelles propositions pouvons-nous faire pour accueillir aujourd’hui ?

Marthe a exercé la dimension corporelle de l’accueil en offrant le minimum à l’hôte de passage, en étant  aux petits soins pour lui.
A son exemple, en tant que chrétiens et vincentiens, nous sommes invités à inquiéter pour l’étranger, le migrant, la personne en situation de déplacement ?

Nous inquiéter afin qu’il ne manque pas du minimum, d’un verre d’eau, d’une douche, d’un repas, d’un soin, d’un lit, d’une démarche administrative, d’un papier à obtenir, d’un renseignement attendu, d’un téléphone à donner, en fait tout ce qui touche aux fondamentaux qui respectent la dignité de la personne. Cette inquiétude ne nous sera jamais reprocher puisqu’elle nous place en face de l’humanité blessée revêtue par Jésus !

Marie représente la dimension spirituelle de l’accueil de l’autre en étant totalement disponible à celui qui passe. C’est le temps de l’écoute, ‘fondement de toute spiritualité, c’est le 1er service à rendre aux autres dans la communauté’ souligne Dietrich Bonhoeffer ; s’asseoir pour écouter celui qui a besoin de se dire, de raconter son parcours, les drames de la route, ses peurs, ses objectifs ; être des oreilles toutes tournées vers une vie en souffrance qui se dépose en nous pour y trouver accueil, encouragement, conseil pour tenir et continuer. ‘Si nous n’écoutons pas, rien n’entrera dans notre esprit et notre cœur.’ ‘S’il vous plait, je vous demande d’écouter les pauvres, ceux qui souffrent. Regardez les dans les yeux et laissez-vous interroger à tout moment par leurs visages sillonnés de souffrance et par leurs mains suppliantes. En eux, on apprend d’authentiques leçons de vie, d’humanité, de dignité….’

Béthanie, lieu du relèvement global de la personne, où est pris en compte son développement intégral comme nous y invite François, chemin déjà ouvert par Vincent de Paul.

Béthanie, lieu de l’amitié qui est un des meilleurs dons que nous pouvons offrir aux autres. Non pas donner de son temps mais mener ensemble une vie fraternelle dont personne ne sort indemne. Robert Maloney souligne que ‘St Vincent nous appelle à traiter ceux que nous servons non pas comme des ‘pauvres’ mais comme des personnes. Il nous demande de les traiter non pas comme des clients mais comme des amis que nous aimons profondément.’

Si nous laissons l’Esprit saint nous conduire, nous nous ouvrirons à l’étranger et nous l’aimerons. Nous comprendrons qu’il n’y a pas de frontières infranchissables dans les relations qui construisent le Corps du Christ dans nos réalités d’aujourd’hui ; peut-être ‘expérimenterons-nous que le Christ peut nous humaniser l’un par l’autre et être témoin de l’Évangile’.

S’ouvrir, se réjouir, accompagner, être un instrument pour que l’autre trouve sa place au sein de la communauté et développe ses talents sur d’autres terres, car « tout immigré qui frappe à notre porte est une occasion de rencontre avec Jésus Christ qui s’identifie à l’étranger de toute époque accueilli ou rejeté… ».

Être présents dans nos lieux de vie pour répondre aux besoins urgents de toute personne qui est en itinérance, pour prendre le temps d’écouter, de se faire réservoir des souffrances humaines et qu’une source de vie nouvelle rafraichisse toute personne qui nous est étrangère.

Dans toutes ces dimensions, ces lieux, ces démarches, apprendre et vouloir travailler avec d’autres, collaborer avec ceux qui ont une formation appropriée au niveau psychologique, administratif, humain etc ; collaborer avec les provinces dont sont originaires les migrants, exilés, réfugiés ; il y a des ponts, des liens, un tissu humain à sauvegarder, à construire.

La Famille Vincentienne qui est présente sur de nombreux pays, peut favoriser ces liens, les consolider et permettre qu’à chaque étape que le migrant soit accueilli, reconnu et trouve les moyens de réaliser son avenir. Savoir proposer des lieux de prière, de ressourcement nécessaire comme Marie. La dimension religieuse et spirituelle est vitale pour chaque personne.

Oui, finalement pour nous comme pour tout chrétien, ‘il y a toujours, partout, des gens à aimer et toujours et partout, à témoigner d’un Dieu qui relève afin que des hommes et des femmes qui ont mille raisons de se sentir écrasés puissent doucement reprendre courage et espérance’. Tel est le défi que nous avons à relever aujourd’hui ! telle est notre foi et telle doit être notre expérience à l’exemple de St Vincent, et que notre « amour soit inventif jusqu’à l’infini… ! » qu’il en soit ainsi !…

Christian MAUVAIS, CM – Visiteur Province de France 🔸

Si nous laissons l’Esprit saint nous conduire, nous nous ouvrirons à l’étranger et nous l’aimerons. Nous comprendrons qu’il n’y a pas de frontières infranchissables dans les relations qui construisent le Corps du Christ dans nos réalités d’aujourd’hui…

Explications :

Homélie du 13 octobre 2017 à Rome- Symposium

La question des sources

La question des sources

Il est beaucoup exigé du travail des historiens ou assimilés. Rien ne doit s’affirmer sans affiner la source par justice et honnêteté. Il est beaucoup demandé aux confrères simplement amateurs – souvent requis d’office – qui doivent aux aussi justifier leurs positions historiques ou du moins leur interprétation personnelle. S’ils ont besoin de motiver leurs affirmations, il leur faut avoir sous les yeux, le minimum de documents et de preuves écrites et archivées.

Comme nos maisons maintenues longtemps ouvertes se sont fermées, beaucoup de nos bibliothèques sont parties aux oubliettes de la revente, voire de l’offre à tous vents!  Je citerai deux exemples du temps passé : notre bibliothèque de Richelieu était réduite, voici 20 ans, à un tas de livres au milieu d’une chambre sans lumière et humide. Je les ai vus gisant comme des ordures. Notre bibliothèque de Buglose d’avant la Révolution, estampillée ‘Congrégation de la Mission’, a rejoint bien évidemment la Bibliothèque diocésaine puisque nos confrères exilés par les événements, avaient tout laissé. Si quelques fonds demeurent, sont-ils entretenus, complétés, disponibles ? Pour l’heure le meilleur est à Paris, gardé par des mains vigilantes, expertes et capables, mais il est nécessaire d’aller à St Lazare, d’y séjourner et de payer voyage et pension. Le travail intellectuel a du mal à être rémunéré  et c’est une tradition à la dent dure dans la Congrégation, alors il est impensable d’y ajouter des dépenses. Que faire ? Il existe sans doute beaucoup de moyens mais pourquoi ne pas commencer par exploiter ce qui existe.

A qui veut faire un travail simple mais fiable et reconnu comme tel, on peut suggérer d’abord de posséder les livres de base sur st Vincent, la Congrégation de la Mission, les lieux importants, les personnages saillants de notre Histoire commune. De même en ce qui concerne ste Louise, l’Histoire de leur Compagnie pour les Filles de la charité. Je suggère que soit indiquée une bibliothèque minima standard au moment de la formation, et qu’aucun jeune prêtre ne quitte ses cycles d’études sans posséder à son usage, ces ouvrages basiques. Il existe malheureusement assez « d’héritages »  pour constituer un fond commun de distribution, sans que soit grevé le budget commun.

Chaque utilisateur de l’informatique devrait recevoir aussi le disque qui contient les textes élémentaires de base sur st Vincent. Il n’est plus nécessaire de posséder les gros ouvrages d’Abelly de Coste, Collet, etc. Et cela ne mesure que 12 cm sur 12 cm ! Un vrai trésor à portée de main

Chaque utilisateur de l’informatique pourrait aussi  être pourvu du disque qui contient, numérisés,  tous les numéros des « Annales de la Congrégation de la Mission et de la Compagnie des Filles de la Charité ». Ce contenu court de 1834 à 1961, la charge d’un tel outil n’étant pas très lourde et embarrassante. Il y a là des textes officiels,  des chroniques bourrées de noms, de dates et de lieux suggestifs et souvent précis, bien plus subtils que les chroniques de Wikipédia ! Des inédits de st Vincent sont fournis et viennent compléter les richesses en notre possession.

Chaque utilisateur de l’informatique pourrait enfin, posséder pour travailler honnêtement, le disque des documents numérisés  qui fournit les inventaires de nos Archives. Depuis septembre 2000 un immense travail de compilation offre sur votre bureau d’ordinateur, et l’inventaire proprement dit et beaucoup de textes numérisés d’auteurs différents et complémentaires, soit plus d’une centaine dont les contenus sont quelquefois très surprenants. Merci au Père Lautissier pour une telle mine de travail fait et encouragé. De telles sources ne sont pas exploitées à leur juste niveau.

Il reste un vide d’importance. Depuis le départ de la Curie Généralice à Rome, les Annales ont été interrompues et remplacées par Vincentiana d’abord en langue latine – peu de temps, il est vrai- et puis en langues vernaculaires. Depuis la décision du Père Maloney, trois langues officielles ont été retenues : anglais, espagnol, français. On pourrait suggérer aussi leur numérisation mais chaque maison peut s’y abonner.

Une autre source dort et souvent richissime. Je veux parler des bulletins papiers de nos provinces de France. La Province de Paris a connu « Paris-Echos » et Toulouse « Toulouse-Informations » et « Toulouse-Animation ». J’ai personnellement gardé tous les numéros depuis leur commencement en ce qui concerne ma Province d’origine et je puis témoigner que tout cela se conserve aisément en une seule boite d’archive usuelle. Certes, l’Histoire rapportée là est très officielle et nue par les faits : placements, lieux, personnes, consignes, avis etc. mais elle a le mérite d’être exacte dans les données et les dates. Rien n’empêche certaines maisons ou particuliers de faire relier ces précieux agendas.

Il reste aussi une autre source à portée de main, ‘Le Bulletin des Lazaristes de France » dit B.L F  à qui ont succédé dans un autre format, depuis octobre 2004, « les cahiers saint Vincent ». Ils rapportent notre Histoire commune dans son immédiateté.

Faut-il ajouter deux références intéressantes : une parution trop  éphémère avec « Mission et Charité », lancée par Monsieur André Dodin, d’avril 1961 à juin 1968. Il y a là des pages de fond à ne pas négliger et égarer. De même, gardons précieusement la collection des fiches vincentiennes qui couvrent l’étendue de 100 numéros, poursuivant un objectif plus pastoral que spirituel. Après un temps mort, elles viennent de reparaître et sont accessibles par ordinateur, sous l’adresse suivante http://oeuvre-berceau-st-vincent.cef.fr/ avec ses renvois ou doublets sur d’autres sites comme c’mission : https://cmission.fr/index.php/fiches-vincentiennes/

Et pour qu’on ne nous accuse pas de combattant d’arrière-garde, je ne manquerai de vanter les sources électroniques souvent abondantes et opulentes en citant par exemple le fond proposé à notre recherche en http://jesusmarie.free.fr/vincent_de_paul.html, par exemple.

Qu’on se le dise : il est possible de travailler à distance des documents d’origine et de fournir un travail original et salubre qui évite celui de seconde main. Et quand un vrai besoin s’en fait sentir, un voyage sur la capitale pourra être défrayé et obtenu par l’intelligence éclairée des supérieurs concernés, n’en doutons pas. L’amabilité des archivistes en service nous attend et nous promet l’aiguillage le meilleur.

Reste un plaidoyer de taille que l’âge et l’expérience me permettent de lancer : « Pitié pour nos bibliothèques  communautaires» ! Nous n’avons pas le droit et par respect pour le passé et les confrères qui l’ont fait, pour ceux du présent qui doivent travailler, et ceux qui prendront leurs succession, de transmettre des torchons de bibliothèques, de dilapider le bien commun, de  laisser en jachère des classements et de lancer au mépris de tous, ce qui appartient à tous. Deux réflexions me  viennent à l’esprit en constatant certains dégâts : « Tiens, les Huns sont passé par là » selon un confrère éternisé, et dit de façon plus élégante à la suite de  Peter Sloterdijk, essayiste et philosophe allemand : « A vouloir se dispenser du passé, le présent perpétuel de notre monde pourrait bien finir par nous priver d’avenir, c’est-à-dire d’espérance. » Vous avez raison, Monsieur, « Il n’y a pas d’avenir sans passé ».

Jean-Pierre RENOUARD, CM 🔸

Deux réflexions me  viennent à l’esprit en constatant certains dégâts : « Tiens, les Huns sont passé par là » selon un confrère éternisé, et dit de façon plus élégante à la suite de  Peter Sloterdijk, essayiste et philosophe allemand : « A vouloir se dispenser du passé, le présent perpétuel de notre monde pourrait bien finir par nous priver d’avenir, c’est-à-dire d’espérance. » Vous avez raison, Monsieur, « Il n’y a pas d’avenir sans passé ».

DU MÊME AUTEUR
BILLETS DE SPIRITUALITÉ

http://oeuvre-berceau-st-vincent.cef.fr/index.php/our-blog/billets-de-spiritualite.html?start=20