ÉGLISE EN PÉRIPHÉRIE – le rapport 2016

ÉGLISE EN PÉRIPHÉRIE

le rapport 2016

Ce document-étape fait le point sur ce chantier ouvert par la Conférence des évêques de France, voici environ deux ans. Le mot « périphérie » a été mis en valeur par le pape François. Depuis, il accomplit son œuvre de « stimulant » pour contempler et accompagner l’œuvre de l’Esprit de Pentecôte auprès de ceux qui vivent « là où réside le mystère du péché, de la douleur, de l’injustice… Là où sont toutes les misères. »

C’est le mystère de l’Incarnation : se faire proche, se faire l’un de ceux qu’on veut rejoindre pour les sauver. On ne sauve pas de loin. On ne se fait pas frère de loin. Jésus est né dans une grotte. Il a vécu 30 ans dans un village inconnu. Au cours de sa vie publique, il est resté loin de Jérusalem, dans cette Galilée des Nations, lieu de passage, de brassage, de diversité. Il s’est fait proche de ceux qui vivaient dans l’exclusion. Il se l’est fait reprocher par ceux pour qui pauvreté et misère riment avec délinquants, dangereux, pécheurs ! Lui parlait d’eux comme des premiers enfants du Royaume.

L’histoire de l’Église fourmille de belles figures qui se sont faites proches des plus pauvres : saint Vincent de Paul en est un bel exemple. Mais il y en a tant d’autres ! Et aujourd’hui encore : Mère Teresa, Sœur Emmanuelle et un grand nombre de merveilleux « bons samaritains ».

Bien réellement, l’Église qui est en France aujourd’hui vit en périphérie. Elle se donne à voir, elle rejoint, accompagne, témoigne, porte l’Évangile. Elle y a le visage des petits, des souffrants, des exclus. On y parle le plus souvent le langage de la charité, de la solidarité, du soutien ! On y parle celui des initiatives ! On y parle celui de la confiance en Dieu présent au cœur des existences et des cœurs éprouvés… comme toujours ! À travers ces récits, sachons reconnaître la présence de Celui qui bâtit « l’Église en périphérie ».

+ Georges PONTIER
Archevêque de Marseille, Président de la Conférence des évêques de France🔸

L’Évangile, c’est comme du bon grain : tu le sèmes, tu le sèmes par la parole et par ton témoignage. […] C’est Lui qui le fait pousser.

Pape François

Les lazaristes aux Mascareignes aux XVIIe et XIXe siècles


Les Lazaristes aux Mascareignes aux XVIIIe et XIXe siècles

Île Bourbon (La Réunion) et Île de France (Maurice)

Cet ouvrage n’a pas d’autre ambition que de mettre à disposition du chercheur et du curieux un choix de sources sur les lazaristes.

La Congrégation de la Mission a été fondée en 1625 par Saint Vincent de Paul. Ses membres s’appellent les lazaristes ou prêtres de Saint-Lazare. Pendant plus d’un siècle, plus d’une centaine de Lazaristes, prêtres et frères, ont évangélisé l’île Bourbon et l’île de France. C’est leur histoire, leur mission, que nous découvrons à travers les manuscrits, documents, lettres, notes, traités et mémoires entreposés aux Archives de la Congrégation de la Mission à Paris.

Avant-Propos

Cet ouvrage n’a pas d’autre ambition que de mettre à disposition du chercheur et du curieux un choix de sources sur les lazaristes. Ces sources sont souvent difficiles d’accès : les réunir dans une publication les rend accessibles au plus grand nombre.

Les documents présentés sont issus de la correspondance et des traités qui concernent la mission des lazaristes aux Mascareignes. Le texte original de chaque document retenu est retranscrit afin de permettre aux chercheurs une exploitation aisée. La table des matières détaillée organise ces documents par dates et par thèmes.

Mgr Maupoint avait écrit un ouvrage qui représente cinq ou six tomes manuscrits. Il souhaitait les publier, mais n’a pu les faire, car l’éditeur trouvait cet ouvrage trop conséquent. Mgr Maupoint donna ce manuscrit à un père lazariste, Gabriel Perboyre, qui s’en servit partiellement pour écrire ce qui aurait dû être le tome 10 des Mémoires des Missions Lazaristes. Ce tome 10, toujours manuscrit, n’a jamais été publié. J’ai repris ce manuscrit comme base de travail. J’y rajouté la correspondance échangée entre les missionnaires, le supérieur général, l’archevêque de Paris et les membres de la Compagnie des Indes.

Pour cette publication, j’ai retenu uniquement les documents ayant trait à l’aspect religieux.

CHAPITRE 1 : Négociations et Traité pour la mission de Bourbon – 1712-1714

CHAPITRE 2 : Préfecture Apostolique de M. Renou : 1714-1721

CHAPITRE 3 : Préfecture Apostolique de M. Criais pour les deux îles

CHAPITRE 4 : Préfecture Apostolique de M. Teste pour les deux îles

CHAPITRE 5 : Préfecture Apostolique de M. Contenot – 1772-mai 1778

CHAPITRE 6 : Préfecture Apostolique de M. Davelu – 1778-1781

CHAPITRE 7 : Préfecture Apostolique de M. Chambovet – 1781-1788

CHAPITRE 8 : Préfecture Apostolique de M. Darthé – 1788-1796

CHAPITRE 9 : Préfecture Apostolique de M. Boucher – 1804-1806

CHAPITRE 10 : Fin de la mission lazariste à l’île de France -1806-1808

CHAPITRE 11 : Projet Madagascar

CHAPITRE 12 : Notices sur les missionnaires des Mascareignes

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

Marc Thieffry 🔸

Au travers de cet ouvrage, nous souhaitons redonner vie à ces hommes qui se sont consacrés à cette oeuvre et permettre aux habitants de La Réunion et de Maurice de connaître l’histoire de la première évangélisation de leurs Îles.

Marc Thieffry

a eu l’occasion de travailler de nombreuses années en Afrique avec les Lazaristes, et les a fréquentés en Europe et en Amérique latine. Aujourd’hui, il lui est offert de travailler sur les archives lazaristes et ainsi de redonner vie à différentes missions ouvertes par Saint Vincent de Paul. Ce faisant, il permet à un plus grand nombre de vivre ces créations de l’intérieur.

Editions L’Harmattan, 5-7, rue de l’École Polytechnique 75005 Paris Tél. 01 40 46 79 20 / Fax 01 43 25 82 03 (commercial). 535 pages. // 42 euros
www.editions-harmattan.fr //

Ouverture de l’année vincentienne


Ouverture de l’année vincentienne

Homélie à Châtillon-sur-Chalaronne

« Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » C’est en étant terrassé par l’Amour que Saint Paul va devenir l’apôtre des nations. Celui qu’il persécute, c’est Jésus. Dieu ne nous aime pas de l’extérieur. Son amour va jusqu’au bout, jusqu’à épouser notre humanité dans son entièreté, jusqu’à s’identifier à nous, et tout particulièrement au plus démuni, au plus pauvre, au persécuté.

C’est en voyant un pauvre terrassé par l’amour le 24 janvier 1617, c’est en prêchant sur la confession générale à la demande de Mme de Gondi le 25 janvier 1617 que Vincent de Paul va progressivement être terrassé par l’amour et se faire dans l’amour évangélisateur des pauvres.

Alors que l’abbé Vincent de Paul vit un moment de déprime dans son ministère (« je ne catéchisais plus et ne prêchais plus » dira-t-il), il est appelé pour confesser un pauvre. La manière dont ce pauvre va vivre cette confession et la réaction de Mme de Gondi vont être décisives dans la vie du futur Saint Vincent de Paul. Ce pauvre a été terrassé par l’amour – il comprend que par la confession il vient d’être réconcilié avec Dieu et avec lui-même –. Vincent de Paul, par cette rencontre et l’injonction de Mme de Gondi de prêcher le lendemain 25 janvier sur la confession générale, va de Folleville à Chatillon, se laisser lui-même terrasser par l’amour.

« Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » Saisi par l’indigence spirituelle des pauvres de son époque, Vincent va devenir évangélisateur des pauvres, tâche qu’il assignera à la congrégation de la mission. Il aimera faire référence aux paroles de Jésus à la synagogue de Nazareth (Lc 4, 18) : « L’Esprit su Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction : il m’a envoyé proclamer la bonne nouvelle aux pauvres ». « Notre vocation est : Evangelizare pauperibus ».  Evangéliser, c’est-à-dire prendre soin de la personne dans son ensemble, tant dans ses dimensions corporelle et sociale que spirituelle.  Plus il servira les pauvres, plus il découvrira combien son Seigneur s’identifie à eux. C’est la raison pour laquelle les pauvres deviendront ses maitres. Non pas qu’ils seraient plus saints ou plus sages que d’autres, mais comme Paul a découvert par révélation que ceux qu’il persécutait étaient le Christ, Vincent de Paul découvrira que les pauvres que nous voulons servir sont le Christ. « Servant les pauvres, on sert Jésus Christ », répètera-t-il si souvent aux filles de la Charité. Pas de soin spirituel sans soin corporel et social. Pas plus de soin corporel et social sans soin spirituel. En effet, tout homme, à commencer par le plus pauvre, est fait pour la joie et la plénitude de la vie.

« Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » « Qui es-tu Seigneur ? » « Je suis Jésus Celui que tu persécutes. » Il me semble qu’avec Paul et Vincent de Paul, au début de cette année vincentienne, nous pouvons au moins recueillir trois leçons :

  • « Les pauvres sont nos maitres » : ce n’est pas une déclaration affective ou idéologique, c’est une affirmation théologique. Nous avons raison de citer souvent la parabole du jugement dernier en Mt 25 pour fonder notre service des plus démunis. Notre Seigneur, celui que nous confessons comme Sauveur, s’identifie à eux. Vincent de Paul n’est pas d’abord un humanitaire au sens moderne du terme – comment ne pas être plein de reconnaissance envers ceux qui s’engagent dans l’humanitaire, mais Vincent de Paul se situait autrement. Plus il se donnait à son Seigneur, plus il était donné aux pauvres ; plus il se donnait aux pauvres, plus il faisait l’expérience de son Seigneur. Saint Vincent de Paul disait : « Donnez-moi un homme d’oraison, il sera capable de tout. ». Il savait que la plongée en Dieu démultiplie l’action – on ne perd jamais son temps à faire oraison, on en gagne, puisqu’on s’ouvre là à l’accueil de la puissance de l’Esprit du Ressuscité. Il savait que dans l’oraison se trouvait la clé de la reconnaissance du pauvre sans sa dignité inaliénable. Le service des pauvres qui demande rigueur et compétence ne peut jamais se réduire à des techniques ou des procédures, ce sont toujours des personnes que l’on rencontre, des personnes engagées dans une histoire sainte, dans une histoire de salut.
  • « La bonne nouvelle est annoncée aux pauvres. » Avec l’apôtre des nations, Vincent de Paul se voulait évangélisateur. « Allez annoncer l’Evangile à toute la création » commande Jésus dans le passage de l’Evangile que nous avons entendu il y a quelques instants. Et pour Vincent, d’abord évangélisateur des pauvres. Evangéliser les pauvres, cela veut dire aller partout, surtout là où personne ne va, dans tous les « no man’s land » où figurent l’absence de respect de l’autre, l’injustice, l’indifférence coupable, l’ignorance de Dieu. Précurseur du pape des « périphéries », il ne voulait pour les pauvres rien de moins que le meilleur. Et le meilleur, c’est Dieu. Il avait compris qu’annoncer Dieu à celui dont on ne prend pas soin dans ses besoin les plus fondamentaux est une contradiction radicale. Mais découvrir cela – et ce fut sans doute l’une des expériences majeures de Chatillon – ne lui fera jamais oublier ce meilleur auquel tout homme est promis. Comment ne pas citer ici le pape Francois dans la joie de l’Evangile (n° 201) : « je veux dire avec douleur que la pire discrimination dont souffrent les pauvres est le manque d’attention spirituelle. L’immense majorité des pauvres a une ouverture particulière à la foi ; ils ont besoin de Dieu et nous ne pouvons pas négliger de leur offrir son amitié, sa bénédiction, sa Parole, la célébration des Sacrements et la proposition d’un chemin de croissance et de maturation dans la foi. L’option préférentielle pour les pauvres doit se traduire principalement par une attention religieuse privilégiée et prioritaire. »
  • Cela n’est pas sans conséquence sur notre manière de concevoir l’Evangélisation : ce n’est pas l’annonce universelle de l’Evangile qui est signe de la présence de Dieu, c’est le fait qu’elle se réalise par les pauvres (cf. Lc 4,18). Le mouvement indiqué dans l’Evangile part de l’annonce des pauvres et se prolonge, à partir de là, dans une annonce universelle. En vérité, si l’Evangile n’est pas d’abord annoncé aux pauvres, alors nous n’annonçons pas le bon Evangile à tous les hommes…[1]

 « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » « Qui es-tu Seigneur ? » « Je suis Jésus Celui que tu persécutes.» En cette fête de la conversion de Saint Paul, entrons ensemble dans l’année vincentienne. Que le Seigneur soit béni !

Mgr Olivier Leborgne, évêque d’Amiens🔸

« Les pauvres sont nos maitres » : ce n’est pas une déclaration affective ou idéologique, c’est une affirmation théologique.

Explications

[1] Cf. Xavier Durand, cité par Dominique Robin, Saint Vincent de Paul et le temps de la Charité, Médiaspaul 2011, page158.

La spiritualité vincentienne


La spiritualité vincentienne

Conférence donnée à St Justin en Chaussée, paroisse de Gannes

Voici quatre cents ans, à quelques jours près, Monsieur Vincent se trouvait dans votre paroisse, auprès de ce pauvre paysan ayant besoin de se confesser. C’est pourquoi nous sommes rassemblés en cette année 2017.

Le thème que nous traitons ce soir touche à la spiritualité de Saint Vincent de Paul. Je vous signale deux belles références, qui peuvent aider à mieux connaître et vivre cette spiritualité : MM. Dodin[1] et Renouard[2]. Je vous invite à les lire, si vous souhaitez approfondir la question.

Pour vous présenter une introduction à ce sujet, je veux commencer par considérer que la spiritualité vincentienne est une spiritualité chrétienne… Je pars d’une évidence apparente, pour souligner le fondement de toute la vie missionnaire de Monsieur Vincent : Dieu. On peut avoir l’habitude de rattacher Monsieur Vincent à toutes ses bonnes œuvres, de se le représenter au secours des enfants abandonnés, ou de personnes blessées ou affamées. Ce n’est que la face visible de l’iceberg, le symptôme du cœur de sa vie : la charité, c’est-à-dire l’amour de Dieu. Monsieur Vincent a transmis une spiritualité ancrée en Christ, et nous allons voir à quoi cela peut correspondre.

Mais aussitôt, nous entendrons Monsieur Vincent prévenir, en écho à la Première lettre de Saint Jean (1 Jn 4,21) : « celui qui aime Dieu, qu’il aime aussi son frère ». L’Esprit de Dieu nous met en contact avec Dieu Père et nous tourne vers nos semblables comme frères. La rencontre de Dieu avec Saint Vincent ne se cantonne pas à un ermitage, ni à un salon de spiritualité de croyants bien priants, et nous allons chercher où il peut nous emmener.

Ainsi comprise, nous verrons enfin comment cette spiritualité chrétienne nous conduit à une pratique singulière, selon ses caractéristiques propres.

1) Une spiritualité ancrée en Christ

Nous commencerons donc par affirmer ce qui peut apparaître comme une lapalissade : la spiritualité vincentienne est une spiritualité chrétienne. Monsieur Vincent n’a rien créé ex nihilomais il a eu le génie de sa propre synthèse. J’aime le comparer souvent à une abeille, qui butine à différentes fleurs pour en extraire son propre nectar, et participer au travail de la ruche Eglise.

Vincent de Paul a été baptisé les tout premiers jours de sa naissance, dans le pays où je réside à présent. Il grandit dans la foi chrétienne que ses parents vivent et transmettent à leurs six enfants. Il part assez jeune au collège des Cordeliers de Dax, puis à l’université de Toulouse pour étudier la théologie et devenir prêtre. Agé de 24 ou 25 ans, il passe un temps à Rome où, au milieu de ses recherches d’un soutien pour une promotion, il découvre les religieux hospitaliers fondés par saint Camille de Lélis. Il arrive enfin à Paris, où il commence par fréquenter le très influent Monsieur de Bérulle, avec le cercle mystique autour de Madame Acarie. Cet homme d’Eglise va particulièrement « remettre le Christ au centre de la vie spirituelle avec l’idée de l’incarnation continuée. La Mission de l’Église doit être de prolonger cette incarnation » [3]. Nous pouvons reconnaître aussi dans les écrits ou paroles conservées de Vincent de Paul les traces de grands spirituels, comme saint Augustin, Sainte Thérèse d’Avila, Thomas a Kempis, Benoît Canfield [4]. Il va même lier une amitié féconde avec l’évêque de Genève, qui deviendra saint François de Sales, qu’il va rencontrer et avec qui il va collaborer. Fort de tous ses courants, Vincent de Paul va se laisser porter sur des rivages nouveaux jusqu’à donner naissance et corps à un assemblage spirituel typé, personnalisé. Il va d’abord se frotter aux réalités de la vie sous ses différentes aspects, avant de trouver sa propre voie et de s’y engager de manière définitive, sa spiritualité va prendre forme tout au long de sa vie selon des événements qu’il va traverser. Elle va même murir après lui, dans la transmission depuis 1660 jusqu’à aujourd’hui, de ses premiers compagnons missionnaires jusqu’à ceux d’aujourd’hui, de ses premières collaboratrices comme les premières Dames de la Charité, comme Sainte Louise de Marillac et les premières Filles de la Charité, de tous ceux qui après lui chercheront à vivre dans son sillon spirituel, jusqu’à tous ceux qui s’en inspireront pour y ajouter leur approche contextualisée comme le Bienheureux Frédéric Ozanam et les Conférenciers, les Jeunes Vincentiens qui se regroupent à l’appel de Notre Dame de la Médaille Miraculeuse, et tous les autres groupes qui se réclament de son héritage (plus de 200 dans le monde).

Au cœur de sa spiritualité Vincent de Paul découvre le Christ. On peut reconnaître là une influence de Bérulle. Vincent aime contempler le Verbe Incarné, le Dieu fait homme, qui s’est fait proche des hommes parmi les plus petits et a partagé leurs conditions de vie. Vincent renvoie souvent à la vie pratique du Christ, pour aider à assumer les exigences et les aspects rudes de nos existences. « Il est dit du Fils de Dieu qu’il a été obéissant jusques à la mort de la croix. O mes filles, quel plus puissant motif voudriez-vous, pour aimer et pratiquer la sainte obéissance ! » (IX,70). Ou encore, sur des choses matérielles : « Une raison pour laquelle nous devons travailler à gagner une partie de notre vie, c’est que notre vocation a l’honneur d’imiter la vie laborieuse du Fils de Dieu ; … puisqu’il a travaillé avec saint Joseph et sa sainte Mère pour gagner sa vie, nous le devons faire » (IX,485). Vincent de Paul s’attache aussi à considérer le Christ Rédempteur, celui qui vient racheter les hommes de leurs péchés, et les sauver du péril de la damnation en les reliant à nouveau à Dieu, la seule vraie source de la vraie vie. C’est pourquoi il passe sa vie missionnaire à se préoccuper du salut des âmes. Vincent de Paul cherche encore régulièrement à connaître Jésus le Fils, car il est celui qui vient inviter les hommes à entrer dans la famille de Dieu. Il choisit le nom de « Filles de la Charité » pour les femmes qui s’engagent à donner leur vie au service des pauvres, et il leur explique, qu’ainsi appelées et vivant, elles se retrouvent à devenir « Filles de Dieu ».

Jésus, à la source de la vie nouvelle en Dieu, se présente dans l’expérience de Saint Vincent comme le modèle à imiter. Parmi d’autres, Vincent reprend cette démarche spirituelle de Thomas a Kempis, connue sous le nom commun de « l’imitation de Jésus Christ ». Il le résume dans sa formule ramassée, à l’intention des Missionnaires et des Filles de la Charité : « Jésus Christ est la Règle ». Toute leur vie s’organise et se déploie à partir de celle même du Christ. Rappelons-nous que Vincent de Paul reçoit pour lui-même Jésus comme modèle et qu’il s’évertue à le suivre comme lui-même a vécu. Il retient, de l’Evangile entendu à Folleville, cette maxime pour sa vie et celle de la Congrégation qu’il va diriger : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres … » Lc 4,18

Comme tout chrétien, Vincent de Paul vit ce lien au Christ par les sacrements, en premier le baptême, et il l’entretient particulièrement par l’eucharistie et la réconciliation. La vie chrétienne est une mise en relation de l’homme avec Dieu, par son Fils Jésus et dans l’Esprit. Cette relation, comme telle, a besoin d’être activée et nourrie. La prière représente un canal essentiel par lequel Vincent va apprendre à se laisser conduire. Elle peut être comparée aux poumons, par lesquels passe le souffle nécessaire à la vie de l’ensemble du corps. Vous connaissez peut-être cette phrase célèbre de Saint Vincent de Paul : « donnez-moi un homme d’oraison, et il sera capable de tout ». On peut s’interroger alors à l’inverse : que pourra donc faire un homme sans oraison ? En tout cas, Monsieur Vincent est un homme qui vit de l’oraison et qui invite tous ses collaborateurs à cette même pratique. Cette préoccupation de Saint Vincent de la consécration quotidienne d’une heure à l’oraison est un indice majeur de la dynamique de sa vie. C’est en Dieu qu’il trouve la source de sa vie et de son action. Ce rapport entre la vie réelle et la prière, basé sur le mystère même du Dieu incarné, se traduit chez Monsieur Vincent par une pratique simple. Il ne fait pas de l’oraison un exercice mystique réservé à quelques experts éclairés. Il partage sa vie spirituelle sous l’élan de Saint François de Sales, l’auteur de l’Introduction à la vie dévote qui a cherché à rendre accessible à tous la vie de sainteté. Vincent de Paul propose d’aborder la vie concrète comme sujet de méditation. L’oraison, à son école, est aussi une méditation de notre vie de croyants, la prise en considération de ce que nous vivons, pour y reconnaître la présence de Dieu et lui y laisser place. Ecoutons Monsieur Vincent qui parlait aux Filles de la Charité de l’oraison :

« O mes filles, aimez bien ce saint exercice de l’oraison et rendez-vous-y soigneuses, car c’est la pépinière de toute la dévotion. Il faut que je vous dise, à ce sujet, qu’un de ces jours, j’ai été grandement édifié par un président de tribunal, qui fit sa retraite, il y a environ un an, chez nous. Me parlant du petit examen qu’il avait fait sur son règlement de vie, il me dit que, par la grâce de Dieu, il ne pensait pas avoir manqué deux fois à faire son oraison. « Mais, savez-vous, Monsieur, comme je fais mon oraison ? Je prévois ce que je dois faire dans la journée et, de là, découlent mes résolutions. Exemple : Je m’en irai au palais ; j’ai telle cause à plaider ; je trouverai peut-être quelque personne de condition qui, par sa recommandation, pensera me corrompre ; moyennant la grâce de Dieu, je m’en garderai bien. Peut-être que l’on me fera quelque présent qui m’agréerait bien ; oh ! je ne le prendrai pas. Si j’ai disposition à rejeter quelque partie, je lui parlerai doucement et cordialement. « 

Eh bien ! que vous semble, mes filles, de cette manière d’oraison ? N’êtes-vous pas bien édifiées de la persévérance de ce bon président, qui pourrait s’excuser de la quantité de ses affaires, et néanmoins ne le fait pas, pour le désir qu’il a d’être fidèle à la pratique de ses résolutions ? Et vous, mes chères sœurs, … vous pouvez faire votre oraison de cette manière, qui est la meilleure ; car il ne faut pas la faire pour avoir des pensées relevées, pour avoir des extases et ravissements, qui sont plus dommageables qu’utiles, mais seulement pour vous rendre parfaites et vraiment bonnes Filles de la Charité. Vos résolutions doivent donc être ainsi : « Je m’en irai servir les pauvres ; j’essaierai d’y aller d’une façon modestement gaie pour les consoler et édifier ; je leur parlerai comme à mes seigneurs, etc. …  » C’est ainsi, ce me semble, mes filles, que vous devez faire vos oraisons. Cette méthode ne vous semble-t-elle pas utile et facile ? » (SV IX, 29)

Et à nous donc, que nous en semble ?… Voilà une forme de prière vincentienne bien accessible, et exigeante tout au long de la journée. Elle ne nous laissera pas nous évader en tranquillité éloignée de Dieu, puisqu’elle ouvre notre quotidien à la visite de Dieu.

La prière avec saint Vincent de Paul ne fait pas entrer dans une sérénité oisive. Elle forme comme une caisse de résonnance à l’appel de Dieu. Je rappelais déjà la Première lettre de Saint Jean dans l’introduction : « celui qui aime Dieu, qu’il aime aussi son frère », sans quoi il se révélerait être un menteur. Vincent de Paul, lui, parle de « chrétien en peinture ». La vraie connaissance de Dieu ne peut pas laisser indifférent aux autres. Il y a un passage à vivre, passage de l’amour affectif … à l’amour effectif, comme l’appelle saint Vincent.  Nous redécouvrons avec lui que la foi chrétienne est une relation à un Dieu qui est venu dans le monde, à un Dieu qui est venu sauver le monde et qui fait appel aux hommes pour vivre en communion avec lui, et en solidarité entre eux. Nous ne pouvons pas en rester les bras croisés.

2) Amour de Dieu … et des autres semblables

Nous l’avons déjà entendu dans l’expérience de Saint Vincent. Sa rencontre avec le Christ prend une tournure décisive pour sa vie, lorsqu’il se laisse envoyer à la rencontre des pauvres. « L’Esprit du Seigneur est sur moi … Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres … ». Dans la logique de son baptême et de son sacerdoce, Vincent se reconnaît comme un disciple sur les routes de l’Evangile avec Jésus. Il est appelé pour être avec lui, apprendre à connaître Dieu, et dans le même temps, il participe à sa mission. Rappelons-nous Lc 10 : « … parmi les disciples le Seigneur en désigna encore soixante-douze, et il les envoya deux par deux, en avant de lui, en toute ville et localité où lui-même allait se rendre ». Tout au long de l’évangile, Jésus choisit de s’intéresser d’abord aux pauvres, à ceux qui souffrent dans leur corps et dans leur âme. Vincent de Paul le comprend ainsi avec ses premiers compagnons :

« Nous sommes en cette vocation fort conformes à Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui, ce semble, avait fait son principal, en venant au monde, d’assister les pauvres et d’en prendre le soin. … Et si on demande à Notre Seigneur : « Qu’êtes-vous venu faire en terre ? » ­  « Assister les pauvres ». ­ « Autre chose ? » ­ « Assister les pauvres » » (XI,108), insiste Monsieur Vincent.

Et comment se traduit cette assistance des pauvres ? A partir de ses expériences fondatrices de 1617, à Gannes-Folleville puis Châtillon, elle va consister à prendre soin des pauvres dans tout leur être. Cette année 2017 que nous célébrons représente un tremplin de toute l’action que Monsieur Vincent va développer, avec tous ses collaborateurs et ses héritiers, sur bien des fronts différents tant ceux de la guerre, que de la maladie, de la faim, de l’ignorance religieuse ou du manque de formation.

Engagé sur ce chemin du service des blessés de la vie, Vincent de Paul aboutit à une mystique du Christ présent dans le pauvre. C’est vers là que nous tournons notre regard avec lui :

« … servant les pauvres, on sert Jésus-Christ. O mes filles, que cela est vrai ! Vous servez Jésus-Christ en la personne des pauvres. Et cela est aussi vrai que nous sommes ici. Une sœur ira dix fois le jour voir les malades, et dix fois par jour elle y trouvera Dieu ».  (IX, 252)

La contemplation de Jésus Verbe de Dieu incarné amène à reconnaitre sa présence en l’homme, en tout homme, et particulièrement en ses frères les pauvres. C’est ainsi que lui-même a annoncé sa présence au cœur du monde, auprès de tout homme. Rappelons-nous Mt 25, célèbre référence qui inspire Monsieur Vincent et paraît dans ses écrits dès le règlement de Châtillon de décembre 1617. Avec Vincent de Paul dans le service, nous réalisons qu’une identification du Christ au pauvre peut s’opérer, et qu’elle entraine à vivre la présence réelle de Dieu : « elle y trouvera Dieu ». Je prends volontiers ce qualificatif « réel », pour souligner la foi dans laquelle Vincent vit cette rencontre du Christ dans le pauvre. Il précise : « … cela est aussi vrai que nous sommes ici ».

Avec les Filles de la Charité, Vincent de Paul tire donc une conséquence spirituelle et existentielle de cette identification : une prompte disponibilité pour le service. Avec Jésus Fils de Dieu incarné, le divin est dans l’humain. Ce dernier mérite donc toute l’attention et tout l’honneur rendu au premier. Le service devient comme un acte sacré, liturgique, comme une prière, puisqu’il est un acte d’entrée en contact et un acte de lien avec le divin. Répondre à un service du frère revient à répondre à un service de Dieu, il n’y a pas de contradiction possible entre les deux :

« Mes filles, sachez que, quand vous quitterez l’oraison et la sainte messe pour le service des pauvres, vous n’y perdrez rien, puisque c’est aller à Dieu que servir les pauvres ; et vous devez regarder Dieu en leurs personnes. Soyez donc bien soigneuses de tout ce qui leur est nécessaire… ». (IX,5-6)

Dans le service selon saint Vincent de Paul, nous apprenons à contempler le Christ dans le pauvre. « Regarder Dieu en leurs personnes » est le nouveau pas à franchir pour vivre, comme saint Vincent de Paul, le service comme une rencontre de Dieu, comme une prière agissante.

« Je ne dois pas considérer un pauvre paysan ou une pauvre femme selon leur extérieur, ni selon ce qui parait de la portée de leur esprit ; d’autant que bien souvent ils n’ont presque pas la figure, ni l’esprit de personnes raisonnables, tant ils sont grossiers et terrestres. Mais tournez la médaille, et vous verrez par les lumières de la foi que le Fils de Dieu, qui a voulu être pauvre, nous est représenté par ces pauvres ; … O Dieu ! qu’il fait beau voir les pauvres, si nous les considérons en Dieu et dans l’estime que Jésus-Christ en a faite ! Mais, si nous les regardons selon les sentiments de la chair et de l’esprit mondain, ils paraîtront méprisables ». (XI,32)

Avec Saint Vincent de Paul, nous sommes appelés à vivre une conversion de notre regard, dépasser une apparence et un premier coup d’œil … Le Christ est présent à nos portes dans les pauvres, et il attend le culte qui doit lui être rendu, étant Dieu. Avec Jésus Fils de Dieu incarné, ce culte consiste premièrement dans l’amour, qui se vit réellement dans le service du frère. Saint Vincent de Paul a vécu la croisée des chemins du Christ et du pauvre. L’un et l’autre s’identifient et appellent au service pour une vraie rencontre. L’un et l’autre deviennent pour nous chemin de vie, de vocation, puisqu’ils nous donnent ainsi de contempler ce que nous sommes appelés à devenir : enfants de Dieu, et frères de tout homme dans le Christ. Avec Saint Vincent de Paul, nous pouvons découvrir et vivre le service du frère comme une vocation.

3) Une pratique particulière, selon les caractéristiques propres de cette spiritualité

Avant de conclure, il me semble important de souligner que cette spiritualité de charité active implique une manière propre d’agir. Nous ne pouvons pas tout en dire mais en retenir six aspects essentiels.

– Le service des pauvres que Vincent assume et promeut touche au corps et à l’esprit conjointement. Cette double attention est présente assez tôt dans l’expérience de Monsieur Vincent. Elle paraît écrite dès 1617, dans le premier règlement donné à la confrérie de Châtillon. Il ne l’abandonnera pas du reste de sa vie missionnaire. Il va développer un service multiple au soin de tout l’homme, dans cette double dimension indissociable du corps et de l’esprit, et de tous les hommes, sans distinction de nationalité ou de religion.

… Corporellement.

Il s’agit dans le concret de soigner les malades, nourrir celui qui a faim. Vincent de Paul invite tant les dames que les filles à offrir ces soins avec dévotion et délicatesse (exemple de la chemise blanche ; de la portion de viande ; …).

– Vous savez peut-être qu’il a montré beaucoup d’opiniâtreté pour que les Filles de la Charité puissent aller chez les plus pauvres, car ceux qui peuvent venir chercher les soins ont déjà cet ‘avantage’, tandis que ceux qui souffrent l’abandon sont davantage exposés au danger de mort. L’intérêt de visiter les pauvres est de « voir à l’œil » comment ils vivent, et ce dont ils ont vraiment besoin. Vincent veille à ne pas donner en excès, car ce ne serait pas bon pour ceux qui tenteraient d’obtenir plus que nécessaire. Ils pourraient risquer une certaine dépendance. De plus, la mauvaise distribution peut devenir une injustice contre les plus nécessiteux. Ils pourraient se retrouver privés d’un minimum. Vincent de Paul cherche avant tout à permettre aux pauvres de retrouver autant que possible une autonomie.

… Spirituellement.

– Annoncer l’Evangile de Dieu est premier, sans jamais oublier la manière propre du Christ, tant dans la forme (« il fut saisi de pitié ») que dans le fond (« je suis venu appeler les pécheurs … lève-toi, et marche »), avec le vecteur principal de la miséricorde divine. Manifester la tendresse de Dieu est donc une action qui vient simultanément avec l’Evangile. Saint Vincent va régulièrement dans le détail des soins spirituels, en soulignant l’importance de l’accompagnement dans l’étape de vie (convalescence ou mort, disposition ou besoin de recevoir la miséricorde de Dieu dans la confession).

Je voudrais souligner encore que le soin spirituel que nous, vincentiens, pouvons assurer est primordial. Saint Vincent l’explique aux Filles de la Charité :

« voyez-vous, mes chères sœurs, c’est bien quelque chose que d’assister les pauvres quant à leur corps, mais, en vérité, cela n’a jamais été le dessein de Notre-Seigneur en faisant votre Compagnie, que vous ayez soin du corps seulement, car il ne manquera pas de personnes pour ce sujet, mais l’intention de Notre-Seigneur est que vous assistiez l’âme des pauvres malades » (X, 33).

Même si l’urgence, le plus souvent, appelle à fournir au corps le nécessaire vital, l’occasion peut être provoquée ou reçue, de parler de Dieu, d’éveiller à l’Esprit présent en chacun comme le souffle vital. Saisie à-propos, cette occasion se vit dans le respect des dispositions psychologiques et sociales de chacun (chez l’aidé et chez l’aidant).

– « A travers ces traits distinctifs, nous voyons apparaître des points d’insistance qui peuvent se regrouper autour de l’idée d’engagement, d’énergie, de force. Il semble que le comportement vincentien requiert d’abord de nous la volonté de nous donner. Parce qu’homme d’action, le vincentien prend des risques, ose, entreprend. Il tient ferme après avoir pris la décision qu’il pense être la meilleure. Il a cette volonté de se donner parce qu’il est habité par la force de l’amour.

– Cela implique une certaine non-violence au profit de la vraie violence. Il y a comme un déplacement de la violence. Nos énergies sont employées dans une lutte contre nous, afin de devenir de bons ouvriers pour évangéliser les pauvres. Cette lutte peut se traduire de la manière suivante : se faire violence pour maîtriser la colère et devenir doux ; se faire violence pour être simple dans son style de vie, dans sa manière de pensée et de communiquer, alors qu’il est plus facile de paraître savant ou important ; se faire violence pour être humble, au niveau des petits alors qu’il est plus gratifiant de vivre avec les riches et d’avoir un certain pouvoir ; se faire violence pour opter pour les croix de notre vie alors qu’il est facile de fuir l’effort et le sacrifice ; se faire violence enfin pour opter résolument pour l’avancée du Royaume de Dieu alors que la paresse ou l’insensibilité nous tentent ».[5]

– Pour terminer cette évocation des manières vincentiennes de vivre dans l’Esprit de Dieu, il me semble important de signaler la dévotion de Saint Vincent de Paul à la Providence divine. Dans les épreuves qu’il peut traverser et les solutions qui l’en sortent, Vincent de Paul apprend à reconnaître la présence et l’action bienveillante de Dieu auprès de ses serviteurs fidèles. Il apprend à céder le pas à Dieu, afin de pouvoir s’appuyer sur sa miséricorde source d’amour et de vie. Il est remarquable d’entendre, de lire aujourd’hui, Saint Vincent de Paul toujours déclarer qu’il n’est pas à l’origine des œuvres qu’il dirige. Il le dit régulièrement, et aux Dames de la Charité, et aux missionnaires, et aux Filles de la Charité : « nous n’avions point pensé à cet œuvre, ni moi ni quelconque collaborateur … or, les œuvres dont on ne connaît pas l’auteur viennent donc de Dieu ». Vincent de Paul n’a pas développé toutes ses œuvres à la seule force de son grand cœur ni de sa bonne volonté. A lui seul, il ne l’aurait pas pu, même dans une organisation efficace. Pour illustrer cette affirmation, nous pouvons nous référer par exemple à l’introduction au règlement des Dames de la charité, de 1617 ! Il est précisé que pour le maintien du bon œuvre, une liaison spirituelle est nécessaire (cf. SV XIII, 423). Nous pouvons croire avec Monsieur Vincent que la véritable union est donnée par l’Esprit de Dieu.

Pour illustrer cette disposition à la divine Providence, écoutons une dernière fois Monsieur Vincent qui s’adressait à ses compagnons missionnaires :

« Donnons-nous à Dieu, Messieurs, à ce qu’il nous fasse la grâce de nous tenir fermes. Tenons bon, mes frères, tenons bon, pour l’amour de Dieu ; il sera fidèle à ses promesses, il ne nous abandonnera jamais tandis que nous lui serons bien soumis pour l’accomplissement de ses desseins. Tenons-nous en l’enceinte de notre vocation ; travaillons à nous rendre intérieurs, à concevoir de grandes et saintes affections pour le service de Dieu, faisons le bien qui se présente à faire dans les manières que nous avons dites. Je ne dis pas qu’il faille aller à l’infini et embrasser tout indifféremment, mais ce que Dieu nous fait connaître qu’il demande de nous. Nous sommes à lui et non pas à nous ; s’il augmente notre travail, il augmentera aussi nos forces. » (XII,93-94)

Conclusion

Avec Saint Vincent de Paul, nous apprenons à servir les pauvres corporellement et spirituellement, à les assister en ce qui leur manque de nécessaire, tant dans leur corps que dans leur esprit. Il n’y a pas de formule toute faite. Le service est porté à la personne, chacun dans son individualité, selon une œuvre commune définie, et dans un esprit hérité et partagé. Notre saint patron Vincent de Paul nous fait entrer dans une dynamique certaine, où le service des pauvres se vit comme une vocation, c’est-à-dire un appel de Dieu à servir, à la suite de son Fils Jésus, ceux qui manquent de vie. Les serviteurs sont attendus. Chacun peut répondre, selon ce qu’il peut, la grâce de Dieu aidant … La Famille vincentienne continue de se développer, en vivant fidèlement selon l’intuition première de son fondateur, sous la conduite de l’Esprit de Dieu.

Frédéric Pellefigue cm🔸

La spiritualité vincentienne est une spiritualité chrétienne. Monsieur Vincent n’a rien créé ex nihilo mais il a eu le génie de sa propre synthèse.

Explications :

[1] André Dodin, Saint Vincent de Paul et la charité, coll. « Maîtres spirituels », Editions du Seuil 1960

[2] Jean-Pierre Renouard, Saint Vincent de Paul Maître de sagesse, coll. « Spiritualité », Nouvelle Cité 2010

[3] P. Keith Beaumont, in Quotidien La Croix, Lundi 30 juillet 2012, p. 16 et 17. Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_de_B%C3%A9rulle#cite_note-2, consulté le 12/01/2017

[4] Preuve a été faite par Bernard Koch que sa bibliothèque personnelle était judicieusement fournie.

[5] de J.V. à paraître – transmis par l’auteur.

Les jeunes, la foi et le discernement des vocations


Les jeunes, la foi et le discernement des vocations

DOCUMENT PRÉPARATOIRE

« Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète » (Jn 15, 11) : tel est le projet de Dieu pour les hommes et les femmes de tout temps et donc aussi pour tous les jeunes hommes et les jeunes femmes du IIIème millénaire, sans exception.

Annoncer la joie de l’Évangile, c’est la mission que le Seigneur a confiée à son Église. Le Synode sur la nouvelle évangélisation et l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium ont abordé la façon d’accomplir cette mission dans le monde d’aujourd’hui. En revanche, les deux Synodes sur la famille et l’Exhortation apostolique post-synodale Amoris laetitia ont été consacrés à l’accompagnement des familles à la rencontre de cette joie.

En continuité avec ce cheminement, à travers un nouveau parcours synodal sur le thème : « Les jeunes, la foi et le discernement vocationnel », l’Église a décidé de s’interroger sur la façon d’accompagner les jeunes à reconnaître et à accueillir l’appel à l’amour et à la vie en plénitude. Elle souhaite également demander aux jeunes eux-mêmes de l’aider à définir les modalités les plus efficaces aujourd’hui pour annoncer la Bonne Nouvelle. À travers les jeunes, l’Église pourra percevoir la voix du Seigneur qui résonne encore aujourd’hui. Comme jadis Samuel (cf. 1 S 3,1-21) et Jérémie (cf. Jr 1, 4-10), certains jeunes savent découvrir les signes de notre temps qu’indique l’Esprit. En écoutant leurs aspirations, nous pouvons entrevoir le monde de demain qui vient à notre rencontre et les voies que l’Église est appelée à parcourir.

La vocation à l’amour revêt pour chacun une forme concrète dans la vie quotidienne à travers une série de choix, qui allient état de vie (mariage, ministère ordonné, vie consacrée, etc.), profession, modalité d’engagement social et politique, style de vie, gestion du temps et de l’argent, etc. Assumés ou subis, conscients ou inconscients, il s’agit de choix auxquels personne ne peut échapper. L’objectif du discernement des vocations consiste à découvrir comment les transformer, à la lumière de la foi, en autant de pas vers la plénitude de la joie à laquelle nous sommes tous appelés.

L’Église est consciente de posséder « ce qui fait la force et le charme des jeunes : la faculté de se réjouir de ce qui commence, de se donner sans retour, de se renouveler et de repartir pour les nouvelles conquêtes » (Message du Concile Vatican II aux jeunes, 8 décembre 1965) ; les richesses de sa tradition spirituelle offrent de nombreux instruments permettant d’accompagner la maturation de la conscience et d’une liberté authentique.

Dans cette perspective, ce Document Préparatoire entend lancer la phase de consultation de l’ensemble du Peuple de Dieu. Adressé aux Synodes des Évêques et aux Conseils des Hiérarques des Églises orientales catholiques, aux Conférences épiscopales, aux Dicastères de la Curie romaine et à l’Union des Supérieurs Généraux, il s’achève par un questionnaire. En outre, une consultation de tous les jeunes est prévue par le biais d’un site internet, comprenant un questionnaire sur leurs attentes et sur leur vie. Les réponses apportées à ces deux questionnaires serviront de base pour la rédaction du Document de travail appelé Instrumentum laboris, qui sera le point de référence pour les débats des Pères synodaux.

Ce Document Préparatoire propose une réflexion structurée en trois étapes. Il commence par définir sommairement certaines dynamiques sociales et culturelles du monde dans lequel les jeunes grandissent et prennent leurs décisions, pour en proposer une lecture de foi. Puis il parcourt les passages fondamentaux du processus de discernement, qui est l’instrument principal que l’Église peut offrir aux jeunes pour qu’ils découvrent leur vocation à la lumière de la foi. Enfin il aborde les points fondamentaux d’une pastorale des vocations des jeunes. Il ne s’agit donc pas d’un document achevé, mais d’une sorte de proposition qui entend favoriser une recherche dont les fruits ne seront disponibles qu’au terme du parcours synodal.

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Annoncer la joie de l’Évangile, c’est la mission que le Seigneur a confiée à son Église.