« Soyez toujours dans la joie du Seigneur »
Lettre circulaire du Visiteur de la Province de France
‘Soyez toujours dans la joie du Seigneur ; laissez-moi vous le redire : soyez dans la joie. Que votre sérénité soit connue de tous les hommes. Le Seigneur est proche.’ Ph 4,4-5
Chers confrères, ‘La Grâce et la Paix de Notre Seigneur Jésus Christ, soient toujours avec nous !’ Nous avançons progressivement sur le chemin, avec Marie et Joseph ; chemin qui nous conduit vers une étable pour y accueillir un nouveau-né et y reconnaître l’Emmanuel, ‘Dieu-avec-nous’. C’est un chemin sur lequel on avance ensemble ; nous avons besoin les uns des autres pour que nos vies, nos cœurs deviennent un lieu d’accueil pour l’inouï dans ce qu’il y a de plus quotidien, simple. Ce qui est caché, ‘Celui qui est au milieu de nous et que nous ne connaissons pas’, se révèle peu à peu dans un être-ensemble, dans un vivre-ensemble au cœur de notre maison commune.
Saurons-nous, le soir de Noël, être assez dépouillés, vides de nous-mêmes pour que la Parole éternelle d’Amour nous comble de sa présence et soit pour beaucoup une source de joie, une Bonne Nouvelle qui change en profondeur nos vies ? Serons-nous assez convertis, retournés pour devenir des artisans de Paix dans le quotidien de nos relations ?
Sur ce chemin d’humanité, des évènements marquent nos journées et viennent les bousculer, les interroger, les renouveler. Comment les recevons-nous ? De quoi ces évènements sont-ils porteurs, sont-ils le signe ? Permettez-moi de m’arrêter, succinctement, à ceux-ci, qui peuvent éclairer notre mission, notre action pastorale.
1. Le mouvement des ‘gilets jaunes’ ou un besoin d’être reconnu et écouté
Ce mouvement unique, hors circuit des partis politiques, des syndicats, que nous avons pu croire de courte durée, est une force de rassemblement de gens très divers, frappés par une crise qui met à jour un malaise profond ; ils crient leur souffrance, leur mal-être, le fait de ne pas exister vraiment ; il y a du désespoir et malheureusement les moyens pour se faire entendre ne sont pas maitrisés et débouchent sur la violence et la casse ! Le sentiment de subir une injustice sociale fait éclater la colère qu’il est parfois difficile à contrôler !
Nous avons eu du mal à comprendre ce qui se passait, à déceler ce dont ce mouvement était porteur. Nous avons souri, critiqué, soutenu etc. : nous ne sommes pas restés indifférents.
Que nous soyons d’accord ou non avec, ce mouvement a un message qui nous est adressé comme citoyens et comme croyants.
« … Il faudrait être sourds ou aveugles pour ne pas nous rendre compte de la lassitude, des frustrations, parfois des peurs et même de la colère… qui habitent une part importante des habitants de notre pays, et qui expriment ainsi des attentes et de profonds désirs de changements. Il faudrait être indifférents et insensibles pour ne pas être touchés par les situations de précarité et d’exclusion que vivent beaucoup sur le territoire national »[1]
Être sourds, aveugles, indifférents à des situations de désespoir que vivent une partie de nos concitoyens, comme fils de St Vincent, cela n’est guère possible ! Je retiens deux choses parmi d’autres :
Les ronds-points sont devenus des lieux de rassemblement où chacun redécouvre la force et la beauté de la fraternité, où se tissent des liens nouveaux. Ils sont « Bonne Nouvelle » pour beaucoup. Un nouveau feu réchauffe, rend proche.
Les cahiers de doléances qui sont proposés permettent de libérer la parole par l’écrit donnant l’occasion d’être entendu et de ne pas crier dans le désert : ‘Les gens racontent leur quotidien et leurs difficultés avec beaucoup de détails’. Ils sont un lieu où ‘on peut dire ce qu’on marmonne d’habitude le soir chez soi’.
Dans nos quartiers, nos paroisses, les lycées, déjà nous offrons des lieux pour que les gens se rassemblent et que leur parole soit entendue et prise au sérieux ! Prêter attention à ces lieux fait partie de notre mission et nous devons garder le souci de les proposer à un maximum de gens. De même il nous revient d’animer des espaces de dialogue dans le respect des uns et des autres, ouvrant un débat sur ce qu’il faut changer, apporter, mettre en place pour le bien de tous et pour une vie digne. Chacun a besoin sur son chemin quotidien de bénéficier des temps d’arrêt, de réflexion pour se construire et aider à la reconstruction du lien social : ‘nous devons écouter, dialoguer et apaiser’ rappelle le secrétaire général de la CEF !
N’est-ce pas dans ce sens que nous pouvons combattre le ‘cléricalisme’ ?
Le Christ n’est-il pas venu rassembler, faire vivre dans sa Parole, inviter les gens au bonheur ?
2. ‘Noël ensemble’ à Villepinte !
Pour dire l’attachement au vivre-ensemble, dans la paix, voilà une belle initiative et une réponse intéressante ; chacun est invité par les paroisses catholiques avec la collaboration des représentants des communautés juives et musulmanes à s’y rendre. ‘Dans notre société hyper individualiste où le lien social tend à régresser et la communauté du vivre-ensemble à s’essouffler, il devient, plus que Jamais urgent de trouver les chemins de fraternité.’ (P. Guillaume LEUKEUMO).
Ce genre d’initiative n’est certainement pas isolé et nous ne pouvons que nous en réjouir !
3. La béatification des martyrs d’Algérie ou la force d’une fidélité au dialogue, à l’amitié
C’est un événement qui touche non seulement l’église d’Algérie mais l’Église entière. « La sanctification est un cheminement communautaire, à faire deux à deux », rappelait le Pape François dans son exhortation apostolique sur la sainteté, ‘Gaudete et exsultate’.
Les martyrs d’Algérie ont souvent été saisis par la violence islamiste « deux à deux » et leur vocation à la sainteté s’est réalisée dans un « deux à deux quotidien », avec et au milieu des Algériens, grâce à a« ceux et celles que la vie de quartier, les services partagés, avaient fait leur prochain. Ils sont martyrs de la Charité, de l’Amour au quotidien, fidèles à un peuple, à des personnes secouées par la violence, en fidélité au don de soi jusqu’au bout.
Ils ont passé leurs vies à aimer et à servir ce peuple qui était dans l’épreuve de la tourmente, de la violence. Ils pensaient que leurs relations avec leurs frères et sœurs, avec lesquels ils avaient partagé toute leur existence, étaient plus importantes que de protéger leur vie.
Accueillons ce que dit Mgr DESFARGES, archevêque d’Alger : « Je ne peux pas être disciple de Jésus si je ferme mon cœur. Que ce dialogue inter-religieux soit difficile à mener, que ça nous demande des conversions, c’est une chose. Mais des hommes et des femmes ont donné leurs vies et ont manifesté que ce chemin de fraternité vaut la peine d’être vécu. Je voudrais vivre de telle façon que les autres puissent me reconnaitre comme l’un de leurs frères. Vivre avec l’autre me fait du bien. Je ne dis pas que c’est facile. La vie reste la vie. Mais tout de même, ce chemin-là permet d’être heureux ».
Ou encore cette profession de foi de sœur Paule-Hélène en 92 : « « Nous croyons que tous les hommes sont habités par l’Esprit qui les conduit de l’intérieur même de leur tradition religieuse vers leur vocation de Fils de Dieu. Appelées à demeurer dans cette “maison de l’islam”, nous sommes conscientes de la précarité de notre mission et par là même de la richesse du don que Dieu nous fait ».
« À travers la béatification de nos frères et sœurs, l’Église veut témoigner de son désir de continuer d’œuvrer pour le dialogue, la concorde et l’amitié. Nous croyons que cet événement inédit dans votre pays dessinera un grand signe de fraternité dans le ciel algérien à destination du monde entier. » (Message du Pape à l’Algérie) cela signifie que le dialogue et même l’amitié avec des musulmans sont une voie de sainteté pour aujourd’hui.
Cette béatification « valide en quelque sorte le sens d’une présence chrétienne dans le monde musulman, non pas dans un but de prosélytisme mais pour développer la rencontre avec l’autre », souligne le frère Jean-Jacques Pérennès, op.
« Leur sang versé, mêlé à celui de milliers d’Algériens et d’Algériennes, victimes de la violence dans ces dernières années, scelle un pacte nouveau entre nous : une alliance d’amitié que rien, même la mort, ne pourra briser ».
Faisons nôtre cette prière de sœur Paule-Hélène : « Que la faiblesse et la folie de notre petit nombre et de notre vieillissement soit lieu d’accueil et de puissance de l’Esprit de Dieu, pour que nos vies livrées fassent signe là où notre témoignage s’exerce le plus souvent dans le silence ».
N’est-ce pas une belle invitation à regarder les liens qui sont les nôtres et qui nous lient à des personnes différentes par la culture, la religion, l’histoire ! invitation aussi à recevoir ces liens comme un don ; c’est à travers eux que nous travaillons à la paix et construisons la fraternité ! Ces liens ont une puissance qui aide à aller plus loin, à tout partager, jusqu’au don de soi.
Ces liens d’amitié, de voisinage, de partage de responsabilité, de gratuité etc., tissés au jour le jour, sont le visage quotidien du vivre-ensemble-en paix et signes du Royaume. Ils nous emmènent jour après jour vers la sainteté.
Sommes-nous heureux sur ce chemin de la rencontre, du dialogue, de la fraternité ? Quelle est notre joie à nous donner ainsi dans le quotidien, à faire confiance, à recevoir de l’autre ?
Dieu ne vient-il pas à Noël signer de sa vie ce ‘pacte d’amitié’ que même la mort ne pourra détruire ? Ne vient-il pas nous inviter à vivre ces liens entre nous, si différents et si semblables et de nous nourrir de ces liens ?
4. Le Projet Provincial
L’Assemblée Provinciale l’a voté. Il reste, comme tout projet, à devenir de plus en plus réalité dans les lieux où nous sommes. Il nous sera remis officiellement remis le 25 janvier 2019, lors des journées de formation permanente et au début d’un nouveau mandat de gouvernance.
Je souhaite « nous » inviter, pour ces prochains mois, à prendre à bras le corps la question des jeunes. Cette question ne s’arrête pas uniquement à celle des vocations même si elle y est très liée. Quelle place donnons-nous aux jeunes dans nos communautés, nos rassemblements, quelle responsabilité leur confions-nous ? Dans son message pour la journée mondiale de la paix, François souligne combien il est nécessaire de promouvoir la participation des jeunes et la confiance en l’autre, en développant une politique qui soit capable d’encourager et de mobiliser les talents et les capacités de chacun pour le bien de la communauté.
Un jeune ne nous répondra que dans la mesure où nous lui manifesterons notre confiance et lui confierons quelque chose à vivre, où il puisse se donner et trouver du sens. Je souhaite que les journées de janvier nous aident, non seulement à entendre des témoignages, mais aussi à partager ce que nous vivons avec, les projets que nous construisons avec et pour eux… notre pastorale des jeunes, comment nous les voyons s’impliquer, comment ils sont nos partenaires etc. ! Nous avons décidé de développer l’accueil de jeunes étudiants dans certaines de nos maisons mais il nous faut aller plus loin dans un accompagnement. Nous avons mis en place une commission des Vocations qui a à charge de définir une « culture des vocations ». Elle s’est réunie ce mercredi et aura certainement un apport intéressant à nous donner.
Travailler avec des jeunes, cela demande de notre part une grande prudence dans notre proximité avec eux ; l’Église souffre trop de ces manquements, de ces mauvais rapports qui sont dangereux et qui ‘tuent’. Aidons-nous à bien nous situer, à maitriser nos sens, à être au clair vis-à-vis de nous-mêmes et à prendre du temps pour aborder la façon dont nous vivons les vœux que nous avons prononcés. Ils marquent notre être-au-monde, notre être-ensemble.
5. La paix pour combattre la violence
La violence est présente partout dans le monde, elle défigure, elle engendre la peur, la fuite. Elle divise et invite à construire des murs, des barrières entre les hommes.
Elle est présente en chacun de nous, prête à surgir et à blesser par des paroles ou des coups. Dans quel lieu de ce monde, n’est-elle pas présente ? Quel peuple n’est-il pas touché, blessé, menacé par elle ?
Pourtant, nous croyons qu’elle n’a pas le dernier mot de l’histoire, celle entre Dieu et l’humanité, celle entre des peuples, celle entre des personnes. C’est l’amour qui est vainqueur.
‘Marché du Mawlid et de Noël ou du Vivre ensemble en paix’ : heureuse initiative de Caritas Alger sur ‘4 jours qui ont été l’expression de ce vivre ensemble qui anime les équipes de Caritas Alger à faire en sorte que chaque personne bénéficiant de ses services soit un chainon unique dans cette grande chaine de solidarité et de fraternité’ (Maurice PILLOUD) ; cela a donné l’opportunité aux musulmans et aux chrétiens de vivre dans une ambiance liante, de tolérance, auréolée de coexistence et de paix, partageant leurs richesses artisanales entre autre. Initiative force de solidarité, au service de la Paix.
Et dans son message pour la journée mondiale de la Paix, ‘ la bonne politique est au service de la paix’, le Pape nous invite à offrir la paix à toutes personnes ; cela est au cœur de la mission des disciples du Christ : ‘Paix à cette maison’. Cette maison, précise-t-il, ‘c’est chaque famille, chaque communauté, chaque pays, chaque continent, dans sa particularité et dans son histoire ; c’est avant tout chaque personne, sans distinctions ni discriminations.’ C’est ce lieu où Dieu vient habiter, remplir de sa présence et quand il vient c’est en ami de la Paix, comme Prince de la Paix.
En l’accueillant dans notre maison, devenons des hommes de paix, pacifiés et heureux. Devenons des hommes donnés, heureux des liens d’amitié et de fraternité qui jalonnent notre vie.
Joyeux Noël à chacun et à chaque communauté.
Que la Paix de Dieu, le Christ Jésus, soit la Paix dans chacune de vos maisons !
Qu’elle soit le don par excellence pour 2019 !
P. Christian MAUVAIS, CM 🔸
Sommes-nous heureux sur ce chemin de la rencontre, du dialogue, de la fraternité ? Quelle est notre joie à nous donner ainsi dans le quotidien, à faire confiance, à recevoir de l’autre ? Dieu ne vient-il pas à Noël signer de sa vie ce ‘pacte d’amitié’ que même la mort ne pourra détruire ? Ne vient-il pas nous inviter à vivre ces liens entre nous, si différents et si semblables et de nous nourrir de ces liens ?
Christian MAUVAIS
NOTE :
[1] ‘Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique’ de la CEF, p. 16.