Session UAC – Union Apostolique du Clergé à CHEVILLY-LARUE. Thème : « La diversité des prêtres au service d’un diocèse ». Témoignage d’un missionnaire Lazariste en France

Session UAC – Union Apostolique du Clergé à CHEVILLY-LARUE.

Thème : « La diversité des prêtres au service d’un diocèse ».

Témoignage d’un missionnaire Lazariste en France

Introduction

Chaque fois que j’ai été sollicité pour faire un témoignage sur mon expérience de prêtre fidei donum en France, je me suis excusé en arguant que je n’étais peut-être pas la bonne pioche.

En effet, l’expression « fidei donum » désigne ces prêtres, qui restent incardinés dans leur diocèse d’origine et qui partent pour un temps limité servir un autre diocèse. Or, je ne suis pas incardiné dans un diocèse et il y a longtemps que j’ai quitté mon pays pour entrer dans un institut missionnaire. A cela on me rétorque que c’est plutôt un atout, une occasion de parler de l’expérience d’un religieux prêtre au service d’un diocèse. Le thème de cette session, « La diversité des prêtres au service d’un diocèse », va, me semble-t-il, dans ce sens.

En lisant l’encyclique de Pie XII, je me suis rendu compte que « l’esprit missionnaire et l’esprit catholique ne font qu’un. » (n.12) C’est ce qui m’a convaincu d’accepter de donner ce témoignage. Après une brève présentation, j’articulerai mon témoignage en trois points : mon arrivée en France, ce que j’ai apprécié et ce qui m’a surpris, enfin mon ministère actuel.

Qui suis-je ?

Je suis un prêtre d’origine burundaise, membre de la Congrégation de la Mission (dite des Pères et Frères Lazaristes), fondée en France par saint Vincent de Paul au XVIIe siècle. J’ai fait le Noviciat à Madagascar puis les études de philosophie et de théologie au Cameroun où j’ai exercé le ministère sacerdotal dans une paroisse semi-rurale pendant 7 ans (dont deux ans comme vicaire et cinq ans comme curé). J’ai même cumulé, l’avant dernière année, la fonction de curé avec la direction de notre scolasticat (maison de formation) à Yaoundé. Je suis arrivé en France, comme prêtre-étudiant, en 2004.

Accueil en France (avec ou sans préparation ?)

Dans notre congrégation, au bout de cinq années de ministère, les jeunes confrères ont la possibilité de partir approfondir leurs études dans un domaine dicté par les besoins de la mission ou sur un sujet qui les intéresse. Quand fût venu mon tour de partir, j’ai eu l’occasion de faire une triple proposition de destination où je souhaitais poursuivre mon aventure. Curieusement Paris n’était pas dedans ; non pas que je n’aimais pas la France ou notre Maison-mère qui héberge à Paris le corps de notre fondateur, Vincent de Paul, mais je ne voulais pas être proche du centre de décision de notre Province. Finalement, c’est la France qui va s’imposer : « Viens en France, disaient mon Supérieur provincial et son assistant. On a besoin de toi. »

Un ou deux ans auparavant, un jeune confrère Vietnamien m’avait précédé dans notre Maison-Mère. On comptait sur moi pour diversifier davantage la communauté : « Avec ta présence, me disait-on, il ne se sentira plus perdu. »  J’ai accueilli cet appel comme une invitation de la Providence à poursuivre mon aventure en France mais je ne me posais pas la question sur le type de mission que la Province me confierait en parallèle à mes études. Mes supérieurs m’ont fait une pré-inscription qui a facilité les démarches administratives ultérieures. Ce qui n’est pas négligeable pour aborder sereinement la vie dans un nouveau pays.

Pendant la formation initiale, nous étions sensibilisés à nous ouvrir à la mission au lointain mais cela restait très général ; il n’y avait pas de préparation directe à une mission précise. Que connaissais-je de la France ? Comme beaucoup de gamins de mon époque, j’avais appris que l’histoire de France commence avec « nos ancêtres les Gaulois ». J’avais appris quelques phrases [1] pour retenir ses grands fleuves et les grands auteurs du XVIIe siècle. Je savais que la France était le pays des Droits de l’homme, la fille aînée de l’Eglise, le pays des Lumières, etc. J’avais vaguement entendu parler de La France, pays de mission, rapport d’H. Godin et Y. Daniel paru en 1943, mais j’étais loin d’imaginer ce qu’insinuait ce rapport.

Ce qui m’a surpris : ce que j’ai apprécié ; ce qui m’a fait souffrir

Dès mon arrivée à l’aéroport, je fus surpris d’être accueilli par le Supérieur provincial lui-même. Sur la route, le Supérieur me fit ses premières propositions d’apostolat mais il me laissera poser mes valises avant de lui donner une réponse ! Une fois à la Maison-mère, il me montra les coins et recoins de la maison. Au déjeuner, il me présenta à la communauté. J’ai senti que j’étais attendu et accueilli. Précisons cependant qu’il a fallu tout apprendre : le nouveau milieu de vie (visite des principaux monuments et églises de Paris), l’alimentation, les habitudes de la maison, le déplacement dans Paris, la gestion de l’argent, etc.

Trois semaines après mon arrivée, la communauté accueillait quatre autres Vietnamiens et deux Colombiens. Du coup, c’est moi qui me retrouvais en minorité, seul Burundais dans une communauté de 26 Français, cinq Vietnamiens, deux Colombiens, un Américain et un Espagnol. Les Vietnamiens se donnaient des temps particuliers de prières en dehors des heures communautaires… Moi, je n’avais pas ce privilège. Lors des fêtes de fin d’année nous étions encouragés à partager quelque chose qui marque Noël dans nos pays d’origine. Pour moi c’était une gageure car personne ne connaissait ma langue maternelle. Contrairement à ce que je craignais, tout le monde a appris le chant que je suggérais. Preuve que la mission était faite d’échange de ressources humaines et spirituelles, de différences culturelles, etc.

Les services de la Province

En marge des études, j’ai assuré quasiment l’aumônerie de la communauté des Filles de la Charité et le service de chapelin à la Chapelle de la Médaille miraculeuse, au 140 rue du Bac, pour ce qui était des messes, confessions, accueil et écoute des pèlerins d’un jour ou habitués, qui voulaient parler.

Vers la fin de mes études en 2008, j’ai été nommé au Conseil provincial. Avant d’accepter cette charge, je m’en suis ouvert à mon accompagnateur spirituel qui me répondit ceci : « De quoi as-tu peur ? On te fait confiance. Tu ne seras pas seul. Ensuite, ça donnera des couleurs au Conseil. » Il s’en suivra une série d’autres charges parfois à des postes dits « sensibles » : la direction du Service des Missions lazaristes en France, la délégation à la Cellule d’accueil pour la Mission universelle, la délégation au collectif CORREF-CCFD (aujourd’hui IRSI). Cela peut paraître banal mais pour ceux qui entrent les premiers dans ces services, ce n’était pas drôle. J’en ai pour preuves les commentaires et les résistances qui accompagnent ce genre de nomination… Dans l’entre-temps, mon statut juridique a changé sans effort de ma part. Je suis passé d’étudiant à résident, avec une carte de séjour de dix ans. J’ai été encouragé à demander la naturalisation ; ce que je fis seulement en 2015 parce que je n’avais pas l’intention de m’éterniser en France. J’étais loin d’imaginer que, un an plus tard, je serais incorporé à la nouvelle Province de France.

La mission dans le diocèse de Langres

Quand fut posée la question du renouvellement de notre insertion dans le diocèse de Langres en Haute-Marne, je fus associé à l’élaboration du projet missionnaire qui s’appuyait sur la demande de l’évêque au supérieur provincial. Ce qui m’a permis de connaître les attentes de l’évêque et de me préparer à entrer dans son presbyterium. Pourtant, les mauvaises langues disaient que la Haute-Marne était « un désert spirituel » ; que « le département comptait plus de têtes de bétail que d’habitants » ; que « le clergé était plutôt libéral » et j’en passe.  Propos qui semblaient contredire ce que j’avais ressenti lors d’une campagne de carême que j’avais animée dans la région mais qui n’entamèrent en rien ma disposition à servir cette région.

Quand la décision fut prise d’élargir nos tentes en Haute-Marne, je suis parti dans la joie et confiant qu’un Lazariste avait bel et bien sa place dans cette région qui n’avait pas bonne presse. J’ai eu l’impression d’être arraché au béton parisien et placé dans les grands espaces haut-marnais. Aussi, depuis septembre 2010, je suis dans une communauté de 5 confrères de trois nationalités, œuvrant dans 3 diocèses différents (Langres, Metz et Nancy). Nous nous retrouvons entre confrères, une fois par mois, pour échanger ou travailler un thème suggéré par la Province.

Notre équipe, composée de deux prêtres et d’un frère coadjuteur, est entrée dans un presbyterium de 44 prêtres dont 29 séculiers incardinés ; 11 prêtres séculiers non incardinés et 4 prêtres religieux et membres d’Institut. L’accueil par le presbyterium était plutôt bon. Certains prêtres nous ont quasiment adoptés tandis que d’autres dénonçaient des solutions sans lendemain : la politique des « bouche-trou », de « déshabiller Pierre pour habiller Paul », etc. Côté responsabilité, notre équipe était chargée d’un secteur de trois paroisses réparties en 63 clochers pour une population de 16 220 habitants. Nous avions un mandat de 3 ans renouvelable deux fois au maximum.

Les paroissiens aussi nous ont bien accueillis et, très vite, ils nous ont ouvert les portes de leurs maisons. Certains ont tissé des liens qui vont au-delà de l’engagement dans les services paroissiaux pour être de véritables familles où nous sommes invités à nous rendre comme chez nous. Je confesse qu’en grande partie, nous récoltions les fruits du labeur d’un Lazariste qui nous avait précédé d’une dizaine d’années dans le secteur.

Avec l’accord du Supérieur provincial, l’évêque a déplacé notre équipe du nord du département pour le centre ; à savoir la ville de Chaumont (23 755 habitants) et les villages des environs à savoir 4 543 habitants dans une paroisse et 1 620 habitants dans une autre.

Les joies et les difficultés rencontrées ?

  • Les joies (souvent on voit plus les difficultés que les joies)

J’ai apprécié d’être accueilli par une communauté[2], une véritable famille, un lieu d’entraide et de discernement. On s’enrichit les uns les autres de nos sensibilités culturelles, linguistiques, spirituelles… Me découvrir attendu, a été réconfortant et m’a aidé à réaliser que je ne débarquais pas en terrain conquis.

Concernant mon apostolat à la Chapelle de la Rue du Bac, le dépaysement a été moins violent que je ne craignais. En effet, la majorité des pèlerins de ce lieu sont, comme on dit, « des personnes de couleurs ». C’est comme si j’étais encore dans un pays africain.

Autre lieu, autre joie : en paroisse, j’ai été très émerveillé de trouver des chrétiens, cheveux grisonnants mais très engagés dans les services de l’Eglise. En plus, ils m’ont quasiment adopté. Vue la réussite de l’expérience, on entend dire : « Le prêtre africain passe bien. » Doit-on s’en satisfaire ?

  • Difficultés spécifiques au fait migratoire :

En arrivant en France, j’ai pris de plein fouet le défi de la sécularisation. Elle est présente partout jusque dans nos communautés religieuses et nos paroisses : attention à ma tenue vestimentaire (pas de soutane pour ne pas donner l’air de « tradi ») ; pas de crucifix très voyant ; plus de benedicite en dehors de la communauté ; plus de « Mon Père », tout le monde est Monsieur ou Madame ; et j’en passe des meilleures. Un de mes professeurs, le Père Henri Jérôme Gagey, résumait cette situation en ces termes : « il faut autant d’héroïsme en Afrique pour rester à la maison pendant presque que tout le monde va à la messe, qu’aller à la messe en Europe alors que la majorité des gens restent à la maison ou vont vaquer à d’autres occupation ».

L’insertion dans un nouveau contexte culturel et économique nécessite un accompagnement plus ou moins long à tout point de vue (mode de vie, image de la vie religieuse, rapport au travail, à l’argent, changement de statut social…). Par exemple, ce n’est pas évident de faire ses courses avec une carte bancaire quand on a été habitué à tout régler cash…

Un autre exemple, c’est le décalage entre le niveau de vie dans une communauté même pauvre en France et les moyens économiques de l’Institut dans le pays d’origine, qui peut provoquer tensions, incompréhensions et réelles souffrances.

  • Difficultés spécifiques à l’accueil au sein de l’Église locale

Les évêques signent bien des contrats avec nos diocèses d’origine ou nos congrégations mais souvent nous ignorons les attentes des Églises d’accueil par rapport à nos communautés et à leur charisme. Parfois j’entends dire qu’à tel endroit on veut des prêtres pour « dire la messe » et pour une durée de 57 min (une homélie de 7 min).

Il y a une certaine image dévaluée, une prise en charge « condescendante » et le clivage « vieille église/jeune église » qui peut miner nos échanges.

Ce qui me dynamise et m’invite au dépassement vers des valeurs nouvelles !

C’est la découverte que je suis en mission en France, non pas pour renvoyer l’ascenseur[3] à ceux qui nous ont évangélisés mais pour, avec eux, payer la seule vraie dette, la dette de l’amour (Rm13,8-10). Je viens partager la Bonne nouvelle, non pas avec ceux qui me l’ont fait connaître mais parce que c’est une parole qui me fait vivre et je voudrais qu’elle fasse vivre ceux à qui je suis envoyé.

La mission, en France ou ailleurs, pose la question de l’autre et de la justesse de la relation, non seulement spirituelle mais aussi dans son expression concrète (échanges de nouvelles de famille ou du pays). Il est parfois douloureux de sortir de nos schémas mentaux « dominant/dominé » et de décentrer notre vision géographique et culturelle du monde (racisme ordinaire).

Nous sommes appelés à dépasser ensemble tous les clivages, à remettre en cause réciproquement nos manières de concevoir la vie et de la vivre. Nous pourrons alors devenir ensemble, en frères et sœurs, des témoins de la mission de partout à partout.

Deux convictions nécessaires pour vivre le défi de la mission !

Une conversion permanente : Comme prêtres et religieux, nous voulons vivre dans la convivialité avec des personnes que nous n’avons pas choisies et qui peuvent venir de cultures aux antipodes de la nôtre ; des personnes avec lesquelles nous vivons non seulement pour un temps de récollection ou de retraite mais tous les jours pour le couvert, l’habitat, la prière, les activités apostoliques, etc. Cette fraternité n’est possible que fondée sur Jésus-Christ et dans un effort de conversion et de lutte quotidiennes.

Le dialogue : Nous avons besoin d’une véritable culture de dialogue et de réciprocité dans notre mission. Essayer de regarder les choses du point de vue de l’autre. Que de blessures seraient évitées si nous savions nous rendre sensibles au retentissement des paroles et des attitudes de l’autre !

Conclusion

Dans cette petite trajectoire personnelle, j’ai montré combien nos histoires sont des histoires de migration. Moi-même je m’identifie comme tel ; je peux dire avec fierté « Mon père était un Araméen errant » ou « vagabond, égaré », selon les traductions (Deut. 26,5) et je comprends que le pape François soit si sensible à la question des migrants.

J’ai été conduit dans des lieux et pour des responsabilités que je ne soupçonnais pas. Ce que j’en retiens, c’est que tout s’apprend et la vie missionnaire n’échappe pas à la règle. Pour la comprendre, il serait bon d’avoir fait, au moins une fois l’expérience d’être étranger dans un pays où on ne connaît pas la langue et où on se sent perdu. Pour ma part, je remercie la Providence pour toutes les personnes ceux qu’elle a mises sur ma route et avec lesquelles je pense vivre cette « Eglise en sortie », une Eglise ouverte que le pape François appelle de tous ses vœux.

, CM 🔸

Dans cette petite trajectoire personnelle, j’ai montré combien nos histoires sont des histoires de migration. Moi-même je m’identifie comme tel ; je peux dire avec fierté « Mon père était un Araméen errant » ou « vagabond, égaré », selon les traductions (Deut. 26,5) et je comprends que le pape François soit si sensible à la question des migrants.

Notes :

[1] « Cette fille est une vraie garçonne, elle n’a pas de vie saine : elle fanfaronne, dort comme un loir et a mal aux reins ! » ; pour : Garonne, Seine, Rhône, Loire, Rhin Garonne : 650 km Seine : 776 km Rhône : 812 km Loire : 1020 km Rhin : 1320 km.

« Une Corneille perchée sur la racine de la bruyère boit l’eau de la fontaine Molière » ; pour les grands auteurs du XVIIe siècle (Racine, La Bruyère, Corneille, Boileau, La Fontaine, Molière).

[2] Cf. Gérard Warenghem : « La joie de vivre en communauté – en Afrique ou en Europe », Harmattan, 2003, 202 pages

[3] Avec des motivations du genre : « Un jour vous nous avez évangélisés ; grâce à vous, nous avons connu l’Évangile, aujourd’hui vous avez besoin de nous, nous venons vous aider. »