Interreligieux
Il m’est proposé d’écrire cet article à partir d’une expérience de dialogue vécue durant 25 ans à l’étranger. Il n’est pas question de rédiger la chronique du temps qui passe, mais d’exposer succinctement les repères pédagogiques qui ont jalonné cette histoire. Pour plus de clarté, on distinguera dans l’approche de ce thème, ce que peut représenter l’humble quotidien du dialogue (1) puis la partie officielle de ce dialogue engagé entre les religions (2).
(1) Lorsque Saint Vincent a envoyé des confrères en Barbarie, il commençait par leur faire entrevoir les richesses vécues par les gens du pays, notamment quant à la prière. Pour anecdotique qu’elle soit, cette vision, orientée vers les valeurs de l’autre, commandait une approche bienveillante, contrastant singulièrement avec les positions manichéennes souvent véhiculées. Nous n’étions pas tout blancs. Ils n’étaient pas tout noirs… Le sujet missionnaire ne pouvait partir qu’en état de modestie. Précieuse recommandation originelle qui peut nous délivrer de la tentation permanente de juger selon notre mesure. Par cet exercice imposé, saint Vincent plaçait l’évangélisateur en état d’être évangélisé. Comme Jésus, qui pousse les apôtres à être évangélisé par un samaritain quant à la charité, et par un centurion quant à la foi. Le dialogue peut alors évangéliquement démarrer sur de bonnes bases.
Saint Vincent recommande encore aux confrères de ne pas « entrer en dispute » au sujet des religions. C’est ce qui explique sans doute la continuité de la présence des lazaristes en Barbarie depuis 1646. Pour ne pas entrer en dispute, il ne s’agit cependant ni de se replier, ni de se dissoudre dans le milieu ambiant. C’est la voie étroite. La relecture de ce que nous avons vécu sur une aussi longue période montre que les véritables bénéfices se recueillent en dehors de nos citadelles (qui se sont écroulées), tout comme les meilleurs échanges émergent lorsque nous ne sommes pas des éponges. On pourrait appeler « citadelles » nos œuvres transplantées (écoles, dispensaires…), répliques fidèles d’une culture ou d’une religion. On pourrait appeler « éponges » les comportements émasculés au nom d’une certaine compréhension de l’inculturation. Comment accepter d’être algérien avec les algériens, si c’est pour en tromper quelques-uns…et se perdre soi-même.
Ce « ni-ni » appelle une autre posture dialogale que saint Jacques nous propose de vivre et que nous tentons d’adopter : « Moi, c’est par mes actes que je te montrerai ma foi ». Nous ne sommes plus là dans l’articulation précise d’un credo ou la déclamation d’un catéchisme systématique, censément universel. Jacques nous contraint à une expression non verbale de la foi, mais lisible dans nos vies. Ce sont mes actes qui deviennent le livre ouvert. Ce dialogue inaugure une histoire sans parole, que les bavards redoutent. La sainteté devient l’état quotidien du missionnaire, dans une économie de mots. C’est sur cette lisibilité que peut se nouer un authentique dialogue, débarrassé de toute arrière-pensée stratégique. On est bien loin du compte, évidemment ! Il y aurait des conséquences pratiques à tirer : comme on voudrait nous le faire croire trop souvent, ce n’est plus un apprentissage de la langue du pays qui est le sésame du missionnaire, mais l’acceptation de sa propre conversion. A ce premier niveau, le dialogue n’est pas d’abord le fait des théologiens orientalistes. Il faudrait songer à l’introduire avec les saints du quotidien.
(2) Pour ce qui constitue la partie officielle de ce dialogue engagé entre les religions, je ne l’aborde qu’habité par la conviction de l’inutilité d’écrire à ce sujet. A l’expérience, ces rencontres venues d’ailleurs n’ont jamais laissé de fruits visibles sur place. La communauté chrétienne locale en ressort toujours cocufiée. Les délégations vaticanes ou diocésaines se succédaient sans qu’il n’y ait jamais de véritables préparations avec les églises locales ; sans qu’il n’y ait jamais de visées communes. Au mieux, nous étions conviés à fournir des chambres d’hôte aux fonctionnaires labellisés du dialogue interreligieux. Ceux-ci ne trouvaient jamais assez de mots flatteurs pour remercier le pays et la qualité de son accueil et les promesses de ce dialogue. La télévision d’état relayait les éloges des naïfs. Les journaux publiaient les discours. Soyons juste : ce type de dialogue assure tout de même à peu de frais une solide propagande. Chaque rencontre avec une délégation d’église restaure l’image du pays en mettant en relief la liberté religieuse… que l’on serait bien en peine de trouver en dehors de ces grandes messes. Quand passera-t-on enfin de ces mondanités à l’interpellation ? L’interpellation est une autre forme de dialogue laissée en jachère par les orientalistes. Ces mêmes auraient sans doute reproché à Jésus d’engager le dialogue avec les pharisiens sur le mode de l’interpellation. Ce n’est pas correct. Pour goûter à ce nectar, mieux vaut s’adresser aux poètes qu’aux pontifes, aux prophètes qu’aux savants. Il souffle sur Chiraz un vent rafraichissant. Ici les bréviaires se sont tus, mais les fabliaux circulent sous le manteau. On se ressource dans les parcs mieux que dans les mausolées. La poésie dit tout haut ce que la religion fait tout bas.
La rue sera l’ultime temple où la vérité jaillira.
François HISS, CM 🔸
Ce dialogue inaugure une histoire sans parole, que les bavards redoutent. La sainteté devient l’état quotidien du missionnaire, dans une économie de mots. C’est sur cette lisibilité que peut se nouer un authentique dialogue, débarrassé de toute arrière-pensée stratégique.