Colloque : » Au cœur de la Ville, un Cœur Missionnaire «
200 ans de présence lazaristes dans le 6e
Paris, 21 mai 2018
Sous un beau soleil de printemps, le premier lundi de Pentecôte, jour où toute l’Église universelle était invitée par Rome à célébrer pour la première fois la mémoire de la bienheureuse Vierge Marie, Mère de l’Église, instaurée par le décret Ecclesia Mater du 3 mars dernier, la Maison-Mère des prêtres et frères de la Mission accueillait près d’une centaine de participants pour un colloque intitulé : « Au cœur de la ville, un cœur missionnaire ».
Cet événement culturel auquel a bien voulu prendre part le père Thomaz Mavric, Supérieur Général de la Congrégation de la Mission, constitue un temps fort pour la Maison-Mère qui, en cette année jubilaire, fête le 200ème anniversaire de sa présence dans le sixième arrondissement de Paris. Après la célébration eucharistique dans la chapelle Saint-Vincent et l’ouverture du colloque par le père Christian Mauvais, Visiteur provincial, plus de dix intervenants se sont succédés entre 9h et 17h (avec bien sûr une pause déjeuner) dans la salle Baude ; la sœur Michelle Marvaud, Fille de la Charité en assurait l’animation avec beaucoup de dynamisme et d’entrain.
La première intervention de la journée complétée en tout début d’après-midi par celle du père Bertrand Ponsard, supérieur de la Maison-Mère (sur le père Étienne) nous ont permis de situer le cadre historico-culturel dans lequel la Maison-Mère a évolué. Celle-ci est en effet la fille de son temps. Le site anciennement connu sous le nom d’Hôtel de Lorges fut concédé à la Compagnie quelque temps seulement après son rétablissement en 1816 par Louis XVIII. C’est principalement sous le généralat du père Jean-Baptiste Étienne (1801-1874), 14è supérieur général de la Congrégation pendant 27 ans, que la maison mère a acquis sa physionomie actuelle. Fort de son entregent et de ses relations politiques haut placées qu’il sut mettre habilement au service de la Congrégation (au point d’être considéré par certains comme le second fondateur après Monsieur Vincent), le père Étienne ne ménagea aucune peine pour transformer cette maison en véritable maison-mère pour toutes les communautés lazaristes dans le monde. Il est significatif à cet égard que parallèlement à tous ses efforts en vue de l’embellissement de la maison mère, la congrégation connut alors sous son mandat une période de croissance numérique et de prospérité. Au terme de son mandat de général, la Congrégation était ainsi implantée sur les cinq continents.
15ème Supérieur Général de la Congrégation de la Mission, le père Eugène Boré (1809-1878), introduit par le père Yves Danjou, eut la responsabilité délicate de succéder au père Étienne. Homme d’une grande envergure intellectuelle et doté d’une très vaste culture, il cumulait la maîtrise de l’archéologie, de plusieurs langues orientales (arabe, turc, persan, hébreu, syriaque…) et assurait même des cours de sanskrit au Collège de France ! Réputé dans le tout Paris intellectuel comme étant un orientaliste de qualité, il fut correspondant de l’Académie des Belles-Lettres et se vit confier par le ministère de l’instruction publique une mission (1837) en Asie mineure. Il lui fut demandé d’effectuer un rapport sur l’état des établissements français en Orient dont certains étaient sous l’autorité administrative des Lazaristes. C’est à cette occasion qu’il fit la rencontre du père Leleu, Supérieur de la communauté de Constantinople, et des prêtres et des frères de la Mission qui exercèrent sur lui une impression telle qu’il sollicita son admission dans la Congrégation qui devint effective en 1851. Son parcours intellectuel et spirituel déjà atypique s’enrichît alors d’une dimension missionnaire. L’orientaliste de bibliothèque se mua ainsi en orientaliste de terrain en Asie Mineure avant de devenir comme missionnaire bâtisseur d’écoles à Tabriz ou encore à Ourmia. Il convient à cet égard de préciser que l’école de Tabriz ouverte en 1839 est considéré par les historiens comme la première école mixte en Perse groupant des enfants de différentes religions. [1] A l’exemple du père Fernand Portal sur la figure de laquelle nous reviendrons plus tard, le père Boré était un apôtre de l’unité soucieux de faire cohabiter dans l’harmonie et la paix des populations de traditions confessionnelles différentes. C’est à cette fin qu’il s’engagea pleinement comme prêtre de la Mission de la Congrégation de la Mission dont il finira Supérieur Général à la fin de sa vie.
C’est à la demande du père Étienne que le frère François-Casimir Carbonnier (1787-1873), présenté pendant le colloque par un autre frère, Maxime Margoux, exécuta de belles œuvres picturales pour orner et décorer outre la chapelle, le réfectoire, quelques salles et corridors de la maison-mère. Dans la sacristie de la chapelle, ce disciple de David, premier peintre de l’empereur Napoléon Ier et d’Ingres, montre toute l’étendue de ses talents de portraitiste avec la réalisation de tous les portraits des supérieurs de la Congrégation de la Mission, du père Alméras (1660) jusqu’au père Étienne (1874) ! Un travail méticuleux et colossal que le frère assimilait à un service sacré rendu à Dieu et à l’Église qu’il mettait un point d’honneur à préparer dans le recueillement et la prière. C’est ainsi qu’il composait ses tableaux au pied de l’autel cherchant auprès de Dieu l’inspiration et la force pour promouvoir une catéchèse par l’art et la beauté. Contemplant toutes ses œuvres, le cardinal de Paris, François Nicolas Madeleine Morlot ne put s’empêcher de s’exclamer un jour: « Il faut être un saint pour concevoir de telles scènes ».
Autre figure de missionnaire ayant fréquenté la maison-mère et encore peu connu du grand public, au plus grand regret d’ailleurs de Mme Carole Roche-Hawley (ICP-Paris/ directrice au CNRS) chargée de le présenter, le père Charles François Jean (1874-1955), élève de l’archéologue dominicain Jean-Vincent Scheil célèbre pour avoir découvert et traduit les inscriptions de la stèle du Code de Hammurabi, le plus complet des codes de lois de la Mésopotamie antique. Polyglotte, il maîtrisait aussi bien l’hébreu que l’assyrien ou d’autres langues mésopotamiennes. Sa culture érudite lui valut d’être envoyé en Orient en 1921 comme chargé de mission du ministère français de la recherche. Le père Jean put recueillir plus de 200 tablettes cunéiformes de l’ancienne Mésopotamie avant de soutenir la même année un mémoire sur ses découvertes à l’École des Hautes Études, sous la direction de son maître et professeur Jean-Vincent Scheil. Un de ses ouvrages les plus célèbres « Milieu biblique avant Jésus-Christ » témoigne de l’audace et de la pertinence de sa démarche scientifique alors que l’Église catholique, aux prises à cette époque, avec la crise moderniste tenait encore pour suspecte tout interaction entre l’histoire critique et l’exégèse.
A peu près au même moment émerge avec le père Guillaume Pouget une autre figure de missionnaire précurseur dans le domaine biblique et théologique. Aux yeux du père Antonello c.m., professeur de théologie dogmatique au séminaire de Plaisance (Italie), chargé de le présenter, le père Pouget apparaît comme un « artisan du renouvellement théologique du 20ème siècle ». Son intuition géniale et prophétique pour son époque repose sur le principe confirmé et repris plus tard par le Concile Vatican II dans la Constitution Dei Verbum, selon lequel la théologie sacrée s’appuie sur la Révélation biblique conjointement avec la Tradition de l’Église. Selon le témoignage du père Loris Capovilla, ancien secrétaire particulier du futur Saint Jean XXIII, rapporté à un de ses disciples laïcs Jean Guitton, observateur laïc au Concile, le père Pouget aurait par ailleurs inspiré au pape du Concile une des distinctions axiales conciliaire entre le dépôt de la vérité de la foi d’une part, et d’autre part la forme, le langage sous lequel cette vérité pourrait être énoncée. A relever enfin, que du fait de l’exemplarité de sa vie au plus fort de sa cécité, le père Guillaume Pouget a indirectement inspiré la création d’un mouvement au sein du Groupement des Intellectuels Aveugles ou Amblyopes. Il s’agit des Amitiés Pouget qui rassemblent des clercs, religieux malvoyants ou non voyants don président le diacre Marcel Chalaye nous a honoré de sa présence.
Le père Élie Delplace s’est quant à lui attaché à un exemple accompli de missionnaire vincentien qui a su concilier vie spirituelle, travail théologique et action apostolique. Le père Fernand Portal est surtout connu dans le monde catholique pour son rôle de pionnier dans le dialogue œcuménique. Fondateur en 1895 de la revue anglo-romaine, il fut à l’initiative des Conversations de Malines qui se sont tenues de 1921 à 1925 et qui constituaient un temps d’échange inédit entre des personnalités catholiques et anglicanes. Outre son action en faveur de l’unionisme, le père Portal se distingua par son zèle auprès de la jeunesse catholique. Son biographe Régis Ladous [2] en fait le père spirituel de Jean Guitton, de Marcel Légaut ou encore du dominicain Yves Congar ! On connaît moins par ailleurs son investissement qui mérite d’être plus souligné auprès des plus pauvres du quartier Javel de Paris où il se rendait souvent présent.
Pour introduire sa présentation de Saint Jean-Gabriel Perboyre (1802/1840), premier saint martyr canonisé de Chine et figure d’inspiration du père Portal, le père Philippe Lamblin a commencé par nous partager une prière composée par le saint lui-même et une de ses réflexions spirituelles : « La croix est le plus beau monument […] qu’elle est belle cette croix implantée en plein cœur d’une terre infidèle arrosée des sangs des martyrs… ». Saint Jean Gabriel Perboyre représente une autre figure de missionnaire vincentien qui a pu donner une visibilité à toutes les richesses du charisme vincentien. Professeur au séminaire de Montdidier, il s’est rendu l’auteur de plusieurs réflexions et écrits spirituels qui continuent à nourrir la prière de confrères contemporains à l’image du père Lamblin. Il ne s’est pas contenté de discourir sur la beauté de la croix mais il l’a vécu dans sa chair par son martyr en Chine.
Comment enfin évoquer la présence des missionnaires lazaristes en Chine en omettant la figure exceptionnelle d’Armand David. Il revenait à José Frêches, écrivain, sinologue et auteur : « Le père David, l’impératrice et le panda », de préciser d’abord le contexte historique et culturel dans lequel s’est inscrit son action missionnaire. Les relations de la Chine avec les puissances occidentales étaient il est vrai à l’époque très tendues du fait principalement de la guerre d’opium. Ce fut donc en sa double qualité de missionnaire et de naturaliste que le père Armand David arriva en Chine. Dans une biographie qu’il a bien voulu transmettre au père Frédéric Pellefigue pour qu’il la lise à sa place, étant lui-même empêché, Dominique Robin rappelle que c’est plus de 189 nouvelles espèces animales, végétales qu’il a ainsi pu découvrir, répertoriées lors de ces trois expéditions qui s’étalent entre 1866 et 1874. Correspondant de l’Académie des Sciences nommé plus tard membre permanent de la section géographie, il en envoya des échantillons au Muséum d’Histoire naturelle à Paris. Sa renommée fut telle qu’à la suite d’un rapport élogieux établi en 1864 à son sujet, ses deux dernières explorations en Chine s’accompagnaient d’indemnités pécuniaires versées généreusement par la communauté scientifique pour la plus grande joie du supérieur général de l’époque, le père Étienne ! Parmi les espèces célèbres que le père Armand David put mettre en lumière figure l’arbre aux mouchoirs (Davidia involucrata, nom scientifique en latin), le cerf du père David (c’est bien son nom en français!) et bien sûr…le panda devenu avec la WWF, animal-symbole des espèces menacées dans le monde mais aussi instrument diplomatique pour la politique extérieure de la Chine. Le site d’information France Info parle à ce sujet de « diplomatie du panda »[3] pour évoquer le don fait par la Chine de bébé panda au président français nouvellement élu. Aux dire du sinologue José Frêches, la découverte du panda par le père Armand David dans la province du Sechuan a préservé cette espèce d’une extinction assurée comme ce fut malheureusement le cas du « dodo » de l’Île Maurice.
L’investissement du père David dans le domaine scientifique ne doit pas occulter pour autant son action apostolique dont nous pouvons aujourd’hui apprécier l’efficacité par un fait notable. En 2015, le village chinois où le père David à découvert pour la première fois le panda a changé de nom pour prendre celui du prêtre de la Mission et s’appeler « village du père David ». Peuplé de 168 habitants, les 3/4 d’entre eux sont catholiques !
En considération de toutes ces grandes figures de missionnaires lazaristes en prise directe avec les réalités de leur temps, nous pouvons mesurer combien la Maison-Mère qui fut leur lieu de résidence et/ou de travail constitue un foyer de rayonnement évangélique mais aussi…scientifique comme en atteste aujourd’hui encore tous leurs travaux précieux soigneusement conservés au bureau des archives par le père Lautissier. Ainsi, nous pouvons conclure avec le père Roberto Gomez coordinateur de ce colloque que la Maison-Mère constitue bien « un cœur missionnaire au cœur de la ville » dans la mesure où il s’agit non pas d’un lieu replié sur lui-même mais ouvert sur le monde.
P. Patrick RABARISON, CM 🔸
En considération de toutes ces grandes figures de missionnaires lazaristes en prise directe avec les réalités de leur temps, nous pouvons mesurer combien la Maison-Mère qui fut leur lieu de résidence et/ou de travail constitue un foyer de rayonnement évangélique mais aussi… scientifique. Ainsi, la Maison-Mère constitue bien « un cœur missionnaire au cœur de la ville » dans la mesure où il s’agit non pas d’un lieu replié sur lui-même mais ouvert sur le monde.
Notes :
[1] Présence Française Outre-Mer (XVIème/XXIème siècle). Tome 1. Académie des Sciences, p. 212
[2] Régis Ladous, Monsieur Portal et les siens, éd. Cerf, 1985
[3] https://www.francetvinfo.fr/politique/emmanuel-macron/brigitte-macron/brigitte-macron-la-diplomatie-du-panda_2498917.html