Père Alvaro RESTREPO CM – Homélie

Père Alvaro RESTREPO CM – Homélie

Chapelle Saint Vincent de Paul – Paris, 9 mars 2017

 

Chère Matilde, Amparo, Mauro, Ingrid et toute la famille. Chères Filles de la Charité, famille de saint Vincent de Paul; Chers Confrères Lazaristes, chers frères prêtres. Chers amis du P. Alvaro :

La nouvelle de la mort du P. Alvaro s’est répandue comme un feu de poudre dans le monde entier : Colombie, Chili, Bolivie, Pérou, Espagne, Jérusalem, Italie, Madagascar, Rwanda, Congo… dans ces pays on recevait une nouvelle bouleversante tellement nous aimons notre Frère, le « petit père » comme on aimait le surnommer. Chacun d’entre nous a connu « le petit père » et a eu l’occasion de partager sa route. Nous sommes tristes et peinés. Il va beaucoup nous manquer. Vous savez bien qu’il est difficile de tracer son itinéraire tellement il a bougé, tellement il était prêt pour la mission quelle qu’elle soit et où qu’elle se trouve. De plus, il faudrait une longue liste d’adjectifs, et aucun ne pourrait suffire, pour résumer sa vie tellement féconde et belle.

Si nous sommes rassemblés ici dans cette chapelle de saint Vincent de Paul, c’est avant tout pour affirmer notre foi dans la résurrection, pour rendre grâce au Seigneur créateur de la vie, et pour demander à Dieu de montrer sa miséricorde et son amour à notre frère. Mais avons-nous besoin de demander ceci à Dieu ? Non, nous l’affirmons plutôt :  Dieu est miséricordieux, il a déjà accueilli notre frère dans la demeure que lui-même à prévu pour lui.

Les lectures de la Parole de Dieu que nous avons proclamées ensemble, nous permettent de faire mémoire et d’affirmer trois choses :

1. Notre frère Alvaro puisait sa force et sa joie dans la Parole de Dieu, c’est-à-dire dans le Christ, Verbe incarné du Père. Comme le dit saint Paul, Alvaro a proclamé la Parole de Dieu« à temps et à contre-temps », avec patience mais aussi avec passion. Retraites, conférences, homélies, réflexions, exhortations, accompagnement spirituel… tout cela tournait autour de Celui qui est la Parole faite chair. Cela faisait plaisir à voir et à l’écouter jongler avec les Saintes Ecritures qu’il ruminait et savourait en faisant le lien entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Doté d’une mémoire qui faisait envie, il était capable de citer par cœur les textes bibliques y compris en langue hébraïque ou grecque, et indiquer avec aisance une référence précise d’un texte biblique. Alvaro était Apôtre de la Parole, pourrait-on dire. La Parole de Dieu était sa boussole ! Apôtre de la parole parce que d’abord il a essayé de se laisser modeler par elle et s’est laissé blesser à l’intérieur par le feu brûlant de l’Esprit qui secoue et qui ébranle la profondeur de l’être. Il a bien compris, je pense, ce que la lettre aux Hébreux affirme : « Vivante, en effet, est la parole de Dieu, énergique et plus tranchante qu’aucun glaive à double tranchant. Elle pénètre jusqu’à diviser l’âme et l’esprit, articulations et moelles. Elle passé au crible les mouvements et les pensées du cœur. Il n’est pas de créature qui échappe à sa vue ; tout est nu à ses yeux, tout est subjugué par son regard. Et c’est à elle que nous devons rendre compté (Hébreux 4,12-13).  Ses solides études en humanités depuis sa Colombie natale, l’on charpenté et lui ont permis de poursuivre des études bibliques et théologiques à Rome et à Jérusalem. Cela dit, le plus définitif pour lui comme pour nous, c’est l’expérience personnelle du Christ, la rencontre avec Dieu.

Alvaro : Dans le face à face avec Celui que tu as cherché et prêché durant plus de cinquante ans en tant que prête lazariste, tu peux désormais mieux comprendre la profondeur de ce que saint Vincent de Paul, ton modèle spirituel, a dit à l’un de ses missionnaires : « Il faut donc Monsieur vous vider de vous-mêmes pour vous revêtir de Jésus-Christ » (Coste I,295 ; XI 342-351 ; XII 107-108). A partir de cette pensée de st Vincent tu nous as laissé une belle conférence où ton côté mystique paraissait : « Se revêtir de Jésus-Christ, disais-tu, était un langage, une vie, une route et une mission ». Tu sais, samedi dernier, le jour de ta pâque à toi, nous avons lu à la messe le récit de la vocation de Matthieu dans la version de saint Luc. J’ai pensé après coup que c’était un clin d’œil de la Providence, puisque Matthieu le publicain est en effet un amoureux de la Parole, « un scribe instruit du Royaume des cieux comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et du vieux » (Mt 13,52). Nous tes frères, devons poursuivre ta mission tout en écoutant saint Paul qui dit : « fais œuvre d’évangéliste, remplis ton ministère ».

2. « Le temps de mon départ est arrivé… » combien nous le regrettons, il est trop tôt… Dans tous les cas, saint Paul évoque ainsi le mystère de sa mort en se servant du langage du culte, celui du combat, de la course et de la justification :

« Le temps de mon départ est arrivé, je suis déjà offert en libation… j’ai combattu le beau combat, j’ai gardé ma foi… J’ai achevé ma course, le Seigneur me réserve la couronne de Justice ».

L’expérience de Paul à la fois douloureuse et pleine d’espérance ressemble fort à la tienne. Tu aussi, tu aurais pu écrire tout cela, mot à mot parce que tu as été un missionnaire de Jésus, un bon missionnaire du Christ ressuscité.

Ton départ est à la fois une blessure et une espérance. Blessure parce que l’ami, le professeur, le frère et le confrère, le confident et le confesseur, le directeur spirituel et le prédicateur ainsi que le célébrant et le serviteur… nous manqueront cruellement. Ta perte sera ressentie, ta présence souvent désirée. Nous devons faire avec la disparition de ta personne, avec ton absence ! Or, l’heureuse nouvelle de la résurrection de Jésus commence précisément par la constatation de la perte de son corps, avec la disparition de la visibilité du corps de Jésus, le crucifié. Voilà l’espérance, notre folle espérance ! Elle est paradoxale et se trouve justement du côté du Christ mort et ressuscité ; mort et disparu, mais vivant et ressuscité. Dieu créateur nous récrée et nous fait revivre. On comprend alors que notre foi chrétienne et pascale doit prendre au sérieux la perte définitive de la visibilité de Jésus. Jésus ressuscité sort par définition de l’espace et du temps puisque le monde avenir est déjà présent, le temps s’est écourté et la figure de ce monde passe (1 Corinthiens 7,29.31). Nous qui croyons à la résurrection, nous passons également et nous ressuscitons comme le Christ : « S’il n’y pas de résurrection des morts, Christ non plus n’est pas ressuscité, et si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vaine, et vide notre foi… Mais non ; le Christ est ressuscité des morts, prémices de ceux qui sont morts… » (1 Corinthiens 15,1-14.20).

En célébrant cette messe d’à-Dieu, nous affirmons Alvaro, que ta vie a été belle, pleine de bontés et de rencontres. Tu as fait le bien… Un de nos confrères a dit avec tristesse et fierté : « Alvaro était un exemple de missionnaire » et un autre : « Même à l’hôpital il fait sa mission ». C’est vrai, tu as marqué les infirmières par ton courage, bonté, respect et douceur. Jusqu’au bout tu as gardé la foi. Tu as combattu le beau combat. Tu peux donc dire avec Paul : « Je suis déjà offert en libation ». Libation veut dire offrande, culte rendu à Dieu non pas avec les lèvres mais avec tout son être.  C’est le sens de la dernière phrase écrite lorsque tu ne pouvais plus parler avec les docteurs :

« Je suis un prêtre… ma vie dans les mains de Dieu ».

Dieu ton créateur a reçu ta vie comme une offrande, comme une libation offerte en action de grâces et de louange. Et tes péchés ?  Tes péchés n’ont pas gêné l’élan de ton offrande à Dieu ni ta louange, parce que en te sachant pardonné, ta louange ne faisait qu’augmenter.

Mon cher Alvaro, (notre cher Alvaro plutôt, parce que t’accaparer, te tirer à soi, c’est insulter ta donation à tous, ton côté universel). Alors, Notre cher Alvaro : l’heure de ton départ est arrivée. Et t’entends dire à nous tous : vous devez continuer la mission puisque la mienne est achevée et le culte de ma vie offerte est mon rite final. Le processus est désormais irréversible. Oui, tu nous manqueras beaucoup, mais je t’assure que « si dans mon cœur il a un trou, ce n’est pas le vide ».

3. « Heureux les serviteurs que le maître à son arrivée trouvera en train de veiller et de servir… Restez en tenu de travail et gardez vos lampes allumées » (st Luc 12,35s). C’est en cheminant vers Jérusalem que Jésus livre à ses disciples cette parabole sur la prière et le service : lampes allumées symbole de la prière et tenu de travail symbole du service. On peut aussi y lire la contemplation et l’action si chères à notre fondateur. Notre frère Alvaro aimait servir et il le faisait avec amour, générosité, joie et humour. Oui, même ton humour était un service. Juste avant ton hospitalisation ton médecin te reprochait de ne pas te plaindre, de ne pas demander des calmants pour ta douleur. Il te rappelait ainsi ton devoir d’humilité. Alors, tu lui as répondu que depuis une semaine tu étais humble parce que j’acceptais un petit calmant… Le médecin te répliqua : et avant une semaine quoi de ton humilité ? Ta réponse a fusé : avant je devais être humble, mais je ne le savais pas !

Comme Jésus Alvaro a fait son chemin de croix. Comme Jésus, il durcissait son visage en montant à Jérusalem tout en priant silencieusement. Il aimait prier, il aimait la liturgie, l’eucharistie, les Psaumes. Je suis certain que le Psaume 22 chantée dans cette cérémonie était souvent sur ses lèvres : « Le Seigneur est mon berger je ne manque de rien… même si je marche dans un ravin d’ombre et de mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi… Je reviendrai à la maison du Seigneur pour des longs jours ». Il aimait la Jérusalem terrestre, il y a rebâtit notre maison ; mais il savait que la Jérusalem céleste était plus belle parce que Dieu l’y attendait. Il avait soif de Dieu et comme un cerf altéré il s’élançait vers la fontaine.

Alors Seigneur crucifié et ressuscité, écoute notre action de grâce pour la vie d’Alvaro si belle et pleine et écoute également la supplication qui monte de nos cœurs cet après-midi pour notre faire bien-aimé, ton serviteur :

« Mon Dieu, reprends ton souffle à notre ami,

Dégage-le de l’odeur de la mort.

Tu l’as donné gratuit, reprends-le de même !

Mets d’abord à son compte que nous l’aimons.

Nous n’avons pas à te le présenter.

Nous te montrons ce qu’il nous a donné.

Rassemble ses bontés, elles t’appartiennent.

Ne l’isole pas de nos prières pour le juger.

Devant la mort, nous ne savons que toi,

Nous prenons souffle à l’espérance,

Là où déjà beaucoup des tiens sont à demeure :

Qu’ils accueillent notre ami et l’entourent.

Oublie qu’il t’oubliait, Seigneur, Rappelle-toi qu’il t’appelait.

Reprends son souffle et tiens-le pour ami : Tes amis te le demandent[1].

 AMEN

Roberto Gomez CM 🔸

 

 

L’autre vu de loin me semble un monstre, si je m’approche de lui, je m’aperçois qu’il est un être humain. Et, en me rendant plus proche de lui, je découvre un frère

Alvaro Restrepo CM
[1] Patrice de la Tour du Pin, poète français. Poème écrit à l’occasion de la mort accidentelle de son ami Joachin de Pierre de Pierre de Bernis Calvières.

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