Réflexion autour du message du pape Léon « C’est toi, Seigneur, mon espérance (Ps 71,5) » 9ème Journée Mondiale des Pauvres 2025

Le Psaume 71 a inspiré le message du pape Léon pour la célébration de  la 9ème Journée Mondiale des pauvres qui sera célébrée dans toute l’église le dimanche 16 novembre 2025. Cette journée, le pape Léon, l’a voulue toute tournée vers l’espérance, vécue sous le signe de l’espérance et marquée par la petite vertu têtue de l’espérance. La première phrase du message étant  : « Seigneur mon Dieu, tu es mon espérance » (Psaume 71,5). Ceci est logique puisque l’année sainte, l’année jubilaire dans laquelle est embarquée toute l’église, est une invitation à devenir toujours et de plus en plus des pèlerins d’espérance, des marcheurs d’espérance. Je voudrais commencer cette réflexion par un rapide commentaire du Psaume 71 qui est comme la toile de fond de tout le message. 

Le Psaume 71 

La première chose qui peut nous surprendre est le fait que la plupart des Psaumes en hébreu possèdent un titre. Celui-ci, le Psaume 71, n’en porte pas (il n’a pas de titre). Aussi bien on l’appelle « le Psaume  Orphelin ». En réalité le priant de ce Psaume est un vieillard qui se sent abandonné de tous, rejeté par tous et méprisé, même par ses plus proches. Il s’adresse alors à son Dieu, le seul capable de le comprendre et d’entendre sa plainte :

« Ne me rejette pas, maintenant que je suis vieux,

Quand mes forces déclinent, ne m’abandonne pas.

Car mes ennemis parlent de moi,

Ceux qui me surveillent se sont entendus.

Ils disent : Dieu l’a abandonné, traquez-le, attrapez-le, personne n’ira le délivrer »

(Ps 71,9-11)

La personne qui parle ainsi souffre et ressent la brûlure de la honte et de la vergogne. Il se sait vieux, seul  et rejeté. La honte est un terme qui revient plusieurs fois dans le texte tout en souhaitant que la honte change de champ. A présent sa longue vie est marquée par « le spectre de la vieillesse et son lugubre cortège de misères ». Abandonné de tous, dans sa terrible épreuve, le vieillard n’a qu’un seul recours et un seul espoir : le Seigneur, son créateur et son libérateur. Toute son âme et tout son être refusent de penser et d’accepter l’idée que Dieu puisse l’abandonner. Au contraire, du fond de sa nuit et de sa misère, son espérance et sa foi se réveillent comme une dernière révolte vive et sacrée. Alors,  il prie ainsi, plutôt pourrait-on dire,  il crie ainsi : « Seigneur, je t’ai pris pour refuge » (v.1)

« Tu es mon espérance Seigneur Dieu,

Ma sécurité dès ma jeunesse.

Je m’appuie sur toi depuis ma naissance,

A toi sans cesse va ma louange… (v. 5-6),

Pour moi, je ne cesse pas d’espérer,

Et je persiste à chanter tes louanges.

J’ai toujours à la bouche les récits.

De ta justice et de ton salut… » (v.14-15).

Comme vous l’entendez, la prière du pauvre vieillard se fait insistante, déchirante. Il sait que même au plus profond de sa nuit et au milieu de ses misères, il peut chanter Dieu, le louer et proclamer ses merveilles. De manière paradoxale, le pauvre, en ce cas le vieillard, peut chanter Dieu et dire son espérance :

« Malgré ma vieillesse et mes cheveux blancs,

Ne m’abandonne pas, Dieu :

Que je puisse proclamer les œuvres de tons bras à cette génération,

Ta vaillance à ceux qui viendront…

Toi qui as fait des grandes choses,

Qui est comme toi ? » (v.18-19).

Qui est comme toi ? La plainte du vieillard se transforme en confession de foi. O Dieu qui est comme toi ! Plutôt que d’un questionnement il est question ici d’une louange, d’une confession de foi admirative de la bonté du Seigneur. De fait, le Psaume 71 se termine par une louange accompagnée à la harpe :

« Alors je m’accompagnerai de harpe,

Pour te célébrer, mon Dieu et ta fidélité,

Sur la lyre je jouerai pour toi,

Mes lèvres chanteront de joie, car tu as racheté ma vie. » (v. 22-23).

En prenant le Psaume 71 comme toile de fond pour son message, le pape Léon, veut poser de devant nos yeux la confiance du pauvre, son décentrement et surtout nous inviter à considérer comment l’espérance peut naître au cœur même de la souffrance. Celui qui souffre peut louer Dieu et mettre en lui sa confiance. Autrement dit, il est toujours possible d’espérer en Dieu. Le pape insiste sur quelque chose d’extraordinaire : ce sont les pauvres qui nous apprennent l’espérance. Le premier paragraphe du message du pape Léon est explicite : «  Seigneur mon Dieu, tu es mon espérance » (Ps 71, 5). Ces paroles jaillissent d’un cœur accablé par de graves difficultés : « Tu m’as fait voir tant de maux et de détresses » (v. 20), dit le psalmiste. Malgré cela, son âme est ouverte et confiante, car elle est ferme dans la foi, qui reconnaît le soutien de Dieu et le professe : « Ma forteresse et mon roc, c’est toi » (v. 3). De là jaillit la confiance inébranlable que l’espérance en Lui ne déçoit pas : « En toi, Seigneur, j’ai mon refuge : garde-moi d’être humilié pour toujours  (v. 1) ».

Les pauvres nous apprennent l’espérance 

A partir du numéro 2 de son message, le pape Léon prend le temps de regarder et d’admirer « la mystérieuse sagesse des pauvres » dont parlait volontiers le pape François :

« Le pauvre peut devenir témoin d’une espérance forte et fiable, justement parce qu’il la professe dans des conditions de vie précaires, faites de privations, de fragilité et d’exclusion. Il ne compte pas sur les certitudes du pouvoir et des biens ; au contraire il les subit  et en est souvent victime. Son espérance ne peut reposer qu’ailleurs » (cf. n° 2).

Combien de fois nous avons été témoins de cela ? Les pauvres concrets nous apprennent l’espérance et l’endurance non pas de manière spirituelle ni intellectuelle, mais de manière tout à fait dépouillée et réelle. Nous, les consacrés, nous avons fait vœu de pauvreté, mais ce n’est pas la même chose qu’être pauvre par obligation et sans avoir le choix. Je sais, d’ailleurs,  que vous avez vécu avec des pauvres, que vous avez été témoins de leurs luttes et de leur espérance. Cependant, nous n’avons peut-être jamais mendié, ni vécu sous les ponts ou dans la rue, ni manqué de choses essentielles comme l’éducation et l’accès à la santé, n’est-ce pas ? Alors, laissons-nous évangéliser par les pauvres qui s’accrochent à la grande espérance et non pas à des petits espoirs sans lendemain.

En filigrane, le message du pape nous pose une bonne question : sur quoi ou sur qui repose notre espérance ? Le pape insiste que l’espérance des pauvres ne repose ni sur des certitudes matérielles, ni sur le pouvoir et encore moins sur des privilèges. Leur sagesse toute simple leur a fait comprendre que « tous les biens de cette terre, que les réalités matérielles, les plaisirs du monde, le bien-être économique, bien que importants, ne suffisent pas à rendre le cœur heureux. Les richesses sont souvent trompeuses et conduisent à des situations  dramatiques de pauvreté… ».

Alors une fois de plus,  sur quoi ou sur qui repose l’espérance des pauvres et la nôtre ?  Lorsque un pauvre regarde la croix, très souvent il ou elle s’identifie spontanément au crucifié. Il ou elle comprend plus facilement le message révolutionnaire de la croix. Au lieu de détourner le regard du crucifié, le pauvre se sent regardé par le crucifié, par celui qui est cloué sur le bois et il entend lui dire : « Delixit te », je t’ai aimé. A ce propos, tel est le titre de la première exhortation du pape Léon qui est un réalité un texte écrit à quatre mains. Léon a continué et complété le texte que François avait laissé inachevé. « Je t’ai aimé… » Le pauvre se  sait aimé de Dieu !  Très souvent aussi il expérimente son silence et son abandon,  parfois encore il peut dire « Dieu m’a abandonné ». Or, n’est-ce pas la même question de Jésus sur croix ? : « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Psaume 21,2).

Revenons à la question posée :   sur quoi ou sur qui repose notre espérance ? Posons la même question autrement : qui ou quoi nous fait perdre l’espérance ? Comme le vieillard du Psaume 71, c’est lorsqu’il est abandonné de tous que son espérance en Dieu est la plus grande. C’est au milieu de sa nuit obscure qu’il confesse s’on unique espérance en Dieu. Le pape Léon le dit de manière claire et précise :  L’espérance des pauvres repose ailleurs ! Cet ailleurs nous renvoie au mystère de l’incarnation et de la résurrection du Christ. Sans cela, il serait impossible d’espérer pour soi et d’espérer pour autrui. Sans cela, nous ne pourrons pas faire ce que Vincent de Paul nous demande : « Tournez la médaille… »

L’espérance naît de la foi et toutes les deux se transforment en Agapè

Il y a un troisième aspect qui mérite d’être souligné à partir du message du pape Léon : le lien profond et fécond entre les trois vertus théologales : la foi, l’espérance et la charité. Il s’agit comme de trois sœurs bien unies qui ne va pas l’une sans l’autre, de trois vertus qui donnent à la foi des ailes, qui permettent à l’espérance d’aller au-delà de ce qui est visible et qui engagent la foi et charité dans la transformation du monde et de l’histoire.  Écoutons à ce propos le pape Léon : « L’espérance, soutenue par l’amour de Dieu répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint (cf. Rm 5, 5) transforme le cœur humain en terre féconde, où peut germer la charité pour la vie du monde. La Tradition de l’Église réaffirme constamment cette circularité entre les trois vertus théologales : la foi, l’espérance et la charité.

L’espérance naît de la foi qui la nourrit et la soutient sur le fondement de la charité, qui est la mère de toutes les vertus. Et c’est de charité dont nous avons besoin aujourd’hui, maintenant. Ce n’est pas une promesse mais une réalité vers laquelle nous regardons avec joie et responsabilité : elle nous engage et oriente nos décisions vers le bien commun. Celui qui manque de charité, en revanche, non seulement manque de foi et d’espérance, mais enlève l’espérance à son prochain ». Voilà en quelques mots la grande espérance.

L’espérance, la grande espérance, n’est rendue possible et crédible que par la foi en un Dieu fidèle qui tient ses promesses. Le visage concret de ce Dieu-là tenant ses promesses est Jésus-Christ mort et ressuscité. Sans l’incarnation et sans résurrection du Christ, tout espoir humain reste limité, temporaire et incomplet. On le sait bien,  la foi permet au croyant d’espérer au-delà de toute espérance. Beaucoup de monde espère légitimement un lendemain meilleur, mais si notre espoir se limite à ce  monde visible, l’humanité demeure comme amputée et clouée au sol. Avec raison le pape Benoît XVI a affirmé dans son encyclique Spes Salvi : « Nous avons besoins des espérances qui de jour un jour nous font vivre… mais sans la grande espérance cela ne dure pas »  (cf. Benoît XVI, Spés Salvi n° 31).

A ce propos, le pape Léon précise que la plus grande pauvreté consiste à ne pas connaître Dieu (Cf Message du pape Léon n° 3). Comment expliquer cela ?  Ignorer Dieu, vivre comme si Dieu n’existait pas est en soi une pauvreté… et cela n’est pas sans conséquences. Faire le pari de non non-existence de Dieu,   ampute l’être humain de sa dimension transcendante… cela l’appauvrit et l’amoindrit. Très souvent on nous fait croire que la seule pauvreté à combattre est la pauvreté matérielle et économique.  Or, la pauvreté spirituelle est aussi une pauvreté grave qui engendre d’autres misères. Ne pas croire à la transcendance de l’homme est en soi une misère. C’est comme poser un plafond, une limite infranchissable devant la tête de l’humanité.

Immédiatement le pape Léon pointe une conséquence concernant les pauvres :  « La pire discrimination dont souffrent les pauvres est le manque d’attention spirituelle. L’immense majorité des pauvres ont une ouverture particulière à la foi ; ils ont besoin de Dieu et nous ne pouvons pas manquer de leur offrir son amitié, sa bénédiction, sa Parole, la célébration des sacrements et la proposition d’un chemin de croissance et de maturation dans la foi » (Evangelii Gaudium n° 200). On voit bien là, de pensée et de doctrine entre François et Léon.

En réalité, personne n’a le droit d’amputer les pauvres de ses droits fondamentaux et parmi eux il y a celui de la transcendance, ce droit inscrit dans la profondeur de l’être : chacun  a le droit d’avoir la foi et de croire en Dieu. Croire fait vivre ! « L’espérance chrétienne est comme une ancre qui fixe notre cœur sur la promesse du Seigneur Jésus qui nous a sauvés par sa mort et sa résurrection et qui reviendra parmi nous ». (Message  du pape Léon n° 4°).

Une autre conséquence de la triade foi, espérance et charité, est le fait que ce trois vertus vécues de manière responsable nous engagent dans la transformation de l’histoire : « La cité de Dieu nous engage donc pour la cité des hommes ». de ce fait, garder  le cap de l’espérance c’est  s’engager dans la transformation du monde en vue d’améliorer le sort des plus pauvres. Le pape Léon précise que  « la pauvreté a des causes structurelles qui doivent être affrontées et éliminées ». Par conséquent, « nous sommes tous appelés à créer de nouveaux signes d’espérance qui témoignent de la charité chrétienne » et cela à la suite de tant d’hommes et de femmes arrivés à la sainteté. Louise de Marillac et Vincent de Paul sont encore créateurs de nouveaux signes d’espérance et d’engagement.

Finalement, il y a un avertissement de la part du pape Léon que j’appelle prophétique : « Les pauvres ne sont pas une distraction pour l’Église, ils sont nos frères et sœurs les plus aimés, car chacun d’eux, par son existence et aussi par les paroles et la sagesse dont il est porteur, nous invite à toucher du doigt la vérité de l’Évangile. C’est pourquoi la Journée mondiale des pauvres veut rappeler à nos communautés que les pauvres sont au centre de toute l’œuvre pastorale. Non seulement en son aspect charitable, mais également en ce que l’Église célèbre et annonce. Dieu a pris leur pauvreté pour nous rendre riches à travers leurs voix, leurs histoires, leurs visages. Toutes les formes de pauvreté, sans exception, sont un appel à vivre concrètement l’Évangile et à offrir des signes efficaces d’espérance » (message du Pape n° 4).  Oui, la vérité de l’Evangile et donc de la foi est en lien avec l’engagement de notre foi, de notre espérance et de notre agapè.

Roberto Gomez cm

Le 12 novembre 2025

  1. La traduction du Psaume est prise de la Bible de la TOB. 
  2. Robert Michaud, Les Psaumes. Adaptation de l’œuvre en trois volumes de Gianfranco Ravasi, Montréal/Paris, Éditions Paulines & Médiaspaul, 1993, p. 448.
  3. Cf. message du pape Léon, n° 3.
  4. « Son espérance ne peut reposer qu’ailleurs ».
  5. Message du pape Léon n° 4.
  6. Synonymes utiles : Affaiblir, rapetisser, atrophier,  réduire
  7. Référence implicite à saint Augustin : La Cité de Dieu. Léon est marqué par l’œuvre et la personne de saint Augustin comme on le sait bien.

 

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