Miséricorde
Cette causerie était destinée à des Filles de la charité pour une retraite. Les circonstances ont privé son auteur de voix audible ; Il partage volontiers le fruit de sa préparation à celles et ceux qui veulent clore, par sa lecture, l’année jubilaire finissante !
C’est un mot que nous allons entendre très (trop ?) souvent durant l’année jubilaire. Contrairement à ce que vous pourrez lire ou entendre, ce n’est ni un mot vieux (ou trop vieux) ni un mot neuf (jamais utilisé). Il existe depuis toujours et l’Ancien Testament en fait volontiers un usage ; le mot est cité 57 fois et 45 fois dans le Nouveau Testament.
I. La miséricorde est d’abord l’attitude première de Dieu
La miséricorde, c’est d’abord un mot de la Bible, c’est un mot qui traduit deux termes bibliques : le premier est rahamim, qui veut dire « les entrailles ». La miséricorde est d’abord une caractéristique de Dieu lui-même, qui est « pris aux entrailles » pour sa création. On pourrait comparer cela avec l’amour d’une mère prise aux entrailles par l’amour qu’elle porte à son enfant… Quand Dieu se révèle à Moïse, il lui révèle son identité, puis il lui dit : « J’ai vu la misère de mon peuple ». C’est une caractéristique de Dieu que d’être touché par la misère de son peuple en esclavage. Ensuite, le deuxième terme biblique que le mot miséricorde traduit, c’est resed, qui signifie « un amour fidèle ». Ce n’est pas l’amour d’un instant, c’est un amour voulu, choisi, décidé par Dieu, et durable à l’infini malgré tous les errements et les égarements que peut vivre son peuple. (Père Marc Fassier dans la revue croire)
J’ai déjà raconté cette histoire : un jour, une malentendante recevait mal ce mot « miséricorde » dans une conférence ; elle se mit à réfléchir sans trouver le mot et le sens exacts. Et soudain ce fut une illumination dans son esprit ; elle comprenait « la misère est corps de Dieu ! ».A sa manière, cette personne avait compris l’essentiel. Dieu est pris aux entrailles. Bien sûr quand nous disons cela nous faisons de l’anthropomorphisme, nous utilisons une image, Dieu n’a pas d’entrailles. Mais cela parle. Dieu souffre et il souffre parce que le Fils souffre. Au nom de la Trinité, le Père ne peut qu’épouser la peine du Christ. Si le fils souffre, les autres personnes divines souffrent ; on peut parler du cri de Dieu[1].
Le saint pape Jean-Paul II a parlé de la miséricorde avec maestria et comme sur un air nouveau avec son encyclique « Dives in misericordia », Dieu riche en miséricorde.
Voici quelques repères extraits de ce texte :
- L’Eglise vit d’une vie authentique lorsqu’elle professe et proclame la miséricorde, attribut le plus admirable du Créateur et du Rédempteur, et lorsqu’elle conduit les hommes aux sources de la miséricorde du Sauveur, dont elle est la dépositaire et la dispensatrice.
- l’Eglise annonce la conversion et y appelle. La conversion à Dieu consiste toujours dans la découverte de sa miséricorde, c’est-à-dire de cet amour patient et doux comme l’est Dieu Créateur et Père: l’amour, auquel «le Dieu et Père de Notre Seigneur Jésus-Christ» est fidèle jusqu’à ses conséquences extrêmes dans l’histoire de l’alliance avec l’homme, jusqu’à la croix, à la mort et à la résurrection de son Fils. La conversion à Dieu est toujours le fruit du retour au Père riche en miséricorde.
- Jésus-Christ nous a enseigné que l’homme non seulement reçoit et expérimente la miséricorde de Dieu, mais aussi qu’il est appelé à «faire miséricorde» aux autres: «Bienheureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde».
Dieu est Miséricordieux
Votre service est miséricorde si vous agissez au nom de Dieu miséricordieux par excellence. Dès les débuts de la Révélation, nous pouvons entendre des pages bibliques éducatives comme ces 3 proposées :
Ex. 34, 6-7 ; 06 « Yahvé passa devant Moïse et proclama : « LE SEIGNEUR, LE SEIGNEUR, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité, qui garde sa fidélité jusqu’à la millième génération, supporte faute, transgression et péché, mais ne laisse rien passer, car il punit la faute des pères sur les fils et les petits-fils, jusqu’à la troisième et la quatrième génération. »
Jr. 31, 18-20 : 18 J’entends bien Éphraïm se plaindre : -« Tu m’as corrigé, et je suis corrigé, comme un jeune taureau non dressé. Fais-moi revenir, et je reviendrai, car c’est toi qui es le Seigneur mon Dieu. Oui, je me repens après être revenu ; après avoir reconnu qui je suis, je me frappe la poitrine. Je rougis et je suis confus, car je porte la honte de ma jeunesse. » – Éphraïm n’est-il pas pour moi un fils précieux, n’est-il pas un enfant de délices, puisque son souvenir ne me quitte plus chaque fois que j’ai parlé de lui ? Voilà pourquoi, à cause de lui, mes entrailles frémissent ; oui, je lui ferai miséricorde – oracle du Seigneur.
Michée 7, 18-20 « Qui est Dieu comme toi, pour enlever le crime, pour passer sur la révolte comme tu le fais à l’égard du reste, ton héritage : un Dieu qui ne s’obstine pas pour toujours dans sa colère mais se plaît à manifester sa faveur ? De nouveau, tu nous montreras ta miséricorde, tu fouleras aux pieds nos crimes, tu jetteras au fond de la mer tous nos péchés ! Ainsi tu accordes à Jacob ta fidélité, à Abraham ta faveur, comme tu l’as juré à nos pères depuis les jours d’autrefois. »
On voit bien que Dieu a éduqué son Peuple, malgré les brisures nombreuses de la part de celui-ci. Petit à petit, il le fait miser sur sa miséricorde et rien que sur elle. Ceux qui attendront le Christ seront uniquement sur ce registre-là. Pour les prophètes, la miséricorde est plus forte que le péché et l’infidélité. Dieu est « le Dieu de tendresse et de miséricorde ». Nous sommes prêts à entendre le message du Nouveau Testament.
Dieu Miséricorde
Nous sommes stupéfaits par cette affirmation, « le nom de Dieu est miséricorde ». Et pourtant tous les derniers papes ont insisté sur ce point et nous y avons peu fait attention. St Jean XXIII a ouvert le Concile Vatican II en proclamant : « L’Epouse du Christ préfère recourir au remède de la miséricorde plutôt que d’empoigner les armes de la rigueur ». Dans ses pensées sur la mort publiées le 5 août 1978, Paul VI écrivait : « Je considère toujours comme synthèse suprême celle de saint Augustin : misère et miséricorde. Ma misère, la miséricorde de Dieu. Que je puisse au moins maintenant honorer celui que Tu es, le Dieu de bonté infinie, en invoquant, acceptant, célébrant Ta très douce miséricorde ». Et nous venons de voir ce que Jean-Paul II a souligné dans sa fameuse encyclique sans oublier Benoît XVI qui a dit explicitement : « La miséricorde est en réalité le noyau central du message évangélique, c’est le nom même de Dieu, le visage par lequel Il s’est révélé dans l’ancienne Alliance et pleinement en Jésus Christ, incarnation de l’Amour créateur et rédempteur. Cet amour de miséricorde illumine également le visage de l’Église et se manifeste aussi bien à travers les sacrements, en particulier celui de la réconciliation, qu’à travers les œuvres de charité, communautaires et individuelles. Tout ce que l’Église dit et fait, manifeste la miséricorde que Dieu nourrit pour les hommes, donc pour nous. Lorsque l’Église doit rappeler une vérité méconnue, ou un bien trahi, elle le fait toujours poussée par l’amour miséricordieux, afin que les hommes aient la vie et l’aient en abondance (cf. Jn 10, 10). De la miséricorde divine, qui pacifie les cœurs, naît ensuite la paix authentique dans le monde, la paix entre peuples, cultures et religions diverses. (Regina Coeli du dimanche de la miséricorde de 2008) «
« Le nom de Dieu est miséricorde ». Dieu, souverain, le Clément, le Miséricordieux » commence la première sourate du Coran (puis répété à chaque sourate) ! Il y a comme instinctivement, une conception spontanée de Dieu bon ; il est celui qui pardonne. Dans son dernier interview, François explique : « La miséricorde, c’est l’attitude divine qui consiste à ouvrir les bras, c’est Dieu qui se donne et qui accueille, qui se penche pour pardonner…On peut dire la miséricorde est la carte d’identité de Dieu »…(« Le nom… » p 29)
2. Soyez miséricordieux
Si le Pape François a eu cette idée de génie de transformer 2016 en un jubilé de la Miséricorde, c’est qu’elle est la clé de son pontificat. Voyez ses armoiries : « miserando ac eligendo », « parce qu’il lui faisait pitié, il le choisit »[2]. Dieu a pitié de nous et l’Eglise aussi. Nous sommes dans un océan de miséricorde.
Je crois qu’avec la miséricorde nous tenons la marque de notre service vincentien qui n’est pas simplement œuvre matérielle mais annonce du cœur de l’Evangile : ne pas condamner, soigner, mettre debout et remettre en marche. C’est aujourd’hui la pensée souvent exprimée du Pape François. Commentant la parabole du Bon Samaritain, il a dit que Dieu ne veut pas la condamnation mais la miséricorde pour tous. « Il veut la miséricorde du cœur car, miséricordieux, il comprend nos misères, nos difficultés et même nos péchés. Il n’est pas donné à tous d’avoir un cœur miséricordieux! Faisons comme le samaritain qui imite Dieu et exerce sa miséricorde envers le besogneux » (14 juillet 2013) et encore : « Dieu pardonne non pas décret, mais avec une caresse, en caressant nos blessures causées par le péché » (7 avril 14).
Vous le voyez parler de miséricorde, c’est parler de re – évangélisation. C’est redonner à l’homme blessé ses lettres de noblesse, le remettre sous le regard de Dieu qui ne condamne pas, apaise avec le baume du pardon et l’inviter à la reconquête de sa propre dignité.
Avec la miséricorde, nous sommes dans le droit fil de l’envoi missionnaire évangélique La miséricorde est une vertu missionnaire. Elle n’est pas notre propriété partagée ; elle est le domaine partagé du cœur de Dieu Le plus grand bonheur est de faire connaître Jésus, nous qui avons le bonheur des bonheurs de le connaître. Il est urgent de manifester ce cœur de Dieu et te dire à qui peut l’entendre : « Tu as du prix à mes yeux » selon Isaïe 43 :
Mais maintenant, ainsi parle le Seigneur, lui qui t’a créé, Jacob, et t’a façonné, Israël : Ne crains pas, car je t’ai racheté, je t’ai appelé par ton nom, tu es à moi. Quand tu traverseras les eaux, je serai avec toi, les fleuves ne te submergeront pas. Quand tu marcheras au milieu du feu, tu ne te brûleras pas, la flamme ne te consumera pas. Car je suis le Seigneur ton Dieu, le Saint d’Israël, ton Sauveur. Pour payer ta rançon, j’ai donné l’Égypte, en échange de toi, l’Éthiopie et Seba. Parce que tu as du prix à mes yeux, que tu as de la valeur et que je t’aime, je donne des humains en échange de toi, des peuples en échange de ta vie. » (Is 43,3-4).
La miséricorde vient nous ouvrir à Dieu en nous ouvrant à l’autre. Plus je laisse aller mon âme au pardon de Dieu comme je l’ouvre au pardon des autres, plus je me laisse diviniser. Je prends les mœurs de Dieu, les sentiments de Dieu, les pensées de Dieu, la vérité de Dieu. Je me situe dans son élan qui est toute ouverture à l’autre quelles que soient ses dettes et ses écarts.
La parabole du débiteur impitoyable (Mt 18, 23 à 35) nous montre bien la largeur d’esprit de Dieu (qui remet dix mille talents, soit 60 millions de francs or !) et notre tentation d’étroitesse et de mesquinerie, nous qui ne remettons pas cent francs or. La miséricorde est toujours infinie, sans limite car nous connaissons celle que Dieu manifeste à notre égard. Si notre situation est sans issue et nous ne devons notre salut qu’à la pitié de Dieu, pourquoi serions-nous exigeants et non ouverts au pardon et à toute remise de la part des autres et pour les autres ?
Le plus beau cadeau est de pardonner et de remettre debout, proposition du Christ de toujours.
Questions pour réfléchir :
- Suis-je encore bloqué par quelque amertume contre quelqu’un ? Pourquoi ?
- Ai-je pris du temps pour prier et m’ouvrir au pardon de Dieu ?
- Quelles sont mes ouvertures, mes réussites dans mes démarches ?
Lire : Le chapitre 5 de Matthieu
Explications :
[1] Je vous revoie à « la souffrance de Dieu » de F. Varillon ppp 38-39 pp…
[2] « pitoyable, il le choisit »