Saint Vincent de Paul et la Communauté (IV et conclusion)

Saint Vincent de Paul et la communauté (IV et conclusion)

LE PÈRE CLAUDE LAUTISSIER, DIRECTEUR DES ARCHIVES DE LA CONGRÉGATION DE LA MISSION À LA MAISON-MÈRE DE PARIS, NOUS OFFRE UN ARTICLE (NUMÉRISÉ) DU PÈRE JEAN MORIN AUTOUR DES ORIGINES DE LA “COMMUNAUTÉ” TELLE QUE SAINT VINCENT DE PAUL L’A CONÇUE POUR LES CONFRÈRES DE SON TEMPS ET QUE NOUS POUVONS RELIRE À LA LUMIÈRE DE NOTRE EXPÉRIENCE ACTUELLE. NOTRE VIE EN COMMUN DESTINÉE À LA MISSION LE PÈRE MORIN N’ARRÊTE PAS DE NOUS LE DIRE ! BONNE LECTURE DE CES DEUX PREMIÈRES PARTIES.

IV. Saint-Lazare et l’approbation de la Compagnie (1632 – 1633)

1. L’entrée à Saint-Lazare (8 janvier 1632)

Le Contrat d’union du Prieuré de Saint-Lazare à la Congrégation de la Mission fut signé le mercredi 7 janvier 1632 et la prise de possession se fit dès le lendemain. A en croire le0 curé de Saint-Laurent, M. de Lestocq qui servit d’intermédiaire au cours des tractations, il fallut insister toute une année (1631) pour amener saint Vincent à accepter ce très vaste couvent et cet enclos le plus vaste de Paris (Coste, Le grand saint… I, 191).

Dans son “Guide de saint Vincent de Paul à travers Paris” p. l, Monsieur Chalumeau précise que les bâtiments s’étendaient le long de la rue du Faubourg Saint-Denis sur une longueur de 150 mètres environ et sur une profondeur de 200 mètres environ”. Il convient sans doute de mentionner au moins ces quelques chiffres pour se faire une idée du “retentissement” profond que dût avoir ce nouveau cadre de vie sur la jeune et petite communauté. M. Coste (o.c. p. 192) ajoute qu’il y avait une église de style gothique (petite et sans beauté, remontant au XIIIe siècle) et un cloitre. Ces quelques détails [59] autorisent peut-être à juger assez vraisemblable la première réaction que M. de Lestocq prêtée à saint Vincent :

“Il est vrai, Monsieur, que votre proposition m’épouvante ; elle me paraît si fort au-dessus de nous que je n’oserais y penser. Nous sommes de pauvres prêtres qui vivons dans la simplicité, sans autre dessein que de servir les pauvres gens des champs.” (XIII, 246)…

Quoiqu’il on soit et après intervention de M. Duval, saint Vincent finit par accepter et Saint-Lazare devient la Résidence de la Communauté, quelques confrères restant au Collège des Bons Enfants.

Une lettre de saint Vincent à M. de Lestocq (I, 137-141), datant de la période des pourparlers, fait état de difficultés concernant l’éventuel transfert de la Communauté à Saint-Lazare. Il s’agit du dortoir et du chœur. Pour le dortoir, saint Vincent redoute la cohabitation entre les Missionnaires et les quelques religieux habitant encore Saint-Lazare : “parce que nous observons le silence depuis le soir après la prière jusqu’au lendemain après le diner, que nous avons une heure de récréation ; et depuis la récréation jusques au soir après souper, auquel temps nous avons encore une heure de récréation, laquelle achevée, nous rentrons dans le silence, pendant lequel nous ne parlons que de choses nécessaires, et encore tout bas…”

Pour le chœur, il s’agit de savoir si les Missionnaires porteront l’habit des Chanoines (le domino et l’aumusse) et s’ils chanteront l’Office. La réponse de saint Vincent est évidemment négative : “…pour éviter à confusion et le soupçon que le parlement aurait que nous commencerions à devenir chanoines, et par conséquent que nous renonçons tacitement à notre dessein de travailler incessamment le pauvre peuple des champs …”

Même si saint Vincent insiste sur la rigueur du silence dans le but d’obtenir une meilleure autonomie de sa Communauté par rapport aux derniers habitants de Saint-Lazare, cette lettre suggère bien le grand problème qui dût se poser à la jeune Communauté Missionnaire prenant possession de cet imposant Couvent. L’argument mis en avant contre le domino, l’aumusse et l’Office chanté est sans douta plus fondamental et essentiel : les Missionnaires doivent être et apparaître travaillant incessamment pour le pauvre peuple des champs.”

Las conditions et le style de vie en résidence ne peuvent être en contradiction avec cet essentiel de la vocation des Prêtres de la Mission. Et saint Vincent conclut qu’il élimerait mieux que nous demeurassions toujours en notre pauvreté que de détourner le dessein de Dieu sur nous”

Ce même 8 janvier 1632, l’archevêque de Paris approuvait l’union de Saint-Lazare à la Mission en précisant entre autres : que les Prêtres de la Mission seraient tenus à réciter l’office divin “in choro alta voce sine cantu”, que douze au moins devraient résider en la maison dont huit prêtres, qui assureraient des missions dans le diocèse de Paris et recevraient les Ordinands (XIII, 248-254). Même sans prendre à la lettre chacune de ces prescriptions, ce document – lui aussi – donne une idée d’une certaine évolution du style communautaire imposée par ce transfert de résidence.

2. La Bulle d’érection de la Congrégation de la Mission (12 janvier 1633)

1. La mission romaine de M. du Coudray

En juin et août 1028, on l’a vu plus haut, saint Vincent écrivit deux suppliques au Pape Urbain VIII en vue d’obtenir l’approbation de Rome pour la Congrégation, et le 22 août, la demande était pratiquement rejetée par la Propagande. (XIII. 225).

En 1631, saint Vincent reprend l’affaire et envoie M. de Coudray sur place pour y défendre le dossier. Le 20 juillet 1631, il lui écrit : “Vous voilà enfin arrivé à Rome” (I, 114), et c’est un échange de correspondance sur les délicates tractations. [60]

Cinq lettres de saint Vincent à M. du Coudray ont été conservées sur cette période.

L’argument essentiel et à mettre en avant est toujours la nécessité du pauvre peuple :

“Vous devez faire entendre que le pauvre peuple se damne, faute de savoir les choses nécessaires à salut et faute de se confesser. Que si Sa Sainteté savait cette NÉCESSITÉ, elle n’aurait point de repos qu’elle n’eût fait son possible pour y mettre ordre…” (I, 115).

Et pour appuyer cette argumentation, saint Vincent consulte les théologiens. Le 4 septembre 1631, il envoie un billet à Du Coudray : « Un grand personnage en doctrine et en piété me disait hier qu’il est de l’opinion de saint Thomas : que celui qui ignore le mystère de la Trinité et celui de l’Incarnation, mourant en cet état, meurt en état de damnation et soutient que c’est le fond de la doctrine chrétienne. Or cela me toucha si fort et me touche encore que j’aie peur d’être damné moi-même, pour n’être incessamment à l’instruction de pauvre peuple… » (I, 121)

Mais les oppositions se manifestent et les retards se multiplient. Dix ans plus tard, saint Vincent écrira au supérieur de Rome :

L’esprit de ce pays-là est réservé, temporisant et considérant, aime et estime les personnes qui vont piano, piano et se garde extrêmement de celles qui vont vite…! » (II, 263). Du Coudray souhaite employer des procédés un peu « contournés », mais saint Vincent, le 23 décembre 1631, juge la chose « assez ingénue » et ajoute : “Qui dit les choses tout bonnement comme elles sont, et se soumet, Dieu agrée, comme je crois, ce procédé. La vérité et l’humilité s’accordent bien ensemble.” (I, 144)

La lettre du 12 juillet 1632 (I, 162-165) surtout est à lire pour se faire une idée des difficultés et oppositions comme de la sainte opiniâtreté de saint Vincent.

« …car, il est vrai, on tache à nous brouiller, comme vous m’avez mandé ; et cela jusqu’à la personne de laquelle nous devrions espérer la plus grande assistance après Dieu. Mais tout cela ne m’étonnerait pas sans mes péchés, qui me donnent sujet de craindre non pas le succès de la chose, qui tôt ou tard se fera, de delà comme de deçà mais je ne saurais vous exprimer combien les artifices m’étonnent… »

N.B. : On trouvera dans les Annales de 1926 (p.140 à 144) et de 1941-1942 (p.27-31), le texte définitif de la requête présenté par M. Du Coudray, au nom de saint Vincent. Il fut présenté non à la Propagande, comme en 1628, mais à la Congrégation des Évêques et Réguliers avec l’adresse suivante : « à Sa Sainteté pour l’Érection d’une Mission de Prêtres séculiers en France ». Il n’est pas nécessaire d’analyser ici ce texte puisqu’il sera pratiquement repris en totalité dans la Bulle d’érection.

2. La Bulle Salvatoris Nostri (12 janvier 1633)

Le latin se trouve en XIII 257-267 et une traduction en français est proposée dans les Annales 1941-1942, p. 32-40. La « vie de Communauté » de la nouvelle Congrégation, en tant que telle n’y est pas directement traitée, mais on peut cependant remarquer que :

  1. C’est incontestablement, une communauté apostolique qui est officiellement approuvée dans ‘Salvatoris nostri’. Le « but particulier » de l’Institut est ainsi défini : “cum propria salute, in eorum salutem incumbere qui in villis, pagis, terris, locis et oppidis humilioribus commoruntur.”

On remarquera l’expression cum propria salute”. Une étude serait à faire sur l’histoire et l’évolution de ce qui deviendra, dans les Règles Communes de 1658, la première fin de la Compagnie : Propriae perfectioni studere. On s’appuie parfois sur ce 1° § des Règles Communes pour contester ou nuancer la primauté de la Mission et le [61] caractère nettement Apostolique de la Congrégation. Il semble bien que, pour saint Vincent, cette exigence de sainteté personnelle n’ait jamais remis en cause la fin nettement missionnaire de l’Institut.

Dans le Contrat de Fondation du 17 avril 1625, la perfection personnelle n’est mentionnée que comme condition sine qua non pour un travail Apostolique valable : (XIII, 198-199)…

Même perspective dans le premier Contrat d’Association (XIII, 204).

Par contre, on peut lire dans la supplique à Urbain VIII (1er août 1628) : “quorum principale ac praecipuum institutum erit propriae perfectioni et incolarum rure degentium totaliter incumbere.” (I, 47,55)

Pour comprendre l’esprit de Propriae perfectioni studere des Règles Communes, le mieux est sans doute de se reporter à la Conférence du 6 décembre 1658 où saint Vincent lui-même s’explique sur La Fin de la Congrégation de la Mission (XII, 73 et suiv.). La perfection personnelle y est mise en relation avec les exigences de la Mission :

“Notre-Seigneur étant venu au monde POUR sauver les hommes, a commencé à faire et nuis à enseigner” Le dessein de la Compagnie est d’imiter Notre-Seigneur, c’est-à-dire qu’il faudra d’abord pratiquer et vivre ce que l’on prêchera. Saint Vincent, tout au long de cette Conférence, unit dans une même vue MISSIONNAIRE, dons un même projet missionnaire, ce qu’il sera toujours dangereux de vouloir séparer (perfection et mission).

Le “cum propria solute, in eorum salutem incumbere” de la Bulle Salvatoris nostri suggère cette relation entre perfection et Mission et cette unité dans la visée Missionnaire.

  1. Sur le problème « Autonomie et Insertion », la Bulle entérine les « maximes fondamentales » que saint Vincent rappelait à M. du Coudray, deux ans auparavant : Supérieur général à vie, Monsieur Vincent puis ses successeurs se voient reconnus tous les droits de direction de la Compagnie, maisons, personnes et biens” relativement aux Missions seulement, les Ordinaires des lieux, ainsi qu’il a été dit, garderont leur autorité ; et mention est également faite des droits des curés. Pour les Ordinaires des lieux, il est précisé : “Qu’ainsi qu’il leur semblera bon, ils pourront envoyer, dans les diverses parties de leurs diocèses, les sujets de ladite Congrégation qui seront désignés par leurs supérieurs…”.

Quand aux curés il est précisé : “Pour tout cela, ils obtiendront auparavant la permission du curé de l’endroit, sans cette autorisation, ils n’entreprendront rien des susdits emplois…”

 

Conclusions Générales

De ce rapide survol de l’expérience communautaire de saint Vincent, jusqu’en 1633, on peu dégager plusieurs constatations et risquer quelques conclusions.

 

1. Une Communauté apostolique

La Communauté de la Mission est bien une Communauté Apostolique. On retrouve constamment cette affirmation, dans pratiquement tous les textes officiels, depuis le Contrat de Fondation du 17 avril 1625 jusqu’à la Bulle Salvatoris nostri :

On se met ensemble “pour s’appliquer entièrement et purement au salut du pauvre peuple.”  [62]

La Communauté est née des exigences de la Mission et elle est conçue, structurée en fonction de la Mission.

La mission, on l’a vu, est chronologiquement et logiquement antérieure à la Communauté. Il y eut Folleville « et la presse fut si grande » que M. Vincent ne put y suffire. D’où une première constatation : pour faire face au travail missionnaire, il faut être plusieurs. Pour les missions suivantes, dans les terres des de Gondi, on fait appel aux Pères Jésuites. Aide qui se révèle précieuse sans doute, mais qui demeure occasionnelle et irrégulière. D’où, nouvelle constatation dont on a l’écho dans le Contrat de Fondation lui-même : pour la Mission, il ne suffit pas d’être plusieurs, il y faut stabilité, disponibilité, unité… et c’est ainsi que l’on en vint à l’idée de la pieuse association de quelques ecclésiastiques, pour selon le bon plaisir des prélats, s’appliquer entièrement et purement au salut du pauvre peuple. (XIII, 198)

C’est ainsi que la Communauté naquit des exigences mêmes de la Mission et que, progressivement elle se structure. On a pu remarquer, par exemple, que même les temps de « résidence » aux Bons Enfants, puis à Saint-Lazare sont, en grande partie consacrés à ce que l’on pourrait appeler la « formation professionnelle » des Missionnaires (on s’exerce à la controverse, on étudie le petit Bécan, on fait maints exercices de prédication… etc)

Il s’agit bien, semble-t-il, d’une Communauté de travail pour la Mission.

 

2. Insérée… mais Autonome

La Situation de cette Communauté Apostolique dans l’Église a été, dès le début, un problème grave et délicat. Et, sur ce point, ce sont encore les exigences pastorales de la Mission qui ont prévalu. Malgré son ton polémique, « l’opposition des Curés de Paris » cerne bien la question. Il s’agit bel et bien de la relation entre la pastorale « ordinaire et locale » et « l’intervention Missionnaire »… ce que les curés de Paris appellent « cette extraordinaire Mission ».

Il est ainsi intéressant de noter que dès les tout débuts de la Communauté, il s’est avéré bien difficile d’être dans la Pastorale de l’Église, avec l’Évêque et tous les responsables locaux, tout en demeurant soi-même et fidèle au Charisme missionnaire.

Il est surtout intéressant de voir comment saint Vincent tenait fermement les deux bouts de la chaîne : « laisser le pouvoir aux évêques d’envoyer les missionnaires dans la part de leur diocèse qu’il leur plaira ; les missionnaires seront soumis aux curés où ils font la mission pendant le temps d’icelle ; que le supérieur de la Compagnie ait l’entière direction d’icelle… » et saint Vincent ajoutait, on l’a vu : “Baste pour les paroles ; mais pour la substance, il faut qu’elle demeure entière …” (I, 116)

Saint Vincent demeura toujours très ferme sur ces principes. C’est ainsi que le 11 août 1660, quelques jours avant sa mort, il écrivait à l’Évêque de Lescar : « les missionnaires se sont donnés à Dieu et à messeigneurs les prélats pour leur obéir » comme les serviteurs de l’Évangiles à leur maître, en sorte que leur disant : Allez en tel lieu prêcher, catéchiser et faire les autres fonctions de la Mission, ils sont obligés d’y aller, et quand ils les rappellent, de revenir ; et quand ils leur disent : « Faites cela, ils doivent le faire, selon notre Institut. »

Mais, pour le regard de la conduite intérieure des familles et des personnes de notre Congrégation, en quelque lieu qu’elles soient, elle demeure à leur supérieur général. C’est à lui à les changer, à les appeler et rappeler d’une maison à une autre, de nommer les supérieurs particuliers et les autres officiers, d’envoyer de temps en temps des visiteurs de sa part en chaque lieu, pour y maintenir la charité et l’observance des règles, recevoir les comptes de la dépense et de la recette … etc (VIII, 362)  [63]

Ainsi donc, devaient se concilier ce que nous appellerions aujourd’hui l’insertion pastorale, la mobilité et disponibilité missionnaires, et l’autonomie juridique de l’Institut : Droit est reconnu aux évêques d’utiliser les missionnaires, là où ils le veulent dans leur diocèse, à la condition toutefois (on l’a remarqué) qu’il s’agisse bien de la fonctions de la Mission », mais le supérieur se réserve la conduite des Communautés (familles) et personnes, et le droit de nommer, rappeler et changer de maison… etc.

 

3. Vivre en Commun

C’est là l’expression même employée dans le Contrat de Fondation du 17 avril 1625, expression qui d’ailleurs est reprise dons la plupart des textes officiels. Et effectivement dès les tout débuts de la période des Bons-Enfants, tous les témoignages concordent : il s’agit bien d’une « Vie en commun », tant au cours des missions que pendant les longs mois de résidence. En Mission, puis pour les Ordinands, on se répartit le travail ; « en résidence », on se prépare ensemble, on prie ensemble, on vit de la « bourse commune »… Cette « vie en commun » dut se structurer sinon s’uniformiser progressivement, et ce, à l’exemple des religieux, comme il est dit dans la lettre de saint Vincent au pape Urbain VIII. (On reviendra sur le processus de cette évolution). Les Avis donnés à la retraite annuelle de 1632 (XI, 100-102) sont déjà très significatifs, par exemple ce paragraphe : « Observer inviolablement aux Missions tout ce qui suit : 1) se lever à 4 heures et se coucher à 9 heures ; 2) faire son oraison ; 3) dire son office avec les autres ; 4) aller à l’église et en sortir avec les autres ; 5) dire la messe à son tour ; 6) ne point sortir de l’église sans permission, disant la couse au supérieur ; 7) faire lecture durant le repas ; 8) tous les vendredis tenir chapitre. »

 

4. La Communauté de Biens

Des 1625, le statut « économique » de la Communauté semble des plus clairs et précis. Il n’y a là rien de bien étonnant puisque le Contrat du 17 avril 1625 est d’abord un Contrat de Fondation au sens économique du terme. M. et Mme de Gondi « fondent l’Association » et les quelques six ecclésiastiques prévus vivront des revenus de la somme de 45 000 livres allouées par « les Fondateurs ».

Par la suite, saint Vincent demeurera fidèle à ce statut économique et multipliera les Fondations, c’est-à-dire que Prêtres et Frères de la Mission vivront de « revenus », parfois modestes, mais réguliers et les mieux assurés possible. Ce statut économique des Communautés a certainement eu sa gronde importance et influence sur la psychologie et la mentalité de la Compagnie. Une comparaison par exemple avec le statut économique des Filles de la Charité serait des plus instructives.

Mais plus encore que le statut lui-même, cc sont les motivations du choix de saint Vincent qui sont significatives. Elles sont surtout d’ordre pastoral et dictées par les exigences de la Mission. Deux impératifs, en effet, sont nettement mentionnés dans le Contrat de Fondation :

1. Pour s’appliquer entièrement et purement au soin du pauvre peuple, les Missionnaires doivent renoncer expressément à toutes charges, bénéfices et dignités, comme à tout ministère dans les villes.

2. Ils doivent, de par ailleurs, « aux dépends de leur bourse commune, prêcher, instruire, exhorter et catéchiser ces pauvres gens… sans en prendre aucune rétribution en quelque sorte ou manière que ce soit. »

Les Missionnaires ne vivront donc ni de leurs ressources personnelles auxquelles ils doivent renoncer pour être entièrement à la Mission, ni du fruit de leur travail qui devra être totalement gratuit. D’où la solution de la Fondation et des revenus : « …il n’est pas de nous comme des mendiants, écrira saint Vincent le 20 septembre 1652, ils n’ont qu’à planter le piquet et les voilà établis. Mais, à nous, qui ne prenons rien pauvre peuple, il nous faut du revenu… » (IV, 4 80)  [64]

C’est sur cette base économique que se greffera notre style de pauvreté : une pauvreté dans le travail missionnaire, une pauvreté dans le partage.

Dans le travail missionnaire, car nous vivrons de « revenus » alloués pour que nous évangélisions les Pauvres

Dans le partage intégral, car fondations et revenus sont à la communauté et constitueront ce que le Contrat appelle la « Bourse commune ».

 

5. D’une équipe missionnaire à une communauté à l’exemple des Religieux…

Reste à dire un mot du « processus » de structuration de la Communauté, de 1624 à 1633. La Communauté, on l’a vu, semble bien être née de la Mission, des exigences concrètes des missions, et le témoignage de saint Vincent, en XII, 7-8, évoque plus le style de vie de ce que nous appellerions aujourd’hui « une Équipe Missionnaire » que celui d’une Communauté : “…Nous nous en allions ainsi tous les trois prêcher et faire la Mission de village en village. En partant, nous donnions la clef à quelqu’un des voisins, ou nous-mêmes  » nous les priions d’aller coucher la nuit dans la maison…”

Dans ce témoignage, l’important est manifestement la Mission, les courses missionnaires de village en village et la « résidence » …on confie la clef… ! apparaît comme assez secondaire.

Par contre, avec et après le Contrat de Fondation, la « résidence » semble prendre de plus en plus d’importance. On devine comme un phénomène de sédentarisation de la Communauté missionnaire. Devant tenir compte du rythme des travaux agricoles, les mois de juin, juillet, août, septembre, se passeront à la « maison commune », plus quinze jours après chaque mois de Missions pendant le reste de l’année. Même si ce rythme ne fut guère respecté, les missions semblant se prolonger et se succéder souvent au détriment des temps de résidence, ces périodes relativement nombreuses et longues en la « maison commune » ont certainement contribué pour une large part à une première structuration de type « religieux » de la vie Communautaire.

Autre élément très important dans ce « processus », l’Œuvre des Ordinands, après 1628. On reçoit des Ordinands, puis des réunions d’ecclésiastiques dans la maison. Cela devient vite très exigeant pour la Communauté qui se doit de donner l’exemple d’une vie très régulière. Saint Vincent rappelle souvent à sa Communauté cette responsabilité :

“…Oh, quel bonheur de ce que non seulement Dieu veut se servir de pauvres gens comme nous, sans science et sans vertu, pour aider à redresser les ecclésiastiques déchus et déréglés, mais encore à perfectionner les bons, comme nous voyons par se grâce que cela se fait. Que bienheureux êtes-vous, Messieurs, de répandre par votre dévotion, douceur, affabilité, modestie et humilité, l’esprit de Dieu dans ces âmes, et du servir Dieu en la personne de ses plus grands serviteurs que vous êtes heureux, vous qui leur donnerez bon exemple aux conférences, aux cérémonies, au chœur, au réfectoire et partout.” (XI, 10)

Ainsi, la maison Commune se doit de devenir « exemplaire ».

Enfin, il y eût le transfert à saint-Lazare, dans un cadre, on l’a vu, assez grandiose… même si tout était bien loin d’être en bon état. On peut imaginer le « choc » que produisirent sur la jeune Communauté Missionnaire ce nouveau cadre de vie, et le retentissement que cela pût avoir sur les comportements. La résidence est, pratiquement, devenue « un Couvent ». Certes, les activités missionnaires demeurent l’essentiel, mais le style de vie semble se régulariser de plus en plus. A tel point que désormais, le style de vie de Saint-Lazare devient comme le type et l’exemple proposés à toutes les autres communautés. Beaucoup plus tard, en 1655, saint Vincent parlera ainsi aux confrères de Saint-Lazare : [65]

“… Un autre motif est l’exemple que nous devons à toutes les personnes qui viennent céans et qui nous voient et nous considèrent depuis les pieds jusqu’à la tête, qui viennent ici pour se récolliger, pour apprendre la manière de bien vivre, tant d’ecclésiastiques qui passent ici, les ordinands, les exercitants… ceux des autres maisons disent : À Saint-Lazare, on fait comme cela. Et ainsi, voilà comme tout s’en va en décadence … Voyez-vous, mes frères, la copie n’est point, pour l’ordinaire, mieux faite que l’original ; s’il y a des fautes en l’original, pour l’ordinaire il y en a dans la copie. La maison de Saint-Lazare, c’est l’original, sur laquelle les outres maisons et toutes les personnes qui y viennent prennent exemple et tirent copie…” (XI, 206-207)

Il convient cependant de ne point trop idéaliser « l’original ». Par exemple, concernant la régularité de l’office, ensemble et au chœur, imposée aux résidants de Saint-Lazare par le Contrat (XIII, 234-244)… On sera peut-être surpris de lire en XII, 334 : qu’il y a vingt ans (nous sommes en 1659 !!) que cet usage est tombé en désuétude : c’est une coutume introduite à présent dans Saint-Lazare, de n’aller plus au chœur, si ce n’est ceux du séminaire… et saint Vincent s’en humilie.

Sans donc exagérer le « caractère régulier » et exemplaire de la Communauté de Saint-Lazare, on peut remarquer, au terme de cette étude, comme une évolution progressive du style de vie en communauté. Certes, la Communauté demeure nettement et prioritairement apostolique, mais il semble évident que le style de vie se structure réellement « à l’exemple des religieux », selon la formule de saint Vincent dans la lettre au Pape Urbain VIII, et ce, d’abord dans les résidences, puis dans les missions où seront conservés et observés tous les usages de la résidence compatibles avec le travail missionnaire, l’Œuvre des Ordinands et des exercitants d’une part, et le « cadre » de Saint-Lazare d’autre part ayant très vraisemblablement contribué à l’accélération de ce processus.

Jean MORIN, CM 🔸

Sans donc exagérer le « caractère régulier » et exemplaire de la Communauté de Saint-Lazare, on peut remarquer, au terme de cette étude, comme une évolution progressive du style de vie en communauté. Certes, la Communauté demeure nettement et prioritairement apostolique, mais il semble évident que le style de vie se structure réellement « à l’exemple des religieux », selon la formule de saint Vincent

Jean MORIN
Explications :

Article parut dans le Bulletin Lazaristes de France, n. 41, octobre 1973, pp. 46-65

Numérisé par Le père Claude LAUTISSIER  le 19 décembre 2018