Le père Guillaume Pouget

Le père Guillaume Pouget

Il est des hommes qui marquent leur histoire propre par leur intelligence, leurs connaissances, plus encore par leurs découvertes ou ce qu’ils ont réalisé. Demain on parlera encore d’eux.

Il en est d’autres qui passent à côté de la renommée, sans doute à cause de plusieurs facteurs humains qui les rendent moins intéressants aux yeux du monde habitué au paraître.

Le Père Guillaume Pouget Lazariste est un peu de ceux là. Il n’a rien fait d’extraordinaire. Dans sa vie propre nulle découverte, tout au plus quelques écrits dans une vie on ne peut plus simple, avec en plus un handicap, celui d’un accident qui l’a rendu presque aveugle.

Il est cependant un personnage unique, singulier qui mérite toute notre attention en cette année du bicentenaire de la Maison Mère des Pères Lazaristes. Aux yeux des témoins de son époque, M. Pouget était inoubliable et ineffable. Il le demeure encore aujourd’hui.

Guillaume Pouget est né le 14 octobre 1847 au hameau de Morsanges, commune de Maurines, située à 28 kilomètres de St-Flour.

Il est baptisé le jour même de sa naissance.  On lit en effet dans le registre des baptêmes de la paroisse de Maurines : « L’an mil huit cent quarante-sept, et le quatorzième jour du mois d’octobre, a été baptisé en l’église de Maurines, par moi desservant soussigné de la dite église, Guillaume Pouget, fils légitime de Jean et de Catherine Besse, tous deux présents au village de Morsanges. »

Il est l’ainé d’une famille de six enfants. Ses parents étaient des cultivateurs et ils étaient de petits propriétaires comme la plupart des paysans. Leur maison était bâtie non pas sur la hauteur du hameau, mais sur la partie pauvre qu’on appelle, les terres basses. Cela n’en faisait pas pour autant des pauvres. Leur logis, aucun apparat, mais « un petit bien », de l’avoir. Cela leur suffisait amplement. M. Pouget gardera toujours cette simplicité de vie du fait qu’il passa son enfance à aider ses parents dans leur rude labeur. Cela ne l’empêche pas de savoir lire à l’âge de cinq ans et à peu près seul, sans aide. Plus étonnant, il commence à aller à l’école à douze ans et seulement pendant l’hiver. Le reste de l’année, il aide son père aux travaux des champs. C’est à cet âge qu’il laboure avec son père.

Le curé de Maurines, frappé de ses dons exceptionnels, conseille à ses parents de lui faire entreprendre des études. A quinze ans en 1862 son père décida de le placer au petit séminaire de Saint-Flour espérant qu’il aurait la vocation de prêtre.

Le 7 octobre 1867 il est reçu au Noviciat des Père Lazaristes à Paris. Il prononce ses vœux le 8 octobre 1869. Et le 25 mai 1872, il est ordonné prêtre à la maison mère à Paris, au 95 rue de Sèvres, par Monseigneur Guido Luigi Alouvry.

En cette même année 1872 il est envoyé au petit séminaire d’Evreux où il enseigne différentes matières. Il y restera douze ans. C’est en 1873 qu’il commença à apprendre l’hébreu ainsi que d’autres langues orientales : « Je commençais à apprendre l’hébreu et je fis quatre ou cinq lectures de la Bible en hébreu. J’étais concordiste, et j’y cherchais de la géologie. [1]»

Nommé Supérieur en 1883 du petit séminaire de Saint Flour, il y restera trois ans continuant en secret à faire ses études tout en exerçant un supériorat peu banal et moins respectueux des formes que l’on puisse imaginer. Il lui était difficile en outre de punir.

En 1886, il est placé au scolasticat des Lazaristes à Dax comme professeur de sciences, mais il enseigne également la philosophie, l’histoire et l’Écriture Sainte.

Puis ce sera à la Maison Mère en 1888 où Il continuera à enseigner les sciences et l’Écriture Sainte. C’est 1905, malgré le soutien de son supérieur, qu’il est interdit d’enseignement, car il est jugé « trop en avance sur son temps »[2]. Il obéira à cette injonction humblement sans aucune rébellion. Paradoxe, M. Pouget qui ne possède aucun diplôme, va être jusqu’à sa mort, le 24 février 1933, le maître vénéré de bons nombres de prêtres et d’intellectuels, mais aussi un Père spirituel, un directeur de conscience. On venait chercher auprès de lui les réponses à de multiples interrogations.

 

Le rayonnement de M. Pouget

Son rayonnement est encore plus renforcé du fait (de sa maladie du fait) qu’il était devenu aveugle.

Pouget disait que la main du Seigneur l’avait touché. Elle le toucha en effet en ce qui lui était le plus sensible, à savoir ses yeux. Lui qui était avide de curiosité, il demandait beaucoup de services à sa vue. Il les avait fatigués (ses yeux) à des observations botaniques et astronomiques.

À 35 ans, en sa dernière année à Evreux, une première attaque de glaucome survint. Sa vue ne cesse de se dégrader. C’est ensuite une explosion dans son laboratoire de physique à Paris qui lui brûla le visage. En 1895, il tente l’opération. Malencontreusement le chirurgien lui pique l’œil entre l’iris et le cristallin au lieu de le piquer à la sclérotique, ce qui occasionna la perte de l’œil droit. Ce sera ensuite la vue de son œil gauche qui diminuera pour devenir totalement aveugle en janvier 1919. Il a 61 ans.

C’est à la maison mère des Pères Lazaristes que son rayonnement prendra toute son ampleur. Il occupait la chambre 104, « Cette chambre était obscure, pauvre et insalubre. Elle était obscure, parce qu’un aveugle, redoute la lumière, qui le brûle au lieu de l’éclairer. Elle était pauvre, parce que M. Pouget avait l’âme d’un pauvre. » Celui qui entrait dans son home ne pouvait qu’en être frappé par sa simplicité. Pas d’entrer en matière, ni de cérémonie. La conversation s’engageait à propose de tout et de rien. Que le visiteur fut un inconnu, « M. Pouget le traitait toujours comme une antique connaissance »[3].

On le disait savant mais il n’enseignait plus. Cependant sa chambre servait de bureau de consultation et de salle de classe. Original et singulier qu’il était, ses familiers n’étaient pas déconcertés par ses propos. Les autres partaient du simple fait que son savoir prodigieux qui s’offrait avec grande simplicité ne répondait cependant pas au renseignement espéré. M. Pouget était imprévisible. Il vous écoutait avec grande attention, semblait effleurer la question et s’égarait ensuite loin de son interlocuteur. En son esprit, il passait d’un sujet à un autre.

Plus extraordinaire encore, M. Pouget avait un champ démesuré de sa mémoire. Il ne cessait de la mesurer, de l’entretenir. « Dans l’Ancien Testament, M. Pouget avait confié à sa mémoire en hébreu, en latin et parfois en grec, les premiers chapitres de la Genèse, en particulier les trois premiers. Il savait aussi en hébreu une grande partie de Job et le Cantique des Cantiques. Il savait en Grec et très exactement, le livre de la Sagesse. Et naturellement, il savait de fort longs passages des autres livres ; je me borne à noter ses préférences. Pour le Nouveau Testament, il en possédait tout le latin, regrettant toujours de ne l’avoir pas apprise en grec lorsqu’il était jeune. Il avait même soutenu sa mémoire sur la mathématique des versets. Il savait au moins pour les textes les plus importants à ses yeux, que ceci était au verset tant et tant du chapitre tant et tant ; il lui arrivait bien rarement de se tromper [4]».

Les relations de M. Pouget furent nombreuses. Citons entre autres M. Jean Guitton mais aussi le philosophe Jacques Chevalier. Ce fut celui-ci qui envoyait vers M. Pouget ses amis et anciens élèves. C’est dans son livre Cadences qu’il a mentionné les noms de ceux qui fréquentèrent la chambre 104 du Père Pouget. M. Chevalier note dans son livre Cadences, à la page 122 : « Jusqu’à la dernière heure, M. Pouget demeura pour NOUS le maître auquel nous avions recours dans toutes nos difficultés, celui qui les résolvait d’un mot avec une infaillible sûreté, ou qui, par sa seule présence, les faisait s’évanouir comme une ombre à la pleine lumière du vrai. »

Finalement c’est une autre figure, un autre philosophe Henri Bergson, qui lui rendra le plus bel hommage dans un de ces ouvrages : « Au cour de ma vie, je n’ai rencontré qu’un seul homme vrai, c’est Monsieur Pouget ».

Didier MAHIEU, CM 🔸

Au cour de ma vie, je n’ai rencontré qu’un seul homme vrai, c’est Monsieur Pouget

Henri Bergson
Notes :

[1] Portrait de Monsieur Pouget – Jean Guitton P.26

[2] Portrait de Monsieur Pouget. Jean Guitton. P. 44

[3] Portrait de Monsieur Pouget. Jean Guitton. P. 60

[4] Portrait de Monsieur Pouget. Jean Guitton. P. 90