La Mission. Sortir vers les horizons de Dieu. Retraite spirituelle à Ars. Province de France (22-27 Octobre 2017) Deuxième Jour

La Mission. Sortir vers les horizons de Dieu.

Retraite spirituelle à Ars. Province de France (22-27 Octobre 2017)

Deuxième Jour

La retraite est un parcours dans le désert. Mon rôle est de vous guider. J’ai cherché à m’inspirer de plusieurs figures bibliques. La première qui m’est venue à l’esprit est celle de Moïse, qui transmit au peuple la Loi. C’est un modèle très exigeant. Un autre guide est le démon. C’est vraiment de la racaille comme modèle pourrait-on dire dans une certaine façon peu commode de parler. La troisième figure est la personne qui dans le désert apporte au prophète Elie du pain et de l’eau, mais ensuite se retire, afin de permettre à Elie de monter tout seul sur la Montagne de Dieu. Moi je ne vous donnerai pas grand-chose, mais seulement de l’eau et du pain. C’est à vous de faire le reste.

Deuxième jour

LE CHRIST DE SAINT VINCENT

La rencontre du matin

« En ce temps- là, Marie Madeleine se tenait près du tombeau, au-dehors, tout en pleurs. Et en pleurant, elle se pencha vers le tombeau. Elle aperçoit deux anges vêtus de blanc assis l’un à la tête et l’autre aux pieds, à l’endroit où avait reposé le corps de Jésus. Ils lui demandent : « Femme, pourquoi pleures-tu ? » Elle leur répond : « On a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l’a déposé. » Ayant dit cela, elle se retourna ; elle aperçoit Jésus qui se tenait là mais elle ne savait pas que c’était Jésus. Jésus lui dit : « Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? » Le prenant pour le jardinier, elle lui répond : « Si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as déposé, et moi, j’irai le prendre. » Jésus lui dit alors : « Marie ! » S’étant retournée, elle lui dit en hébreu : « Rabbouni ! », c’est-à-dire : Maître. Jésus reprend : « Ne me retiens pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Va trouver mes frères pour leur dire que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » Marie Madeleine s’en va donc annoncer aux disciples : « J’ai vu le Seigneur ! », et elle raconta ce qu’il lui avait dit. (Jn 20:11-18).

Chacun de nous a déjà eu à réfléchir sur ce texte plusieurs fois. Nous voyons une femme en sortie qui rencontre le Christ en sorti lui aussi, qui l’invite à sortir du jardin pour la mission d’aller annoncer à ses frères qu’elle a vu le Seigneur.

 

Les Missionnaires qui ont vu le Seigneur

Saint Vincent ne parle pas d’un Christ d’école. Sa christologie n’a pas pour point de départ les conciles ou les dogmes. Il ne cite pas, mais raconte « ce qui était au commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu avec nos yeux, ce que nous contemplons et que nos mains touchèrent du Verbe de la vie […], ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons » (1Jn 1, 1-3). Sa narration procède de ce qu’il a vu, entendu et touché, pas comme dans une vision, à l’exemple de Saint Ignace à « la Storta », mais en étant immergé dans la masse douloureuse des pauvres de son temps. Christ est entré dans sa vie, non pas à travers une fenêtre du Ciel, mais par les blessures des hommes. Les pauvres, il les a vu : il a entendu leur clameur, il a senti leur puanteur, il senti leur douleur, leur tristesse. Il a rencontré Jésus dans « les extases de la vie et des œuvres » (Saint François de Sales).

Toscani l’a défini comme « le mystique des pauvres », parce que quand Saint Vincent parlait de Dieu, il parlait comme un mystique, conscient du fait que « ce qu’il essayait de dire ne pouvait véritablement pas se traduire par des paroles humaines ». Et en effet, en lieu des paroles, il se laissait conduire par les visages des pauvres, dont les conditions de vie et les mésaventures lui parlent de Jésus, et sont une vraie narration évangélique. Jésus est la présence avec laquelle partager les douleurs et les espérances des pauvres. Il est le cœur de son cœur (XI, 156). En raison de cela il demandait à Dieu « de donner à la Compagnie cet esprit, ce cœur, ce cœur qui nous fasse aller n’importe où, ce cœur du Fils de Dieu, cœur de Notre Seigneur, cœur de Notre Seigneur, qui nous dispose à aller, comme Lui irait et il serait allé, si sa sagesse éternelle l’avait jugé opportun de travailler pour la conversion des pauvres des nations » (XI, 291).

L’amour génère la communion au point qu’il ne voulut pas aller à Dieu si Dieu ne vînt à lui. En effet Dieu est amour et voudrait qu’on aille à lui seulement par amour, parce qu’il est le premier à s’être rapproché de nous, à être venu à notre rencontre, à nous chercher, à frapper à notre porte : « Ô Dieu de mon cœur ! Votre infinie bonté ne me permet pas de partager mes affections, ni d’en faire part à quel qu’autre à votre préjudice ; oh ! Possédez, vous seul, mon cœur et ma liberté ! Mais, du moins, je vous offre, de toute l’étendue de mes affections, la charité la très sainte reine des anges et généralement de tous les bienheureux. O mon Dieu, en face du ciel et de la terre je vous donne mon cœur, tel qu’il est […] donnez-moi de l’amour pour vous, et puis commandez ce que vous voudrez (S. Augustin) » (XI, 145).

La voie sur laquelle Dieu le guidait et qui le conduisait à Dieu est la voie du cœur, une voie qui part du ciel, descend vers les plus abandonnés des hommes et retourne vers Dieu.  Dans la prière Vincent se demandait s’il y aurait quelques inconvénients à aimer Dieu : « Mais quoi : y a-t-il inconvénient à aimer Dieu ? Peut-on l’aimer trop ? Peut-il y avoir de l’excès en une chose si sainte et si divine, et même pouvons-nous jamais assez aimer Dieu, qui est infiniment aimable ? Il est vrai que nous ne saurions jamais assez aimer Dieu et qu’on ne peut jamais excéder en cet amour, eu égard à ce que Dieu mérite de nous. O Dieu Sauveur, qui pourrait monter à cet amour étonnant que vous nous portez, jusqu’à donner pour nous, misérables, tout votre sang, dont une seule goutte est d’un prix infini ! O Sauveur ! non, Messieurs, cela ne se peut ; quoi que nous puissions faire, nous n’aimerons jamais Dieu comme nous le devons ; cela est impossible ; Dieu est infiniment aimable » (XI, 217).

Saint Vincent, partant de quelques excès des jeunes étudiants, invitait à la modération, car en se laissant aller à l’exagération « on ne sert plus à rien pour le reste des jours ». En lisant cette page on a l’impression d’être devant un Vincent déchiré entre deux tensions comme Thérèse d’Avila, entre mourir et ne pas mourir :

Vivo sin vivir en mi,

Y tan alta vida espero

Que muero porque no muero.

Dans ces pages s’ouvre avec une vitesse telle la célérité de la lumière d’une lampe, une dimension insolite du saint, une dimension typiquement mystique, extatique, assoiffée du ciel et de l’absolu : « mourir de la sorte, c’est mourir de la plus belle manière, c’est mourir d’amour, c’est être martyr, martyr de l’amour. Il semble que ces bienheureuses âmes peuvent s’appliquer les paroles de l’Epouse et dire : Vulnerasti cor meum. C’est vous, ô mon Dieu aimant, qui m’avez blessé ; c’est vous qui avez navré et percé mon cœur de vos flèches ardentes ; c’est vous qui avez mis ce feu sacré dans mes entrailles, qui fait que je meurs d’amour ! Oh ! soyez à jamais béni ! O Sauveur, vulnerasti cor meum ! » (XI, 218). Ici Saint François de Sales corrobore Saint Vincent : « Oh ! je ne voudrais pas aller à Dieu, si Dieu ne venait à moi » (XI, 221).

 

Mission, état d’amour

Saint Vincent définit la Mission comme « un état d’amour, non seulement parce qu’elle vise à suivre la doctrine et les conseils de Jésus Christ, mais aussi parce qu’elle nous fait travailler à porter le monde à l’estime et à l’amour de Notre Seigneur ». En raison de cela, « si nous aimons Notre Seigneur, nous serons aimés de son Père, qui est autant à dire que son Père nous voudra du bien, et cela en deux façons :  la première, qu’il se plaira en nous, comme le père avec son enfant ; et la seconde, qu’il nous donnera ses grâces, celles de la foi, de l’espérance et de la charité, par effusion de son Saint Esprit, qui habitera dans nos âmes, comme il l’a donné aujourd’hui aux apôtres et lui a fait faire les merveilles qu’ils ont faites. Le second avantage d’aimer Notre Seigneur consiste en ce que le Père et le Fils et le Saint Esprit viennent dans l’âme qui aime Notre Seigneur ; ce qui se fait : 1° par l’illustration de notre entendement ; 2° par les mouvements intérieurs qu’ils nous donnent de leur amour, par les inspirations, par les sacrements, etc. Le troisième effet de l’amour de Notre Seigneur est que non seulement Dieu le Père aime ces âmes, et les personnes de la Sainte Trinité viennent en elles, mais elles y demeurent. L’âme donc de celui qui aime Notre Seigneur est la demeure du Père et du Fils et du Saint Esprit, et om le Père engendre perpétuellement son Fils, et où le Saint Esprit est incessamment produit par le Père et le Fils » (XI, 45).

 

Les pauvres, carrefour de Dieu 

Saint Vincent, après un début très difficile de sa vie n’eût pas comme les autres saints des preuves terribles de son élection particulière. Il se sentait enveloppé de Dieu. Il avait compris à quel point, comme chacun de nous, il était unique dans le projet de Dieu. Son action n’était pas inscrite sur le sable, mais dans le cœur de tant de pauvres. Il n’avait pas besoin de faire du prosélytisme. Les vocations naissaient et se présentaient spontanément. Il n’avait non plus besoin de faire des pénitences extraordinaires comme ce fût le cas de certains saints. Plusieurs personnes à son époque entraient au monastère pour se mortifier. Sainte Thérèse d’Avila disait au monastère : « Ne cherchez pas une vie commode… Vous êtes venues à mourir pour Jésus ! » L’idéal que visait Saint Vincent était le service, non pas la mort. La recherche du Salut pour lui ne signifiait pas une fuite du monde, mais plutôt un vrai contact avec le monde. Ce n’est pas le monde qui modèle ou détruit le missionnaire (ou la Fille de la Charité ou le volontaire laïc vincentien), mais c’est le missionnaire (la Fille de la Charité ou le volontaire laïc vincentien) qui influence positivement le monde et le change.

 

Flamme d’amour 

Pour le Saint de la Charité, l’Incarnation est à l’origine d’une nouvelle relation avec le Christ et avec l’homme. « Regardons le Fils de Dieu ; oh ! quel cœur de charité ! quelle flamme d’amour ! Mon Jésus, dites-nous, vous, un peu, s’il vous plait, qui vous a tiré du ciel pour venir souffrir la malédiction de la terre, tant de persécutions et de tourments que vous y avez reçus. O Sauveur ! ô source de l’amour humilié jusqu’à nous et jusqu’à un supplice infâme, qui en cela a plus aimé le prochain que vous-même ? Vous êtes venu vous exposer à toutes nos misères, prendre la forme de pécheur, mener une vie souffrante et souffrir une mort honteuse pour nous ; y a-t-il un amour pareil ? Mais qui pourrait aimer d’une manière tant suréminente ? Il n’y a que Notre Seigneur qui soit si épris de l’amour des créatures que de quitter le trône de son Père pour venir prendre un corps sujet aux infirmités. Et pourquoi ? Pour établir entre nous par son exemple et sa parole la charité du prochain. C’est cet amour qui l’a crucifié et qui a fait cette production admirable de notre Rédemption. O messieurs, si nous avions un peu de cet amour, demeurerions-nous les bras croisés ? Ceux que nous pourrions assister, les laisserions-nous périr ? Oh ! non, la charité ne peut demeurer oisive ; elle nous applique au salut et à la consolation des autres » (XII, 264 ss).

 

Le peuple meurt de faim et se damne

Comme on le voit la contemplation de l’incarnation constituait pour Saint Vincent une urgence apostolique. Où Bérulle envoyait les siens enseigner la « science du salut », le Saint de la charité, comme angoissé de constater que « le peuple meurt de faim et se damne », voulait que les missionnaires s’emploient de toutes leurs forces à l’action, à prêcher, baptiser, en d’autres termes à « construire le Royaume ». L’Incarnation n’était pas pour lui un mystère à contempler de façon passive, mais l’origine de l’agir, du faire.  C’est d’ailleurs pourquoi, selon Bermond, « ce n’est pas l’amour des hommes qui l’a conduit à la sainteté, mais c’est plutôt la sainteté qui l’a rendu véritablement et efficacement charitable ; ce ne sont pas les pauvres qui l’ont donné à Dieu, mais au contraire, c’est Dieu – c’est-à-dire le Verbe Incarné – qui l’a donné aux pauvres ». Raison pour laquelle on ne saurait considérer Vincent comme un homme d’action seulement, un distributeur d’aumône, mais surtout un homme de prière qui rencontrait le monde dans la sphère de Dieu, d’où sa prière qui s’est faite charité.

Fort de ce principe il n’eût aucune difficulté à inviter les missionnaires et les sœurs à « quitter Dieu pour Dieu ». Parce que les pauvres sont les pauvres de Jésus Christ, ils sont Jésus Christ, ainsi, les missionnaires laissant Jésus dans les activités spirituelles, le retrouvaient dans les membres souffrants de son corps que sont les pauvres. L’Incarnation fut donc à l’origine de son anthropologie. Comme l’écrivit Calvet, Vincent «est l’homme, qui a aimé le plus les hommes. Il a réalisé pleinement dans son cœur le sentiment de fraternité, c’est-à-dire qu’il croyait non pas seulement en paroles, ni de façon métaphorique ou par des réflexions philosophiques, mais de façon substantielle et concrète et dans les vicissitudes, que le miséreux, le petit pauvre diable de la rue, était son frère. Ce sentiment exprimé à ce niveau est très rare. Chaque jour il invitait à manger à sa table deux mendiants, et il s’employait lui-même à les servir avec un grand respect. Tous les saints ont servi les pauvres par conformité à l’esprit de l’évangile ; bien plus, lui il les servait avec amour et grand plaisir.  Quand il fut installé au prieuré de Saint Lazare, il y avait trouvé certains démunis, des abandonnés de tous, certains exclus de l’humanité. Il a été pris d’affection pour eux et s’est uni à eux avec douceur et compassion, au point où le jour où il dû partir du prieuré, il s’est demandé ce qu’il regretterait le plus en s’en allant, et il parvint à la réponse que ce serait le fait de laisser ces pauvres de qui personne ne se serait jamais occupé, qui coûterait le plus à son cœur ». S’il a choisi comme devise pour sa Congrégation « evangelizare pauperibus », c’était par conviction d’être appelé à continuer la mission historique de l’Homme Dieu qui vient dans le monde, renonçant à ses privilèges divins et embrassant la pauvreté pour le salut des hommes. De là se comprend le caractère évangélique de sa spiritualité, sans ajout de quelque type que ce soit, mais qui fut centrée sur la Trinité et l’Incarnation.

 

Les germes de la toute-puissance de Jésus en nous 

Le Christ de Saint Vincent est l’Evangélisateur des pauvres, le Missionnaire du Père, l’Envoyé du Saint Esprit pour « annoncer aux pauvres la bonne nouvelle… proclamer aux captifs la libération et rendre aux aveugles la vue…libérer les opprimés, et annoncer une année de grâce du Seigneur » (Lc 4, 18s.).

Lors d’une conférence aux missionnaires, Saint Vincent se représentait l’idéal missionnaire en ces termes : « Nos missionnaires de Barbarie et ceux qui sont à Madagascar, qu’ont-ils entrepris ? qu’ont-ils exécuté ? qu’ont-ils fait ? qu’ont-ils souffert ? Un seul entreprend une galère où il y a quelques fois deux cents forçats : instructions, confessions générales aux sains, aux malades, de jour et de nuit, pendant quinze jours ; et au bout de ce temps, il les traite, il va lui-même acheter un bœuf, il fait cuire cela ; c’est leur régal ; un homme seul fait ça ! Tantôt il s’en va dans les fermes où l’on met des esclaves, et va trouver les maîtres pour les prier de lui permettre de travailler à l’instruction de leurs pauvres esclaves ; il prend leur temps et leur fait connaître Dieu, les rend capables de participer aux sacrements, et à la fin il les traite et leur fait un petit régal […] A Madagascar, dit encore M. Vincent, les missionnaires prêchent, confessent, catéchisent continuellement depuis quatre heures du matin jusqu’à dix, et depuis deux heures après midi jusqu’à la nuit ; le reste du temps, c’est l’office, c’est la visite des malades. Voilà des ouvriers, voilà de vrais missionnaires ! Plaise à la bonté de Dieu nous donner cet esprit qui les anime, un cœur grand, vaste, ample ! Magnificat anima mea Dominum ; il faut que notre âme magnifie, amplifie Dieu, et pour cela que Dieu amplifie notre âme, qu’il nous amplitude d’entendement pour bien connaître la grandeur, l’étendue de la bonté et de la puissance de Dieu ; pour connaître jusqu’où s’étend l’obligation que nous avons de le servir, de le glorifier en toutes les manières possibles ; amplitude de la volonté pour embrasser toutes les occasions de procurer la gloire de Dieu. Oui, la Mission peut tout, parce que nous avons en nous les germes de la toute-puissance de Jésus-Christ ; c’est pourquoi nul n’est excusable sur l’impuissance ; nous aurons toujours plus de force qu’il n’en faudra, principalement dans l’occasion ; car, quand on est dans l’occasion, l’homme se sent un homme tout nouveau » (XI, 203s).

Cela implique que les vincentiens doivent avoir le regard de foi du Christ, en syntonie avec la volonté du Père par amour des frères.  Est-ce possible ? Saint Vincent répondait aux missionnaires dans la conférence 196, disant que le Saint Esprit résidant en nous, nous donne les mêmes inclinations qu’avait Jésus Christ, ses vertus, c’est-à-dire sa capacité d’action, sa sensibilité, pratiquement son instinct de Dieu.

 

Vers Dieu et vers l’homme
Qu’accomplit vraiment le Saint Esprit ? Une œuvre d’amour en deux directions.
  • Vers le haut : « c’est un Esprit de parfaite charité, rempli d’une merveilleuse estime de la divinité et d’un désir infini de l’honorer dignement, une connaissance des grandeurs de son Père pour les admirer et les extoller incessamment. (…) Et son amour, quel était-il ? Oh ! quel amour ! O mon Sauveur, quel amour n’avez-vous pas porté à votre Père ! En pouvait-il avoir un plus grand, mes frères, que de s’anéantir pour lui ? (…) En pouvait-il témoigner un plus qu’en mourant par amour de la manière qu’il est mort ? (…) Ses humiliations n’étaient qu’amour, son travail qu’amour, ses souffrances qu’amour, ses oraisons qu’amour, et toutes ses opérations intérieures et extérieures n’étaient que des actes réitérés de son amour. (…) Plaise à Dieu nous faire la grâce de conformer toujours nos conduites à ses conduites et nos sentiments aux siens, qu’il tienne nos lampes allumées en sa présence et nos cœurs toujours tendant à son amour et toujours appliqués à se revêtir davantage de Jésus Christ en la manière que nous venons de montrer ! » (XII, 109s).
  • Vers le bas : l’amour pour les hommes. Dans l’Incarnation Jésus Christ a voulu, non seulement que nous soyons « sauvés, mais sauvés comme lui » (XII, 113). Au cours de la conférence du 30 mai 1659 sur la charité, le Saint a dit : « nous sommes choisis de Dieu comme instruments de son immense et paternelle charité, qui se veut établir et dilater dans les âmes. (…) Notre vocation est donc d’aller, non en une paroisse, ni seulement en un évêché, mais par toute la terre ; et quoi faire ? Embraser les cœurs des hommes, faire ce que le Fils de Dieu a fait, lui qui est venu mettre le feu au monde afin de l’enflammer de son amour. Qu’avons-nous à vouloir, sinon qu’il brûle et qu’il consume tout ? (…) Il est donc vrai que je suis envoyé, non seulement pour aimer Dieu, mais pour le faire aimer. Il ne me suffit pas d’aimer Dieu, si mon prochain ne l’aime. (…) Or, si tant est vrai que nous soyons appelés pour porter loin et près l’amour de Dieu, si cela est ainsi, dis-je, si cela est ainsi, mes frères, combien dois-je brûler moi-même de ce feu divin ! (…) Mais qui pourrait aimer d’une manière tant suréminente ? Il n’y a que Notre Seigneur qui soit si épris de l’amour des créatures que de quitter le trône de son Père pour venir prendre un corps sujet aux infirmités. Et pourquoi ? Pour établir entre nous et par son exemple et sa parole la charité du prochain. C’est cet amour qui l’a crucifié et qui a fait cette production admirable de notre rédemption. O messieurs, si nous avions un peu de cet amour, demeurions-nous les bras croisés ? Ceux que nous pourrions assister, les laisserions-nous périr ? ». (XII, 262-266). A un confrère envieux des succès pastoraux d’un autre, le Saint écrivait ces paroles : « Et, au nom de Dieu, Monsieur, je vous prie d’entrer dans ces sentiments, et Monsieur Lucas aussi, de ne rien prétendre de vos travaux que honte, qu’ignominie et enfin la mort, s’il plaît à Dieu. Un prêtre ne doit-il pas mourir de honte de prétendre de la réputation dans le service qu’il rend à Dieu et de mourir dans son lit, qui voit Jésus Christ récompensé de ses travaux par l’opprobre et le gibet. Ressouvenez-vous, Monsieur, que nous vivons en Jésus-Christ par la mort de Jésus-Christ, et que nous devons mourir en Jésus-Christ par la vie de Jésus-Christ, et que notre vie doit être cachée en Jésus-Christ et pleine de Jésus-Christ, et que, pour mourir comme Jésus Christ, il faut vivre comme Jésus Christ. Or, ces fondements posés, donnons-nous au mépris, à la honte, à l’ignominie et désavouons les honneurs qu’on nous rend, la bonne réputation et les applaudissements qu’on nous donne et ne faisons rien qui ne soit à cette fin » (I, 294s).

Dans les avertissements adressés à un nouveau Supérieur le Saint parlait de la centralité du mystère du Christ dans notre vie : « Non, Monsieur, ni la philosophie, ni la théologie, ni les discours n’opèrent dans les âmes ; il faut que Jésus Christ s’en mêle avec nous, ou nous avec lui ; que nous opérions en lui et lui en nous ; que nous parlions comme lui et en son esprit, ainsi que lui-même était en son Père, et prêchait la doctrine qu’il lui avait enseigné. Il faut donc, Monsieur, vous vider de vous-mêmes pour vous revêtir de Jésus Christ… Si celui qui guide les autres, qui les forme, qui leur parle, n’est animé que de l’esprit humain, ceux qui le verront, qui l’écouteront et qui s’étudieront à l’imiter deviendront tous humains : il ne leur inspirera, quoi qu’il dise et qu’il fasse, que l’apparence de la vertu, et non pas le fond ; il leur communiquera l’esprit dont lui-même sera animé, comme nous voyons que les maîtres impriment leurs maximes et leurs façons de faire dans l’esprit de leurs disciples… Pour en venir là, Monsieur, il faut que Notre Seigneur lui-même imprime en vous sa marque et son caractère… Notre Seigneur imprimant en nous son caractère, et nous donnant, pour ainsi dire, la sève de son esprit et de sa grâce, et étant unis à lui comme les pampres de la vigne aux ceps, nous faisons le même qu’il a fait sur la terre, je veux dire que nous opérons des actions divines, et enfantons, comme saint Paul, tout plein de cet esprit, des enfants à Notre Seigneur » (XI, 342-344 ».

 

 

Prière

Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, je ne suis plus qu’airain qui sonne ou cymbale qui retentit.

Quand j’aurais le don de prophétie et que je connaîtrais tous les mystères et toute la science, quand j’aurais la plénitude de la foi, une foi à transporter des montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien.

Quand je distribuerais tous mes biens en aumônes, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien.

La charité est longanime ; la charité est serviable ; elle n’est pas envieuse ; la charité ne fanfaronne pas, ne se gonfle pas ;

Elle ne fait rien d’inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s’irrite pas, ne tient pas compte du mal ;

Elle ne se réjouit pas de l’injustice, mais elle met sa joie dans la vérité.

Elle excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout.

La charité ne passe jamais. Les prophéties ? elles disparaîtront. Les langues ? elles se tairont. La science ? elle disparaîtra.

Car partielle est notre science, partielle aussi notre prophétie.

Mais quand viendra ce qui est parfait, ce qui est partiel disparaîtra.

Lorsque j’étais enfant, je parlais en enfant, je pensais en enfant, je raisonnais en enfant ; une fois devenu homme, j’ai fait disparaître ce qui était de l’enfant.

Car nous voyons, à présent, dans un miroir, en énigme, mais alors ce sera face à face. A présent, je connais d’une manière partielle ; mais alors je connaîtrai comme je suis connu.

Maintenant donc demeurent foi, espérance, charité, ces trois choses, mais la plus grande d’entre elles, c’est la charité. (1Co 13, 1-13)

Luigi MEZZADRI, CM 🔸

Saint Vincent définit la Mission comme « un état d’amour, non seulement parce qu’elle vise à suivre la doctrine et les conseils de Jésus Christ, mais aussi parce qu’elle nous fait travailler à porter le monde à l’estime et à l’amour de Notre Seigneur ».

Traduction :

P. Emmanuel Patrick Issomo Mama CM

Illustration :

« Noli Me Tangere ». Hans Holbein le Jeune (1526 – 1528).  Royal Collection Trust, UK