C’est le jour de la fête du Saint Sacrement, cher Patrick, que tu es ordonné prêtre. L’eucharistie, source et sommet de la vie chrétienne, est au cœur de la vie sacerdotale. Elle est d’abord un service, un ministère, que le prêtre reçoit et rend à l’Église et au monde. Ne l’oublions jamais... !

Ordination presbytérale de Patrick Rabarison CM. – Homélie de Monseigneur Olivier Leborgne, évêque d’Amiens – (photo-reportage)

Homélie de Monseigneur Olivier Leborgne, évêque d’Amiens. 18 juin 2017 en la fête du Saint-Sacrement. Église Sainte-Anne d’Amiens

« J’aime mieux l’attitude des incrédules qui trouvent que le catholicisme est absurde que celle des catholiques qui trouvent qu’il est naturel. Je dirais même que l’attitude des incrédules est la seule qui soit dans l’esprit du catholicisme. » … « L’indifférence est la seule hérésie qui compte. » (Julien Green, Pamphlet contre les catholiques de France, 1928)

Comment ne pas entendre les propos que Julien Green écrit alors qu’il vient de se convertir au catholicisme, notamment à cause de l’eucharistie ? « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » La question des auditeurs de Jésus retentit avec force. Cette question n’est jamais close. Nous pouvons passer de l’incrédulité à la confiance et à la louange, mais la question ne peut se résoudre sinon dans la miséricorde infinie de Dieu qui par nature excède l’intelligence que nous pouvons en avoir et l’expérience que nous pouvons en faire. « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas la vie en vous… en effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. » Vous aurez remarqué : d’une part il ne s’agit pas d’une vraie nourriture et boisson, mais de « la » vraie nourriture et de « la » vraie boisson – ici se joue donc quelque chose d’absolument unique pour la vie des hommes – et, d’ailleurs, il s’agit bien d’avoir la vie en nous, ou de ne pas l’avoir. Jésus est très clair de ce point de vue.

C’est le jour de la fête du Saint Sacrement, cher Patrick, que tu es ordonné prêtre. L’eucharistie, source et sommet de la vie chrétienne, est au cœur de la vie sacerdotale. Elle est d’abord un service, un ministère, que le prêtre reçoit et rend à l’Église et au monde. Ne l’oublions jamais, l’eucharistie qui fait l’Église est toujours pour le monde. Elle est aussi un appel pour celui qui en devient ministre : il ne peut offrir le sacrifice eucharistique sans s’offrir avec Celui qui s’offre. On le comprend ici : si l’eucharistie peut nourrir la piété personnelle – et c’est bien -, elle n’est jamais un acte de piété personnelle. Celui qui y participe, plus encore celui qui la préside au nom du Christ, ne peut que se laisser constituer avec ses frères et sœurs comme ce Corps du Christ livré au cœur du monde et livré pour le monde. L’authentique spiritualité eucharistique nous entrainant dans l’union au Christ nous livre avec lui pour le monde. Il me semble que la vie de Saint Vincent a été profondément eucharistique : il s’est laissé progressivement façonné par les mystères qu’il célébrait et il est ainsi devenu cet homme livré pour la mission et pour les pauvres, à la suite de son Seigneur et avec lui.

« De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi » disait Jésus. Le chœur de la piété eucharistique se situe exactement ici : vivre par Jésus comme Jésus vit par le Père, et alors être livré avec Jésus au cœur du monde.

L’être sacerdotal est évidemment eucharistique. On comprend alors qu’il n’est pas d’abord ni même essentiellement cultuel ou rituel – même si prendre soin du culte tel que nous le confie L’Église est très important ! -, mais que cet être presbytéral est une aventure de configuration au Christ, miséricorde du Père, pour aider tous les baptisés à en vivre et à entrer dans le mouvement de cette offrande qui donne la vie. Le prêtre, en étant l’homme de l’eucharistie, est serviteur de la vie : « Celui qui mange de ce pain vivra éternellement. » Dans un monde tenté par le consumérisme et l’utilitarisme, ou la dignité de la personne humaine est si souvent bafouée, le prêtre, serviteur de la communauté et de sa communion, devient un signe prophétique de la vie possible pour tous, et pas seulement de la survie ou du divertissement dans lequel certains intérêts particuliers voudraient nous enfermer. Au cœur de la violence du monde, l’eucharistie ouvre un autre espace, un autre chemin : celui même du don de Dieu toujours actuel, celui du don par-delà nos violences et nos trahisons, celui de l’à-venir toujours rouvert dans l’engagement total du Fils pour la vie des hommes et donc de nos contemporains, celui de la dignité de tous, à commencer par les plus démunis.

Pour cela, avec Saint Vincent fondateur de la congrégation de la mission, et en écho à la première lecture, je demande pour toi, je demande pour tous les prêtres – à commencer par moi-même et ceux du diocèse d’Amiens – un vrai sens de la pauvreté. « Le Seigneur ton Dieu te l’a imposée [la longue marche que tu as faite pendant 40 ans dans le désert] pour te faire passer par la pauvreté » déclare Moïse dans ce passage du livre du Deutéronome que nous avons entendu en première lecture. Et il y insiste une deuxième fois : « Il t’a fait passer par la pauvreté, il t’a fait sentir la faim, et il t’a donné la manne… » Je te souhaite donc cette pauvreté qui souvent déstabilise et provoque à la confiance. Je te souhaite cette pauvreté qui creuse le désir. Je te souhaite cette pauvreté qui ouvre à la totalité du don de Dieu – nos prétendues richesses nous préoccupent tant qu’elles nous divertissent de l’infini du don que Dieu nous fait en Christ. Je te souhaite cette pauvreté qui rend solidaire des pauvres, les premiers destinataires de l’Évangile pour lesquels tout prêtre donne sa vie. Je te souhaite cette pauvreté qui interdit de se croire propriétaire de l’Évangile et de la mission, et qui pourtant presse de toujours les servir plus. Je la demande pour toi au Seigneur, et je te demande de la lui demander pour moi qui t’ordonne.

L’eucharistie est un mystère de pauvreté : Dieu se dépouille de lui-même et s’abandonne entre nos mains dans la banalité absolue de paroles apparemment trop humaines et d’un petit peu de pain sans levain et de vin. Et dans cette pauvreté, c’est la plus haute vie qui jaillit.  Cher Patrick, demande au Seigneur l’humilité profonde, mais ne sous-estime jamais le ministère qu’il te confie. Diminuer la grandeur du don de Dieu en raison de notre indignité ne ferait que léser les fidèles, à commencer par les plus pauvres.

« J’aime mieux l’attitude des incrédules qui trouvent que le catholicisme est absurde que celle des catholiques qui trouvent qu’il est naturel. Je dirais même que l’attitude des incrédules est la seule qui soit dans l’esprit du catholicisme. » … « L’indifférence est la seule hérésie qui compte. »

Dans l’émerveillement de ce à quoi Dieu nous appelle, dans la pauvreté de ce que nous pouvons en dire et de notre manière d’en vivre, nous ne pouvons pourtant que rendre grâce et jubiler. Dans quelques instants, Patrick, tu seras ordonné prêtre. Que le Seigneur soit béni !

Monseigneur Olivier Leborgne, évêque d’Amiens 🔸

L’eucharistie est un mystère de pauvreté : Dieu se dépouille de lui-même et s’abandonne entre nos mains dans la banalité absolue de paroles apparemment trop humaines et d’un petit peu de pain sans levain et de vin.

Photos prises par  François Dumont. Téléphone : 06 30 24 32  41

[printfriendly]