Telle est la vocation du prophète Jean : peu importe la soif, la faim et la mort. Quitte à mourir et à mourir seul, Jean se prépare à accueillir Dieu qui vient et qui peut faire surgir, du désert, la vie. La fin de la solitude, l’accomplissement de la promesse et la joie de « l’ami de l’époux » sont imminentes…
Jerome Delsinne CM
Homélie. 2è Dimanche de l’Avent – année B Marc 1, 1-8. Chapelle St Vincent de Paul – Paris
Seul à seul avec Dieu.
Le prophète Jean avait été appelé à la solitude du désert. La personnalité de Jean-Baptiste est étroitement associée à ce lieu de vie rude, ascétique, ce lieu également privilégié pour la rencontre de Dieu selon l’histoire d’Israël : « Souviens-toi des marches que Yahvé ton Dieu t’a fait faire pendant quarante ans dans le désert afin de te mettre dans la pauvreté, de t’éprouver, de connaître le fond de ton cœur » (Dt 8, 2).
Lorsque le peuple s’installe et se détourne de Dieu, le prophète Osée lui annonce que Yahvé va « le conduire au désert et parler à son cœur » pour le séduire à nouveau (Os 2, 16).
Au moment de l’exil à Babylone, un autre prophète, Isaïe, présente le retour, comme une nouvelle route à travers le désert (Is 40, 2 ; Is 43, 19) ; il suscite l’espoir que le désert refleurira (Is 41, 18-19). Isaïe avait aussi prophétisé que le précurseur du Messie viendra du désert.
« Tu seras appelé prophète du Très Haut » a proclamé son père Zacharie. Jean-Baptiste va dans le désert, seul, pour y trouver le silence et par là mieux entendre la voix de Dieu. Jean se retire dans le pays de la soif et de la faim, dans cet espace où il faut marcher pour trouver de l’eau et de la nourriture, le nécessaire pour vivre, pour tenir debout et continuer à marcher.
Dieu le place en situation de pauvreté. Tout prophète passe par cette épreuve comme pour mieux faire ressurgir et revenir à la mémoire défaillante des hommes la rencontre et le don de l’Alliance. Seul à seul pour connaître le fond du cœur et éprouver à nouveau la fidélité… Une solitude relative cependant : Jean est accompagné du faible bruit des abeilles sauvages, des sauterelles qui se déplacent, de l’eau d’une petite cascade ou du Jourdain, de quelques pierres déplacées par les bouquetins et du sable qui se déplace au gré du vent. Lieu où les hommes ne font que passer très vite car les brigands s’y réfugient et y tiennent leurs embuscades. Lieu aride et brûlant dans lequel, pour Jean, la quête de Dieu et de sa Parole est aussi forte, si ce n’est plus, que la quête de fraîcheur, d’eau et de nourriture.
Telle est la vocation du prophète Jean : peu importe la soif, la faim et la mort. Quitte à mourir et à mourir seul, Jean se prépare à accueillir Dieu qui vient et qui peut faire surgir, du désert, la vie. La fin de la solitude, l’accomplissement de la promesse et la joie de « l’ami de l’époux » sont imminentes…
Pour préparer les chemins de Dieu.
Jean-Baptiste élève la voix, crie au désert. Or Il n’y a personne dans le désert. La vie abondante est impossible dans le désert. Personne n’est assez fou pour y rester… Et pourtant, comme les autres prophètes, Jean-Baptiste ose parler, ose crier dans le pays de la solitude et de la soif. Ce n’est donc pas le contenu, le discours qui compte d’abord ici. Sur son corps, dans son corps, tout Jean-Baptiste est happé, aspiré par le désert. Sa tenue et son style de vie en témoignent. C’est un corps qui n’existe que pour la Parole. La Parole s’est trouvée un corps là où elle dit la soif, le désir, l’attente. Jean-Baptiste est serviteur de la Parole. Il n’existe que pour proclamer la Parole… Sa voix de prophète fait écho à l’attente, à l’espérance du peuple d’Israël. Un prophète ne passe pas inaperçu. Il ne reste pas seul longtemps. C’est un véritable homme de Dieu : le peuple vient l’écouter. « Tout le pays de Judée et tous les habitants de Jérusalem se rendaient auprès de lui… » Jean verra se constituer autour de lui petit à petit un groupe de disciples…
À quelque distance de là, les moines esséniens de Qumran prônent la séparation « du milieu de l’habitation des hommes pervers pour aller au désert ».
Au contraire, Jean-Baptiste, tout en étant aussi décapant, car c’est l’affaire d’un peuple entier avec son Dieu, renvoie ses auditeurs, qu’ils soient le roi, des collecteurs d’impôts ou des soldats, au partage, à la justice, au respect des autres dans la vie sociale.
Le désert, au plan spirituel, c’est notre monde qui a tourné le dos à Dieu, c’est l’humanité qui s’est éloignée des eaux vives de son amour. Ce monde qui s’est coupé de la source et transformé en non-lieu, en un espace sans repères dans lequel le temps ne semble plus avoir de direction, dans lequel plus rien n’a de sens. Ce désert passe aussi dans notre cœur, asséché par tant de préoccupations stériles, cabossé par tant de blessures, fermé parfois à toute vie nouvelle.
Mais Dieu a promis de venir. Il est déjà venu, et le Christ se dresse comme une balise au milieu du désert. Tout peut être mesuré par rapport à lui, les collines comme les vallées, et aussi le temps qui trouve en lui son accomplissement et son commencement. Le Seigneur désire nous consoler de toutes nos tristesses, il vient encore vers nous : traverserons-nous le désert pour aller à sa rencontre ? Entraînerons-nous ceux que nous aimons, ceux que nous côtoyons ? Tracerons-nous droit la route du Salut ? Tels sont les commencements de l’Évangile…