Seule la lumière de l’évangile est assez puissante pour éclairer à la fois les abusés et les abuseurs à retrouver une humanité « épanouie » et une « dignité retrouvée » au nom du Christ.
Benoît KITCHEY, cm
TEMPS DE FORMATION À LA MAISON-MÈRE DE PARIS: Samedi 15 avril
Le samedi 15 avril fut un temps de formation et d’interpellation personnelle à partir des crises que traverse l’Eglise. La thématique de ce temps de formation était ainsi formulée :
Au cœur des difficultés que traverse l’Eglise catholique à cause des différents abus sexuels et autres… comment retrouver la joie de vivre son ministère de prêtre et d’en être heureux ?
1 – RECHERCHE DE VERITE ET ESPERANCE
Ce temps de formation a été animée par le Père Gilles FRANCOIS, prêtre du diocèse de Créteil. Avec intelligence, simplicité et perspicacité, il nous a invités à l’espérance au cœur de notre vie de prêtres et nos différentes missions. D’après ses propos, ces crises désormais nommées, expriment l’attente de l’Eglise elle-même qui veut redevenir une maison sûre pour tous. Elles disent aussi la volonté et la détermination de l’Eglise à faire la vérité en son sein afin que sa mission d’évangélisation devienne audible. Ces crises nommées sont enfin l’expression de la volonté de l’Eglise qui veut continuer sa mission d’accueil, d’écoute pour plus de compassion à l’égard de ceux et celles qu’elle a blessés afin de les accompagner humainement et spirituellement au nom de l’évangile. Mais alors, que faire pour que cette maison Eglise devienne sûre ? Faut-il, au nom de la transparence, de la lisibilité dans la maison, jeter tous les fautifs hors de l’Eglise et ne garder que des blessés ? Comment accompagner les uns et les autres dans la vérité du Christ en vue de la guérison de tous ?
D’autre part, étant donné que nous (prêtres et évêques) sommes des hommes publics, il faudrait une meilleure lisibilité dans ce que nous vivons et faisons-en Eglise dans une recherche permanente de la vérité et de conversion. Toutefois, cette recherche de vérité devra se méfier de l’idéologie de la transparence… En effet, seule la lumière de l’évangile est assez puissante pour éclairer à la fois les abusés et les abuseurs à retrouver une humanité « épanouie » et une « dignité retrouvée » au nom du Christ. Le souci pastoral qui devra animer cette recherche de transparence consistera à se questionner continuellement sur la manière de retrouver et soigner à la fois la « brebis blessée » par les ministres de l’Eglise et la conversion de la « brebis perdue », c’est-à-dire la conversion évangélique de tel ou tel prêtre ou évêque fautif.
C’est dans cette perspective que le Père Gilles nous a proposé d’aller plus loin dans la réflexion. En effet, la transparence ou la recherche de la vérité des faits ne doit pas rester uniquement au niveau anthropologique et psychologique. Il y a un enjeu eschatologique de salut. Comment l’abuseur se présentera-t-il devant Dieu ? Il y a quelque chose de l’ordre de purification, d’où l’invitation à ne pas nous dérober aux situations difficiles que traverse notre Eglise, à accepter de nous faire accompagner humainement et spirituellement afin de retrouver le goût de servir Dieu et les hommes au cœur de nos ministères. Oser parler des situations pastorales aigues, oser sortir de nos mensonges au cœur de nos ministères. Pour ce faire, chacun est invité à relire son expérience spirituelle personnelle avec le Christ, les objectifs de sa mission ainsi que le rapport de la Ciase, afin de dégager des pistes de conversion humaine et spirituelle.
2 – QUELQUES RÉACTIONS ET QUESTIONS DES CONFRÈRES PRÉSENTS À CETTE FORMATION
Pour plusieurs confrères, la situation des abus dans l’Eglise est avant tout une question anthropologique complexe qui ne devrait laisser personne indifférent. Mais, comment quitter les constats pour des propositions qui nous permettront d’avoir des postures humaines équilibrées, une éthique nourrie par l’évangile dans l’exercice de nos ministères dans le peuple de Dieu ?
Un autre confrère se demandait s’il n’y a pas une question de chasteté mal vécue ? En effet, personne ne naît criminel… Il propose de revoir certains aspects de la théologie de l’Eglise, sans préciser lesquels. Pour un autre confrère, il faudrait étudier sérieusement les liens possibles entre la pédophilie et l’homosexualité… Pour un autre, cette crise et le travail de l’Eglise sont une opportunité pour l’Eglise elle-même pour qu’elle redevienne ce qu’elle est en réalité, une maison de confiance. Pour cette raison, il faut dire les choses, se convertir afin de retrouver la confiance « perdue » …
Enfin, pour un autre confrère, est-ce qu’on forme des prêtres serviteurs ou des prêtres exerçant une fonction ? Par ailleurs, comment sortir de la culture de la productivité pastorale pour redécouvrir l’attitude évangélique du service gratuit au nom du Christ ?
Autant de réactions et de questions qui témoignent de l’intérêt que chaque confrère accorde à cette « crise salutaire » qui, nous l’espérons, guérira l’Eglise en la rendant plus forte dans sa mission d’évangélisation d’elle-même et du monde contemporain.
CINQ POINTS DE VIGILANCE POUR UN MINISTERE PRESBYTERAL FRUCTUEUX
Après les différentes réactions et explications, l’animateur nous propose cinq points de vigilance ou cinq tentations à éviter afin de vivre notre ministère de prêtre de manière fructueuse en Eglise et dans le monde.
La première tentation est la séduction : conduire à soi.
Chaque prêtre a un ou plusieurs talents. Au lieu de mettre ces talents au service de l’évangile pour le soin des âmes, le prêtre peut être tenté de les transformer en un pouvoir de séduction qui l’entraîne à attirer à lui au lieu de conduire au Christ. D’où la nécessité de prendre conscience de son talent propre afin de le mettre au service du Christ et de l’Eglise. Cette lucidité sur soi aidera le prêtre à ne pas rassembler pour lui, mais pour le Christ. En somme, il s’agit d’un travail de décentrement pour grandir en liberté. Ainsi, mal utilisé, le talent peut piéger des personnes en grande fragilité dans nos communautés paroissiales ou autres. Pour éviter ce piège, le prêtre doit se rappeler qu’il est un facilitateur de la relation entre Dieu et les personnes ; qu’il n’a pas à s’imposer entre Dieu et les personnes.
La deuxième tentation qui guette le prêtre est la dureté. Le prêtre ne doit pas s’enfermer dans ce piège en s’érigeant comme celui qui rappelle continuellement des règles à suivre. Autant que possible, il devra travailler à ne pas s’enfermer uniquement dans la posture de celui qui rappelle la loi aux autres. En effet, l’expérience montre que le prêtre qui est dur avec les autres est laxiste sur d’autres choses de sa vie personnelle. C’est une dureté subjective qui l’empêche d’aller au cœur du mystère de sa vie personnelle pour un épanouissement fructueux dans son ministère.
La troisième tentation est le découragement : « à quoi bon ? » On prend des initiatives personnelles et pastorales qui ne marchent pas. « Je n’arrive pas à me corriger de tel défaut, de tel penchant… ». Le découragement et le manque de volonté de la part du prêtre peuvent le pousser à s’enfermer dans une attitude s’exprimant par : « Acceptez moi tel que je suis. » En effet, cette manière de s’exprimer pourrait cacher une attitude autocentrée empêchant le prêtre à prendre le chemin exigeant de travail sur soi et de conversion à la lumière de l’évangile afin d’avancer… Donc appel à se décentrer et avoir l’espérance du semeur qui attend.
La quatrième tentation est la complaisance. « Tout le monde pense comme cela. » Ou bien dans le cadre de son ministère le prêtre pourrait se contenter des phrases ou des attitudes comme : « l’Esprit Saint est déjà à l’œuvre avant nous dans la mission… Qu’est-ce que je pourrai faire de plus ? » Si cela est vrai du point de vue de Dieu que l’Esprit Saint est toujours à l’œuvre, ce type de phrase engendrant une attitude laxiste dans la mission pourrait empêcher le prêtre à aller plus loin dans l’approfondissement de sa personne, sa manière de penser, d’agir et de vivre sa mission. Pour sortir de cette attitude, il est bon que Jésus soit nommé et considéré comme le Sauveur qui mène toute mission à son achèvement et que c’est dans la collaboration avec lui que nous accomplissons la mission qui nous est confiée.
La cinquième tentation est de s’ériger hors de la loi commune. C’est le règne du sectarisme à l’intérieur de l’Eglise. Pour remédier à ce type de comportement, il faut prendre conscience qu’on vit en Eglise et qu’on est tenu de vivre et de respecter ce que l’Eglise nous demande dans le cadre de nos missions en son sein. Respecter la loi commune telle que le célibat et les engagements de notre vie de prêtres. En effet, celui qui se croit tellement inspiré par Dieu et prend la liberté de ne plus respecter la loi commune s’égare. Derrière ce sectarisme, il peut y avoir la tentation de l’argent qui donne l’illusion d’un pouvoir qu’on détient, ou l’appartenance à un « cercle d’élites » au sein de l’Eglise. Pour lutter contre ce sectarisme conduisant aux abus de tout genre, il est bon de respecter les médiations au sein de l’Eglise parce que ces médiations sont des contre-pouvoirs qui équilibrent les relations du prêtre avec les fidèles au cœur de son ministère.
Voilà en résumé quelques fruits de cette journée de formation. Il y a certainement d’autres choses à dire, mais si ces différentes réflexions peuvent nous aider à être vigilants dans nos ministères de prêtres, ce serait déjà un pas important vers la guérison pour que l’espérance et la joie de l’évangile gagnent les cœurs au Christ.
Benoît Kitchey, cm.