Le 6 novembre 2021, lors de l’Assemblée Plénière des évêques à Lourdes, Mgr Éric de MOULINS-BEAUFORT, Président de la Conférence des évêques de France et Sœur Véronique MARGRON, Présidente des Religieux et Religieuses de France ont pris la parole pour « un temps mémoriel » et pour « un temps pénitentiel » à la suite du rapport Sauvé de la CIASE.
C'MISSION
"Un temps mémoriel et un temps pénitentiel"
Le 6 novembre 2021, lors de l’Assemblée Plénière des évêques à Lourdes, Mgr Éric de MOULINS-BEAUFORT, Président de la Conférence des évêques de France et Sœur Véronique MARGRON, Présidente des Religieux et Religieuses de France ont pris la parole pour « un temps mémoriel » et pour « un temps pénitentiel » à la suite du rapport Sauvé de la CIASE.
Paroles de Mgr Éric de MOULINS-BEAUFORT
Temps mémoriel
Petit enfant qui pleure,
Petit garçon qui t’en étais allé servir la messe, plein de fierté, petite fille qui allais te confesser le cœur plein d’espérance du pardon, jeune garçon, jeune fille, allant tout enthousiaste à l’aumônerie ou au camp scout.
Qui donc a osé souiller votre corps de ses grosses mains ? Qui a susurré à votre oreille des mots que vous ignoriez ? Qui vous a imposé cette odeur qui vous imprègne? Qui a fait de vous sa chose, tout en prétendant être votre meilleur ami ? Qui vous a entraîné dans son secret honteux ?
Petit enfant qui, à jamais pétrifié, pleure sous les voûtes d’une cathédrale, petit enfant des centaines de milliers de fois multiplié !
Quelqu’un t’a photographié. Il permet à beaucoup de te voir, de te regarder. Quelqu’un s’est reconnu en toi, a vu en toi l’image de sa destinée brisée, ravagée. Quelqu’un, en te découvrant un jour, a trouvé en toi un frère ou une sœur grâce à qui il allait pouvoir exprimer ce qu’il portait en secret, ce que tant et tant ont porté et portent sans trouver de mots pour le dire, sans trouver, et moins encore, de cœur pour les écouter.
Petit enfant qui pleure sur un pilier d’église, là où tu devrais chanter, louer, te sentir en paix dans la maison de Dieu,
Nous te regardons. Désormais, nous passerons devant toi en te voyant, en t’écoutant. Ô enfant bafoué, enfant humilié, enfant profané qui survit au fond de tant d’adultes ou adolescent suicidé, nous voulons apprendre à te regarder et à entendre le cri muet de ta souffrance.
Petits garçons, petites filles qui pleurez cachés dans les adultes que tous voient, adolescents murés en un silence qui vous a été imposé, nous vous devons cela. Nous vous le devons sous le regard de l’humanité, sous le regard de notre conscience, sous le regard du Christ notre Seigneur, que vous vouliez chanter de toute votre âme, de tout votre être, et devant qui à jamais vous pleurez.
Il est trop tard pour que nous puissions essuyer vos larmes. Il ne l’est pas de nous souvenir de vous. Votre image placée sous nos yeux, nous voudrions qu’elle imprègne nos âmes. Désormais, je ne peux entrer dans une église, pour y célébrer le mystère de la vie et de l’amour plus forts que la mort, sans porter le stigmate de votre visage qui pleure, si pauvre, si touchant, si seul, si désemparé, et si digne surtout. Tout le bien du monde ne rachète pas les pleurs d’un enfant.
Petit enfant qui pleure, petite fille, petit garçon, adolescente, adolescent, moi, Éric, évêque de l’Église catholique, avec mes frères évêques et les prêtres et les fidèles qui le veulent bien, j’implore de Dieu en ce jour qu’il m’apprenne à vous être fraternel. « Ce que vous avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. »
Temps pénitentiel
Ô Dieu que nous osons appeler « notre Père », pardonne-nous. Tu mets ton Église à nu, comme jadis Jérusalem, mise à nu à cause de ses crimes.
Nous pensions être préservés par la sainteté de ton Fils et le sacrifice qu’il a remis entre nos mains. Nous découvrons que nous sommes capables, nous tes ministres, nous que tu as appelés et choisis, de profaner ton don le plus ultime, de transformer en un système humain de dégradation, de mépris, de mort, le don jaillissant de ton Esprit.
Pardonne-nous de n’avoir pas compris combien le pouvoir que tu donnes exige de nous une clarté sans faille. Pardonne-nous d’avoir pris ta miséricorde pour une tolérance devant le mal.
Relève-nous, nous t’en prions. Refais nos cœurs. Inspire-nous comment aller vers celles et ceux que nous avons humiliés, négligés, blessés, abandonnés,
Relève les personnes qui souffrent, nous t’en supplions à genoux. Donne-nous de les écouter et de faire ce qu’elles nous demandent.
Ô Dieu que nous osons appeler « notre Père », pardonne-nous. Refais nos cœurs.
Inspire-nous comment aller vers celles et ceux meurtris et humiliés que nous avons négligés et abandonnés. Donne ta joie à celles et ceux à qui nous avons manqué, nous que tu as établis pour porter ta parole de grâce et qui avons failli.
Tu nous as appelés à enseigner, apprends-nous à écouter.
Tu nous as appelés à sanctifier, dépouille-nous de toute appropriation, que ta grâce nous maintienne en perpétuelle conversion ;
Tu nous as appelés à gouverner, purifie-nous de tout goût du pouvoir, libère-nous de toute peur, à commencer par celle de perdre.
Dieu de justice et de miséricorde, Dieu de vie et de paix, prends-nous en pitié, viens au secours de notre humanité.
Paroles de Sœur Véronique MARGRON
Temps mémoriel
Tout est là dans ces mots et ce visage.
Alors peut-être, pauvrement, humblement, les scruter lentement.
Être, demeurer frapper de stupeur par la souffrance en excès de ce visage, de cette larme, de ces yeux qui implorent. Un malheur, un effondrement ont été imposés, ont fait intrusion dans des existences qui ne demandaient qu’à grandir, vivre faire confiance, se donner.
La parole interdite au-dehors comme au-dedans de cet enfant bouleversant, m’assigne, me convoque, m’oblige à être enfin dé-préoccupée de moi-même, de nous-mêmes, de nos maisons, nos richesses en tout genre, nos affirmations, afin que toute notre énergie soit uniquement du côté de son trop de solitude qui implore notre vérité, notre présence pour de vrai, notre réponse. Pour lui rendre enfin justice. Grâce à lui, à son visage qui implore, grâce au don de la parole des victimes et des témoins de cette douleur irreprésentable, apprendre à reconnaître le mal, à nommer ce qui fait mourir, à nommer le meurtre de l’âme commis dans nos communautés croyantes, par nos membres, clercs, religieux, religieuses, laïcs, et avoir alors comme unique angoisse le soin des larmes. Apprendre à reconnaître la parole corrompue, la foi au Dieu vivant dévoyée, défigurée. Comment survivre si cet enfant, dans son enfance, comme dans sa vie d’adulte, ne trouve pas auprès de lui quelques humains capables d’honorer sa confiance, sa vie ? C’est bien lui, en son immense vulnérabilité, en son exposition sans défense, qui exige que nous soyons enfin fiables, vrais, humains, dans les profondeurs de son chagrin.
Que cet intense visage de l’enfance humiliée me poursuive, nous hante même, chacun de nous, qui portons une responsabilité, d’une façon ou d’une autre, jusqu’à ce que nous ayons fait se rencontrer la justice et la vérité. De toutes les façons qu’il continue de m’habiter, de me déranger, veilleur silencieux et insistant de mon propre cœur, de mon engagement en faveur des « droits humains à protection absolue », afin que, petit ou grand manipulé, traité en objet, chacun puisse dans mon Église, dans ma communauté, devenir un « grandissant », un sujet libre de sa vie de la plus haute dignité, simplement.
Temps pénitentiel
Mon Dieu, des hommes, des femmes, ont commis non seulement l’injustifiable mais surtout l’intolérable. Ton Église a été, est, le lieu de crimes contre l’humanité du sujet. Te supplier, toi mon Dieu, paraît alors presque trop petit, trop peu. Supplier alors aussi chacune des personnes dont la vie a été, est plongée dans les abîmes des enfers, car vous êtes, elles sont, ton visage, mon Dieu, toi le Dieu humilié, méprisé, crucifié.
Être pris en pitié, implorer tes entrailles mon Dieu, promettant de faire œuvre de justice. Supplier que nous soyons pris en pitié en demeurant au pied de la Croix. Nous ne pouvons descendre dans les enfers où chaque vie d’enfant, d’adulte rendu vulnérable, a été précipitée. Mais demander la force autant que la grâce de nous tenir à la porte, au bord du tombeau et là te supplier toi Dieu très bas, qui seul peut descendre dans ces ténèbres et en fracasser la porte. Toi qui seul peux nous délivrer, nous aussi, du mal que nous avons commis contre la vie, l’intégrité, la dignité, la confiance, la foi de chaque existence, meurtrie, une par une, l’une après l’autre, visage défiguré après visage défiguré. Nous en arracher, de ce mal commis, et fortifier notre pauvre courage pour un jour peut-être entendre cette parole de grâce, que Joseph, après avoir enterré son père Jacob offrit à ses frères qui l’avaient pourtant vendu comme esclave, réduit comme un objet : « Vous aviez voulu me faire du mal, Dieu a voulu le changer en bien, afin d’accomplir ce qui se réalise aujourd’hui : préserver la vie d’un peuple nombreux » (Gn 50, 20).