Imaginons un sondage minute : comment résumer d’une seule phrase la foi des chrétiens ? Souvent la réponse, la nôtre peut-être, est : " aimez-vous les uns les autres "…

6e dimanche de Pâques – B. Jn 15, 9-17. Chapelle saint Vincent de Paul – Paris

Imaginons un sondage minute : comment résumer d’une seule phrase la foi des chrétiens ? Souvent la réponse, la nôtre peut-être, est :  » aimez-vous les uns les autres « 

Belle formule, mais au catéchisme, il y a plusieurs années, dans une paroisse, la catéchiste préparait un chapitre qui présentait l’Église. Ce chapitre s’intitulait  » Ce jour-là des copains « . Il montrait beaucoup de groupes humains, comme des associations, des clubs sportifs, et l’Église, un groupe parmi d’autres… Un enfant très vite fait remarquer que ce qu’il y a de difficile, dans l’Église, c’est qu’il n’y a pas que des copains. C’est vrai, l’Église n’est pas un groupement d’intérêt, où l’on s’est choisi…

Ah, oui, la belle parole que ce  » Aimez-vous les uns les autres ! « . L’Évangile de ce matin nous invite à la compléter, à ne pas omettre la finale ; le Christ dit :  » Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés « . L’amour à la manière de l’Évangile ne répond pas à la seule logique du sentiment : j’aime, je n’aime pas, j’en reprends, je n’en reprends pas, j’achète et je revends sur Vinted ou leboncoin… L’amour selon l’Évangile, comme Jésus comporte non seulement du sentiment, mais aussi de la raison, des exigences, une logique, une pédagogie et un long apprentissage. Des retours sur les lieux apparents d’un échec… Nous aimons beaucoup savoir comment fonctionnent les choses. Eh bien, ce matin (ce soir), l’extrait du chapitre 15 de l’Évangile selon saint Jean nous aide à comprendre la voie (ou le chemin), la dynamique, le souffle de la foi des chrétiens.

La première étape de cette dynamique, c’est l’appel qui vient de Dieu. Je suis très frappé par l’insistance du Christ sur son initiative :  » Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis « . Mais qui le Christ choisit-il ? Pas des ex-premiers de la classe, recrutés par un chasseur de tête mais des hommes que l’on sent étrangement proches de nous, parce que leur vie est faite de bas comme de hauts. Pour l’apôtre Pierre, par exemple, c’est prétention, fanfaronnade un jour, et lâcheté le lendemain… À ceux-là – et à nous – Jésus leur dit : « Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ignore ce que veut faire son maître. Maintenant, je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître « .

Le serviteur exécute un ordre, c’est tout ce qu’on attend de lui. De l’ami on attend qu’il fasse sien, qu’il épouse comme sa propre cause le désir de celui qui demande. Mais qui est Dieu pour nous ? Dieu ne serait-il pour nous qu’un maître ? Ne serions-nous que des serviteurs ? Mais alors pourquoi ce maître donne-t-il sa vie pour nous ? Ah, si nous nous laissions aimer, comme Dieu veut nous appeler :  » mes amis ! « 

Deuxième étape, après l’initiative de Dieu, la réponse. Jésus dit :  » Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés « . L’amour du Père pour Jésus est une lumière qu’il sait capter et qu’il ne retient pas pour lui.  » Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. «  Jésus le dit. Jésus le fait !

Le Sauveur du monde nous propose d’enter à notre tour dans ce mouvement :  » Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres « . C’est parce que nous nous savons aimés, même lorsque nous savons nous ne sommes pas toujours aimables, que nous devenons à notre tour capable d’accueillir les autres, même si en eux tout n’est pas facile à aimer…

Étonnant comme l’amour est un don que l’on ne peut pas garder pour soi seulement si l’on veut l’accueillir vraiment. Souvenez-vous de la nuit de Pâques qui n’est pas si loin : dans beaucoup d’églises, tous se communiquent la lumière qui vient d’un unique cierge, allumé le premier, le cierge pascal. Le fait de partager la lumière ne l’appauvrit pas. Au contraire, la clarté s’accroît !

Reprenons donc : un, l’initiative de Dieu. Deux, notre réponse, qui nous ouvre. Et après ? Après, il s’agit, dit l’Évangile, de  » demeurer  » dans l’amour qui vient du Christ. Le mot  » demeurer  » mérite une attention soutenue car peut-être le contresens nous guette-t-il… Ne dit-on pas de quelqu’un  » c’est un demeuré « , pour préciser qu’il ne gamberge pas vite ? Mais chez saint Jean le verbe demeurer exprime tout sauf du surplace, un refuge permanent, un quiétisme. Dimanche dernier, nous entendions d’autres paroles du Christ qui comparait les disciples aux sarments, après s’être décrit lui-même comme la vigne. Il disait :  » Celui qui demeure en moi, et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruits « .

Demeurer avec le Christ, c’est durer avec lui, tenir bon dans son appel et son envoi, rester « greffé » sur lui en tant que disciple. Les gestes et les paroles de Jésus inspirent nos gestes et nos paroles, afin que nous soyons témoins de la lumière qui vient de lui. C’est ce qu’a réalisé sainte Louise de Marillac dans sa vie. Alors se réalise ce que saint Jean rapporte des paroles de Jésus :  » Je vous ai choisis afin que vous portiez du fruit.  »  » Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous et que vous soyez comblés de joie. « 

Oui, la foi des chrétiens commence par  » aimez-vous les uns les autres « , mais c’est un peu court. Notre foi c’est l’étonnement : est-il possible que Dieu nous aime au point de livrer sa vie pour nous ? Notre foi, c’est ensuite l’élan, le souffle d’un merci : ce merci, notre  » action de grâce « , nous ouvre aux autres et décuples nos possibilités. Notre foi, c’est aussi durer avec le Christ, qui guide et inspire nos gestes et nos paroles pour édifier avec Lui son Corps. La foi des chrétiens est un amour qui a son commandement, ses multiples modalités, ses exigences, ses vérifications, et, merveille, sa joie !