Tout commence par une rencontre. Jean la situe aussitôt après avoir rapporté le geste fort que Jésus avait accompli dans le Temple. Quelque chose s’est probablement passé dans le cœur de Nicodème et de ceux dont il était le chef. Alors il vient trouver Jésus. De nuit.

« Dieu a tellement aimé le monde… » Homélie. 4e Dimanche de Carême – année B

« Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle », (Jn 3,16).

A la manière d’une devise épiscopale ou d’un slogan, tout est dit : qui est Dieu, qui est Jésus qui nous sommes et quelle est notre destinée.

Mais il nous faut du temps pour saisir la portée de telles paroles. L’itinéraire de Nicodème peut nous aider.

Nicodème est un pharisien, c’est-à-dire un homme qui veut vivre dans la fidélité à Dieu, et Jésus reconnaît en lui un maître qui enseigne en Israël (cf. Jn 3,10).

Tout commence par une rencontre. Jean la situe aussitôt après avoir rapporté le geste fort que Jésus avait accompli dans le Temple. Quelque chose s’est probablement passé dans le cœur de Nicodème et de ceux dont il était le chef. Alors il vient trouver Jésus. De nuit. Le temps propice à la méditation, pour les rabbins, mais peut-être aussi le signe d’une certaine nuit que Nicodème porte en lui et où il recherche sincèrement la lumière.

D’emblée, il va dire à Jésus ce qui l’a touché : « personne ne peut accomplir les signes que toi, tu accomplis, si Dieu n’est pas avec lui. » (Jn 3,2).

Jésus l’écoute et, de manière inattendue, semble l’interrompre avant que Nicodème ait pu poser la moindre question.

Un saut qualitatif

Dans ce dialogue nocturne, Jésus veut aller à l’essentiel. Nicodème cherche la lumière, Jésus l’invite à un saut qualitatif : « Amen, amen, je te le dis : à moins de naître d’en haut, on ne peut voir le royaume de Dieu. » (Jn 3,3). Et quand Nicodème manifeste son trouble, Jésus lui répète son invitation : « Amen, amen, je te le dis : personne, à moins de naître de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu », (Jn 3,5).

A Nicodème qui voudrait comprendre, Jésus adresse une invitation à naître. Quand on regarde de plus près le verbe utilisé par Jean (γεννηθῇ), on s’aperçoit qu’il ne s’agit pas tellement du moment où l’on vient au monde, de la délivrance mais plutôt de ce qui se passe dans le ventre de la mère quand petit à petit l’enfant prend forme et devient lui-même. Et on sait que cela prend du temps.

« Naître d’en-haut ». L’expression est énigmatique, elle rejoint Nicodème et nous avec lui par surprise.

Jésus associe la naissance, ce sur quoi l’être humain n’a aucune prise, à la possibilité de voir la présence de Dieu. Or, Nicodème soulève avec justesse qu’on ne peut retourner à la vie utérine, à l’origine, ni physiquement ni même en faisant appel aux souvenirs. Le malentendu réside là dans le double sens du mot « d’en haut » qui, en grec, signifie aussi « de nouveau ». Nicodème comprend « naître de nouveau » pris dans un sens physiologique sans passer au sens symbolique. Mais en même temps il met bien le doigt sur le fait que cette nouvelle naissance est un don. Le texte joue sur ce double sens pour dire que l’existence de toute personne n’est pas jouée définitivement à la naissance. Dieu peut donner une autre origine à notre vie et un nouveau départ.

« Naître d’en-haut ». Nous devinons qu’elle fait référence à Dieu. « Naître de l’eau et de l’Esprit ». Autre expression difficile à comprendre mais qui suggère la naissance à une vie nouvelle. Et on pense à ce que dit Dieu par la bouche d’Ezéchiel : « Je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés » (Ez 36,25). Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau » (Ez 36,26). Et on se souvient que ce souffle fait d’un être de poussière tiré du sol un vivant, (cf. Gen 2,7).

Une vie dans toute son intensité

« Celui qui croit en moi – dit Jésus – obtient la vie éternelle » (Jn 3,16). Croire en lui, c’est naître à la Vie éternelle.

Vive de la vie éternelle. L’expression nous est familière, mais il importe de bien la comprendre. Il ne s’agit pas d’une réalité à venir dont on ne sait trop en quoi elle consisterait. Il ne s’agit pas non plus d’une récompense venant couronner un parcours admirable. Elle n’est pas éternelle parce qu’elle durerait indéfiniment, mais parce qu’elle est dépassement des limites. Elle est la vie dans toute son intensité, la vie épanouie en toutes ses potentialités.

C’est donc d’une qualité de vie qu’il s’agit, d’une vie qui ne butte plus contre la réalité de la mort, le « dernier ennemi » (I Cor 15,26) dont parle Paul. Parce que l’ombre de la mort peut paralyser. Mais nous ne sommes pas des « êtres vers la mort », confrontés à une perpétuelle inquiétude. L’auteur de la lettre aux Hébreux, dit que le Christ « a rendu libres tous ceux qui, par crainte de la mort, passaient toute leur vie dans une situation d’esclaves » (He 2,15). Et Jésus dira à Marthe confrontée à la mort de son frère Lazare « quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais », (Jn 11,26).

Naître, c’est recevoir la vie. Elle est don d’amour. Elle est marquée d’éternité en Celui qui est venu pour que nous ayons la vie et que nous l’ayons en abondance. (cf. Jn 10,10).

Si nous sommes disciples du Christ, c’est parce que Dieu nous aime. Et son amour fait de notre aventure humaine une vie éternelle.

Comme l’écrit Jean dans sa première lettre : « ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés, et il a envoyé son Fils en sacrifice de pardon pour nos péchés », (I Jn 4,10). Et qu’est-ce que le pardon des péchés sinon la libération de cette ombre de mort qui plane sur nous et nous paralyse, ou qui nous fait entrer dans une recherche désespérée de satisfactions passagères mais qui finalement, dans une logique de mort, nous exposent au risque d’une certaine autodestruction.

Qu’en est-il de la nuit de Nicodème ? Jean nous laisse entendre que son chemin sera long. Et nous, qu’en est-il de notre nuit ? Jésus nous donne – si nous le voulons bien – de naître à la vie éternelle, la vie de Dieu. Il nous donne de voir le règne de Dieu (Jn 3,3), d’entrer dans le règne de Dieu (Jn 3,5).

Aujourd’hui, il redit à chacun de nous : accueille-moi, crois-en moi, suis-moi !