« L’amour de ta maison fera mon tourment » nous dit l’épisode évangélique bien connu de ce jour des Marchands chassés du Temple ou encore dans une autre traduction peut-être plus familière : « le zèle de ta maison me dévorera ».
Abbé Ludovic DANTO
Homélie du 3ème dimanche de Carême. 7 mars 2021, chapelle Saint Vincent de Paul – Paris
« L’amour de ta maison fera mon tourment » nous dit l’épisode évangélique bien connu de ce jour des Marchands chassés du Temple ou encore dans une autre traduction peut-être plus familière : « le zèle de ta maison me dévorera ». C’est une citation par le Christ du psaume 68 : « L’amour de ta maison m’a perdu ». Nous pouvons comprendre la stupéfaction des auditeurs de ce que nous qualifierions aujourd’hui de fait divers et même imaginer leur incompréhension. Qui pourrait remettre en cause leur amour pour la maison du Seigneur, ce temple où Dieu se rend présent, ce temple reconstruit sur la colline de Sion, cette promesse que Dieu est au milieu de son Peuple ? Ils sont là, ils ont traversé la Judée, ils sont arrivés des quatre coins de l’empire eux qui sont des juifs de la diaspora pour contempler le lieu de la présence de Dieu, lieu qui les frappe par sa magnificence, lieu où le grand prêtre entre seul une fois dans l’année. Eux aussi pourrait faire siennes les paroles du psaume et dire : « L’amour de ta maison fera mon tourment ». Nous comprenons leur incompréhension face au geste du Christ.
Cette émotion, voire ce choc spirituel, l’homme et la femme de foi que nous sommes aujourd’hui le vit régulièrement quand il se rend sur un lieu de pèlerinage national ou local, sur un lieu qui signifie pour lui ou pour elle l’expression même de la foi ou de la beauté de Dieu. Qui n’a pas ressenti cette émotion spirituelle, cette joie du croyant en franchissant les marches de la place Saint-Pierre à Rome pour entrer dans cette basilique, lieu des bénédictions par excellence – le premier confinement a frappé les croyants et les non-croyant à la vision de François seul sur la place Saint-Pierre et implorant les bénédictions divines pour l’humanité confinée ? Comment comprendre l’émotion ressentie devant l’incendie de Notre-Dame où foi et patrimoine d’un peuple se retrouvent dans un effroi collectif – voir la cathédrale se consumer, n’était-ce pas voir notre vie se consumer elle-aussi ? Plus simplement, pour nous qui entrons chaque dimanche en cette Eglise, expression de la foi de nos prédécesseurs, qui n’a pas ressentie une joie, voire une quiétude spirituelle entre ces colonnes qui par leur or réfléchissent la beauté de Dieu ? Qui ne pourrait dire alors comme l’évangéliste : « L’amour de ta maison fera mon tourment », et qui parmi nous qui venons des 4 coins de l’univers ne pourrait témoigner de l’attachement qu’il a pour l’Eglise ou le lieu de pèlerinage de son enfance.
Bien plus, chers frères et sœurs, lorsque nous entrons en cette chapelle de la rue de Sèvres, nous rencontrons une autre beauté, pas seulement la beauté des pierres, nous rencontrons la beauté des saints, à commencer par la figure de saint Vincent de Paul qui domine toutes nos assemblées de sa présence illuminant et nourrissant notre joie d’être-là et confortant notre résolution de vivre en chrétiens. Les saints sont la véritable beauté de nos églises et sont sources de joie. Qui n’a jamais ressenti un appel du Seigneur à la suite de la petite voie de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, ou encore de l’engagement résolu d’une Mère Teresa auprès des mourants, ou encore d’un saint François dans sa radicale pauvreté ? Devant tant de vies exemplaires, là encore, les croyants que nous sommes sont portés à reprendre cette invocation de l’Évangile : « L’amour de ta maison fera mon tourment ».
Toutefois, un doute – parfois une faille – dans la joie que nous pouvons ressentir se fait jour lorsque nous laissons raisonner en nous les paroles suivantes du Christ : « Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce ». Nous le savons, il est de multiples manières de détourner la maison du Père de ce pour quoi elle est faite et les temps que nous vivons sont parfois douloureux pour nombre de croyants lorsque ceux-ci découvrent – lorsque nous découvrons – derrière la beauté du Temple des agissements qui détournent la vocation de ces lieux qui nous ouvrent à Dieu… Je n’évoque pas ici particulièrement le fait que nous soyons tous pécheurs – « que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre » – ; il y a beaucoup d’orgueil à croire que nous serions des parfaits parce que des croyants. Ce dévoiement de la foi d’ailleurs est naturel à l’homme et à la femme qui finissent par ne pas vivre de la foi, qui finissent par ne pas vivre dans l’humilité, mais qui finissent par vivre en séparant le monde entre le pur et l’impur, entre celui qui est fréquentable et celui qui ne l’est pas… Or le Christ nous a libérés de ces questions de pur et d’impur, de parfait et d’imparfait puisque rien n’est illicite par principe : nous sommes tous appelés à accueillir Marie-Madeleine dans nos vies. Je n’évoque donc pas ici notre condition pécheresse fondamentale qui nous fera redire dans quelques semaines : « heureuse faute qui nous a valu un tel Sauveur », mais je veux ici évoquer ces agissements particuliers, ces scandales qui font que ceux qui devraient donner les bénédictions du Seigneur au monde qui les attends, les conservent ou les dilapident pour eux-mêmes. Tous les prêtres sont pécheurs, mais combien est destructeur le prêtre qui fait de son ministère le lieu-même de son péché. Voilà l’ébranlement du temple : celui qui fait su service de l’Évangile le lieu de son péché. Et cela vaut pour tous ceux qui servent le Seigneur, clercs, religieux et religieuses ou encore laïcs. Le serviteur n’est pas là pour tondre les brebis mais bien pour leur montrer la beauté de Dieu. Comme elle est malheureusement vraie cette interpellation du Christ : « Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce ». Ainsi, beaucoup de nos contemporains sont ébranlés devant tant de péchés, tant de scandales et tout d’un coup remettent en cause ce pour quoi ils ont vécu jusqu’alors : « L’amour de ta maison fera mon tourment ».
Frères et sœurs, cette désespérance qui guette certains est une erreur de perspective. L’amour que nous portons à la maison du Seigneur n’est pas lié à l’attachement que nous ressentons pour le Temple de Jérusalem – et pourtant qu’elle émotion pour chacun d’entre nous lorsque nous nous approchons du Mur des lamentations, et je souhaite à chacun d’entre vous de pouvoir se rendre un jour à Jérusalem – l’amour que nous portons à la maison du Seigneur n’est pas lié à l’attachement que nous avons pour nos basiliques et églises, pour notre chapelle des Lazaristes – même s’il est beau et bon de venir y prier et de travailler à la beauté de ces lieux. L’amour que nous portons à la maison du Seigneur n’est même pas lié à la dévotion que nous avons pour tel ou tel saint, forcément homme ou femme comme nous et qui comme le dit l’adage traditionnel « aura péché 7 fois par jour » – l’historiographie moderne aime à nous faire découvrir la part d’ombre de ces saints qui sont souvent loin de l’image d’Epinal ou des images pieuses de notre enfance. En réalité l’amour dont nous vivons provient de notre attachement viscéral au Christ. Parce que le Christ nous dit : « Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai », et que nous savons, nous, que « lui parlait du sanctuaire de son corps », nous savons que nos œuvres humaines sont fragiles, que nos vies sont fragiles et que nous devons avancer sur le seul roc qui vaille : le Christ mort et ressuscité. Nous n’avons pas la foi, frères et sœurs, parce que nous aimons le Temple, nous n’avons pas la foi parce que tel ou tel homme ou telle femme a la foi – parce que nous avons cru en lui, en eux –, et ce, même si nous recevons habituellement la foi par des médiations. Nous avons la foi parce que nous avons rencontré le Christ. C’est parce que nous recherchons le Christ – véritable Temple de Dieu – que nous pouvons dire aujourd’hui : « L’amour de ta maison fera mon tourment » ; en effet nous n’avons « qu’un seul maître qui est aux cieux ». Ne confondons pas les œuvres humaines avec les œuvres de Dieu. L’on ne reconnaît pas toujours l’arbre à ses fruits.
Si nous en doutions encore, écoutons ce que nous dit le Seigneur : « Ce que vous contemplez, dit le Seigneur, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit », même cette chapelle que nous aimons. En ce troisième dimanche de Carême, chers amis, il nous est demandé d’abandonner nos idoles sur lesquelles trop souvent nous fondons notre vie de foi pour n’adorer qu’un seul Dieu en contemplant non des lieux, non des hommes et des femmes aussi grands, nous paraissent-ils, mais en contemplant le Christ, et redisons avec foi : « L’amour de ta maison fera mon tourment ».