Dans un monde violent, entendre « heureux les doux, ils recevront la terre en héritage », qu’est-ce que cela veut dire ? « Aussi longtemps que je suis resté un lâche, nous dit Gandhi, j’entretenais en moi un foyer de violence. Lorsque après un certain nombre d’années, je rejetai toute lâcheté, je pus entrevoir la valeur de la non-violence ».
Eric Ravoux
La Douceur : Petite réflexion d’un confiné (3/6)
Petite réflexion sur la troisième vertu vincentienne : la Douceur
Dans un monde violent, entendre « heureux les doux, ils recevront la terre en héritage », qu’est-ce que cela veut dire ?
« Aussi longtemps que je suis resté un lâche, nous dit Gandhi, j’entretenais en moi un foyer de violence. Lorsque après un certain nombre d’années, je rejetai toute lâcheté, je pus entrevoir la valeur de la non-violence ».
Quand nous relisons les béatitudes, nous n’y retrouvons pas la force, pourtant elle fait partie de ce que le Seigneur exige de nous. N’a-t-il pas dit « ce sont les violents qui emportent le Royaume » ? Et il serait facile de dégager dans les Evangiles tout ce qui réclame la force, la générosité, l’audace ou le risque.
Pourtant, si la force n’est pas explicitement nommée dans les béatitudes, nous pouvons tout de même la trouver dans la deuxième, celle qui concerne la Douceur. Cela peut paraître bizarre, mais la tradition chrétienne a toujours fait le lien entre la force et la douceur. Mon but est de montrer que la douceur est une vraie force, même et surtout si elle est maîtrisée et parfois désarmée.
Nous savons bien que le Christ ne vient pas faire l’éloge de la fadeur ou de la mollesse. Le christianisme ne fait pas de l’homme un faible, un vaincu : ce sont les violents qui emportent le Royaume … Le chrétien n’est pas un être passif, sans vigueur. La dynamique de l’Evangile est faite de dépassement, elle réclame du souffle. Aussi, si le Seigneur béatifie les doux, c’est que la douceur n’a rien à voir avec ce que le monde peut en comprendre aujourd’hui, où ce sont les requins qui sont mis en avant.
Le Christ se présente comme un être doux, pas seulement dans des comportements extérieurs, mais aussi par ce que l’on appelle son amour désarmé. En venant parmi nous bébé, c’est tout le contraire de la puissance, il ne s’impose pas. Il vient comme un enfant, il vient proposer un amour, une communion. Il appelle, il sollicite, il n’est pas en position dominante, à cause de la qualité même de son amour. Un amour authentique ne s’impose pas, il se tient à la porte et il frappe en douceur : si tu veux tu viens … C’est le langage d’un amour qui respecte l’autre et se fait serviteur.
Il est vrai que nous n’acceptons pas volontiers les doux car on a l’impression que leur attitude nous juge et nous condamne. Notre époque n’est pas à la douceur et croire à cet absolu évangélique, c’est ramer à contre-courant. Aujourd’hui on a besoin de se faire mousser, de se faire entendre, de clamer son point de vue. On a besoin de triompher par tous les moyens …
Le doux a une force tranquille, et sa douceur peut se transformer en violence. La colère des doux est terrible, dit-on. Mais elle n’impressionne que parce que cette violence est pure ; elle se réalise dans un renoncement à soi qui en fait la grandeur. C’est le comportement de Jésus dans l’évangile, en particulier devant les pharisiens. Le doux, quand il est violent, ce n’est pas lui qu’il défend, c’est la vérité, la justice, des valeurs supérieures qui le dépassent …
Les doux sont libres vis-à-vis de tout ce qui n’est pas la valeur essentiel.
Beaucoup de nos contemporains, et nous en faisons partie, s’accrochent au matériel, comme si leurs vies en dépendaient. Ils vivent dans le domaine de l’apparence et en sont souvent les victimes. Le doux va plus loin, plus profond ; c’est pourquoi il agit avec un certain détachement, une distance, une appréciation des êtres, des choses, des événements qui le distingue et le sépare de ceux qui sont enfermés dans leur point de vue.
« On veut te prendre ta tunique, donne aussi ton manteau » (Mt 5, 40). Où est l’essentiel ? C’est la question du doux. Ce n’est pas qu’il soit insensible et invulnérable, mais il ne se laisse pas dominer par son émotivité.
Saint François de Sales que l’on présente souvent comme le modèle de la douceur dit un jour : « ce qui me touche, ne me touche pas ; mais ce qui Le touche, me touche grandement ». C’est la liberté est l’exigence des saints.
Le Pape François à propos des caricatures de Charlie Hebdo a dit : « Que l’on me caricature moi cela n’a aucune importance, c’est la fonction, le statut qui veut ça ; mais que l’on caricature et que l’on moque le simple et pauvre croyant parce qu’il est croyant, là on me touche, parce que c’est Dieu que l’on touche ».
Ce temps de confinement, nous obligeant à revenir à l’essentiel, peut-être pour nous un temps de découverte de la douceur. La douceur envers nous-mêmes, la douceur envers nos proches, la douceur envers notre monde.
Et je finirai avec les mots de Martin Luther King dans « La Force d’Aimer » :
« Dieu a les deux bras étendus. L’un est assez fort pour nous entourer de justice, l’autre est assez doux pour nous embrasser de grâce. D’une part, Dieu est un Dieu de justice qui punit Israël de son obstination ; d’autre part, il est le Père qui pardonne et dont le cœur se remplit d’une joie indicible au retour de l’enfant prodigue ».
Qu’à l’école et à la prière de ces grands témoins de la douceur et de la non-violence, nous sachions nous aussi grandir en douceur pour être concrètement des artisans de paix et de justice dans notre monde, afin de le rebâtir AUTREMENT !!
Tourrettes-sur-Loup, le 17 avril 2020