L’Eglise nous offre des moments privilégiés dans l’année, des pauses en cours de route, pour nous aider à approfondir notre compréhension du pèlerinage de notre vie et à trouver un sens à chaque jour, voire chaque minute, qui constitue ce chemin.
Tomaz Mavric
Lettre de l’Avent 2019 : » Hymne à la Providence «
Mes très chers confrères : La grâce et la paix de Jésus soient toujours avec nous !
Pour chacun de nous, la vie est un pèlerinage. Nous sommes constamment en mouvement. Ce pèlerinage n’est pas tant un déplacement physique d’un endroit à un autre mais un déplacement intérieur de nos pensées, réflexions, perceptions sensorielles et de notre prière.
L’Église nous offre des moments privilégiés dans l’année, des pauses en cours de route, pour nous aider à approfondir notre compréhension du pèlerinage de notre vie et à trouver un sens à chaque jour, voire chaque minute, qui constitue ce chemin. Nous apprenons à être de plus en plus attentifs aux événements quotidiens, aux personnes que nous rencontrons, aux pensées et aux émotions qui surgissent et à la nature – arbres, fleurs, rivières, montagnes, animaux, soleil, lune, etc. – qui nous entoure. Notre attention et notre sollicitude s’étendent progressivement à toute l’humanité et à l’univers entier.
L’Avent est un de ces temps forts. En cette période privilégiée de l’année, nous poursuivons notre réflexion sur les éléments qui ont façonné la spiritualité vincentienne et ont conduit saint Vincent de Paul à devenir un mystique de la Charité. En plus de ceux sur lesquels nous avons réfléchi au cours des trois dernières années, un autre fondement de la spiritualité vincentienne est la Providence.
Les termes suivants pourraient exprimer l’essence de la Providence : « l’orientation de Jésus pour ma vie », « le projet de Jésus pour ma vie », « la recette de Jésus pour une vie pleine de sens ».
La Providence fait son chemin dans notre être, notre esprit et notre cœur à une condition : celle de la confiance. Avoir confiance en « l’orientation de Jésus pour ma vie », « le projet de Jésus pour ma vie », « la recette de Jésus pour une vie pleine de sens ». Nous nous mettons entre les mains de Jésus, confiants que son orientation pour notre vie est la meilleure possible, son projet pour notre vie est le meilleur projet possible et sa recette est le meilleur modèle possible pour une vie pleine de sens.
La Providence aura de l’effet dans notre vie en fonction de la profondeur de notre confiance en Jésus. Plus notre confiance en Jésus sera profonde, plus nous permettrons à la Providence d’accomplir des miracles dans notre vie. Plus nous nous mettons entre les mains de Jésus, plus nous sommes en mesure de lire les événements quotidiens, les rencontres et les lieux comme des moyens à travers lesquels Jésus nous parle. Plus nous arrivons à faire confiance au projet de Jésus pour nous, même lorsque ce qui se passe est assez incompréhensible ou même très douloureux, plus nous compterons sur la Providence. Nous placer entre les mains de Jésus et lui faire pleinement confiance nous aide à laisser la Providence agir en nous dans toutes les circonstances de la vie.
Le fait de nous « abandonner » entre les mains de Jésus dans toutes les situations change notre regard. Nous n’évaluerons pas les événements de la vie comme bons ou mauvais moments, mais nous les considèrerons à travers la personne de Jésus, en lui faisant totalement confiance, et nous les reconnaîtrons comme « le moment favorable ». Ce choix fera disparaitre deux termes de notre vocabulaire : « destin » et « hasard ». Nous nous rendrons compte qu’ils ne sont pas cohérents avec notre manière de comprendre l’Evangile et Jésus.
L’abandon total entre les mains de Jésus, la confiance totale dans le projet de Jésus et la confiance totale en la Providence nous aident à découvrir ou à redécouvrir la beauté, le positif et le sens de chaque événement. Cela s’oppose à un regard sur les événements simplement à travers nos yeux, notre esprit et nos sentiments humains. Dans ce cas, la mentalité de destin et de hasard souligne le négatif et cache la beauté, le positif et le sens de tout ce qui nous touche et nous façonne.
Une merveilleuse expression de cette confiance en la Providence se trouve dans une belle prière écrite par le bienheureux Charles de Foucauld, après sa profonde conversion personnelle qui l’a conduit sur des chemins inattendus sur lesquels il ne pouvait se fier qu’à Dieu. Souvent appelée « prière d’abandon », elle traduit son désir plénier de se mettre entre les mains du Père, conformément au modèle de l’abandon de Jésus entre les mains de son Père, et de devenir un instrument permettant au Père de faire ce qu’il veut de lui. Il est prêt à tout, accepte tout et remet son âme entre les mains du Père, sans réserve et avec une confiance illimitée :
Mon Père, je m’abandonne à toi, fais de moi ce qu’il te plaira.
Quoi que tu fasses de moi, je te remercie.
Je suis prêt à tout, j’accepte tout.
Pourvu que ta volonté se fasse en moi, en toutes tes créatures, je ne désire rien d’autre, mon Dieu.
Je remets mon âme entre tes mains.
Je te la donne, mon Dieu, avec tout l’amour de mon cœur, parce que je t’aime, et que ce m’est un besoin d’amour de me donner, de me remettre entre tes mains sans mesure, avec une infinie confiance, car tu es mon Père.
Trois cents ans plus tôt, la Providence était devenue l’un des piliers de la spiritualité de saint Vincent de Paul. En parcourant ses lettres et ses conférences, la fréquence avec laquelle saint Vincent parle de la Providence nous frappe. La Providence a été l’un des facteurs clés qui ont façonné Vincent pour faire de lui la personne, le saint que nous connaissons. Son chemin de conversion, du Vincent de son enfance, de sa jeunesse et de ses premières années de sacerdoce, au Vincent qui a accueilli la Providence et que nous appelons saint, n’a pas été facile.
Il avait ses propres projets et sa propre idée du rôle du prêtre, ses propres ambitions et ses objectifs égoïstes. Cependant, il en vint à renoncer à sa propre volonté, à mettre Jésus au premier plan, à se fier entièrement aux projets de Jésus et non aux siens, et à « chanter » fréquemment et de différentes manières ce que nous pourrions appeler un « Hymne à la Providence ». En fait, ce changement radical en soi fut un miracle. Saint Vincent, faisant totalement confiance à la Providence, devint lui-même Providence pour les autres, pour les pauvres. C’était le point culminant d’une union mystique, non pas d’une union mystique abstraite, mais d’une union mystique qui provoquait une réponse affective et effective.
Je voudrais offrir à votre méditation un extrait de la composition de Vincent d’un
« Hymne à la Providence », fruit de sa réflexion sur les expériences de sa vie.
« … qu’il y a de grands trésors cachés dans la sainte Providence et que ceux- là honorent souverainement Notre-Seigneur qui la suivent et qui n’enjambent pas sur elle ! »[1]
« … abandonnons-nous à la divine Providence ; elle saura bien ménager ce qu’il nous faut »[2].
« … repassant par-dessus toutes les choses principales qui se sont passées en cette compagnie, il me semble, et c’est très démonstratif, que, si elles se fussent faites avant qu’elles l’ont été, qu’elles n’auraient pas été bien. Je dis cela de toutes, sans en excepter pas une seule. C’est pourquoi j’ai une dévotion particulière de suivre pas à pas l’adorable providence de Dieu. Et l’unique consolation que j’ai, c’est qu’il me semble que c’est Notre-Seigneur seul qui a fait et fait incessamment les choses de cette petite compagnie » [3].
« Donnons cependant cela la conduite de la sage providence de Dieu. J’ai une dévotion spéciale de la suivre ; et l’expérience me fait voir qu’elle a tout fait dans la compagnie et que nos providences l’empêchent » [4].
« La grâce à ses moments. Abandonnons-nous à la providence de Dieu et gardons-nous bien de la devancer. S’il plaît à Notre-Seigneur me donner quelque consolation en notre vocation, c’est ceci : que je pense qu’il me semble que nous avons tâché de suivre en toutes choses la grande providence et que nous avons tâché de ne mettre le pied que là où elle nous a marqué »[5].
« La consolation que Notre-Seigneur me donne, c’est de penser que, par la grâce de Dieu, nous avons toujours tâché de suivre et non pas de prévenir la Providence, qui sait si sagement conduire toutes choses à la fin que Notre- Seigneur les destine »[6].
« Nous ne pouvons mieux assurer notre bonheur éternel qu’en vivant et mourant au service des pauvres, entre les bras de la Providence et dans un actuel renoncement de nous-mêmes, pour suivre Jésus-Christ »[7].
« Soumettons-nous à la Providence ; elle fera nos affaires en son temps et en sa manière »[8].
« Ah ! Messieurs, demandons bien tous à Dieu cet esprit pour toute la Compagnie, qui nous porte partout, de sorte que, quand on verra un ou deux missionnaires, on puisse dire : « Voilà des personnes apostoliques sur le point d’aller aux quatre coins du monde porter la parole de Dieu. » Prions Dieu de nous accorder ce cœur il y en a, par la grâce de Dieu qui l’ont, et tous sont serviteurs de Dieu. Mais aller là ! Ô Sauveur ! N’être point arrêté, ah ! c’est quelque chose ! Il faut que nous ayons ce cœur, tous un même cœur, détaché de tout, que nous ayons une parfaite confiance en la miséricorde de Dieu, sans sonner, s’inquiéter, perdre courage. « Aurai-je ceci en ce pays-là ? Quel moyen ? » O Sauveur ! Dieu ne nous manquera jamais ! Ah ! Messieurs, quand nous entendrons parler de la mort glorieuse de ceux qui y sont, ô Dieu ! qui ne désirera être en leur place ? Ah ! qui ne souhaite de mourir comme eux, d’être assuré de la récompense éternelle ! O Sauveur ! y va-t-il rien de plus souhaitable ! Ne soyons donc pas liés à ceci ou à cela ; courage ! allons où Dieu nous appelle, il sera notre pourvoyeur, n’appréhendons rien. Or sus, Dieu soit béni ! »[9]
Au début de ce temps de l’Avent, inspirons-nous de la prière d’abandon du bienheureux Charles de Foucauld. Notre saint Fondateur, saint Vincent de Paul, et tous les autres bienheureux et saints de la Famille vincentienne ont incarné une confiance absolue en Jésus dans leur propre vie et, à leur époque et dans leur milieu, ils ont composé un « Hymne à la Providence ». Puissions-nous à notre tour composer notre propre « Hymne à la Providence ».
Notes
[1] Coste I, 68, L. 31 à Louise de Marillac
[2] Coste I, 356, L. 245 à Robert de Surgis
[3] Coste II, 208, L. 559 à Bernard Codoing
[4] Coste II, 418-419, L. 678 à Bernard Codoing
[5] Coste II, 453, L. 704 à Bernard Codoing
[6] Coste II, 456, L. 707 à Bernard Codoing
[7] Coste III, 392, L. 1078 à Jean Barreau
[8] Coste III, 454, L. 1109 à René Alméras
[9] Coste XI, 291-292, Conférence 135, Répétition d’oraison du 22 août 1655