BEATIFICATION de Mgr Pierre Claverie, op, et de 18 compagnons et compagnes ORAN, 8 décembre 2018
Le 5 décembre 2018, la Salle de presse du Saint-Siège a publié le communiqué suivant :
Le 29 novembre 2018, le Saint-Père a nommé le Cardinal Giovanni Angelo Becciu, Préfet de la Congrégation pour les Causes des Saints, son Envoyé spécial à la Célébration Eucharistique qu’il présidera le 8 décembre au Sanctuaire de Notre Dame de Santa Cruz à Oran, en Algérie, à l’occasion de la Béatification des martyrs Mgr Pierre Claverie, O.P., évêque d’Oran et 18 compagnons (religieux et religieuses).
L’Envoyé spécial sera accompagné d’une Mission Pontificale composée des ecclésiastiques suivants :
- Mgr Jean Landousies, Official à la Section pour les Affaires Générales de la Secrétairerie d’Etat ;
- Don Marco Marchetti, attaché à la Nonciature Apostolique en Algérie.
J’ai donc eu la chance et la joie de participer à cette célébration. Auparavant le 4 décembre, l’Ambassade de France près le Saint-Siège avait organisé au Centre culturel Saint-Louis de France à rome, une conférence en mémoire des 19 martyrs d’Algérie. J’y ai donné le témoignage suivant :
Témoignage sur 19 vies données pour Dieu et l’Algérie
Tout d’abord je voudrais remercier Monsieur le Chargé d’Affaires de l’Ambassade de France près le Saint-Siège et le Centre culturel Saint-Louis de France, de l’occasion qui m’est donnée de partager avec vous quelques pensées sur les 19 religieux et religieuses qui seront béatifiés samedi prochain à Oran. Ayant vécu plus de 20 ans en Algérie, comme chargé de la formation permanente dans les diocèses et Secrétaire général de la Conférence des Evêques d’Afrique du Nord, je les ai tous et toutes connus personnellement. Ensemble nous avons vécu une grande partie de ces années noires où l’Algérie a connu tant de violence, nous avons partagé le même idéal de vie, le même engagement, chacun à sa manière. Et 19 d’entre nous ont été victimes de cette violence ! Alors, nous qui sommes toujours là, nous avons à témoigner, non seulement des événements eux-mêmes, mais surtout du sens de cet engagement à partager les épreuves du peuple algérien. Et c’est un peu avec cela au fond du cœur que je partage avec vous ces quelques réflexions. Aussi c’est avec une certaine émotion que je prends la parole.
« S’il m’arrivait un jour – et ça pourrait être aujourd’hui – d’être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant tous les étrangers vivant en Algérie, j’aimerais que ma communauté, mon Église, ma famille, se souviennent que ma vie était DONNÉE à Dieu et à ce pays. Qu’ils acceptent que le Maître Unique de toute vie ne saurait être étranger à ce départ brutal. Qu’ils prient pour moi : comment serais-je trouvé digne d’une telle offrande ? Qu’ils sachent associer cette mort à tant d’autres aussi violentes, laissées dans l’indifférence de l’anonymat ».
Vous avez sans doute reconnu le début du testament spirituel de Christian de Chergé, le Prieur de Tibhirine. En réalité ce n’est pas une, mais 19 vies données ! Des vies données ! je crois que c’est cela le plus important. Ces religieux et religieuses n’étaient pas de doux rêveurs, encore moins des théoriciens ou des prosélytes, ils ont vraiment fait le don de leur vie parce qu’ils croyaient à la force de l’amour. Ils l’ont fait en connaissance de cause, non pas parce qu’ils cherchaient le martyre – le martyre chrétien ne se cherche pas – mais parce qu’ils ont voulu aller jusqu’au bout de leur engagement dans et avec l’Eglise d’Algérie. Et c’est une première chose que je voudrais souligner : ce qui a été vécu par ces religieux et religieuses est à situer dans la vie de l’Eglise d’Algérie ; une Eglise de la rencontre, qui s’est toujours voulue en dialogue et en solidarité avec le peuple algérien. Dialogue de la vie sans doute, mais de la vie dans toutes ses dimensions, humaine mais aussi spirituelle dans la mesure du possible. Le dialogue islamo-chrétien, avec toutes ses difficultés est non seulement une priorité, mais une nécessité ! Et pour vivre cette rencontre, cette Eglise, au gré des événements, s’est peu à peu dépouillée de tout ce qui n’est pas l’essentiel, que ce soient dans ses institutions, ou plus encore dans ses façons de faire ou de penser. Il y a tant de choses, qui nous encombrent et qui ne sont pas nécessaire pour être vraiment l’Eglise du Christ, pour présenter son visage authentique. Le dépouillement est une condition essentielle pour aller en vérité à la rencontre des gens. C’est bien ce qu’a été amenée à comprendre et à vivre l’Eglise en Algérie. C’est ce qu’ont vécu nos 19 frères et sœurs, de façon radicale, jusqu’au dépouillement suprême. Ils ont tout donné ! Je crois qu’ils ont réalisé pleinement, à leur manière, le rêve du Pape François : « Une Eglise pauvre, pour les pauvres » !
C’est donc dans cet esprit de dépouillement et de service, que ces religieux et religieuses ont vécu leur solidarité avec le peuple algérien qui était soumis à une violence inouie. Depuis des années, les uns et les autres avaient vécu des relations d’amitié, de collaboration, de proximité avec les gens de leur quartier dans le domaine de la santé, de l’éducation des jeunes ou des femmes etc. Comme nous tous à l’époque, ils avaient vu mourir autour d’eux tant d’hommes et de femmes innocents. Et ils ont accepté eux aussi de risquer d’avoir le même sort, parce qu’ils voulaient témoigner qu’au-delà des différences de culture, de religion, de nationalité, une même humanité nous réunit. Une humanité que nous chrétiens nous appelons la famille de Dieu. Tout n’a pas été simple pour prendre la décision de rester dans ce pays au milieu de tous les dangers. Chacun a pris sa décision personnellement, après avoir longuement réfléchi en communauté et en Eglise. Et je voudrais souligner ici le rôle courageux de l’Archevêque d’Alger de l’époque, Mgr Henri Teissier, pour accompagner le discernement de chacun. Et je suis vraiment heureux de voir qu’aujourd’hui, âgé de 89 ans, il pourra voir la béatification de ces frères et sœurs ! Le journal La Croix, titrait samedi dernier à son sujet « Le 20ème bienheureux » !
Nous pensons sans doute d’abord au témoignage des 7 moines de Tibhirine, enlevés le 26 mars 1996 et retrouvés le 21 mai : Christian, Luc, Célestin, Paul, Michel, Bruno et Christophe, le plus jeune que j’ai eu la joie d’accompagner dans une partie de sa préparation au sacerdoce. Cette communauté de N.D. de l’Atlas, dans la montagne, était importante pour nous, Eglise d’Algérie, comme l’était aussi le monastère des Clarisses à Alger. Ce monastère s’est transféré à Nîmes en 1995, pour des raisons de sécurité. Mais il reste très en lien avec l’Eglise d’Algérie. Nous allions souvent dans ces monastères pour nous ressourcer, personnellement ou en groupe. Mais on peut dire aussi que le monastère de Tibhirine était important d’abord pour le village, pour ces familles qui l’entouraient et avec qui les moines avaient des relations d’amitié, de travail. Ces familles ont demandé aux moines de ne pas les abandonner dans la tourmente. Frère Luc, le médecin, avait porté au monde une bonne partie de la population de la région ! Avec Frère Christian le prieur, s’était mis en route un groupe d’échange spirituel avec des musulmans de la région, le Ribat essalam (le Lien de la paix). Et je voudrais aussi mentionner les deux « survivants » qui avaient pu échapper à l’enlèvement : le Père Amédée, dont j’étais très proche, aujourd’hui décédé ; et le P. Jean-Pierre, aujourd’hui au monastère de N.D. de l’Atlas, à Midelt au Maroc, suite du monastère de Tibhirine.
On pourrait continuer sur cet aspect communautaire et ecclésial des choses. Mais, en hommage à leur mémoire, je voudrais simplement rappeler ici les noms et les communautés de ces autres frères et sœurs. Des hommes et des femmes simples, qui voulaient sans bruit servir leurs frères et leurs sœurs, servir les pauvres, à la manière du Christ, contribuer à construire la paix et la réconciliation à leur niveau le plus simple :
Paul-Hélène, Petite Sœur de l’Assomption, et Henri Vergès, Frère mariste, le 8 mai 1994, au service des jeunes à la casbah d’Alger.
Caridad et Esther, le 23 octobre 1994, Augustines missionnaires espagnoles, au service des malades, à Bab el Oued, Alger. Là où j’ai fait mes premiers pas en Algérie en 1968 !
Alain Dieulangard, Jean Chevillard, Christian Chessel, Charles Deckers, Pères Blancs, à Tizi Ouzou, en Kabylie, le 27 décembre 1994.
Bibiane et Angèle Marie, Sœurs de Notre-Dame des Apôtres, Belcourt, Alger, au service des jeunes filles pauvres du quartier, le 3 septembre 1995.
Odette, Petite Sœur du Sacré-Cœur du Père de Foucauld, Kouba, Alger, 10 novembre 1995. Je la nomme avec un peu plus d’affection, car nous avions travaillé ensemble une dizaine d’années, au Centre d’Etudes diocésain d’Alger.
Et enfin Mgr Pierre Claverie, Dominicain, Evêque d’Oran, avec son ami et chauffeur, Mohamed Bouchiki, le 1er août 1996. Il est peut-être significatif que cette trop longue liste prenne fin avec l’assassinat d’un Evêque, d’un Pasteur, qui meurt en mêlant son sang avec celui d’un musulman ! Avec Pierre aussi, nous avions travaillé ensemble au Centre d’Etudes diocésain d’Alger, de 1976 à 1981. Je ne donnerai qu’une image de Pierre : nous étions voisins de bureau. Et ce qui nous a tous marqué, c’est que sa porte était toujours ouverte, pour montrer qu’il était toujours disponible à celui ou celle qui viendrait.
Et en regardant la liste de ces 19 religieux et religieuses, je suis frappé de voir que chaque fois qu’on a voulu les atteindre, c’est non seulement une personne qui a été visée et atteinte, mais une communauté. C’est peut-être aussi un petit signe de l’importance de la présence humble et discrète d’une communauté religieuse dans un quartier, dans une ville ou un village. Il est vrai que dans cette petite Eglise d’Algérie nous vivions très proches les uns des autres, une vraie fraternité existait entre tous. Ce qui fait que toutes ces épreuves, nous les avons vécues intensément. Et c’est cette fraternité que nous voulions partager avec nos frères et sœurs algériens, quels que soient les dangers du moment. Certains diront peut-être que la mort de ces 19 a été le signe de l’échec de ce beau projet ! Mais au contraire, à la suite du Christ, nous croyons que leur mort est signe de vie, comme le grain de blé tombé en terre qui germera un jour. Le Christ est passé par là, nous aussi, chacun à notre manière, nous devons passer par là ! En les béatifiant l’Eglise veut le montrer aux yeux de tous !
La mort de ces religieux et religieuses est le signe le plus parlant de leur fidélité à Dieu et au peuple algérien. Fidélité à Dieu, car ils se sont mis totalement à la suite du Christ serviteur qui a accepté de donner sa vie pour tous. Fidélité au peuple algérien, parce qu’ils ont été au service de ce peuple, dans les petites choses d’une vie partagée, pour lui témoigner de l’amour et de la fidélité de Dieu, gratuitement, sans regarder en arrière aux moments difficiles. Ils savaient que ce témoignage ne s’accomplissait pas d’abord par des mots, mais par une vie à la suite du Christ, une vie chrétienne tout simplement ! Comme je le disais en commençant, la vie et la mort de ces frères et de ces sœurs a bien été le témoignage d’une Eglise qui a voulu rester fidèle à Dieu, bien sûr, mais aussi au peuple algérien auquel elle est envoyée. Une Eglise qui ne cherche aucun privilège, mais qui se veut servante, une Eglise donnée à Dieu et au monde. Le Cardinal Duval, qui fut Archevêque d’Alger, et qui est mort – à l’âge de 93 ans – le jour même où on retrouvait les corps des 7 moines, disait que « l’Eglise ne vit qu’en sortant pour ainsi dire d’elle-même. Non seulement elle ne vit que par le Christ, pour le Christ, dans le Christ, mais il faut ajouter qu’elle ne vit que pour l’humanité, dans l’humanité et par l’humanité » (Lettre pastorale « Présence fraternelle, Carême 1980). Aujourd’hui, le Pape François nous dit aussi la même chose, à sa manière, lorsqu’il parle d’une Eglise « en sortie ». Une Eglise qui sort d’elle-même jusqu’à donner sa vie, comme l’a fait le Christ !
Ces religieux et religieuses n’étaient pas des héros. C’étaient des hommes et des femmes tout simples, sans prétention, qui au nom du Christ ont voulu servir le peuple algérien, devenu leur peuple. Des hommes et des femmes qui ont fait confiance à Dieu et au peuple algérien, quelles que soient les circonstances, parce qu’ils savaient que la confiance est un pari, mais que si elle est retirée toutes les portes sont fermées. C’est ce que répétait souvent Pierre Claverie. « Dieu en Jésus Christ fait le pari de la confiance » disait-il.
En concluant, je dirais que Dieu a peut-être permis qu’une petite Eglise, insignifiante peut-être au regard humain, attirent l’attention de toute l’Eglise pour qu’elle vive aussi ce pari de la confiance ! Merci.
Rome, Centre Saint-Louis, 4 décembre 2018.
Jean LANDOUSIES, CM 🔸
Ces religieux et religieuses n’étaient pas des héros. C’étaient des hommes et des femmes tout simples, sans prétention, qui au nom du Christ ont voulu servir le peuple algérien, devenu leur peuple. Des hommes et des femmes qui ont fait confiance à Dieu et au peuple algérien, quelles que soient les circonstances, parce qu’ils savaient que la confiance est un pari, mais que si elle est retirée toutes les portes sont fermées.