Les Lazaristes dans la tourmente de la guerre
L’année 2018 marque le centenaire de la fin de la première guerre mondiale. Cependant on ne peut oublier ce qui s’est passé auparavant.
3 août 1914 : l’Allemagne déclare la guerre à la France. En effet, l’archiduc héritier d’Autriche vient d’être assassiné à Sarajevo. Du coup, l’Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Serbie, ce qui provoque la réaction de la Russie suivie, par contrecoup, par celle de l’Allemagne qui se met en guerre contre la Russie, puis contre la Belgique et la France, en attendant d’avoir contre elle le Royaume-Uni. C’est toute l’Europe qui est en feu et en sang, et provoque dans chaque pays une exaltation nationaliste intense déjà suscitée par les guerres balkaniques.
En France, c’est la mobilisation générale. On aurait pensé qu’à la suite des mesures anticléricales de 1904-1905, l’Eglise de France se serait limitée à obéir passivement aux lois de la république. En fait, un sursaut patriotique s’exprima dans l’ensemble de la société. Le clergé de France ne fut pas en reste. Si plus de 20.000 prêtres furent mobilisés, beaucoup d’autres se présentèrent pour participer aux combats ou, le plus souvent, pour faire office d’aumôniers.
C‘est pourquoi Albert de Mun qui, en sa qualité de député, avait bataillé ferme pour faire reconnaître ces aumôniers, pouvait écrire le 29 septembre 1914 : « C’est vraiment la guerre des prêtres. Ils sont partout, dans le rang, au combat, à l’ambulance, dans les villes conquises, dans les forts assiégés. Les curés sac au dos ! criait, il y a vingt-cinq ans, la fureur imbécile des sectaires. Ceux qui ne voulaient pas de soldats étaient les plus enragés pour que les prêtres le fussent tous. Les curés, sac au dos, sont partout, sur le front, mêlés aux soldats combattants ou brancardiers. Ceux qui ont passé l’âge, ou qu’un congé de réforme dispense du service, sont aumôniers. »
Les Lazaristes prirent largement leur part dans cet engagement au service de la patrie. Le Père Duthoit pense que la guerre est une grande mission où le canon remplace les sermons les plus éloquents. Malgré ses 63 ans, il s’engage de suite comme aumônier. En septembre 1914, il se retrouve sur le front, à Clermont-en-Argonne, d’où il écrit : « Je viens d’enterrer les morts d’hier, on les mets les uns sur les autres sur la charrette et notre précieux baudet les monte au cimetière. Quelle chose horrible que la guerre vue de près…Quel fructueux ministère nous avons ici ! »
A côte de lui, se trouve un autre Confrère, plus jeune, le Père Théveny, qui écrit : « Nous avons reçu plus de onze cents blessés en trois jours. Il m’est arrivé d’en confesser et administrer plus de soixante par jour. C’est une sorte de mission militaire à grand rendement. C’est le bon Dieu qui la prêche à grands coups de canon et de mitraille. »
Au même moment, d’autres prêtres connaissent les affrontements meurtriers. Le Père Baeteman, qui a été obligé de quitter sa mission d’Abyssinie où il se trouvait comme « le camouflé du bon Dieu », selon le titre d’un de ses livres, nous décrit ce qu’il vit : « Nous avons reçu le baptême du feu, ces jours derniers, une vraie fête. Obus, mitraille, bombes des avions, rien n’y manquait. Nous sommes restés trente-six heures sans manger. Le jour, on grille au soleil ; la nuit, on grelotte dans les granges sur un peu de paille, une vraie vie apostolique.»
A son exemple, un bon nombre de Lazaristes reviennent des pays lointains où les avaient poussés les lois anticléricales de la France. Ainsi, en mars 1915, onze missionnaires, après un long périple, arrivent de Chine. Plusieurs d’entre eux feront office d’interprètes auprès des Chinois affectés principalement à l’intendance. D’après un catalogue des mobilisés paru le 1° juin 1916, les Lazaristes mobilisés comptaient 136 prêtres, 50 clercs, 34 frères coadjuteurs.
Le Père Dondeyne décrit sa façon de prier au milieu des combats. « Nous avons des nuits à la belle étoile, et le chapelet instinctivement se glisse dans les doigts, au milieu de l’attente générale, lorsqu’on canonne à quelques centaines de mètres devant nous…Je pars au feu avec pleine confiance : un large signe de croix en sortant des abris, la prière s’il ne faut pas se servir des armes, avec cela le bon Dieu m’a gardé sans aucune égratignure…Sur vingt-huit hommes de ma demi-section, deux morts et douze blessés en une seule journée. Quand la canonnade eut cessé, chacun me confiait ses émotions : « J’ai fait dix-sept prières, » disait l’un. J’ai récité tout le temps l’Ave Maria », disait l’autre. Je dis à chacun le mot qui encourage et instruit. C’est pour le prêtre la suprême consolation de purifier et de soutenir. »
Certains sont victimes de leur héroïsme. Tel le Père Barbet : « Le lieutenant commande : « A la baïonnette ! et part courageusement. Mais ses hommes hésitent sous la grêle des projectiles. Le Père est là, sans armes ; son brassard au bras. « Allons, les enfants, courage ! » Mais voyant que personne ne bouge, il reprend ; « Allons, je vais avec vous ! Suivez-moi ! » Il s’élance, son crucifix à la main. La compagnie, électrisée, le suit au pas de course et enlève deux tranchées. Le cher Père est victime de son héroïsme. Il tombe frappé, la cuisse fracassée, une balle dans la poitrine, une main blessée. »
Il est vrai que les blessés et les morts commencent à se multiplier. Devant une guerre dont on ne voyait pas la fin et au contact de combats incessants, l’entrain des premiers temps laisse place à la déception et parfois au découragement. Le Père Bousquet en fait l’amère constatation : « Une immense désolation s’empara de moi quand, parvenu sur une des crêtes qui dominent Verdun, je m’arrêtai songeant à tous les incidents des derniers jours, aux camarades disparus, à notre vaillante division anéantie, le cœur creva et je pleurai longuement, tristement. »
Quelques jours avant de mourir, en septembre 1918, le thorax transpercé par des éclats d’obus, le séminariste Dutrey, écrivait : « La santé laisse parfois à désirer, mais qu’importe les gémissements de la carcasse pourvu que tout tende vers Dieu qui nous voit, nous comprend, nous aime. »
Le Père Dagouassat, après la bataille de Verdun, est envoyé comme officier artilleur sur le front d’Orient où il va trouver la mort. A Salonique, il exprime sa joie de faire la connaissance de Confrères lazaristes dont le Père Lobry qui, grâce à sa connaissance des problèmes bulgares, est le conseiller personnel du général Sarrail, franc-maçon notoire. Dans la banlieue de Salonique, à Zeintenlik, il rencontre le Père Blanc qui utilise ses temps libres de fantassin à rédiger une étude sur « la dévotion de saint Vincent au divin Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ ».
La proximité de la mort aide à reconnaître que la vie ne nous appartient pas et qu’elle dépend de Dieu. La prière, soutenue par la foi, est le plus souvent présente au milieu des pires dangers. Certains, cependant, se posent la question pour savoir si Dieu peut prendre parti dans une guerre aussi cruelle. On peut se demander : « Dieu avec nous ou nous avec Dieu ? » Le Père Baeteman a le courage de s’interroger : « Prier pour ces Allemands maudits ?… Oui, parce qu’ennemis, ils ont droit à ma prière. Mais quelle foi il faut avoir pour bien le comprendre. »
L’espérance est là, prête à transformer les hommes. C’est ce que déclare Gabriel Marcel : « Si je suis tenté de dire aujourd’hui que la guerre de 1914 a fait de moi un autre homme, c’est parce qu’elle a éveillé en moi un sens de la compassion. »
Yves DANJOU, CM 🔸
Les Lazaristes prirent largement leur part dans cet engagement au service de la patrie. Le Père Duthoit pense que la guerre est une grande mission où le canon remplace les sermons les plus éloquents.