Vincent de Paul, qui es-tu ? Telle est l’appellation de cette troisième conférence. Et personnellement, je la trouve très judicieuse. Car pour nous, hommes et femmes du XXIe siècle, M. Vincent nous parle encore. Nous avons toujours à le redécouvrir car sa figure fait partie de ces géants qui ont marqué leur époque. Nous sommes loin d’avoir épuisé la richesse de sa personnalité et de son œuvre. Aujourd'hui bon nombre d’ouvrages paraissent encore sur lui. Le dernier en titre est de Marie-Joëlle Guillaume.

Vincent de Paul, qui es-tu ?

Conférence donnée à St-Just en Chaussée (Oise) le 15 décembre 2016

Vincent de Paul, qui es-tu ? Telle est l’appellation de cette troisième conférence. Et personnellement, je la trouve très judicieuse. Car pour nous, hommes et femmes du XXIsiècle, M. Vincent nous parle encore. Nous avons toujours à le redécouvrir car sa figure fait partie de ces géants qui ont marqué leur époque.

QUELQUES ÉLEMENTS BIOGRAPHIQUES SUR M. VINCENT

Vincent de Paul, qui es-tu ? Telle est l’appellation de cette troisième conférence. Et personnellement, je la trouve très judicieuse. Car pour nous, hommes et femmes du XXIe siècle, M. Vincent nous parle encore. Nous avons toujours à le redécouvrir car sa figure fait partie de ces géants qui ont marqué leur époque. Nous sommes loin d’avoir épuisé la richesse de sa personnalité et de son œuvre. Aujourd’hui bon nombre d’ouvrages paraissent encore sur lui. Le dernier en titre est de Marie-Joëlle Guillaume.

Vincent est né le 28 mars 1581, ou encore 1580, plus précisément le 5 avril 1580 [i]. Il est le fils d’un paysan, Jean de Paul, propriétaire d’un petit domaine et d’une maison, surnommée « Ranquines ». En langage patois landais, cela signifie « le boiteux », car son père claudiquait. Etait-ce un accident ou une maladie, on l’ignore.

Ranquines est situé sur le territoire de la paroisse de Pouy, au nord de Dax. L’origine du nom de la famille viendrait du ruisseau de Paul qui croise à mi-distance la route reliant la maison natale au sanctuaire de Buglose ou encore une maison du même nom située à Buglose. Mais aucun document ne l’atteste.

L’origine du patronyme peut aussi venir du latin « Palus », marais, « Paùl » en espagnol et se prononce paoul. Dans un document de 1615, à l’occasion de son accession au canonicat d’Écouis, le nom de Vincent est orthographié : Vincent de Paoul.

De Paul ou Depaul ? On trouve les deux orthographes au XVIIe siècle. Et la particule n’a pas forcément une connotation nobiliaire. Toute sa vie, M. Vincent signera Depaul.

Par contre, sa mère, Bertrande de Moras, appartient à une famille de lignée bourgeoise, peut-être même de petite noblesse locale. Si aucun document écrit ne l’atteste, elle serait née au village même de Pouy, dans une maison située au cœur d’un domaine rural propriété d’une famille de robe, demeurant à Dax, et venant séjourner pour les vacances dans cette campagne. Le frère de Bertrande, Jean de Moras, est avocat au présidial de Dax. Il a épousé une Jeanne de Saint-Martin, apparenté à M. de Comet. Ce dernier deviendra bientôt le premier protecteur du jeune M. Vincent. » (Le Précurseur. P. 17)

Le père de M. Vincent appartenait à une classe bénéficiant de certains privilèges, notamment celui de l’exploitation de bois : les Capcezaliers. Ils pouvaient ramasser le bois mort et, sur autorisation spéciale, couper du bois vert pour le chauffage de leur famille.

Vincent était le troisième d’une famille de six enfants : Jean, Bernard, Vincent, Dominique, surnommé « Gayon » et deux filles, Marie qui épousera Jean de Paillole, et une autre Marie, qui épousera Grégoire de Lartigue.

Temps d’études, ordination diaconale et presbytérale         

Au sein de cette famille modeste et travailleuse, M. Vincent dut très vite apporter sa contribution : la garde du petit ou du grand troupeau familial.

À ce sujet, il dira plus tard : « À l’évêque de Saint Pons, Persin de Montgaillard, qui parlait avec suffisance de son château familial, certes, avec un clin d’œil malicieux : « Je le connais bien, je gardais les bestiaux dans ma jeunesse et je les menais de ce côté-là ». M. Vincent évoquait le château de Montgaillard, avec ses tours situées à Orthevielle au sommet d’un monticule. Or l’Évêque parlait, lui, d’un autre Montgaillard, du côté de Montauban.

Très vite M. Vincent se distingua parmi ses frères par son esprit vif. Son père vit en lui des possibilités à exploiter. Le prieur de Poymartet ou Pouymartet, qui se nommait Etienne de Paul, proche parent, peut-être même frère ou cousin du père de M. Vincent avait lui-même insisté pour que M. Vincent fasse des études.

Sur les conseils de M. de Comet, on fit faire des études à M. Vincent pour qu’il embrasse l’état ecclésiastique.À quel âge commença-t-il ses études ? Difficile à dire. On parle de 15 ans suivant les propos de M. Vincent. Il aurait quitté son village en 1596. Mais c’est peu vraisemblable. Ne serait-ce pas son départ pour l’université puisqu’en 1597, il se trouve à Toulouse. Son départ pour Toulouse ou pour ailleurs marquerait l’éloignement de M. Vincent de sa famille. Et dans cette hypothèse, il aurait été envoyé à Dax au collège des Cordeliers tenu par les franciscains à l’âge de 11 ou 12 ans. Deux ans, quatre ans, toujours est-il qu’au vu de ses performances scolaires, M. de Comet lui demanda de s’installer chez lui comme de précepteur de ses propres enfants, tout en continuant à suivre ses cours au collège.

Les autorités ecclésiastiques lui confèrent les ordres mineurs dès la fin de l’année 1596. Le 20 décembre, il reçoit la tonsure, les ordres mineurs : portier, lecteur, exorciste et acolyte. La cérémonie a lieu en la collégiale de Bidache où officie Mgr Salvat Diharse, évêque de Tarbes, le diocèse de Dax n’avait pas d’évêque à l’époque. La famille de Moras habitant à Orthevielle, près de Bidache, connaissait sans doute la famille de Diharse.

Ainsi, dûment tonsuré et engagé dans les ordres, M. Vincent peut commencer les études pour accéder à la prêtrise, à l’université de Toulouse ou celle de Saragosse. Là aussi la question fait débat. Le Père Roman Lazariste insiste sur Saragosse.

La mort de son père, en février 1598, l’aurait fait revenir dans son village. Ensuite, sans argent pour revenir à Saragosse, il transféra son inscription à Toulouse et y acheva sa première année de théologie. Ainsi Toulouse lui certifiera, en 1604, sept années d’études.

Ne voulant pas être à la charge de sa famille, il accepte la direction d’une pension à Buzet sur Tarn à une trentaine de kilomètres de Toulouse où les familles aisées de la région inscrivaient leurs enfants. Il aurait réussi, ensuite, à transférer cette pension à Toulouse.

Vincent reçoit le 19 septembre 1598 le sous-diaconat, puis le diaconat le 19 décembre, toujours des mains de Mgr Salvat Diharse, mais en sa cathédrale de Tarbes.

Le 13 mai 1599, il obtient les lettres dimissoriales pour la prêtrise. Il est dans sa 19e année. Elles sont signées du vicaire général agissant au nom du nouvel évêque, Jean Jacques Dussault. Celui-ci s’installe dans son évêché début 1600. Il rencontre des complications inextricables. Il convoque un synode pour entreprendre de réformer son diocèse, une assemblée s’étant tenue le 18 avril 1600. Les décisions prises concernaient le clergé. Les curés devaient résider en leur paroisse.

Comme les chanoines du chapitre cathédrale avaient refusé d’approuver les décisions du synode, l’évêque ne pouvait officier « pontificalement » et l’affaire dura jusqu’au début de l’année 1604. M. Vincent dut s’adresser à un autre évêque.

Le 23 septembre 1600, M. Vincent profitant d’un temps de vacances, reçoit la prêtrise à l’âge de 19 ans, des mains d’un prélat aveugle et moribond, François de Bourdeilles, évêque de Périgueux qui l’ordonna à Château l’Évêque.

Rappelons que le Concile de Trente exigeait l’âge de 24 ans pour être ordonné, mais le Concile a tardé à être appliqué en France. Jusqu’à l’Assemblée Générale du Clergé de 1615. Comme en 1600, il avait 19 ou 20 ans, il lui fallait peut être un évêque conciliant.

Une première déception, un premier échec l’attend. M. Vincent apprend que son installation à la paroisse de Thilh en Chalosse n’aura pas lieu, pour deux raisons, d’une part parce que M. Vincent continuait ses études à Toulouse, il ne pouvait résider à la cure comme l’évêque de Dax avait insisté au synode diocésain, d’autre part, un autre, M. Saint-Soubé avait obtenu la paroisse de la curie romaine.

Les Voyages de M. Vincent

Premier voyage à Rome en 1601

C’est là qu’il s’ouvrit au Souverain pontife, en la personne de Clément VIII, un pape que M. Vincent a toujours tenu pour saint.

À Rome, il a rencontré des frères qui dirigeaient l’hôpital du St-Esprit et qui se dévouaient pour soigner les pauvres et les mourants. Ils relevaient de l’ordre créé par Camille de Lellis – Les Camiliens : l’une de leurs citations était : « les pauvres sont nos Seigneurs et nos maîtres ».

En 1604, M. Vincent est bachelier en théologie. Il aura donc fait 7ans de théologie.

Vincent entreprend une série de voyages en vue d’obtenir un statut conforme à ses ambitions : le bénéfice d’une honnête retirade.

Il va à Bordeaux, revient à Toulouse puis prend la route de Castres sur un cheval de louage pour une succession. Le vilain s’étend sauvé à Marseille, M. Vincent vendit le cheval de louage et le poursuivit jusqu’à Marseille. Là, il fit emprisonner le fuyard qui lui donna 300 écus des 400 écus qu’il lui devait d’un héritage d’une veuve de Castres.

Vincent décide alors de revenir par la mer jusqu’à Narbonne. Mal lui en prend, le bateau est capturé par les Barbaresques qui conduisent les captifs jusqu’à Tunis. Commencent alors deux années de servitude. Tour à tour, il deviendra la propriété d’un pêcheur, puis d’un médecin spagirique, alchimiste et à demi sorcier, puis d’un neveu du médecin et enfin d’un renégat de Nice avec qui il se sauvera, traversant la méditerranée pour débarquer le 28 juin 1607. On le retrouve à Rome en 1608. Tout cela fait l’objet de deux lettres de captivité. Elles ont fait débat.

Les débuts de son ministère : un homme qui se cherche

À la fin de l’année 1608, M. Vincent débarque à Paris. Il est modestement installé dans une chambre qu’il partage avec un compatriote, Bertrand Dulou, juge de la cité de Sore, au nord de Pouy. Ce logis se situait dans le faubourg Saint-Germain.

C’est au cours des premiers mois de son séjour parisien qu’il arrive à M. Vincent une affaire bien désagréable. Etant immobilisé par la fièvre dans le logis qu’il partage encore avec le juge de Sore, M. Vincent fait appel au commis de l’apothicaire pour lui apporter une potion. Celui-ci réussit à dérober une bourse, avec 400 écus. Le juge, de retour, s’en aperçoit et accuse M. Vincent de vol. Il va même jusqu’à publier un monitoire contre lui.

* Monitoire : terme de jurisprudence ecclésiastique. Le monitoire était publié au cours du prône dans la paroisse, pour obliger les fidèles à venir déposer sur les faits concernés.

Vincent préfère se taire. Quelques mois plus tard, le voleur est découvert et avoue son larcin. Le juge s’excusera. Mais M. Vincent ne parvint à l’oublier. On voit déjà un profond changement chez lui en pratiquant le conseil évangélique : supporter l’injustice sans se plaindre.

Il déménage à la suite de cette affaire. Il cherche un emploi fixe. Un ami, M. Leclerc de la Foret, réussit à lui trouver une place parmi les aumôniers de la Reine Marguerite de Valois : la Reine Margot. Son entrée n’est pas fracassante. Il passe par la porte de service réservée aux multiples distributeurs d’aumônes que la Reine recueillait pour sa tranquillité spirituelle ! De ce poste, il apprend à connaître le Grand Monde, celui des riches, mais aussi l’autre réalité cachée, celle des pauvres.

Vincent n’a pas perdu pour autant sa véritable ambition, l’obtention d’un bon bénéfice et le retour au pays. Le 10 février 1610, il écrit à sa mère :« L’assurance que Monsieur de Saint-Martin m’a donnée de votre bon portement m’a autant réjoui… que le séjour qu’il me faut faire dans cette ville pour recouvrer l’occasion de mon avancement (que mes désastres m’ont ravi) me rend fâché pour ne vous pouvoir aller rendre les services que je vous dois, mais j’espère tant en la grâce de Dieu qu’il bénira mon labeur et qu’il me donnera le moyen de faire une bonne retraite, pour employer le reste de mes jours auprès de vous. J’ai dit l’état de mes affaires à Monsieur de Saint-Martin, qui m’a témoigné qu’il voulait succéder à la bienveillance et à l’affection qu‘il a plu à Monsieur de Comet nous porter. Je l’ai supplié de vous communiquer le tout. (…) Je désirerais aussi que mon frère fit étudier quelqu’un de mes neveux. Mes infortunes et le peu de service que j’ai encore pu faire à la maison lui en pourront possible ôter la volonté ; mais qu’il se représente que l’infortune présente présuppose un bonheur à l’avenir.»

« L’occasion de mon avancement »… « Le moyen de faire une honnête retraite »… « L’état de mes affaires »… Autant d’expressions qui explicitent bien l’Esprit, le projet de M. Vincent en 1610 et sans doute depuis longtemps, rien vraiment de scandaleux ni annonciateur de l’avenir. À 29 ans, M. Vincent pense à l’honnête retirade et pour bientôt.

Le 14 mai 1610, il fait l’acquisition de l’abbaye de Saint-Léonard-de-Chaumes, près de la Rochelle, dont il croit les revenus considérables mais l’affaire se révèle mauvaise et il devra s’en défaire.

Dans l’entourage de la Reine Margot, M. Vincent fait la connaissance d’un « célèbre docteur », qui s’était illustré « en la qualité de théologal » dans la lutte contre les hérétiques. Ce savant fut assailli « par des tentations bien violentes contre la foi ».

À son chevet, M. Vincent eut l’inspiration de prendre sur lui les peines dont souffrait le pauvre théologal. Ce dernier s’éteignit dans la paix, mais M. Vincent connut les affres des doutes et des tentations.

Vincent entre alors dans une des périodes les plus sombres de sa vie. Sa foi chrétienne elle-même vacille et l’on raconte que ne pouvant même plus articuler une prière, il écrivit le Credo sur un papier qu’il touchait de temps à autre en guise d’acte de foi. Il n’en sortira qu’au bout de plusieurs années.

Désemparé, il se confie à M. de Bérulle, ecclésiastique de renom et de grande influence qui fonde l’Oratoire en novembre 1611. M. Vincent y séjournera quelques mois. Puis il accepte la cure de Clichy, alors paroisse rurale de quelques 6000 habitants. Il en prend possession le 2 mai 1612 et y restera seize mois, seize mois au cours desquels il semble retrouver un peu son équilibre. Il est prêtre depuis douze ans et c’est pratiquement la première fois qu’il se trouve en situation pastorale, « au milieu des pauvres gens des champs ». Il y est aussitôt à l’aise et même heureux : « J’étais si content, dira-t-il, que je me disais à moi-même : mon Dieu ! Que tu es heureux d’avoir un si bon peuple… Je pense que le pape n’est pas si heureux qu’un curé au milieu d’un peuple qui a si bon cœur. » (IX, 646.)

Mais alors, pourquoi ne pas rester à Clichy ? C’est que M. Vincent n’a pas encore renoncé à son projet de situation d’honnête retirade ; en septembre 1613 sur présentation de M. de Bérulle, il entre comme précepteur dans la grande famille des de Gondi. C’est une place très enviable et qui remet M. Vincent en relation avec les grands de la société.

C’est vraisemblablement dans cet état d’esprit que les événements de 1617 vont bientôt le surprendre et l’interpeller au point de l’amener à changer radicalement de vie.

Les événements de Dieu Gannes-Folleville et Châtillon-sur-Châralorone

Vincent a été marqué par deux événements fondamentaux et fondateurs qui vont le faire naître véritablement à la miséricorde de Dieu et à la mise en place de la charité.

Deux événements dans son ministère pastoral deviennent pour lui découverte, « illumination ». Pour lui, à Folleville comme à Chatillon, Dieu parle et se révèle dans L’EVENEMENT, et particulièrement dans des événements où les pauvres sont impliqués.

Relisons ces 2 épisodes.

Gannes-Folleville (25 janvier 1617)

Vincent accompagne Mme de Gondi dont il est l’accompagnateur spirituel, dira-t-on aujourd’hui. Et voici qu’on le demande auprès d’un mourant dans le village voisin de Gannes.

Vincent reçoit la confession du vieillard… Et voilà comment M. Vincent raconte la suite :

 « La grâce porta le paysan de Gannes à faire l’aveu public, même devant Mme de Gondi, dont il était vassal, des graves péchés de sa vie passée. « Ah ! Monsieur, qu’est-ce que cela ? dit alors cette vertueuse dame. Qu’est-ce que nous venons d’entendre ? Il est sans doute ainsi de la plupart de ces pauvres gens. Ah ! si cet homme, qui passait pour homme de bien, était en état de damnation, que sera-ce des autres qui vivent plus mal ? Ah ! M. Vincent, que d’âmes se perdent ! Quel remède à cela ? » […] C’était au mois de janvier 1617 que cela arriva ; et le jour de la Conversion de Saint Paul qui est le 25, cette dame me pria de faire une prédication en l’Eglise de Folleville pour exhorter les habitants à la confession générale ; ce que je fis. Je leur représentai l’importance et l’utilité, et puis je leur enseignai la manière de la bien faire ; et Dieu eut tant d’égard à la confiance et à la bonne foi de cette dame (car le grand nombre et l’énormité de mes péchés eussent empêché le fruit de cette action) qu’il donna la bénédiction à mon discours ; et toutes ces bonnes gens furent si touchés de Dieu, qu’ils venaient tous pour faire leur confession générale. Je continuai de les instruire et de les disposer aux sacrements, et commençai de les entendre. Mais la presse fut si grande que, ne pouvant plus y suffire, avec un autre prêtre qui m’aidait, Madame envoya prier les Révérends Pères Jésuites d’Amiens de venir au secours […] Et voilà le premier sermon de la Mission et le succès que Dieu lui donna, le jour de la Conversion de Saint Paul ; ce que Dieu ne fit pas sans dessein en un tel jour. » (XI, 4-5)

« Quel remède à cela ?… » Et c’est Mme de Gondi qui pousse M. Vincent à réagir, c’est elle qui l’engage à prêcher le lendemain, elle qui suggère le thème du sermon, elle enfin qui l’invite à continuer l’expérience dans les autres villages. Sans Mme de Gondi, l’événement de Gannes-Folleville aurait eu beaucoup moins d’importance et de retentissement.

De l’expérience de M. Vincent, on peut faire quelques remarques :

Saint Vincent mesure ici les a­vantages de l’intervention missionnaire par rapport à la « Pastorale sédentaire » du Curé. Au vieillard de Gannes, il était difficile de trouver un prêtre pour se confesser, ce qui devient pour M. Vincent une pauvreté spirituelle. Dans sa lettre au pape URBAIN VIII, de Juin 1628, M. Vincent précisera ce point : « … Les pauvres gens des champs…. meurent souvent dans les péchés de leur jeunesse, pour avoir eu honte de les découvrir à des curés ou à des vicai­res qui leur sont connus et familiers » (I, 45).

  1. L’intervention missionnaire se présente donc comme un complément nécessaire et efficace de la « Pastorale sédentaire ».
  2. Cette expérience de l’Intervention Missionnaire fait naître chez M. Vincent l’idée d’« I­TINERANCE ». Il en est question dans le texte ci-des­sus : « Nous fûmes ensuite aux autres villages qui ap­partenaient à Madame en ces quartiers-là… »
  3. La grande importance accordée à la Prédication et, bien sûr, à la confession générale. Le missionnaire est l’Homme de la Parole et du sacrement de la Confession. D’où, le schéma de la Mission : « les instruire, les disposer aux sacrements, les entendre en confession ».
  4. M. Vincent doit faire appel à d’autres. Déjà, il doit prendre conscience du besoin d’être plusieurs pour faire face à cette pastorale… (XI, 4-5). Ce travail étant contraire aux différents Instituts (XI, 171).
  5. M. Vincent voit les événements et y reste fidèle.
  • Il constate une double ignorance : celle du peuple sur les vérités nécessaires au Salut ; celle des Curés sur la formule de l’absolution.
  • Il perçoit une défaillance concrète de la Foi et prend conscience de cette situation collective et du pressant besoin d’agir.

Vincent a toujours reconnu cette date comme étant le principe de son Œuvre Missionnaire : « Et voilà le premier sermon de la Mission, et le succès que Dieu lui accorda le jour de la conversion de Saint Paul ; Ce que Dieu ne fit pas sans dessein, en un tel jour », (XI, 4).

Pour bien montrer aussi le caractère providentiel de l’origine de la Mission, il confiera plus tard à ses Missionnaires : « Hélas ! Messieurs et mes frères, jamais personne n’avait pensé à cela, l’on ne savait ce que c’était que les Missions, nous n’y pensions point et ne savions ce que c’était, et c’est en cela que l’on reconnaît que c’est une œuvre de Dieu » (XI, 169).

Vincent est parti d’un regard sur la vie, et non d’une théorie sur la Mission. Il reconnaît lui-même que c’est l’amour des pauvres qui explique la tâche de la Compagnie de la Mission : « Allons donc, mes frères, et nous employons avec un nouvel amour à servir les pauvres, et même cherchons les plus pauvres et les plus abandonnés » (XI, 393). […] Déjà se dessine une constante de M. Vincent : Quand il a bien saisi l’évènement, qu’il a compris sa coïncidence avec la volonté de Dieu, c’est alors qu’il passe à l’action. Pour lui, il faut savoir attendre, « ne pas enjamber sur la Providence » (I, 26­-28 ; IV, 123) et puis, quand on est sûr, courir aux be­soins du prochain « comme on court au feu » (XI, 31). (Vincent Depaul, son expérience spirituelle, p. 26. 27. 28)

Châtillon sur Chalâronne (20-23 août 1617)

En voulant être un bon curé de campagne, M. Vincent quitte les Gondi. En fait, c’est une véritable fuite. Pourquoi quitte-t-il les Gondi après le fantastique élan de Folleville ? M. Vincent ne se sent pas lié pour autant aux Gondi. Il pourrait missionner ailleurs… Plusieurs raisons l’incitent au départ.

Un appel de détresse des chanoines, comtes de St Jean de Lyon, navrés de voir les pauvres de Châtillon abandonnés par ses desservants (c’est la raison officielle).

  • Le consentement de Bérulle à aller ailleurs,
  • Le peu d’intérêt pour ses leçons aux enfants des Gondi (I, 21),
  •  L’envahissement excessif de Mme de Gondi (ce sont les raisons cachées),
  • L’appel à se donner aux pauvres, dégagé de toute autre responsabilité, (C’est la raison profonde).

Le 1er août il prend possession de la cure de Châtillon-les-Dombes, l’église de Saint-André de Chatillon, aujourd’hui Chatillon-sur-Chalaronne, près de Bourg-en-Bresse, Ain). Une nouvelle étape commence : l’histoire des charités.

Le film M. Vincent commence à Chatillon. En fait il a été filmé à Pérouges.

Et voici que le 20 août, un deuxième événement l’interpelle et l’aide à mieux découvrir ce que Dieu veut de lui. Voici ce qu’il raconte de cet événement :

 « J’étais curé en une petite paroisse, quoiqu’indigne. On me vint avertir qu’il y avait un pauvre homme malade et très mal accommodé en une pauvre grange, et cela lorsque j’étais sur le point d’aller faire le prône. […] On me dit son mal et sa pauvreté, de telle sorte que, pris de grande compassion, je le recommandai fortement et avec tant de ressentiment que toutes les en furent touchées. Il en sortit de la ville plus de cinquante ; et moi, je fis comme les autres, le visitai et le trouvai en tel état que je jugeai à propos de le confesser ; et comme je portais le Saint Sacrement, je rencontrai des femmes par troupe et Dieu me donna cette pensée : « Ne pourrait-on point réunir ces bonnes dames et les exhorter à se donner à Dieu pour servir les pauvres malades ? » (IX, 208-209)[…] Dans un autre passage car il y en a deux, il dira «Je proposai à toutes ces bonnes personnes que la charité avait animées à se transporter là, de se cotiser, chacune une journée, pour faire le pot non seulement pour ceux-là, mais pour ceux qui viendraient après ; et c’est le premier lieu où la Charité a été établie.» (IX, 244)

Trois jours plus tard est effectivement constituée une association de dames chargées de visiter, de soigner, de nourrir tous les pauvres malades « à domicile » de la paroisse. C’est la toute première fondation de M. Vincent. Ce sont aujourd’hui les Equipes St-Vincent…

On reconnaît là, M. Vincent le réaliste : le paysan avisé prompt à s’émouvoir, puis à réfléchir.

Sa stratégie, elle, est des plus intéressantes : il s’agit d’être efficace et pour cela d’organiser un tour de garde. L’expression « faire le pot » est significative de l’extrême nécessité. C’est le mercredi 23 août 1617 que cette association est mise sur pied pour palier à une charité. On possède l’original de ce règlement provisoire ainsi que le règlement définitif, l’approbation de l’archevêque de Lyon et le procès-verbal signé par ce dernier. Il a été découvert en 1839 dans les archives de la Mairie de Chatillon-sur-Chalaronne, cf. XIII, 423 ss). L’essentiel est prévu, par exemple, la nécessité de se faire remplacer.

Deux buts précis sont alors assignés à l’association : « médeciner, guérir le corps, en prendre soin» et exhaler l’âme. Deux êtres y jouent un rôle complémentaire : le Christ qui impute à lui-même le bien fait aux pauvres « Ce que vous faites à l’un de ces petites, c’est à moi que vous le faites… » et la Vierge Marie celle qui « étant invoquée et prise pour patronne aux choses d’importance, il ne se peut que tout n’aille à bien et ne redonde à la gloire du bon Jésus son Fils. »

Trois, quatre mois s’écoulent avec cette mise sur pied transitoire. L’expérience aidant, les usagers et M. Vincent préparent un texte définitif : celui-ci est daté du 12 décembre 1617, et ce texte est connu sous le nom de : « Règlement de Châtillon. » (XIII, 423-439)

Les historiens ne tarissent pas d’éloges sur l’excellence de ce document : Dodin dit : « un chef d’œuvre d’organisation et de tendresse ». Et de Mr Roman : « Admirable page de civilité et de charité chrétienne. »

« Celle qui sera en jour, ayant pris ce qu’il faudra de la trésorière pour la nourriture des pauvres en son jour, apprêtera le dîner, le portera aux malades, en les a bordant les saluera gaiement et charitablement, accomodera la tablette sur le lit, mettra une serviette dessus, une gondole et une cuillère et du pain, fera laver les mains aux malades et dira le Benedicite, trempera le potage dans une écuelle et mettra la viande dans un plat, accomodant le tout sur ladite tablette, puis conviera le malade charitablement à manger, pour l’amour de Jésus et de sa sainte Mère, le tout avec amour, comme si elle avait affaire à son propre fils ou plutôt à Dieu, qui impute fait à lui-même le bien qu’elle fait aux pauvres […] Elle lui dira quelque petit mot de Notre-Seigneur, en ce sentiment tâchera de le réjouir s’il est fort désolé, lui coupera sa viande, lui versera à boire, et l’ayant mis en train manger, s’il a quelqu’un auprès de lui, le laissera et ira trouver un autre pour le traiter de la même sorte, se ressouvenant de commencer toujours par celui qui a quelqu’un avec lui et de finir par ceux qui sont seuls, afin de pouvoir être auprès d’eux plus longtemps ; puis reviendra le soir leur porter à souper avec même appareil et ordre que dessus. » (XIII, 423-428)

L’évènement de Châtillon, comme celui de Folleville, sont peut-être ordinaires mais M. Vincent a, lui, la conviction que dans l’un et l’autre cas, c’est Dieu qui s’est clairement manifesté. Par la suite, quand M. Vincent parlera de la Congrégation de la Mission et de la Compagnie des Filles de la Charité, il affirmera toujours que tout a vraiment commencé à Folleville et à Châtillon.

Vincent ne se contente pas d’en rester à une compassion sans engagement. Il prend au sérieux toute personne en sa pauvreté. Il ne s’arrête pas à l’observation, il passe à l’action. Il a compris que le seul langage à tenir, celui qui touche les cœurs est celui de l’action. C’est ce qu’il nomme « passer de l’amour affectif à l’amour effectif ».

 « L’amour affectif, c’est la tendresse dans l’amour. Vous devez aimer Notre-Seigneur tendrement et affectionnément, comme un enfant qui ne peut se séparer de sa mère et crie « Maman » dès qu’elle se veut éloigner. Ainsi un cœur qui aime Notre-Seigneur ne peut souffrir son absence et se doit tenir à lui par cet amour affectif, lequel produit l’amour effectif. Car le premier ne suffit pas, mes sœurs ; il faut avoir les deux. Il faut de l’amour affectif passer à l’amour effectif, qui est l’exercice des œuvres de la Charité, le service des pauvres entrepris avec joie, courage, constance et amour. Ces deux sortes d’amours sont comme la vie d’une sœur de la Charité, car être Fille de la Charité, c’est aimer Notre-Seigneur tendrement et constamment […] L’amour des Filles de la Charité n’est pas seulement tendre ; il est effectif, parce qu’elles servent effectivement les pauvres, corporellement et spirituellement », (Conférence du 9 Février 1653).

RETOUR À PARIS : RENCONTRES ET INFLUENCES

Dans la vie de M. Vincent, certains événements deviennent événements de Dieu, mais certaines rencontres vont aussi l’influencer et devenir événements de Dieu.

Des rencontres qui l’influencèrent et manifestèrent la présence de Dieu.

C’est une véritable coalition qui se forme chez les Gondi pour que l’Aumônier revienne. On fait également pression auprès de M. de Bérulle afin que M. Vincent obtempère à ses volontés. Le 23 décembre 1617, il est à nouveau à Paris.

Mais dorénavant le voici véritablement missionnaire. En février 1618, il est à Villepreux, puis missionne à Joigny et dans les villages alentour – Villecien et Paroy-sur-Tholon. À Joigny, une charité est créée sous l’impulsion de Mme de Gondi. À cet effet, « elle offre le produit des péages prélevés auprès des mariniers qui passent les dimanches et jours de fêtes sous les ponts de la cité. » (Le Précurseur. M. Pujo, p. 95). M. Vincent rencontre à Villecien Mlle du Fay qui sera la grande bienfaitrice de ses œuvres. Puis une autre mission à Montmirail en Champagne l’attend.

Entre le 7 novembre 1618 et le13 septembre 1619, Vincent rencontre François de Sales dont il avait déjà lu l’ouvrage intitulé : « L’Introduction à la vie dévote » (1608) et « Le Traité de l’Amour de Dieu » (1616).

Combien de fois a-t-il conversé avec François de Sales ? Difficile à dire. Ce qui est sûr, sa rencontre avec François de Sales va jouer un rôle déterminant dans sa vie ; M. Vincent sera influencé par leurs longues conversations.

« Il sera marqué, à tout jamais, par les vertus de François de Sales : sa douceur, sa bonté et son humilité ». (Le Précurseur, p. 99). M. Vincent essaiera de suivre ce modèle. Vincent, au procès de béatification déclarera « J’ai été souvent honoré de sa familiarité… j’étais porté à voir en lui l’homme qui m’a le mieux reproduit le Fils de Dieu sur terre… sa douceur et sa bonté débordaient sur ceux qui avaient la faveur de ses entretiens, et j’en fus [1]. »

Compréhension et estime, voilà ce qui caractérise ces deux hommes de foi.

 C’est à la demande de François de Sales qu’arrive à Paris Jeanne Françoise Frémiot de Chantal, qui le 1er mai, inaugure le pre­mier établissement de la Visitation à Paris. À l’origine les Visitandines devaient visiter les pauvres et les malades d’où le nom de visitation, et donc ne pas être cloîtrées. Mais devant l’opposition de l’archevêque de Lyon, François de Sales a dû y renoncer. En recevant cette confidence, M. Vincent saura profiter de l’intuition de François de Sales pour mener à bien son projet des Filles de la Charité qui ne seront pas cloîtrées. M. Vincent, collaborateur de Monseigneur de Genève, collaborera également avec Sainte Jeanne de Chantal puisque c’est à la demande de Monseigneur de Genève et avec l’accord de l’archevêque de Paris qu’il deviendra supérieur de la maison des visitandines de Paris. Ste Jeanne lui demandera d’être également son conseiller spirituel. M. Vincent aura une vision à la mort de Sainte Jeanne :

 Vision des trois globes :

« Cette personne m’a dit qu’ayant eu nouvelle de l’extrémité de la maladie de notre défunte, elle se mit à genoux pour prier Dieu pour elle, et que la première pensée qui lui vint en l’esprit fut de faire un acte contrition des péchés qu’elle a commis et commet ordinairement, et qu’immédiatement après il lui parut un petit globe de feu, qui s’élevait de terre et s’alla joindre en la supérieure région de l’air à un autre globe plus grand et plus lumineux, et que les deux, réduits en un, s’élevèrent plus haut, entrèrent et se resplendirent dans un autre globe infiniment plus grand et plus lumineux que les autres, et qu’il lui fut dit intérieurement que ce premier globe était l’âme de notre digne Mère, le second celle de notre bienheureux Père et l’autre l’essence divine, que l’âme de notre digne Mère s’était réunie à celle de notre bienheureux Père, et les deux à Dieu, leur souverain principe. » (Coste 34 – 125-128)

D’autres hommes marqueront M. Vincent.

Monsieur de Bérulle comme nous l’avons déjà vu. M Vincent prendra par la suite ses distances vis-à-vis de lui. Monsieur de Bérulle manifestera une certaine hostilité à ses projets.

André Duval, professeur de théologie à la Sorbonne qui est le véritable conseiller de M. Vincent et de la Congrégation naissante. C’est M. Duval qui fit connaître Benoît de Canfield à M. Vincent et M. Vincent s’inspirera quelquefois de son ouvrage : « La Règle de Perfection ».

Un ami Jean du Vergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran. Là aussi, c’est une vraie amitié, malgré leurs divergences quand l’enseignement de Saint Cyran devint un danger pour les âmes.

Vincent reste toujours fidèle à son ami en témoignant en sa faveur (XIII, 86-93) devant le Juge ecclésiastique, sans oublier Sainte Thérèse et Ignace de Loyola.

C’est tout ce milieu spirituel de la première partie du XVII° siècle qui a influencé M. Vincent.

Aumônier des Galères

On a tous à l’esprit, l’image de M. Vincent qui prend la place d’un galérien. La véracité de cette histoire a toujours éveillé des doutes chez les biographes, même si elle a été confirmée par des témoins au procès de béatification (Abelly laisse entrevoir une certaine hésitation et Collet la combat vigoureusement). Ce qui est plus recevable des biographes modernes est que M. Vincent ait été appelé à la construction d’un hôpital en faveur des galériens de Marseille. Le projet n’ayant pas abouti, faute de fonds, l’idée vint à M. de Gondi de créer la charge d’Aumônier royal des galères et de la confier à M. Vincent.

Le 8 février 1619, M. Vincent devient Aumônier général des Galères. Le 12 février 1619, il prête serment. Aussitôt M. Vincent visite ses pauvres paroissiens, à Paris, à Marseille. À Paris, les forçats étaient placés dans une maison de louage, transformée en prison, près de St-Roch, d’où son nom, prison de St-Roch.

Il leur prêche même une mission à Marseille en 1622 et à Bordeaux en 1623.

Terminons par un dernier événement : l’épisode de Marchais (1620-1621) (X1, 34-37) qui a confirmé l’intuition de M. Vincent, à savoir : « le pauvre peuple se damne et les prêtres ne s’en soucient pas ».

En 1620, en prêchant une mission dans la paroisse de Montmirail, village de Champagne, M. Vincent est confronté à un huguenot. (En fait 3 huguenots. Il en fait le récit pour encourager ses missionnaires à persévérer dans leur vocation. M. Vincent raconte son entretien avec un hérétique qui se convertira.

Ce protestant fait des objections contre l’Eglise catholique : « Monsieur, vous m’avez dit que l’Eglise de Rome est conduite du Saint Esprit, mais c’est ce que je ne puis croire, parce que, d’un côté, l’on voit des catholiques de la campagne abandonnés à des pasteurs vicieux et ignorants…..et d’un autre, l’on voit les villes pleines de prêtres et de moines qui ne font rien ; et peut-être que dans Paris il s’en trouverait dix mille, qui laissent cependant ces pauvres gens des champs dans cette ignorance épouvantable par laquelle ils se perdent. Et vous voudriez me persuader que cela soit conduit du Saint-Esprit ! Je ne le croirai jamais  » (XI, 34- 37).

Vincent essaiera bien d’argumenter en disant que « les prêtres inutiles ne sont pas l’Eglise. » Rien n’y fait.

« Un an après, il donne une Mission à Marchais ; le protestant y assiste. Il voit le soin apporté à l’instruction ; il en est profondément bouleversé au point de retrouver le chemin de la Foi. » (Vincent Depaul. Son Expérience spirituelle. p. 36)

Telle est la confirmation de Folleville. La mission est nécessaire. La conversion de ce protestant huguenot en est l’expression.

Les gens des champs sont abandonnés. Il faut que l’Eglise revienne aux Pauvres et ainsi elle redeviendra l’Eglise de Dieu, d’où la nécessité impérieuse d’un renouveau sacerdotal.

C’est ce à quoi M. Vincent en abordant la quarantaine va tendre, exploitant toutes les expériences acquises qui ont façonné son être. C’est dorénavant l’heure des grandes réalisations et le temps des fondations.

NAISSANCE DE LA CONGRÉGATION DE LA MISSION

Mais pour cela, il faut fonder une Congrégation et avoir sa propre maison pour accueillir les membres de la nouvelle Congrégation. M. Vincent a toutes les peines du monde à trouver des prêtres qui acceptent de l’accompagner dans ses missions à la campagne. Il ne s’en trouve qu’un, le père Antoine Portal. C’est après avoir consulté l’archevêque de Paris que les Gondi suggèrent à M. Vincent de fonder lui-même une Congrégation. Mme de Gondi est déjà malade et elle souhaite que l’affaire soit conclue. Le collège des Bons-Enfants étant presque vide, l’archevêque de Paris donne son accord pour le mettre à la disposition de M. Vincent. (Louis de Guyart, docteur en théologie cède sa charge et le 1er mars 1624.)

Voilà M. Vincent, Principal du Collège des Bons-Enfants, et disposant d’une maison en compagnie de son fidèle adjoint : Antoine Portail. Dès lors, tout va très vite.

C’est le 17 avril 1625 que prend naissance la Congrégation de la Mission par un contrat. Celui-ci est un contrat d’association des premiers missionnaires en l’hôtel de la rue Pavée, paroisse St Sauveur : « La pieuse association de quelques ecclésiastiques de doctrine, piété et capacité connues […] pour […] s’appliquer entièrement et purement au salut du pauvre peuple, allant de village en village […] prêcher, instruire, exhorter et catéchiser ces pauvres gens et les porter à faire une bonne confession générale de toute leur vie passée. » (XIII, 197-205)

On note l’importance de l’itinérance, aller de village en village, (villes exclues) sur les terres des Gondi, et renoncer à tout bénéfice.

On a besoin de six ecclésiastiques et d’un supérieur. Enfin, M. Vincent est tenu de résider auprès des Gondi. Les Gondi remettent la somme de 45000 livres à M. Vincent.

Le 23 juin 1625, deux mois après, meurt Mme de Gondi, Françoise-Marguerite de Silly, épouse de Philippe-Emmanuel de Gondi.

Finalement, c’est Philippe Emmanuel de Gondi, ex général des galères, une fois entré à l’Oratoire, qui rendra à M. Vincent sa liberté en 1626.

Les débuts sont très modestes. Quand M. Vincent part en mission, il laisse le collège vide à ses voisins. Pourtant M. Vincent n’a de cesse de faire avancer la reconnaissance de la nouvelle Compagnie. « L’archevêque de Paris, Jean-François de Gondi, approuve officiellement, le 24 avril 1626, l’œuvre créée « par notre très cher frère Philippe-Emmanuel de Gondi […] et par notre chère sœur, dame Françoise-Marguerite de Silly […] de quelques ecclésiastiques qui s’emploient aux misions à catéchiser, prêcher et faire confession générale au pauvre peuple des champs ». Ces quelques ecclésiastiques ne sont encore que quatre lorsqu’ils signent, le 4 septembre, un acte d’association devant notaire et garde-notes du roi au Châtelet de Paris. Le même jour M. Vincent fait donation à sa famille de tous ses biens. » (cf. M. Pujo – Fondation de la Congrégation de la Mission, p. 111.)

Le projet de M. Vincent va susciter de l’hostilité, notamment de la part de Pierre de Bérulle, élevé au cardinalat en 1627, qui ne voit pas d’un bon œil l’entreprise de son ancien disciple.

Ce sera le tour des curés de la capitale qui se dresseront contre les lettres patentes par lesquelles le roi a approuvé la Mission. Ce qui n’empêchera pas le Parlement d’enregistrer en sa séance du 4 avril 1631, les lettres patentes du roi en faveur « des prêtres de la Mission ».

Vis-à-vis de Rome, M. Vincent devra s’y reprendre à plusieurs fois. Il envoie François du Coudray à Rome en 1631, avec la consigne de suivante : « Vous devez faire entendre que le pauvre peuple se damne faute de savoir les choses nécessaires au salut et faute de se confesser. Que si Sa Sainteté savait cette nécessité, elle n’aurait point de repos qu’elle n’eût fait son possible pour y mettre ordre… »

Finalement, le pape Urbain VIII prononce la reconnaissance officielle de la Congrégation de la Mission, en signant le 12 janvier 1633, la bulle Salvatoris Nostri.

Par elle, M. Vincent voit ses pouvoirs étendus. Ce n’est plus une association, c’est une Congrégation de la mission. Elle est donc exempte.

Sainte Louise de Marillac

Il faut maintenant parler de Ste Louise De Marillac. Disons-le, une vraie amitié, profonde, respectueuse de leurs personnalités, réunit ces deux grands saints. Et pourtant, ce ne fut pas facile pour elle.

Elle est née le 12 août 1591. Sa mère est inconnue. Elle est donc la fille naturelle de Louis De Marillac qui l’a reconnue. Elle en est profondément marquée. Très tôt, son Père la place au couvent royal de Poissy. Elle y rencontre l’affection de sa Grand tante mère Louise De Marillac, dominicaine et humaniste. Elle bénéficie de cette ferveur religieuse dominicaine et connaît la spiritualité de Ste Catherine de Sienne. À noter qu’à cette époque, la supérieure était une Gondi. À treize ans, elle perd son père le 25 juillet 1604. Louise est alors placée par son oncle et tuteur Michel De Marillac (1560-1632) dans un foyer parisien pour jeunes filles nobles. Elle embrase le Paris dévot et fréquente alors les capucines du Faubourg Saint-Honoré, les « Filles de la Croix » et pense à devenir l’une d’entre elles.

Mais, Michel De Marillac et son beau-frère Octavien Doni d’Attichy (mort en 1614) décident de lui faire épouser un petit fonctionnaire, Antoine Le Gras, (1577-1625), simple écuyer, mais honnête homme de la reine mère, Marie de Médicis. Ils se marient le 5 février 1613 en l’église de Saint-Gervais. Louise sera toujours appelée « Mademoiselle ».

Antoine tombe malade. Louise, persuadée d’avoir été infidèle à sa promesse d’être religieuse est envahie par un profond sentiment de culpabilité. Elle se met à douter de tout, de l’immortalité de l’âme, et même de l’existence de Dieu. C’est en la fête de la Pentecôte de 1623 qu’elle retrouve la certitude de la foi. En même temps, sa mission est précisée ; elle sera en une petite communauté aux services des pauvres. Elle ne comprend pas comment cela pourra se réaliser. Tout cela est relaté dans le texte de la « Lumière de la Pentecôte ». Un nouveau directeur lui est présenté, un prêtre de 40 ans : M. Vincent.

Antoine Le Gras meurt paisiblement le 21 décembre 1625. Louise, avec peu de ressources et un fils Michel de 12 ans, qui sera source de préoccupation, vient habiter rue St-Victor, non loin du Collège des Bons-Enfants dont M. Vincent  est le supérieur. « Dieu a un autre dessein pour vous ». Avec patience et bonté, il l’aide à se décentrer d’elle-même. Commence alors un long travail. M. Vincent et Louise se découvrent à travers lettres et rencontres. Louise fait entièrement confiance à M. Vincent, homme simple, rempli d’amour.

Vincent découvre chez Louise De Marillac une riche personnalité qui ne demande qu’à se révéler et s’épanouir.

Cependant les « Confréries de la Charité » se multipliant, certaines sont très vivantes, tandis que d’autres sont plus difficiles. Il faut être présent pour œuvrer au bon fonctionnement.

En mai 1629 M. Vincent envoie Louise visiter la Confrérie de Montmirail. Conscient de ce premier départ, M. Vincent lui donne un « ordre de mission. » Le voici : « Allez donc, Mademoiselle, allez au nom de Notre Seigneur. Je prie sa divine bonté qu’elle vous accompagne, qu’elle soit votre soulas (soulagement – consolation) en votre chemin, votre ombre contre l’ardeur du soleil, votre couvert à la pluie et au froid, votre lit mollet en votre lassitude, votre force en votre travail et qu’enfin il vous ramène en parfaite santé et pleine de bonnes œuvres. » (Doc 26)

Devenant ainsi Missionnaire de la Charité, Louise parcourt les routes de France : Saint-Cloud, Villepreux, Beauvais, Montreuil, Pontoise, Villeneuve-Saint-George, Liancourt, Loisy-en-Brie, Gournay-sur-Aronde, Asnières. Elle réunit les membres de l’association, les encourage dans leur travail et ranime leur ferveur. Son enthousiasme est communicatif. Cependant, aux yeux de M. Vincent, un problème subsiste.

Ces dames de la Charité ont une réelle répugnance quand il faut porter la marmite de soupe dans les taudis. Certaines suffoquent à la vue et à l’odeur qui s’en dégage. Elles envoient leurs servantes pour les remplacer.

Vincent va trouver la solution au cours d’une mission dans les environs de Suresnes

Il y rencontre une paysanne : Marguerite Naseau, désireuse de servir les pauvres. M. Vincent voit en cette rencontre un nouvel « Evénement de Dieu », la réponse à comment servir les pauvres.

Marguerite, âgée de trente-quatre ans, avait appris à lire en gardant les vaches. M. Vincent l’envoie auprès de Louise De Marillac. Celle-ci s’émerveille de l’ardeur de Marguerite.

Rapidement, d’autres filles de la campagne se présentent pour aider les Dames des différentes Confréries de la Charité de Paris, si bien que Louise a une intuition : « Ne faudrait-il pas qu’elle se consacre à la formation et au soutien de ces filles en vivant en communauté » ?

 La mort de Marguerite Naseau, des suites de la peste, en février 1633, interpellera autant Louise que M. Vincent. Pourtant celui-ci hésite. « Peut-on, alors que les couvents accueillent surtout des demoiselles de la noblesse ou de la bourgeoisie, proposer à des paysannes de se consacrer à Dieu, de former une communauté religieuse ? » (Petite vie de Louise De Marillac).

Finalement, en accord avec M. Vincent, Louise De Marillac réunit, en 1633, quelques filles toutes simples. Ainsi naquirent celles qui vont devenir les très célèbres « Filles de la Charité ». La fondation des Filles de la Charité est une création originale et audacieuse, surtout à cette époque.

Ce sont des religieuses sans voile ni vœux, « elles auront pour monastères les maisons des malades et celle où demeure la Supérieure. Pour cellule, une chambre de louage. Pour chapelle l’église paroissiale. Pour cloître, les rues de la ville. Pour clôture, l’obéissance. Pour grille, la crainte de Dieu. Pour voile, la sainte modestie. Pour profession, la confiance continuelle dans la Providence, l’offrande de tout ce qu’elles sont ». (Extraits des « Entretiens » aux « Filles de la Charité »). Vêtues simplement en gris, à peu près comme les jeunes filles pauvres de l’époque, les « Filles de La Charité » se développent très vite et s’efforcent d’être présentes au monde, à tous les rendez-vous de la misère…

Au service des prêtres

Venons-en à la formation des prêtres. Le Père Roman dans son livre Saint Vincent de Paul disait ceci : «M. Vincent était lent, quasi désespérément lent, quand il n’avait pas vu avec clarté la volonté de Dieu. Par exemple, dans l’acceptation de Saint Lazare, il mit un an à s’y résoudre. Mais une fois que la volonté divine s’était manifestée à travers un événement, à travers un ordre de l’autorité, ou travers le conseil d’une personne spirituelle, M. Vincent se décidait alors avec une rapidité surprenante. » (p. 279) Ce fut le cas pour les Conférences du mardi. Une fois de plus, Vincent crut entendre la voix de Dieu…

Parmi toutes les activités apostoliques de M. Vincent, il faut souligner ce qu’il a fait pour la « formation initiale et permanente » des prêtres.

Pour M. Vincent, l’expérience des missions auprès des gens de la campagne a nourri en lui cette conviction que si le peuple est ignorant des vérités de la foi, la faute en incombe principalement aux prêtres, d’où pour lui le sentiment de l’urgence du service de la formation des prêtres. « S’employer pour faire de bons prêtres et y concourir comme cause seconde et efficiente instrumentale, c’est faire l’office de Jésus-Christ qui, pendant sa vie mortelle semble avoir pris à tâche de faire douze bons prêtres, qui sont ses apôtres, ayant voulu, pour cet office, demeurer plusieurs années avec eux pour les instruire et les former à ce divin ministère ». (XI, 8)

L’activité de M. Vincent va prendre trois formes principales.

Les exercices des ordinands.

Au cours de l’été 1628, M. Vincent rencontre l’évêque de Soissons, Monseigneur Augustin Poirier. Celui-ci pensait réformer son clergé au moyen d’une retraite qui serait donnée aux futurs ordonnés. Au cours de cette entrevue, l’évêque sollicite M. Vincent pour prêcher cette retraite en septembre. Tels furent les premiers exercices des ordinands. Cela fut un tel succès que pareille formule fut reprise à Paris, puis dans de nombreux diocèses. À Rome, ils seront déclarés obligatoires par le pape Alexandre VII.

La Bulle d’approbation « Salvatoris Nostri », du 12 janvier 1633, les mentionne comme l’une des œuvres principales de la Congrégation. Ces exercices duraient de 10 à 15 jours, avant l’ordination. On enseignait l’oraison mentale, la théologie pratique et nécessaire, les cérémonies de l’Eglise. (I, 309) M. Vincent demandait aux « formateurs » d’édifier les ordinands, surtout par l’humilité et la modestie. Dans le contexte de l’époque, c’était un instrument d’une grande importance qui fera naître d’autres réalisations.

Les Conférences des mardis.

Les Conférences des mardis sont dans la continuité des exercices des ordinands et cela à partir de 1633. Ce sont d’anciens ordinands qui ont demandé à M. Vincent de pouvoir continuer, après leur ordination, un travail spirituel et pastoral commencé lors des exercices. « Pourquoi ne nous réunissez-vous pas, M. Vincent, en une association qui aurait pour objet de maintenir vivante en nous la ferveur de ces premiers moments » (Abelly, op. cit., 1.2, c.3, p. 246).

Ces conférences étaient des rencontres des prêtres où l’on « conférait » dans un esprit de partage à la fois simple et structuré sur la pastorale, les vertus chrétiennes etc… Un certain nombre de prêtres se retrouvaient ainsi à Saint Lazare chaque mardi pour un temps d’échange, de prière et de renouvellement de leur zèle sacerdotal : Olier, Jean Eudes, et le célèbre Bossuet. Un règlement fut établi à cet effet. (XIII, 128-132) On y apprend la manière dont se déroulaient les Conférences du mardi :

« On commence la conférence par l’invocation du Saint Esprit […] Puis on traitera de quelque vertu propre aux ecclésiastiques, dont on aura donné le sujet dans l’assemblée précédente, et sur laquelle chacun rapportera humblement et simplement, de parole ou par écrit, les pensées que Dieu lui aura données sur les motifs de cette vertu, sa nature et les moyens de les biens pratiquer ». (XIII, 130-131)

C’était donc un temps où les participants dialoguaient, s’enrichissaient et se confortaient mutuellement, comme une sorte de révision de vie pastorale, sur la manière de vivre le ministère.

Les grands séminaires.

Bien que les exercices des ordinands portassent du fruit, cela ne suffisait pas. Aux yeux de M. Vincent, la durée des retraites était trop brève pour assurer une vraie formation, d’où la formule des séminaires. Parallèlement aux autres établissements analogues (Saint-Sulpice, 1641-1642, Caen 1643), M. Vincent fonde des maisons pour adultes : aux Bons-enfants en 1642, puis à Annecy et à Alet. Il faut noter que le séminaire de M. Vincent avait son originalité. On insistait sur la formation spirituelle, sur la pratique pastorale ainsi que sur la vie communautaire. À ces confrères qui répugnent à être au service des séminaires, il dira « Ce serait une tromperie, et grande tromperie, à qui ne voudrait s’appliquer à faire de bon prêtres, et d’autant plus qu’il n’y a rien de plus grand qu’un prêtre. » (XII, 85)

Conclusion

Concluons en reprenant ce que dit le Père François Becheau : « Nous gardons, pour la plupart, dans le subconscient de notre mémoire, l’image bien connue du petit Saint glissant furtivement dans les rues glacées de Paris enveloppant douillettement dans sa vaste houppelande un pauvre bébé abandonné sous un porche d’une église est pleinement justifiée. L’œuvre des « Enfants abandonnés » sauve et élève peut-être jusqu’à dix mille bébés en vingt ans. De 1640 à 1660 M. Vincent reçoit les échos de toutes les détresses : les réfugiés de la guerre de Lorraine et les mendiants de toutes sortes pullulent dans la capitale. Le gouvernement est désarmé.

Vincent était opposé aux grandes concentrations de pauvres dans des hospices spécialisés et contre les mesures royales autoritaires, mais il accepta d’envoyer dans ces établissements, comme à la « Salpetrière », des Dames de la Charité pour humaniser cet « enfermement ».

Les prisonniers sont affreusement traités, ils « pourrissent vivants », apprend-il. Il va leur rendre visite, milite auprès de leurs responsables pour l’amélioration de leur sort et les fait visiter. De même pour les galériens dont il connaît bien le sort. Il leur envoie des Sœurs, fait ouvrir des infirmeries aux Galères et recommande aux puissants de mieux les traiter.

Car M. Vincent a l’oreille des puissants. Il est tellement connu ! Il intervient déjà auprès de Richelieu, mais en vain, pour faire cesser l’intervention royale très brutale en Lorraine. Il est présent au chevet de Louis XIII mourant. Sa veuve, Anne d’Autriche, la Régente, le prend comme confident et confesseur. Il devient alors membre du « Conseil de Conscience » qui est une sorte de Ministère des Affaires religieuses. Il y prend force position face aux jansénistes. Il s’efforce de faire nommer des évêques dignes.

Il avoue alors à un ami : « Je n’ai jamais été plus digne de compassion que je ne suis, ni, n’ai eu plus besoin de prières qu’à présent dans ce nouvel emploi. J’espère que ce ne sera pas pour longtemps ». Il y resta en fait dix ans, de 1642 à 1652. Son rayonnement est alors immense. Il dépasse les frontières du Royaume. De son vivant, ses œuvres s’organisent en Irlande, à Rome, à Alger, à Tunis, à Madagascar, en Pologne ; il en apprendra, avec une grande émotion, le martyre de ses premiers fils et de ses premières filles.

Une vie étonnante ! Elle s’est déployée dans les registres les plus divers : la pastorale rurale, la formation du clergé et des laïcs, les galériens, les prisonniers, les pauvres et les malades, mais aussi les grands de ce monde et le conseil royal… Il est partout. Il fait preuve d’une énergie et d’une capacité d’organisateur hors du commun. Son impact est considérable.

Soulignons ici le trait, peut-être le plus remarquable, de cette merveilleuse destinée : son unité de vie. Le même en toute simplicité partout et toujours, que ce soit auprès des humbles Filles de la Charité, des Séminaristes, des Grands du Conseil de Conscience.

Il est le même partout parce qu’il est vrai, sans pose aucune, dépossédé de lui-même et habité par un amour sans mesure du petit, du pauvre, du marginalisé… » (François Becheau. SJ. M. Vincent)

  1. Vincent meurt le 27 septembre 1660.

Devant une telle existence, relisons ce que disait l’historien Daniel Rops :

« L’Histoire voit en lui un des hommes les plus considérables de son temps, à tel point qu’il n’est nul manuel, ni laïc qu’il se veuille, qui ne lui fasse une place. Initiateur du sens social à une époque où achevait de se rompre la solidarité de la cité, de la commune qui, au Moyen âge, soulageait les misères et où, cependant les guerres et les désordres rendaient plus que jamais indispensables l’entraide et le secours mutuel, il a su associer toutes les classes dans un même effort pour soulager la misère des hommes, susciter tant de générosité individuelles que la face de la France en a été changée [2] ».

NOTES

[1]Déposition de Vincent de Paul au procès de béatification de François de Sales », 17 avril 1628 (S.V. XIII, 66 à 84).

[2]. Daniel Rops, « Eglises des temps classiques », p. 60.

[i]« L’année 1580 a en sa faveur le fait que le mardi de Pâques (qui est la seule référence concrète d’Abelly) tombait cette année le 5 avril, fête de saint Vincent Ferrier, ce qui pourrait expliquer le prénom de Vincent que l’on a donné à l’enfant qui venait de naître. Saint Vincent de Paul professa toujours une grande dévotion au dominicain valencien et l’avait comme second patron », Abelly, op. cit., 1, 3, C. 9, p. 94 ; José Maria ROMAN, Saint Vincent de Paul, p. 21

Vincent de Paul, qui es-tu ?

Conférence donnée à St-Just en Chaussée (Oise) le 15 décembre 2016

Vincent de Paul, qui es-tu ? Telle est l’appellation de cette troisième conférence. Et personnellement, je la trouve très judicieuse. Car pour nous, hommes et femmes du XXIe siècle, M. Vincent nous parle encore. Nous avons toujours à le redécouvrir car sa figure fait partie de ces géants qui ont marqué leur époque.

QUELQUES ÉLEMENTS BIOGRAPHIQUES SUR M. VINCENT

Vincent de Paul, qui es-tu ? Telle est l’appellation de cette troisième conférence. Et personnellement, je la trouve très judicieuse. Car pour nous, hommes et femmes du XXIe siècle, M. Vincent nous parle encore. Nous avons toujours à le redécouvrir car sa figure fait partie de ces géants qui ont marqué leur époque. Nous sommes loin d’avoir épuisé la richesse de sa personnalité et de son œuvre. Aujourd’hui bon nombre d’ouvrages paraissent encore sur lui. Le dernier en titre est de Marie-Joëlle Guillaume.

Vincent est né le 28 mars 1581, ou encore 1580, plus précisément le 5 avril 1580 [i]. Il est le fils d’un paysan, Jean de Paul, propriétaire d’un petit domaine et d’une maison, surnommée « Ranquines ». En langage patois landais, cela signifie « le boiteux », car son père claudiquait. Etait-ce un accident ou une maladie, on l’ignore.

Ranquines est situé sur le territoire de la paroisse de Pouy, au nord de Dax. L’origine du nom de la famille viendrait du ruisseau de Paul qui croise à mi-distance la route reliant la maison natale au sanctuaire de Buglose ou encore une maison du même nom située à Buglose. Mais aucun document ne l’atteste.

L’origine du patronyme peut aussi venir du latin « Palus », marais, « Paùl » en espagnol et se prononce paoul. Dans un document de 1615, à l’occasion de son accession au canonicat d’Écouis, le nom de Vincent est orthographié : Vincent de Paoul.

De Paul ou Depaul ? On trouve les deux orthographes au XVIIsiècle. Et la particule n’a pas forcément une connotation nobiliaire. Toute sa vie, M. Vincent signera Depaul.

Par contre, sa mère, Bertrande de Moras, appartient à une famille de lignée bourgeoise, peut-être même de petite noblesse locale. Si aucun document écrit ne l’atteste, elle serait née au village même de Pouy, dans une maison située au cœur d’un domaine rural propriété d’une famille de robe, demeurant à Dax, et venant séjourner pour les vacances dans cette campagne. Le frère de Bertrande, Jean de Moras, est avocat au présidial de Dax. Il a épousé une Jeanne de Saint-Martin, apparenté à M. de Comet. Ce dernier deviendra bientôt le premier protecteur du jeune M. Vincent. » (Le Précurseur. P. 17)

Le père de M. Vincent appartenait à une classe bénéficiant de certains privilèges, notamment celui de l’exploitation de bois : les Capcezaliers. Ils pouvaient ramasser le bois mort et, sur autorisation spéciale, couper du bois vert pour le chauffage de leur famille.

Vincent était le troisième d’une famille de six enfants : Jean, Bernard, Vincent, Dominique, surnommé « Gayon » et deux filles, Marie qui épousera Jean de Paillole, et une autre Marie, qui épousera Grégoire de Lartigue.

Temps d’études, ordination diaconale et presbytérale         

Au sein de cette famille modeste et travailleuse, M. Vincent dut très vite apporter sa contribution : la garde du petit ou du grand troupeau familial.

À ce sujet, il dira plus tard : « À l’évêque de Saint Pons, Persin de Montgaillard, qui parlait avec suffisance de son château familial, certes, avec un clin d’œil malicieux : « Je le connais bien, je gardais les bestiaux dans ma jeunesse et je les menais de ce côté-là ». M. Vincent évoquait le château de Montgaillard, avec ses tours situées à Orthevielle au sommet d’un monticule. Or l’Évêque parlait, lui, d’un autre Montgaillard, du côté de Montauban.

Très vite M. Vincent se distingua parmi ses frères par son esprit vif. Son père vit en lui des possibilités à exploiter. Le prieur de Poymartet ou Pouymartet, qui se nommait Etienne de Paul, proche parent, peut-être même frère ou cousin du père de M. Vincent avait lui-même insisté pour que M. Vincent fasse des études.

Sur les conseils de M. de Comet, on fit faire des études à M. Vincent pour qu’il embrasse l’état ecclésiastique.À quel âge commença-t-il ses études ? Difficile à dire. On parle de 15 ans suivant les propos de M. Vincent. Il aurait quitté son village en 1596. Mais c’est peu vraisemblable. Ne serait-ce pas son départ pour l’université puisqu’en 1597, il se trouve à Toulouse. Son départ pour Toulouse ou pour ailleurs marquerait l’éloignement de M. Vincent de sa famille. Et dans cette hypothèse, il aurait été envoyé à Dax au collège des Cordeliers tenu par les franciscains à l’âge de 11 ou 12 ans. Deux ans, quatre ans, toujours est-il qu’au vu de ses performances scolaires, M. de Comet lui demanda de s’installer chez lui comme de précepteur de ses propres enfants, tout en continuant à suivre ses cours au collège.

Les autorités ecclésiastiques lui confèrent les ordres mineurs dès la fin de l’année 1596. Le 20 décembre, il reçoit la tonsure, les ordres mineurs : portier, lecteur, exorciste et acolyte. La cérémonie a lieu en la collégiale de Bidache où officie Mgr Salvat Diharse, évêque de Tarbes, le diocèse de Dax n’avait pas d’évêque à l’époque. La famille de Moras habitant à Orthevielle, près de Bidache, connaissait sans doute la famille de Diharse.

Ainsi, dûment tonsuré et engagé dans les ordres, M. Vincent peut commencer les études pour accéder à la prêtrise, à l’université de Toulouse ou celle de Saragosse. Là aussi la question fait débat. Le Père Roman Lazariste insiste sur Saragosse.

La mort de son père, en février 1598, l’aurait fait revenir dans son village. Ensuite, sans argent pour revenir à Saragosse, il transféra son inscription à Toulouse et y acheva sa première année de théologie. Ainsi Toulouse lui certifiera, en 1604, sept années d’études.

Ne voulant pas être à la charge de sa famille, il accepte la direction d’une pension à Buzet sur Tarn à une trentaine de kilomètres de Toulouse où les familles aisées de la région inscrivaient leurs enfants. Il aurait réussi, ensuite, à transférer cette pension à Toulouse.

Vincent reçoit le 19 septembre 1598 le sous-diaconat, puis le diaconat le 19 décembre, toujours des mains de Mgr Salvat Diharse, mais en sa cathédrale de Tarbes.

Le 13 mai 1599, il obtient les lettres dimissoriales pour la prêtrise. Il est dans sa 19e année. Elles sont signées du vicaire général agissant au nom du nouvel évêque, Jean Jacques Dussault. Celui-ci s’installe dans son évêché début 1600. Il rencontre des complications inextricables. Il convoque un synode pour entreprendre de réformer son diocèse, une assemblée s’étant tenue le 18 avril 1600. Les décisions prises concernaient le clergé. Les curés devaient résider en leur paroisse.

Comme les chanoines du chapitre cathédrale avaient refusé d’approuver les décisions du synode, l’évêque ne pouvait officier « pontificalement » et l’affaire dura jusqu’au début de l’année 1604. M. Vincent dut s’adresser à un autre évêque.

Le 23 septembre 1600, M. Vincent profitant d’un temps de vacances, reçoit la prêtrise à l’âge de 19 ans, des mains d’un prélat aveugle et moribond, François de Bourdeilles, évêque de Périgueux qui l’ordonna à Château l’Évêque.

Rappelons que le Concile de Trente exigeait l’âge de 24 ans pour être ordonné, mais le Concile a tardé à être appliqué en France. Jusqu’à l’Assemblée Générale du Clergé de 1615. Comme en 1600, il avait 19 ou 20 ans, il lui fallait peut être un évêque conciliant.

Une première déception, un premier échec l’attend. M. Vincent apprend que son installation à la paroisse de Thilh en Chalosse n’aura pas lieu, pour deux raisons, d’une part parce que M. Vincent continuait ses études à Toulouse, il ne pouvait résider à la cure comme l’évêque de Dax avait insisté au synode diocésain, d’autre part, un autre, M. Saint-Soubé avait obtenu la paroisse de la curie romaine.

Les Voyages de M. Vincent

Premier voyage à Rome en 1601

C’est là qu’il s’ouvrit au Souverain pontife, en la personne de Clément VIII, un pape que M. Vincent a toujours tenu pour saint.

À Rome, il a rencontré des frères qui dirigeaient l’hôpital du St-Esprit et qui se dévouaient pour soigner les pauvres et les mourants. Ils relevaient de l’ordre créé par Camille de Lellis – Les Camiliens : l’une de leurs citations était : « les pauvres sont nos Seigneurs et nos maîtres ».

En 1604, M. Vincent est bachelier en théologie. Il aura donc fait 7ans de théologie.

Vincent entreprend une série de voyages en vue d’obtenir un statut conforme à ses ambitions : le bénéfice d’une honnête retirade.

Il va à Bordeaux, revient à Toulouse puis prend la route de Castres sur un cheval de louage pour une succession. Le vilain s’étend sauvé à Marseille, M. Vincent vendit le cheval de louage et le poursuivit jusqu’à Marseille. Là, il fit emprisonner le fuyard qui lui donna 300 écus des 400 écus qu’il lui devait d’un héritage d’une veuve de Castres.

Vincent décide alors de revenir par la mer jusqu’à Narbonne. Mal lui en prend, le bateau est capturé par les Barbaresques qui conduisent les captifs jusqu’à Tunis. Commencent alors deux années de servitude. Tour à tour, il deviendra la propriété d’un pêcheur, puis d’un médecin spagirique, alchimiste et à demi sorcier, puis d’un neveu du médecin et enfin d’un renégat de Nice avec qui il se sauvera, traversant la méditerranée pour débarquer le 28 juin 1607. On le retrouve à Rome en 1608. Tout cela fait l’objet de deux lettres de captivité. Elles ont fait débat.

Les débuts de son ministère : un homme qui se cherche

À la fin de l’année 1608, M. Vincent débarque à Paris. Il est modestement installé dans une chambre qu’il partage avec un compatriote, Bertrand Dulou, juge de la cité de Sore, au nord de Pouy. Ce logis se situait dans le faubourg Saint-Germain.

C’est au cours des premiers mois de son séjour parisien qu’il arrive à M. Vincent une affaire bien désagréable. Etant immobilisé par la fièvre dans le logis qu’il partage encore avec le juge de Sore, M. Vincent fait appel au commis de l’apothicaire pour lui apporter une potion. Celui-ci réussit à dérober une bourse, avec 400 écus. Le juge, de retour, s’en aperçoit et accuse M. Vincent de vol. Il va même jusqu’à publier un monitoire contre lui.

* Monitoire : terme de jurisprudence ecclésiastique. Le monitoire était publié au cours du prône dans la paroisse, pour obliger les fidèles à venir déposer sur les faits concernés.

Vincent préfère se taire. Quelques mois plus tard, le voleur est découvert et avoue son larcin. Le juge s’excusera. Mais M. Vincent ne parvint à l’oublier. On voit déjà un profond changement chez lui en pratiquant le conseil évangélique : supporter l’injustice sans se plaindre.

Il déménage à la suite de cette affaire. Il cherche un emploi fixe. Un ami, M. Leclerc de la Foret, réussit à lui trouver une place parmi les aumôniers de la Reine Marguerite de Valois : la Reine Margot. Son entrée n’est pas fracassante. Il passe par la porte de service réservée aux multiples distributeurs d’aumônes que la Reine recueillait pour sa tranquillité spirituelle ! De ce poste, il apprend à connaître le Grand Monde, celui des riches, mais aussi l’autre réalité cachée, celle des pauvres.

Vincent n’a pas perdu pour autant sa véritable ambition, l’obtention d’un bon bénéfice et le retour au pays. Le 10 février 1610, il écrit à sa mère :« L’assurance que Monsieur de Saint-Martin m’a donnée de votre bon portement m’a autant réjoui… que le séjour qu’il me faut faire dans cette ville pour recouvrer l’occasion de mon avancement (que mes désastres m’ont ravi) me rend fâché pour ne vous pouvoir aller rendre les services que je vous dois, mais j’espère tant en la grâce de Dieu qu’il bénira mon labeur et qu’il me donnera le moyen de faire une bonne retraite, pour employer le reste de mes jours auprès de vous. J’ai dit l’état de mes affaires à Monsieur de Saint-Martin, qui m’a témoigné qu’il voulait succéder à la bienveillance et à l’affection qu‘il a plu à Monsieur de Comet nous porter. Je l’ai supplié de vous communiquer le tout. (…) Je désirerais aussi que mon frère fit étudier quelqu’un de mes neveux. Mes infortunes et le peu de service que j’ai encore pu faire à la maison lui en pourront possible ôter la volonté ; mais qu’il se représente que l’infortune présente présuppose un bonheur à l’avenir.»

« L’occasion de mon avancement »… « Le moyen de faire une honnête retraite »… « L’état de mes affaires »… Autant d’expressions qui explicitent bien l’Esprit, le projet de M. Vincent en 1610 et sans doute depuis longtemps, rien vraiment de scandaleux ni annonciateur de l’avenir. À 29 ans, M. Vincent pense à l’honnête retirade et pour bientôt.

Le 14 mai 1610, il fait l’acquisition de l’abbaye de Saint-Léonard-de-Chaumes, près de la Rochelle, dont il croit les revenus considérables mais l’affaire se révèle mauvaise et il devra s’en défaire.

Dans l’entourage de la Reine Margot, M. Vincent fait la connaissance d’un « célèbre docteur », qui s’était illustré « en la qualité de théologal » dans la lutte contre les hérétiques. Ce savant fut assailli « par des tentations bien violentes contre la foi ».

À son chevet, M. Vincent eut l’inspiration de prendre sur lui les peines dont souffrait le pauvre théologal. Ce dernier s’éteignit dans la paix, mais M. Vincent connut les affres des doutes et des tentations.

Vincent entre alors dans une des périodes les plus sombres de sa vie. Sa foi chrétienne elle-même vacille et l’on raconte que ne pouvant même plus articuler une prière, il écrivit le Credo sur un papier qu’il touchait de temps à autre en guise d’acte de foi. Il n’en sortira qu’au bout de plusieurs années.

Désemparé, il se confie à M. de Bérulle, ecclésiastique de renom et de grande influence qui fonde l’Oratoire en novembre 1611. M. Vincent y séjournera quelques mois. Puis il accepte la cure de Clichy, alors paroisse rurale de quelques 6000 habitants. Il en prend possession le 2 mai 1612 et y restera seize mois, seize mois au cours desquels il semble retrouver un peu son équilibre. Il est prêtre depuis douze ans et c’est pratiquement la première fois qu’il se trouve en situation pastorale, « au milieu des pauvres gens des champs ». Il y est aussitôt à l’aise et même heureux : « J’étais si content, dira-t-il, que je me disais à moi-même : mon Dieu ! Que tu es heureux d’avoir un si bon peuple… Je pense que le pape n’est pas si heureux qu’un curé au milieu d’un peuple qui a si bon cœur. » (IX, 646.)

Mais alors, pourquoi ne pas rester à Clichy ? C’est que M. Vincent n’a pas encore renoncé à son projet de situation d’honnête retirade ; en septembre 1613 sur présentation de M. de Bérulle, il entre comme précepteur dans la grande famille des de Gondi. C’est une place très enviable et qui remet M. Vincent en relation avec les grands de la société.

C’est vraisemblablement dans cet état d’esprit que les événements de 1617 vont bientôt le surprendre et l’interpeller au point de l’amener à changer radicalement de vie.

LES ÉVÉNEMENTS DE DIEU GANNES-FOLLEVILLE ET CHÂTILLON-SUR-CHÂLARONNE

Vincent a été marqué par deux événements fondamentaux et fondateurs qui vont le faire naître véritablement à la miséricorde de Dieu et à la mise en place de la charité.

Deux événements dans son ministère pastoral deviennent pour lui découverte, « illumination ». Pour lui, à Folleville comme à Chatillon, Dieu parle et se révèle dans L’EVENEMENT, et particulièrement dans des événements où les pauvres sont impliqués.

Relisons ces 2 épisodes.

Gannes-Folleville (25 janvier 1617)

Vincent accompagne Mme de Gondi dont il est l’accompagnateur spirituel, dira-t-on aujourd’hui. Et voici qu’on le demande auprès d’un mourant dans le village voisin de Gannes.

Vincent reçoit la confession du vieillard… Et voilà comment M. Vincent raconte la suite :

 « La grâce porta le paysan de Gannes à faire l’aveu public, même devant Mme de Gondi, dont il était vassal, des graves péchés de sa vie passée. « Ah ! Monsieur, qu’est-ce que cela ? dit alors cette vertueuse dame. Qu’est-ce que nous venons d’entendre ? Il est sans doute ainsi de la plupart de ces pauvres gens. Ah ! si cet homme, qui passait pour homme de bien, était en état de damnation, que sera-ce des autres qui vivent plus mal ? Ah ! M. Vincent, que d’âmes se perdent ! Quel remède à cela ? » […] C’était au mois de janvier 1617 que cela arriva ; et le jour de la Conversion de Saint Paul qui est le 25, cette dame me pria de faire une prédication en l’Eglise de Folleville pour exhorter les habitants à la confession générale ; ce que je fis. Je leur représentai l’importance et l’utilité, et puis je leur enseignai la manière de la bien faire ; et Dieu eut tant d’égard à la confiance et à la bonne foi de cette dame (car le grand nombre et l’énormité de mes péchés eussent empêché le fruit de cette action) qu’il donna la bénédiction à mon discours ; et toutes ces bonnes gens furent si touchés de Dieu, qu’ils venaient tous pour faire leur confession générale. Je continuai de les instruire et de les disposer aux sacrements, et commençai de les entendre. Mais la presse fut si grande que, ne pouvant plus y suffire, avec un autre prêtre qui m’aidait, Madame envoya prier les Révérends Pères Jésuites d’Amiens de venir au secours […] Et voilà le premier sermon de la Mission et le succès que Dieu lui donna, le jour de la Conversion de Saint Paul ; ce que Dieu ne fit pas sans dessein en un tel jour. » (XI, 4-5)

« Quel remède à cela ?… » Et c’est Mme de Gondi qui pousse M. Vincent à réagir, c’est elle qui l’engage à prêcher le lendemain, elle qui suggère le thème du sermon, elle enfin qui l’invite à continuer l’expérience dans les autres villages. Sans Mme de Gondi, l’événement de Gannes-Folleville aurait eu beaucoup moins d’importance et de retentissement.

De l’expérience de M. Vincent, on peut faire quelques remarques :

Saint Vincent mesure ici les a­vantages de l’intervention missionnaire par rapport à la « Pastorale sédentaire » du Curé. Au vieillard de Gannes, il était difficile de trouver un prêtre pour se confesser, ce qui devient pour M. Vincent une pauvreté spirituelle. Dans sa lettre au pape URBAIN VIII, de Juin 1628, M. Vincent précisera ce point : « … Les pauvres gens des champs…. meurent souvent dans les péchés de leur jeunesse, pour avoir eu honte de les découvrir à des curés ou à des vicai­res qui leur sont connus et familiers » (I, 45).

  1. L’intervention missionnaire se présente donc comme un complément nécessaire et efficace de la « Pastorale sédentaire ».
  2. Cette expérience de l’Intervention Missionnaire fait naître chez M. Vincent l’idée d’« I­TINERANCE ». Il en est question dans le texte ci-des­sus : « Nous fûmes ensuite aux autres villages qui ap­partenaient à Madame en ces quartiers-là… »
  3. La grande importance accordée à la Prédication et, bien sûr, à la confession générale. Le missionnaire est l’Homme de la Parole et du sacrement de la Confession. D’où, le schéma de la Mission : « les instruire, les disposer aux sacrements, les entendre en confession ».
  4. M. Vincent doit faire appel à d’autres. Déjà, il doit prendre conscience du besoin d’être plusieurs pour faire face à cette pastorale… (XI, 4-5). Ce travail étant contraire aux différents Instituts (XI, 171).
  5. M. Vincent voit les événements et y reste fidèle.
  • Il constate une double ignorance : celle du peuple sur les vérités nécessaires au Salut ; celle des Curés sur la formule de l’absolution.
  • Il perçoit une défaillance concrète de la Foi et prend conscience de cette situation collective et du pressant besoin d’agir.

Vincent a toujours reconnu cette date comme étant le principe de son Œuvre Missionnaire : « Et voilà le premier sermon de la Mission, et le succès que Dieu lui accorda le jour de la conversion de Saint Paul ; Ce que Dieu ne fit pas sans dessein, en un tel jour », (XI, 4).

Pour bien montrer aussi le caractère providentiel de l’origine de la Mission, il confiera plus tard à ses Missionnaires : « Hélas ! Messieurs et mes frères, jamais personne n’avait pensé à cela, l’on ne savait ce que c’était que les Missions, nous n’y pensions point et ne savions ce que c’était, et c’est en cela que l’on reconnaît que c’est une œuvre de Dieu » (XI, 169).

Vincent est parti d’un regard sur la vie, et non d’une théorie sur la Mission. Il reconnaît lui-même que c’est l’amour des pauvres qui explique la tâche de la Compagnie de la Mission : « Allons donc, mes frères, et nous employons avec un nouvel amour à servir les pauvres, et même cherchons les plus pauvres et les plus abandonnés » (XI, 393). […] Déjà se dessine une constante de M. Vincent : Quand il a bien saisi l’évènement, qu’il a compris sa coïncidence avec la volonté de Dieu, c’est alors qu’il passe à l’action. Pour lui, il faut savoir attendre, « ne pas enjamber sur la Providence » (I, 26­-28 ; IV, 123) et puis, quand on est sûr, courir aux be­soins du prochain « comme on court au feu » (XI, 31). (Vincent Depaul, son expérience spirituelle, p. 26. 27. 28)

Châtillon sur Chalâronne (20-23 août 1617)

En voulant être un bon curé de campagne, M. Vincent quitte les Gondi. En fait, c’est une véritable fuite. Pourquoi quitte-t-il les Gondi après le fantastique élan de Folleville ? M. Vincent ne se sent pas lié pour autant aux Gondi. Il pourrait missionner ailleurs… Plusieurs raisons l’incitent au départ.

Un appel de détresse des chanoines, comtes de St Jean de Lyon, navrés de voir les pauvres de Châtillon abandonnés par ses desservants (c’est la raison officielle).

  • Le consentement de Bérulle à aller ailleurs,
  • Le peu d’intérêt pour ses leçons aux enfants des Gondi (I, 21),
  •  L’envahissement excessif de Mme de Gondi (ce sont les raisons cachées),
  • L’appel à se donner aux pauvres, dégagé de toute autre responsabilité, (C’est la raison profonde).

Le 1er août il prend possession de la cure de Châtillon-les-Dombes, l’église de Saint-André de Chatillon, aujourd’hui Chatillon-sur-Chalaronne, près de Bourg-en-Bresse, Ain). Une nouvelle étape commence : l’histoire des charités.

Le film M. Vincent commence à Chatillon. En fait il a été filmé à Pérouges.

Et voici que le 20 août, un deuxième événement l’interpelle et l’aide à mieux découvrir ce que Dieu veut de lui. Voici ce qu’il raconte de cet événement :

 « J’étais curé en une petite paroisse, quoiqu’indigne. On me vint avertir qu’il y avait un pauvre homme malade et très mal accommodé en une pauvre grange, et cela lorsque j’étais sur le point d’aller faire le prône. […] On me dit son mal et sa pauvreté, de telle sorte que, pris de grande compassion, je le recommandai fortement et avec tant de ressentiment que toutes les en furent touchées. Il en sortit de la ville plus de cinquante ; et moi, je fis comme les autres, le visitai et le trouvai en tel état que je jugeai à propos de le confesser ; et comme je portais le Saint Sacrement, je rencontrai des femmes par troupe et Dieu me donna cette pensée : « Ne pourrait-on point réunir ces bonnes dames et les exhorter à se donner à Dieu pour servir les pauvres malades ? » (IX, 208-209)[…] Dans un autre passage car il y en a deux, il dira «Je proposai à toutes ces bonnes personnes que la charité avait animées à se transporter là, de se cotiser, chacune une journée, pour faire le pot non seulement pour ceux-là, mais pour ceux qui viendraient après ; et c’est le premier lieu où la Charité a été établie.» (IX, 244)

Trois jours plus tard est effectivement constituée une association de dames chargées de visiter, de soigner, de nourrir tous les pauvres malades « à domicile » de la paroisse. C’est la toute première fondation de M. Vincent. Ce sont aujourd’hui les Equipes St-Vincent…

On reconnaît là, M. Vincent le réaliste : le paysan avisé prompt à s’émouvoir, puis à réfléchir.

Sa stratégie, elle, est des plus intéressantes : il s’agit d’être efficace et pour cela d’organiser un tour de garde. L’expression « faire le pot » est significative de l’extrême nécessité. C’est le mercredi 23 août 1617 que cette association est mise sur pied pour palier à une charité. On possède l’original de ce règlement provisoire ainsi que le règlement définitif, l’approbation de l’archevêque de Lyon et le procès-verbal signé par ce dernier. Il a été découvert en 1839 dans les archives de la Mairie de Chatillon-sur-Chalaronne, cf. XIII, 423 ss). L’essentiel est prévu, par exemple, la nécessité de se faire remplacer.

Deux buts précis sont alors assignés à l’association : « médeciner, guérir le corps, en prendre soin» et exhaler l’âme. Deux êtres y jouent un rôle complémentaire : le Christ qui impute à lui-même le bien fait aux pauvres « Ce que vous faites à l’un de ces petites, c’est à moi que vous le faites… » et la Vierge Marie celle qui « étant invoquée et prise pour patronne aux choses d’importance, il ne se peut que tout n’aille à bien et ne redonde à la gloire du bon Jésus son Fils. »

Trois, quatre mois s’écoulent avec cette mise sur pied transitoire. L’expérience aidant, les usagers et M. Vincent préparent un texte définitif : celui-ci est daté du 12 décembre 1617, et ce texte est connu sous le nom de : « Règlement de Châtillon. » (XIII, 423-439)

Les historiens ne tarissent pas d’éloges sur l’excellence de ce document : Dodin dit : « un chef d’œuvre d’organisation et de tendresse ». Et de Mr Roman : « Admirable page de civilité et de charité chrétienne. »

« Celle qui sera en jour, ayant pris ce qu’il faudra de la trésorière pour la nourriture des pauvres en son jour, apprêtera le dîner, le portera aux malades, en les a bordant les saluera gaiement et charitablement, accomodera la tablette sur le lit, mettra une serviette dessus, une gondole et une cuillère et du pain, fera laver les mains aux malades et dira le Benedicite, trempera le potage dans une écuelle et mettra la viande dans un plat, accomodant le tout sur ladite tablette, puis conviera le malade charitablement à manger, pour l’amour de Jésus et de sa sainte Mère, le tout avec amour, comme si elle avait affaire à son propre fils ou plutôt à Dieu, qui impute fait à lui-même le bien qu’elle fait aux pauvres […] Elle lui dira quelque petit mot de Notre-Seigneur, en ce sentiment tâchera de le réjouir s’il est fort désolé, lui coupera sa viande, lui versera à boire, et l’ayant mis en train manger, s’il a quelqu’un auprès de lui, le laissera et ira trouver un autre pour le traiter de la même sorte, se ressouvenant de commencer toujours par celui qui a quelqu’un avec lui et de finir par ceux qui sont seuls, afin de pouvoir être auprès d’eux plus longtemps ; puis reviendra le soir leur porter à souper avec même appareil et ordre que dessus. » (XIII, 423-428)

L’évènement de Châtillon, comme celui de Folleville, sont peut-être ordinaires mais M. Vincent a, lui, la conviction que dans l’un et l’autre cas, c’est Dieu qui s’est clairement manifesté. Par la suite, quand M. Vincent parlera de la Congrégation de la Mission et de la Compagnie des Filles de la Charité, il affirmera toujours que tout a vraiment commencé à Folleville et à Châtillon.

Vincent ne se contente pas d’en rester à une compassion sans engagement. Il prend au sérieux toute personne en sa pauvreté. Il ne s’arrête pas à l’observation, il passe à l’action. Il a compris que le seul langage à tenir, celui qui touche les cœurs est celui de l’action. C’est ce qu’il nomme « passer de l’amour affectif à l’amour effectif ».

 « L’amour affectif, c’est la tendresse dans l’amour. Vous devez aimer Notre-Seigneur tendrement et affectionnément, comme un enfant qui ne peut se séparer de sa mère et crie « Maman » dès qu’elle se veut éloigner. Ainsi un cœur qui aime Notre-Seigneur ne peut souffrir son absence et se doit tenir à lui par cet amour affectif, lequel produit l’amour effectif. Car le premier ne suffit pas, mes sœurs ; il faut avoir les deux. Il faut de l’amour affectif passer à l’amour effectif, qui est l’exercice des œuvres de la Charité, le service des pauvres entrepris avec joie, courage, constance et amour. Ces deux sortes d’amours sont comme la vie d’une sœur de la Charité, car être Fille de la Charité, c’est aimer Notre-Seigneur tendrement et constamment […] L’amour des Filles de la Charité n’est pas seulement tendre ; il est effectif, parce qu’elles servent effectivement les pauvres, corporellement et spirituellement », (Conférence du 9 Février 1653).

RETOUR À PARIS : RENCONTRES ET INFLUENCES

Dans la vie de M. Vincent, certains événements deviennent événements de Dieu, mais certaines rencontres vont aussi l’influencer et devenir événements de Dieu.

Des rencontres qui l’influencèrent et manifestèrent la présence de Dieu.

C’est une véritable coalition qui se forme chez les Gondi pour que l’Aumônier revienne. On fait également pression auprès de M. de Bérulle afin que M. Vincent obtempère à ses volontés. Le 23 décembre 1617, il est à nouveau à Paris.

Mais dorénavant le voici véritablement missionnaire. En février 1618, il est à Villepreux, puis missionne à Joigny et dans les villages alentour – Villecien et Paroy-sur-Tholon. À Joigny, une charité est créée sous l’impulsion de Mme de Gondi. À cet effet, « elle offre le produit des péages prélevés auprès des mariniers qui passent les dimanches et jours de fêtes sous les ponts de la cité. » (Le Précurseur. M. Pujo, p. 95). M. Vincent rencontre à Villecien Mlle du Fay qui sera la grande bienfaitrice de ses œuvres. Puis une autre mission à Montmirail en Champagne l’attend.

Entre le 7 novembre 1618 et le13 septembre 1619, Vincent rencontre François de Sales dont il avait déjà lu l’ouvrage intitulé : « L’Introduction à la vie dévote » (1608) et « Le Traité de l’Amour de Dieu » (1616).

Combien de fois a-t-il conversé avec François de Sales ? Difficile à dire. Ce qui est sûr, sa rencontre avec François de Sales va jouer un rôle déterminant dans sa vie ; M. Vincent sera influencé par leurs longues conversations.

« Il sera marqué, à tout jamais, par les vertus de François de Sales : sa douceur, sa bonté et son humilité ». (Le Précurseur, p. 99). M. Vincent essaiera de suivre ce modèle. Vincent, au procès de béatification déclarera « J’ai été souvent honoré de sa familiarité… j’étais porté à voir en lui l’homme qui m’a le mieux reproduit le Fils de Dieu sur terre… sa douceur et sa bonté débordaient sur ceux qui avaient la faveur de ses entretiens, et j’en fus [1]. »

Compréhension et estime, voilà ce qui caractérise ces deux hommes de foi.

 C’est à la demande de François de Sales qu’arrive à Paris Jeanne Françoise Frémiot de Chantal, qui le 1er mai, inaugure le pre­mier établissement de la Visitation à Paris. À l’origine les Visitandines devaient visiter les pauvres et les malades d’où le nom de visitation, et donc ne pas être cloîtrées. Mais devant l’opposition de l’archevêque de Lyon, François de Sales a dû y renoncer. En recevant cette confidence, M. Vincent saura profiter de l’intuition de François de Sales pour mener à bien son projet des Filles de la Charité qui ne seront pas cloîtrées. M. Vincent, collaborateur de Monseigneur de Genève, collaborera également avec Sainte Jeanne de Chantal puisque c’est à la demande de Monseigneur de Genève et avec l’accord de l’archevêque de Paris qu’il deviendra supérieur de la maison des visitandines de Paris. Ste Jeanne lui demandera d’être également son conseiller spirituel. M. Vincent aura une vision à la mort de Sainte Jeanne :

 Vision des trois globes :

« Cette personne m’a dit qu’ayant eu nouvelle de l’extrémité de la maladie de notre défunte, elle se mit à genoux pour prier Dieu pour elle, et que la première pensée qui lui vint en l’esprit fut de faire un acte contrition des péchés qu’elle a commis et commet ordinairement, et qu’immédiatement après il lui parut un petit globe de feu, qui s’élevait de terre et s’alla joindre en la supérieure région de l’air à un autre globe plus grand et plus lumineux, et que les deux, réduits en un, s’élevèrent plus haut, entrèrent et se resplendirent dans un autre globe infiniment plus grand et plus lumineux que les autres, et qu’il lui fut dit intérieurement que ce premier globe était l’âme de notre digne Mère, le second celle de notre bienheureux Père et l’autre l’essence divine, que l’âme de notre digne Mère s’était réunie à celle de notre bienheureux Père, et les deux à Dieu, leur souverain principe. » (Coste 34 – 125-128)

D’autres hommes marqueront M. Vincent.

Monsieur de Bérulle comme nous l’avons déjà vu. M Vincent prendra par la suite ses distances vis-à-vis de lui. Monsieur de Bérulle manifestera une certaine hostilité à ses projets.

André Duval, professeur de théologie à la Sorbonne qui est le véritable conseiller de M. Vincent et de la Congrégation naissante. C’est M. Duval qui fit connaître Benoît de Canfield à M. Vincent et M. Vincent s’inspirera quelquefois de son ouvrage : « La Règle de Perfection ».

Un ami Jean du Vergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran. Là aussi, c’est une vraie amitié, malgré leurs divergences quand l’enseignement de Saint Cyran devint un danger pour les âmes.

Vincent reste toujours fidèle à son ami en témoignant en sa faveur (XIII, 86-93) devant le Juge ecclésiastique, sans oublier Sainte Thérèse et Ignace de Loyola.

C’est tout ce milieu spirituel de la première partie du XVII° siècle qui a influencé M. Vincent.

Aumônier des Galères

On a tous à l’esprit, l’image de M. Vincent qui prend la place d’un galérien. La véracité de cette histoire a toujours éveillé des doutes chez les biographes, même si elle a été confirmée par des témoins au procès de béatification (Abelly laisse entrevoir une certaine hésitation et Collet la combat vigoureusement). Ce qui est plus recevable des biographes modernes est que M. Vincent ait été appelé à la construction d’un hôpital en faveur des galériens de Marseille. Le projet n’ayant pas abouti, faute de fonds, l’idée vint à M. de Gondi de créer la charge d’Aumônier royal des galères et de la confier à M. Vincent.

Le 8 février 1619, M. Vincent devient Aumônier général des Galères. Le 12 février 1619, il prête serment. Aussitôt M. Vincent visite ses pauvres paroissiens, à Paris, à Marseille. À Paris, les forçats étaient placés dans une maison de louage, transformée en prison, près de St-Roch, d’où son nom, prison de St-Roch.

Il leur prêche même une mission à Marseille en 1622 et à Bordeaux en 1623.

Terminons par un dernier événement : l’épisode de Marchais (1620-1621) (X1, 34-37) qui a confirmé l’intuition de M. Vincent, à savoir : « le pauvre peuple se damne et les prêtres ne s’en soucient pas ».

En 1620, en prêchant une mission dans la paroisse de Montmirail, village de Champagne, M. Vincent est confronté à un huguenot. (En fait 3 huguenots. Il en fait le récit pour encourager ses missionnaires à persévérer dans leur vocation. M. Vincent raconte son entretien avec un hérétique qui se convertira.

Ce protestant fait des objections contre l’Eglise catholique : « Monsieur, vous m’avez dit que l’Eglise de Rome est conduite du Saint Esprit, mais c’est ce que je ne puis croire, parce que, d’un côté, l’on voit des catholiques de la campagne abandonnés à des pasteurs vicieux et ignorants…..et d’un autre, l’on voit les villes pleines de prêtres et de moines qui ne font rien ; et peut-être que dans Paris il s’en trouverait dix mille, qui laissent cependant ces pauvres gens des champs dans cette ignorance épouvantable par laquelle ils se perdent. Et vous voudriez me persuader que cela soit conduit du Saint-Esprit ! Je ne le croirai jamais  » (XI, 34- 37).

Vincent essaiera bien d’argumenter en disant que « les prêtres inutiles ne sont pas l’Eglise. » Rien n’y fait.

« Un an après, il donne une Mission à Marchais ; le protestant y assiste. Il voit le soin apporté à l’instruction ; il en est profondément bouleversé au point de retrouver le chemin de la Foi. » (Vincent Depaul. Son Expérience spirituelle. p. 36)

Telle est la confirmation de Folleville. La mission est nécessaire. La conversion de ce protestant huguenot en est l’expression.

Les gens des champs sont abandonnés. Il faut que l’Eglise revienne aux Pauvres et ainsi elle redeviendra l’Eglise de Dieu, d’où la nécessité impérieuse d’un renouveau sacerdotal.

C’est ce à quoi M. Vincent en abordant la quarantaine va tendre, exploitant toutes les expériences acquises qui ont façonné son être. C’est dorénavant l’heure des grandes réalisations et le temps des fondations.

NAISSANCE DE LA CONGRÉGATION DE LA MISSION

Mais pour cela, il faut fonder une Congrégation et avoir sa propre maison pour accueillir les membres de la nouvelle Congrégation. M. Vincent a toutes les peines du monde à trouver des prêtres qui acceptent de l’accompagner dans ses missions à la campagne. Il ne s’en trouve qu’un, le père Antoine Portal. C’est après avoir consulté l’archevêque de Paris que les Gondi suggèrent à M. Vincent de fonder lui-même une Congrégation. Mme de Gondi est déjà malade et elle souhaite que l’affaire soit conclue. Le collège des Bons-Enfants étant presque vide, l’archevêque de Paris donne son accord pour le mettre à la disposition de M. Vincent. (Louis de Guyart, docteur en théologie cède sa charge et le 1er mars 1624.)

Voilà M. Vincent, Principal du Collège des Bons-Enfants, et disposant d’une maison en compagnie de son fidèle adjoint : Antoine Portail. Dès lors, tout va très vite.

C’est le 17 avril 1625 que prend naissance la Congrégation de la Mission par un contrat. Celui-ci est un contrat d’association des premiers missionnaires en l’hôtel de la rue Pavée, paroisse St Sauveur : « La pieuse association de quelques ecclésiastiques de doctrine, piété et capacité connues […] pour […] s’appliquer entièrement et purement au salut du pauvre peuple, allant de village en village […] prêcher, instruire, exhorter et catéchiser ces pauvres gens et les porter à faire une bonne confession générale de toute leur vie passée. » (XIII, 197-205)

On note l’importance de l’itinérance, aller de village en village, (villes exclues) sur les terres des Gondi, et renoncer à tout bénéfice.

On a besoin de six ecclésiastiques et d’un supérieur. Enfin, M. Vincent est tenu de résider auprès des Gondi. Les Gondi remettent la somme de 45000 livres à M. Vincent.

Le 23 juin 1625, deux mois après, meurt Mme de Gondi, Françoise-Marguerite de Silly, épouse de Philippe-Emmanuel de Gondi.

Finalement, c’est Philippe Emmanuel de Gondi, ex général des galères, une fois entré à l’Oratoire, qui rendra à M. Vincent sa liberté en 1626.

Les débuts sont très modestes. Quand M. Vincent part en mission, il laisse le collège vide à ses voisins. Pourtant M. Vincent n’a de cesse de faire avancer la reconnaissance de la nouvelle Compagnie. « L’archevêque de Paris, Jean-François de Gondi, approuve officiellement, le 24 avril 1626, l’œuvre créée « par notre très cher frère Philippe-Emmanuel de Gondi […] et par notre chère sœur, dame Françoise-Marguerite de Silly […] de quelques ecclésiastiques qui s’emploient aux misions à catéchiser, prêcher et faire confession générale au pauvre peuple des champs ». Ces quelques ecclésiastiques ne sont encore que quatre lorsqu’ils signent, le 4 septembre, un acte d’association devant notaire et garde-notes du roi au Châtelet de Paris. Le même jour M. Vincent fait donation à sa famille de tous ses biens. » (cf. M. Pujo – Fondation de la Congrégation de la Mission, p. 111.)

Le projet de M. Vincent va susciter de l’hostilité, notamment de la part de Pierre de Bérulle, élevé au cardinalat en 1627, qui ne voit pas d’un bon œil l’entreprise de son ancien disciple.

Ce sera le tour des curés de la capitale qui se dresseront contre les lettres patentes par lesquelles le roi a approuvé la Mission. Ce qui n’empêchera pas le Parlement d’enregistrer en sa séance du 4 avril 1631, les lettres patentes du roi en faveur « des prêtres de la Mission ».

Vis-à-vis de Rome, M. Vincent devra s’y reprendre à plusieurs fois. Il envoie François du Coudray à Rome en 1631, avec la consigne de suivante : « Vous devez faire entendre que le pauvre peuple se damne faute de savoir les choses nécessaires au salut et faute de se confesser. Que si Sa Sainteté savait cette nécessité, elle n’aurait point de repos qu’elle n’eût fait son possible pour y mettre ordre… »

Finalement, le pape Urbain VIII prononce la reconnaissance officielle de la Congrégation de la Mission, en signant le 12 janvier 1633, la bulle Salvatoris Nostri.

Par elle, M. Vincent voit ses pouvoirs étendus. Ce n’est plus une association, c’est une Congrégation de la mission. Elle est donc exempte.

Sainte Louise de Marillac

Il faut maintenant parler de Ste Louise De Marillac. Disons-le, une vraie amitié, profonde, respectueuse de leurs personnalités, réunit ces deux grands saints. Et pourtant, ce ne fut pas facile pour elle.

Elle est née le 12 août 1591. Sa mère est inconnue. Elle est donc la fille naturelle de Louis De Marillac qui l’a reconnue. Elle en est profondément marquée. Très tôt, son Père la place au couvent royal de Poissy. Elle y rencontre l’affection de sa Grand tante mère Louise De Marillac, dominicaine et humaniste. Elle bénéficie de cette ferveur religieuse dominicaine et connaît la spiritualité de Ste Catherine de Sienne. À noter qu’à cette époque, la supérieure était une Gondi. À treize ans, elle perd son père le 25 juillet 1604. Louise est alors placée par son oncle et tuteur Michel De Marillac (1560-1632) dans un foyer parisien pour jeunes filles nobles. Elle embrase le Paris dévot et fréquente alors les capucines du Faubourg Saint-Honoré, les « Filles de la Croix » et pense à devenir l’une d’entre elles.

Mais, Michel De Marillac et son beau-frère Octavien Doni d’Attichy (mort en 1614) décident de lui faire épouser un petit fonctionnaire, Antoine Le Gras, (1577-1625), simple écuyer, mais honnête homme de la reine mère, Marie de Médicis. Ils se marient le 5 février 1613 en l’église de Saint-Gervais. Louise sera toujours appelée « Mademoiselle ».

Antoine tombe malade. Louise, persuadée d’avoir été infidèle à sa promesse d’être religieuse est envahie par un profond sentiment de culpabilité. Elle se met à douter de tout, de l’immortalité de l’âme, et même de l’existence de Dieu. C’est en la fête de la Pentecôte de 1623 qu’elle retrouve la certitude de la foi. En même temps, sa mission est précisée ; elle sera en une petite communauté aux services des pauvres. Elle ne comprend pas comment cela pourra se réaliser. Tout cela est relaté dans le texte de la « Lumière de la Pentecôte ». Un nouveau directeur lui est présenté, un prêtre de 40 ans : M. Vincent.

Antoine Le Gras meurt paisiblement le 21 décembre 1625. Louise, avec peu de ressources et un fils Michel de 12 ans, qui sera source de préoccupation, vient habiter rue St-Victor, non loin du Collège des Bons-Enfants dont M. Vincent  est le supérieur. « Dieu a un autre dessein pour vous ». Avec patience et bonté, il l’aide à se décentrer d’elle-même. Commence alors un long travail. M. Vincent et Louise se découvrent à travers lettres et rencontres. Louise fait entièrement confiance à M. Vincent, homme simple, rempli d’amour.

Vincent découvre chez Louise De Marillac une riche personnalité qui ne demande qu’à se révéler et s’épanouir.

Cependant les « Confréries de la Charité » se multipliant, certaines sont très vivantes, tandis que d’autres sont plus difficiles. Il faut être présent pour œuvrer au bon fonctionnement.

En mai 1629 M. Vincent envoie Louise visiter la Confrérie de Montmirail. Conscient de ce premier départ, M. Vincent lui donne un « ordre de mission. » Le voici : « Allez donc, Mademoiselle, allez au nom de Notre Seigneur. Je prie sa divine bonté qu’elle vous accompagne, qu’elle soit votre soulas (soulagement – consolation) en votre chemin, votre ombre contre l’ardeur du soleil, votre couvert à la pluie et au froid, votre lit mollet en votre lassitude, votre force en votre travail et qu’enfin il vous ramène en parfaite santé et pleine de bonnes œuvres. » (Doc 26)

Devenant ainsi Missionnaire de la Charité, Louise parcourt les routes de France : Saint-Cloud, Villepreux, Beauvais, Montreuil, Pontoise, Villeneuve-Saint-George, Liancourt, Loisy-en-Brie, Gournay-sur-Aronde, Asnières. Elle réunit les membres de l’association, les encourage dans leur travail et ranime leur ferveur. Son enthousiasme est communicatif. Cependant, aux yeux de M. Vincent, un problème subsiste.

Ces dames de la Charité ont une réelle répugnance quand il faut porter la marmite de soupe dans les taudis. Certaines suffoquent à la vue et à l’odeur qui s’en dégage. Elles envoient leurs servantes pour les remplacer.

Vincent va trouver la solution au cours d’une mission dans les environs de Suresnes

Il y rencontre une paysanne : Marguerite Naseau, désireuse de servir les pauvres. M. Vincent voit en cette rencontre un nouvel « Evénement de Dieu », la réponse à comment servir les pauvres.

Marguerite, âgée de trente-quatre ans, avait appris à lire en gardant les vaches. M. Vincent l’envoie auprès de Louise De Marillac. Celle-ci s’émerveille de l’ardeur de Marguerite.

Rapidement, d’autres filles de la campagne se présentent pour aider les Dames des différentes Confréries de la Charité de Paris, si bien que Louise a une intuition : « Ne faudrait-il pas qu’elle se consacre à la formation et au soutien de ces filles en vivant en communauté » ?

 La mort de Marguerite Naseau, des suites de la peste, en février 1633, interpellera autant Louise que M. Vincent. Pourtant celui-ci hésite. « Peut-on, alors que les couvents accueillent surtout des demoiselles de la noblesse ou de la bourgeoisie, proposer à des paysannes de se consacrer à Dieu, de former une communauté religieuse ? » (Petite vie de Louise De Marillac).

Finalement, en accord avec M. Vincent, Louise De Marillac réunit, en 1633, quelques filles toutes simples. Ainsi naquirent celles qui vont devenir les très célèbres « Filles de la Charité ». La fondation des Filles de la Charité est une création originale et audacieuse, surtout à cette époque.

Ce sont des religieuses sans voile ni vœux, « elles auront pour monastères les maisons des malades et celle où demeure la Supérieure. Pour cellule, une chambre de louage. Pour chapelle l’église paroissiale. Pour cloître, les rues de la ville. Pour clôture, l’obéissance. Pour grille, la crainte de Dieu. Pour voile, la sainte modestie. Pour profession, la confiance continuelle dans la Providence, l’offrande de tout ce qu’elles sont ». (Extraits des « Entretiens » aux « Filles de la Charité »). Vêtues simplement en gris, à peu près comme les jeunes filles pauvres de l’époque, les « Filles de La Charité » se développent très vite et s’efforcent d’être présentes au monde, à tous les rendez-vous de la misère…

Au service des prêtres

Venons-en à la formation des prêtres. Le Père Roman dans son livre Saint Vincent de Paul disait ceci : «M. Vincent était lent, quasi désespérément lent, quand il n’avait pas vu avec clarté la volonté de Dieu. Par exemple, dans l’acceptation de Saint Lazare, il mit un an à s’y résoudre. Mais une fois que la volonté divine s’était manifestée à travers un événement, à travers un ordre de l’autorité, ou travers le conseil d’une personne spirituelle, M. Vincent se décidait alors avec une rapidité surprenante. » (p. 279) Ce fut le cas pour les Conférences du mardi. Une fois de plus, Vincent crut entendre la voix de Dieu…

Parmi toutes les activités apostoliques de M. Vincent, il faut souligner ce qu’il a fait pour la « formation initiale et permanente » des prêtres.

Pour M. Vincent, l’expérience des missions auprès des gens de la campagne a nourri en lui cette conviction que si le peuple est ignorant des vérités de la foi, la faute en incombe principalement aux prêtres, d’où pour lui le sentiment de l’urgence du service de la formation des prêtres. « S’employer pour faire de bons prêtres et y concourir comme cause seconde et efficiente instrumentale, c’est faire l’office de Jésus-Christ qui, pendant sa vie mortelle semble avoir pris à tâche de faire douze bons prêtres, qui sont ses apôtres, ayant voulu, pour cet office, demeurer plusieurs années avec eux pour les instruire et les former à ce divin ministère ». (XI, 8)

L’activité de M. Vincent va prendre trois formes principales.

Les exercices des ordinands.

Au cours de l’été 1628, M. Vincent rencontre l’évêque de Soissons, Monseigneur Augustin Poirier. Celui-ci pensait réformer son clergé au moyen d’une retraite qui serait donnée aux futurs ordonnés. Au cours de cette entrevue, l’évêque sollicite M. Vincent pour prêcher cette retraite en septembre. Tels furent les premiers exercices des ordinands. Cela fut un tel succès que pareille formule fut reprise à Paris, puis dans de nombreux diocèses. À Rome, ils seront déclarés obligatoires par le pape Alexandre VII.

La Bulle d’approbation « Salvatoris Nostri », du 12 janvier 1633, les mentionne comme l’une des œuvres principales de la Congrégation. Ces exercices duraient de 10 à 15 jours, avant l’ordination. On enseignait l’oraison mentale, la théologie pratique et nécessaire, les cérémonies de l’Eglise. (I, 309) M. Vincent demandait aux « formateurs » d’édifier les ordinands, surtout par l’humilité et la modestie. Dans le contexte de l’époque, c’était un instrument d’une grande importance qui fera naître d’autres réalisations.

Les Conférences des mardis.

Les Conférences des mardis sont dans la continuité des exercices des ordinands et cela à partir de 1633. Ce sont d’anciens ordinands qui ont demandé à M. Vincent de pouvoir continuer, après leur ordination, un travail spirituel et pastoral commencé lors des exercices. « Pourquoi ne nous réunissez-vous pas, M. Vincent, en une association qui aurait pour objet de maintenir vivante en nous la ferveur de ces premiers moments » (Abelly, op. cit., 1.2, c.3, p. 246).

Ces conférences étaient des rencontres des prêtres où l’on « conférait » dans un esprit de partage à la fois simple et structuré sur la pastorale, les vertus chrétiennes etc… Un certain nombre de prêtres se retrouvaient ainsi à Saint Lazare chaque mardi pour un temps d’échange, de prière et de renouvellement de leur zèle sacerdotal : Olier, Jean Eudes, et le célèbre Bossuet. Un règlement fut établi à cet effet. (XIII, 128-132) On y apprend la manière dont se déroulaient les Conférences du mardi :

« On commence la conférence par l’invocation du Saint Esprit […] Puis on traitera de quelque vertu propre aux ecclésiastiques, dont on aura donné le sujet dans l’assemblée précédente, et sur laquelle chacun rapportera humblement et simplement, de parole ou par écrit, les pensées que Dieu lui aura données sur les motifs de cette vertu, sa nature et les moyens de les biens pratiquer ». (XIII, 130-131)

C’était donc un temps où les participants dialoguaient, s’enrichissaient et se confortaient mutuellement, comme une sorte de révision de vie pastorale, sur la manière de vivre le ministère.

Les grands séminaires.

Bien que les exercices des ordinands portassent du fruit, cela ne suffisait pas. Aux yeux de M. Vincent, la durée des retraites était trop brève pour assurer une vraie formation, d’où la formule des séminaires. Parallèlement aux autres établissements analogues (Saint-Sulpice, 1641-1642, Caen 1643), M. Vincent fonde des maisons pour adultes : aux Bons-enfants en 1642, puis à Annecy et à Alet. Il faut noter que le séminaire de M. Vincent avait son originalité. On insistait sur la formation spirituelle, sur la pratique pastorale ainsi que sur la vie communautaire. À ces confrères qui répugnent à être au service des séminaires, il dira « Ce serait une tromperie, et grande tromperie, à qui ne voudrait s’appliquer à faire de bon prêtres, et d’autant plus qu’il n’y a rien de plus grand qu’un prêtre. » (XII, 85)

Conclusion

Concluons en reprenant ce que dit le Père François Becheau : « Nous gardons, pour la plupart, dans le subconscient de notre mémoire, l’image bien connue du petit Saint glissant furtivement dans les rues glacées de Paris enveloppant douillettement dans sa vaste houppelande un pauvre bébé abandonné sous un porche d’une église est pleinement justifiée. L’œuvre des « Enfants abandonnés » sauve et élève peut-être jusqu’à dix mille bébés en vingt ans. De 1640 à 1660 M. Vincent reçoit les échos de toutes les détresses : les réfugiés de la guerre de Lorraine et les mendiants de toutes sortes pullulent dans la capitale. Le gouvernement est désarmé.

Vincent était opposé aux grandes concentrations de pauvres dans des hospices spécialisés et contre les mesures royales autoritaires, mais il accepta d’envoyer dans ces établissements, comme à la « Salpetrière », des Dames de la Charité pour humaniser cet « enfermement ».

Les prisonniers sont affreusement traités, ils « pourrissent vivants », apprend-il. Il va leur rendre visite, milite auprès de leurs responsables pour l’amélioration de leur sort et les fait visiter. De même pour les galériens dont il connaît bien le sort. Il leur envoie des Sœurs, fait ouvrir des infirmeries aux Galères et recommande aux puissants de mieux les traiter.

Car M. Vincent a l’oreille des puissants. Il est tellement connu ! Il intervient déjà auprès de Richelieu, mais en vain, pour faire cesser l’intervention royale très brutale en Lorraine. Il est présent au chevet de Louis XIII mourant. Sa veuve, Anne d’Autriche, la Régente, le prend comme confident et confesseur. Il devient alors membre du « Conseil de Conscience » qui est une sorte de Ministère des Affaires religieuses. Il y prend force position face aux jansénistes. Il s’efforce de faire nommer des évêques dignes.

Il avoue alors à un ami : « Je n’ai jamais été plus digne de compassion que je ne suis, ni, n’ai eu plus besoin de prières qu’à présent dans ce nouvel emploi. J’espère que ce ne sera pas pour longtemps ». Il y resta en fait dix ans, de 1642 à 1652. Son rayonnement est alors immense. Il dépasse les frontières du Royaume. De son vivant, ses œuvres s’organisent en Irlande, à Rome, à Alger, à Tunis, à Madagascar, en Pologne ; il en apprendra, avec une grande émotion, le martyre de ses premiers fils et de ses premières filles.

Une vie étonnante ! Elle s’est déployée dans les registres les plus divers : la pastorale rurale, la formation du clergé et des laïcs, les galériens, les prisonniers, les pauvres et les malades, mais aussi les grands de ce monde et le conseil royal… Il est partout. Il fait preuve d’une énergie et d’une capacité d’organisateur hors du commun. Son impact est considérable.

Soulignons ici le trait, peut-être le plus remarquable, de cette merveilleuse destinée : son unité de vie. Le même en toute simplicité partout et toujours, que ce soit auprès des humbles Filles de la Charité, des Séminaristes, des Grands du Conseil de Conscience.

Il est le même partout parce qu’il est vrai, sans pose aucune, dépossédé de lui-même et habité par un amour sans mesure du petit, du pauvre, du marginalisé… » (François Becheau. SJ. M. Vincent)

  1. Vincent meurt le 27 septembre 1660.

Devant une telle existence, relisons ce que disait l’historien Daniel Rops :

« L’Histoire voit en lui un des hommes les plus considérables de son temps, à tel point qu’il n’est nul manuel, ni laïc qu’il se veuille, qui ne lui fasse une place. Initiateur du sens social à une époque où achevait de se rompre la solidarité de la cité, de la commune qui, au Moyen âge, soulageait les misères et où, cependant les guerres et les désordres rendaient plus que jamais indispensables l’entraide et le secours mutuel, il a su associer toutes les classes dans un même effort pour soulager la misère des hommes, susciter tant de générosité individuelles que la face de la France en a été changée [2] ».

Didier Mahieu CM🔸

Vincent nous parle encore. Nous avons toujours à le redécouvrir car sa figure fait partie de ces géants qui ont marqué leur époque. Nous sommes loin d’avoir épuisé la richesse de sa personnalité et de son œuvre. Aujourd’hui bon nombre d’ouvrages paraissent encore sur lui.

 

[1]. Déposition de Vincent de Paul au procès de béatification de François de Sales », 17 avril 1628 (S.V. XIII, 66 à 84).

[2]. Daniel Rops, « Eglises des temps classiques », p. 60.

[i]. « L’année 1580 a en sa faveur le fait que le mardi de Pâques (qui est la seule référence concrète d’Abelly) tombait cette année le 5 avril, fête de saint Vincent Ferrier, ce qui pourrait expliquer le prénom de Vincent que l’on a donné à l’enfant qui venait de naître. Saint Vincent de Paul professa toujours une grande dévotion au dominicain valencien et l’avait comme second patron », Abelly, op. cit., 1, 3, C. 9, p. 94 ; José Maria ROMAN, Saint Vincent de Paul, p. 21.